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dimanche 14 juillet 2019

Jetée de pierre dans le ruisseau de la Brasserie, à Hull (QC).



Partie nord de l'Île-de-Hull en 1925. Ressources naturelles Canada, Photothèque nationale de l'air, photo HA67, no 60, 4 nov. 1925 (détail). Le quai dans le ruisseau de la Brasserie (en haut) est bien visible (structure rectiligne anguleuse en haut à droite). En bas à gauche, intersection des boulevards Sacré-Coeur (E-W) et Montclair (N-S). Le pont du boul. Fournier en haut à droite (aujourd'hui pont double). Voir la carte à la fin du billet.


J'ai enfin pu accéder au quai de pierre dans le ruisseau de la Brasserie, à Hull (QC).

Le quai constitue le vestige solitaire d'un projet de développement datant du début du XXe siècle. Le nord de l'Île-de-Hull devait accueillir un quartier résidentiel - le quartier Dupuisville (voir la carte à la fin du billet). Le plan des rues était déjà tracé. Le projet prévoyait en outre l'implantation d'une usine de transformation des résidus de bois des scieries locales en alcool. Un quai, le long du ruisseau de la Brasserie, avait déjà été construit. Sauf cet ouvrage dont des vestiges sont encore visibles, rien de tout ça n'a connu un début de réalisation. J'en suis encore à chercher les raisons de cet abandon. Peut-être sont-elles liées à un autre projet avorté, celui du canal de la baie Georgienne, sur les mêmes terrains (billet du 20 févr. 2019 ; suivre les liens qu'il contient). Le nord de l'Île-de-Hull est demeuré plus ou moins abandonné jusqu'à la construction de l'autoroute 5 dans les années 1960.

Voir le billet du 11 février 2019 pour plus de détail sur le quai et le quartier Dupuisville (ainsi que des cartes et d'autres photos). Suivre les liens qu'il contient.


Note (20190715). - J'ai d'abord utilisé les termes jetée, digue, mur ou chaussée pour désigner cette structure linéaire dans les eaux du ruisseau, ignorant sa véritable nature. Le terme quai convient mieux (billet du 11 févr. 2019, lien plus haut). Je corrige donc mes textes en conséquence. Il est trop tard cependant pour changer les titres des billets.

L'ouvrage devait servir de quai à l'usine en plus de faciliter son accès par voie d'eau. La mort du projet l'a privée de toute utilité. Il demeure dans le paysage, totalement ignoré. À ma connaissance, je suis le premier à rassembler des données éparses sur cette structure ; même les cartes topographiques présentent comme chose naturelle le dessin rectiligne de la rive droite du ruisseau en amont du pont du boulevard Fournier. Le quai, jouant aussi le rôle de barrage, a pourtant permis de combler une large baie que traversent sans s'en douter les automobilistes qui empruntent l'autoroute 5 au nord de l'Île-de-Hull (billet du 11 févr. 2019, lien plus haut).

J'ai profité du fait que le niveau des eaux est suffisamment bas ces derniers temps pour accéder au quai à pied sec. (Pour atteindre la jetée, il faut traverser des bretelles de l'autoroute et le bois qui longe la rive.)

Je m'attendais à quelque chose de mieux structuré. Il s'agit d'un simple amoncellement de pierres calcaires plates, sans nul ciment ou mortier, ni coffrage pour les contenir. Le limon (ou la boue) remplit les interstices, ce qui n'empêche pas que de les pierres en surface demeurent libres. L'herbe pousse dans ce terreau, assez étendu par endroit pour masquer les pierres. Je me demande si le terreau et les racines des herbes ne contribuent pas à consolider l'ensemble. Il est vrai que le courant n'est pas très fort à cet endroit, près de l'embouchure du ruisseau.

L'eau étant assez opaque, je n'ai pas pu voir comment l'amoncellement se présente en profondeur. Le quai n'émerge du ruisseau que par section, de longs segments ne sont plus visibles. Les parties intactes résistent tout de même depuis plus de 100 ans aux assauts du temps.

Photos : 11 et 14 juillet 2019


Deux segments du quai de pierre dans le ruisseau de la Brasserie (Hull, QC), près de son embouchure dans l'Outaouais, depuis le pont du boulevard Fournier.



Autre point de vue. Visée vers l'est ouest : le quai originel se poursuivait plus loin (voir billet du 20 févr. 2019, lien plus haut dans le texte).



Le quai, in situ. Le calcaire local a servi à son édification. Aucun ciment ou mortier ne retient les pierres. Étonnant qu'elles tiennent en place après plus de 100 ans. À l'arrière plan, les deux ponts des voies du boulevard Fournier.





Autre point de vue.



Ici, la boue recouvre les pierres. Le quai pourrait disparaître progressivement de la vue.



Détail.



On a utilisé une pierre forée. Beaucoup de petits éclats doivent provenir de l'action du gel. Le courant n'est pas fort dans le ruisseau, près de l'embouchure, on peut se demander à quel rythme il emporte les petits fragments.



Une vieille brique. Fait-elle partie des matériaux d'origine ? (Voir billet du 4 sept. 2016 sur les briques écossaises de la Gilmour.)



Aucun ciment, mais tout tient en place.



Galets arrondis. Font-ils partie des matériaux d'origine ?



De nombreux débris de béton sont visibles sur la rive.


Le quartier Dupuisville projeté (1908) et jamais réalisé, sauf le quai (surlignée en rouge) dans le [BreweryCreek, ou ruisseau de la Brasserie. Les rues selon le quadrillage nord-sud n'ont jamais été construites. Comparez avec la photo aérienne du début du billet. Le pont du boulevard Fournier est à droite, à l'extrémité est de la jetée. La carte n'indique cependant pas où aurait pris place l'usine de production d'alcool de bois.
Source de la carte : Cinq-Mars, Ernest E., 1908 – Hull, son origine, ses progrès, son avenir. Éditeurs Bérubé frères.

jeudi 14 février 2019

Le mur dans le ruisseau de la Brasserie : suite


Suite du billet précédent. Ce billet a également une suite (14 juillet 2019).


Fig. 1a. - Trajet du canal de la Baie Géorgienne à Hull, détail (1909) ; tiré du Georgian Bay Ship Canal; Report Upon Survey, With Plans And Estimates Of Cost (voir « Références »). Le canal coupe en diagonale le nord de l'Île-de-Hull et passe à travers une « Old Dam » dans le ruisseau de la Brasserie, au centre. La partie éclaircie correspond approximativement à zone couverte par la carte de Dupuisville (fig. 3). Source de l'illustration : UConn Library MAGIC.


Le quai oublié du ruisseau de la Brasserie émerge peu à peu des limbes de l'Histoire. Dans mon billet précédent, j'ai parlé de Dupuisville, quartier dont on claironnait l'avènement prochain en 1908 au nord de l'Île-de-Hull sur les terrains de l'échevin (et futur maire) Hormidas Dupuis.

Le projet de développement résidentiel prévoyait en outre l'implantation d'une usine de fabrication d'alcool de bois sur la rive du ruisseau. Ni l'usine ni le quartier n'ont vu le jour alors qu'ils avaient pourtant été annoncés en grande pompe (Cinq-Mars, 1908 - Hull, son origine, ses progrès, son avenir). Seul le quai, nécessaire à l'étape préliminaire, le comblement d'un marais (une « grenouillière », dixit Cinq-Mars) au sud du ruisseau, a été érigé (« Old Dam » sur la fig. 1a ; fig. 2 et 3). Cent ans plus tard, le quai subsiste encore, preuve que si M. Dupuis n'a pas beaucoup construit, il a construit durable (fig. 5 et billet précédent).

Par la suite, tout le terrain de M. Dupuis a été délaissé jusqu'à la construction de l'autoroute 5 au nord de l'Île-de-Hull dans les années 1960 (fig. 4), si l'on excepte l’empiétement de l'Imprimerie nationale, construite en 1949-1956 sur le boulevard Sacré-Coeur.

Pourquoi l'abandon de ces projets jumelés - le quartier et l'usine ?

On peut se demander (c'est une hypothèse personnelle) si ce désintérêt n'est pas relié à la concurrence d'un autre projet, celui de la construction du canal de la Baie Georgienne qui devait relier le lac Huron et Montréal via la Rivière des Français, le lac Nipissing et l'Outaouais. L'un des obstacles majeurs rencontrés sur le trajet, les chutes des Chaudières, serait contourné en faisant passer le canal à travers l'Île-de-Hull. Comme c'était simple ! Les cargos et autres transatlantiques allaient bientôt faire escale à Hull ! (Voir plus bas « Canal de la Baie Georgienne » et « Hull, port de mer ».)

Les plans du canal, très avancés, publiés en 1909, le montraient traverser en diagonale les terrains du futur et hypothétique quartier Dupuisville. Le canal passait par l'embouchure du ruisseau de la Brasserie et perçait une « Old Dam », précisément la jetée construite par M. Dupuis dans le ruisseau (fig. 1a,b).

Est-ce que la perspective de la construction du canal a bloqué les projets de M. Dupuis ? Est-ce qu'il a paru plus profitable de compter sur l'expropriation du terrain pour le passage du canal plutôt que son développement ? Je lance ces hypothèses en l'air, n'ayant aucun élément pour les étayer, sinon celle de la simultanéité des événements.

Une des cartes du Rapport Holt sur planification des villes d'Ottawa et Hull publié en 1915 montre le canal comme s'il était achevé. Ni le quai du ruisseau ni Dupuisville n'y figurent. (Passage plus bas sur le Rapport Holt.)

Le canal de la Baie Georgienne n'a jamais vu le jour, on le sait.

Il serait étrange qu'un projet avorté (le canal) ait provoqué l'abandon du projet de Dupuisville et de son usine, projet déjà en cour de réalisation.

Je réfléchis tout haut et je n'énonce ici que des hypothèses personnelles, je le rappelle.

(Étrange également que le mur ou quai dans le ruisseau, tout récent selon Cinq-Mars qui le décrivait en 1908, soit qualifié de « Old Dam » dans les plans du canal publiés en 1909.)


Canal de la Baie Georgienne

Le plus long feuilleton de l'histoire canadienne est probablement (outre les discussions constitutionnelles) celui du canal de la Baie Georgienne (Georgian Bay Ship Canal).

Le canal aurait répondu d'abord à une nécessité d'ordre stratégique : il fallait disposer d'une voie de communication hors de portée des Américains. Le souvenir de la guerre de 1812-1814 était encore vivace dans les esprits quand, en 1837, le parlement du Haut-Canada a ordonné l'arpentage d'un canal qui joindrait le lac Huron et le port de Montréal. [Des travaux ont été entrepris en 1854-56 au lac des Chats, près de Quyon, puis abandonnés devant les difficultés. Il s'agissait d'un projet moins ambitieux qui visait à ouvrir l'Outaouais à la navigation en amont de Hull-Ottawa en facilitant le passage du lac des Chats au lac Chaudière (Deschênes).]

Le premier sinistre sir John A. Macdonald, l'un des pères collectifs de la Confédération, apporta son appui sans réserve au projet. « The Ottawa Ship Canal and the Pacific Railroad must be constructed and no voice should be raised against the great national work which would open the western states and the colonies to the seaboard. »

La plus courte route entre les Grands Lacs et Montréal passait par la Rivière des Français, le lac Nipissing, la Mattawa et l'Outaouais. Rien de nouveau sous le soleil, il s'agissait de canaliser le chemin de la traite des fourrures utilisé depuis le Régime français.

Le Ministère des travaux publics commanda des études sur le terrain. Études géologiques, topographiques, hydrologiques, etc., ont été réunies dans un rapport publié en 1909. Les plans étaient dessinés, il ne restait qu'à approuver le projet, lancer les appels d'offres et construire les huit écluses simples et les trois écluses doubles (« eight single and three double locks ») nécessaires pour relier les différents plans d'eau. Les travaux dureraient 10 ans et coûteraient 100 millions de dollars de l'époque.

Des cargos de 200 m, progressant à la vitesse de 12 miles à l'heure (19 km/h), parcourraient le canal en 70 heures.

Le grain et le bétail des Prairies, le fer des Grands Lacs se déverseraient dans le port de Montréal. Toronto, qui serait court-circuitée, fit opposition, de même que les compagnies de chemins de fer, qui entendaient conserver le monopole du transport continental. Les perspectives de profits, incertaines dans le cas des canaux, refroidirent l'enthousiasme. 

En 1953, les travaux de la construction de la Voie Maritime du Saint-Laurent débutèrent, en collaboration avec les Américains, devenus des partenaires obligés plutôt que des adversaires. Les temps changent. Le canal fut construit, mais sur le Saint-Laurent. Au lieu du lac Huron, on eut le lac Ontario et Toronto.

Plus personne ne parle du canal de la Baie Georgienne et les transatlantiques ne feront jamais escale au nord de l'Île-de-Hull.


Exposé très librement adapté d'un texte de Backroads Bill Steer. (Le ton et les ajouts n'impliquent que moi.)


Rapport Holt

La Commission Holt est mise sur pied par le gouvernement conservateur de Robert Borden afin d'entreprendre l'étude de la planification des villes d'Ottawa et Hull.

Le rapport de la Commission Holt [Report of the Federal Plan Commission on a general plan for the cities of Ottawa and Hull], qui sera publié en 1915, recommandera au gouvernement de faire l'acquisition de 30 000 à 40 000 hectares afin d'aménager un parc national et des promenades qui mettront en valeur les attraits naturels de la capitale. [Il recommande aussi la création d'un district fédéral. La Commission du district fédéral est crée en 1927.] 


En référence : Chad Gaffield, dir., Histoire de l'Outaouais, Coll. : « Les régions du Québec », Québec, IQRC, 1994, p. 467.



Hull, port de mer, et bilan de tout ça

Les pages de l'ouvrage de Cinq-Mars, Hull, son origine..., déjà évoqué, renfermaient un chapitre dû à la plume de Rodolphe Laferrière.  Ce dernier décrivait les effets de la création annoncée du district fédéral et de la construction du canal de la Baie Géorgienne. Le district allait fondre dans une même entité les villes de Hull et d'Ottawa. Ainsi naîtrait la « Washington du Nord », selon les mots de sir Wilfrid Laurier.

Le canal de la Baie Georgienne traverserait Hull comme le canal Rideau traverse Ottawa. À cette dernière les chaloupes et les yachts, à Hull, futur port de mer (!), les transatlantiques (!!). « La fumée, le bruit des usines, le grouillement des masses sont incompatibles avec la belle et paisible atmosphère que rêve Ottawa et qu'exige une société d'intellectuels, de touristes, de coulissiers, de politiciens, de représentants du peuple, de monde fashionable réunis d'ordinaire dans une capitale (Laferrière, dans : Cinq-Mars, p. 169). »

« Le bassin que la nature a créé sur le vaste terrain de M. l'échevin Dupuis, au nord de la ville [la « grenouillière » de Cinq-Mars], sera garni de quais et de hangars où les transatlantiques tirant jusqu'à 21 pieds pourront venir déposer leurs chargements européens et prendre en échange dans leurs flancs d'acier, du bois, des pâtes de bois, du papier, des viandes et des minéraux (Laferrière, dans : Cinq-Mars, p. 170). »

Les élévateurs à grain se rempliraient du blé de l'Ouest, Hull étendrait sa suprématie commerciale et industrielle sur toute la région, les manufactures, alléchées par la modicité du prix de l'électricité (chutes Chaudières) se précipiteraient s'implanter sur son territoire.

Comment le même ouvrage (l'opuscule de Cinq-Mars) peut-il annoncer dans deux chapitres successifs deux couples de projets sur les mêmes terrains, sachant que chacun était incompatible avec l'autre ? Hull, port de mer et escale du canal de la Baie Géorgienne excluait le développement de Dupuisville et l'implantation de l'usine d'alcool de bois. Il aurait fallu choisir entre l'un ou l'autre de ces couples. En fait, ce ne fut ni l'un ni l'autre...

Faisons le bilan des réalisations :


  • Dupuisville : projet abandonné ;
  • Usine d'alcool de bois : projet abandonné ;
  • Canal de la Baie Georgienne : projet abandonné ;
  • Rapport Holt : tabletté ;
  • District fédéral : vous voulez rire ?
  • Quai du ruisseau de la Brasserie : réalisé, existe toujours, mais, inutile, est à l'abandon.

Score : 5 à 1 pour les abandons.


Références


  • Cinq-Mars, Ernest E., 1908 – Hull, son origine, ses progrès, son avenir. Éditeurs Bérubé frères.
  • Department of Public Works; Canada. Georgian Bay Ship Canal; Report Upon Survey, With Plans And Estimates Of Cost, 1908. [Publié en] 1909.




Fig. 1b. - Fig. 1a, en entier. Cliquer sur l'image pour la voir dans sa pleine grandeur. Source de l'illustration : UConn Library MAGIC.



Fig. 2. - Partie nord de l'Île-de-Hull en 1925. Ressources naturelles Canada, Photothèque nationale de l'air, photo HA67, no 60, 4 nov. 1925 (détail). Comparez avec la fig. 1a.
En haut : ruisseau de la Brasserie ; à droite : cour à bois de la Gilmour et Hughson (voir fig. 3).
On voit dans le ruisseau de la Brasserie, en haut, le quai construit par M. Dupuis dans le but de combler la baie sur la rive sud du ruisseau. (Voir billet précédent.)



Fig. 3. - Dupuisville, telle qu'on l'imaginait, au nord de l'Île-de-Hull (Cinq-Mars, 1908). Le quai, visible sur la fig. 2, correspond à la ligne double sous le mot « Creek » (ruisseau de la Brasserie). Rien n'a été bâti de ces rues : sur la photo de la fig. 2, datant de 1925, les rues et les constructions n'empiètent pas le terrain de M. Dupuis. (Note. - Les rues orientées NE à l'est de la carte existaient déjà en 1908 et étaient hors des propriétés de M. Dupuis.)



Fig. 4. - Carte topographique, révisée et imprimée en 1956-58 d'après des photos aériennes prises en 1955, 1:50 000. Le rectangle en tireté rouge correspond à la zone couverte par la carte de la fig. 3. Le terrain correspondant à Dupuisville, sous le mot « HULL », était toujours vacant. L'influence du quai dans le ruisseau (« Creek ») se devine dans le tracé de la rive sud, avec une île et une péninsule qui suivent le parcours de l'ouvrage . L'Imprimerie nationale (rectangles noirs sous le U) empiète à peine sur le terrain. Comme si les propriétés de M. Dupuis étaient demeurées quasi intouchables.



Fig. 5. - La situation actuelle. L'ancien quai, paré de vert, reste très bien visible dans le ruisseau de la Brasserie, plus de 100 ans après sa construction. (Voir autres photos dans le billet précédent.) À l'ouest, viaducs de l'autoroute 50 ; à l'est, ponts du boul. Fournier ; au sud, l'autoroute 5 (autoroute de la Gatineau). Le terrain de M. Dupuis commençait au nord de l'édifice principal de l'Imprimerie nationale (bâtiment gris en bas, vers le centre), sur le boulevard Sacré-Coeur. Photo © Google.

lundi 11 février 2019

Le mur dans le ruisseau de la Brasserie, à Hull


Ce billet a une suite et tire son origine d'un précédent. Autre suite, billet du 14 juillet 2019.


Fig. 1a. - Partie nord de l'Île-de-Hull en 1925. Ressources naturelles Canada, Photothèque nationale de l'air, photo HA67, no 60, 4 nov. 1925 (détail).
Légende. - En haut : ruisseau de la Brasserie ; ligne blanche : mur ou quai (voit texte) ; IN : site de l'Imprimerie nationale, construite en 1949-1956 ; SC : boulevard Sacré-Cœur ; U5 : ancienne carrière*. Est-ce l'une de celles appartenant à l'échevin H. Dupuis, selon Cinq-Mars (1908 ; voir texte) ? D'autres peuvent se deviner plus à l'est de celle-ci. À droite : cour à bois de la Gilmour et Hughson (voir fig. 3).
* U5 : selon les codes des cartes des carrières à Hull que j'ai confectionnées. Voir le billet du 9 sept. 2015, «Calcaires hullois : des cartes et des lacunes».


Résumé

Résolution d'une énigme : qu'est-ce que ce mur abandonné qui court dans le ruisseau de la Brasserie, à Hull (Gatineau) ? Voir le billet du 19 nov. 2015 : « Ruisseau de la Brasserie : recyclage d'anciennes structures »
Autres billets reliés au sujet



Dans un ancien billet (19 nov. 2015), je m'étais interrogé sur la nature et l'origine de l'espèce de mur ou de jetée, long de 500 m, dont les vestiges se devinent dans le ruisseau de la Brasserie, au nord de l'Île-de-Hull. La rive, sous le remblais de l'autoroute 5, broussailleuse et marécageuse, encombrée de blocs et de déchets, n'est pas praticable. Je ne possède pas de canot pour aller voir sur place ; l'hiver, la glace permet de s'approcher du mur, mais le recouvre en même temps ; ceci, joint à la couche de neige, rend inutile de tenter une expédition (je l'ai déjà fait, sans rien voir).

Il m'a quand même été possible de constater, à partir de vues prises dans Google Earth, qu'il s'agissait d'une sorte de mur de pierre. La végétation a envahi les segments qui émergent de l'eau (voir photos plus bas.) Des photos aériennes montrent que la structure existait déjà en 1925 (photo 1a,b). La scierie de la Gilmour et Hughson (fig. 3 ; voir aussi ce lien) occupait le terrain à l'est du quartier, à la confluence du ruisseau de la Brasserie avec l'Outaouais. Avait-elle un lien avec cette structure ? C'est ce que j'ai d'abord cru. Je me trompais.

La réponse est venue de l'opuscule publié en 1908 par Cinq-Mars, pompeusement intitulé Hull, son origine, ses progrès, son avenir. Je connaissais déjà ce document, j'y revenais pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le mur. Et, comme il arrive souvent, cherchant une chose, on en trouve une autre. 

L'Île-de-Hull étant urbanisée dans sa partie sud, l'échevin Hormidas Dupuis avait acheté des terrains au nord de l'île pour les diviser en lots à bâtir. Dupuisville, c'est ainsi qu'on la surnommait, allait voir le jour, le plan des rues avait déjà été tracé, leurs noms trouvés (fig. 2). M. Dupuis exploitait également des carrières de pierre sur ses terrains. En l'absence de plus ample information, je présume qu'il s'agissait des carrières anonymes que j'ai déjà repérées sur d'anciennes cartes et photos aériennes (U5 sur la fig. 1a ; voir le billet du 9 sept. 2015.)
* Hormidas Dupuis. - Échevin de 1896 à 1902, et de 1905 à 1912, maire de Hull de 1912 à 1914.
http://craoutaouais.ca/repertoire/Web/Dupui-Hor.html

Dupuisville, je le précise tout de suite, n'a jamais vu le jour. Le projet, pourtant, ne manquait pas d'ambition puisqu'il prévoyait l'implantation d'une usine sur la rive du ruisseau. 

M. Dupuis avait cédé une bande de terrain - la rive du ruisseau de la Brasserie - à l'Industrial Development Co. L'entreprise comptait fabriquer de l'alcool de bois et d'autres acides à partir des déchets et bran de scie des scieries de la région (Booth, Eddy, Edwards, et Gilmours et Hughson). Ces résidus, qui étaient alors tout bonnement jetés à la rivière, ne seraient plus perdus. L'usine devait être la première de son genre au Canada. Antoine Gobeil, sous-ministre des travaux publics, en était le président. Des pavillons modernes seraient érigés pour loger les ouvriers.

Déjà, M. Dupuis avait fait construire au milieu de la « crique Brewery » (le ruisseau de la Brasserie) « un quai de pierre d'une longueur de plusieurs arpents, et tout le bran de scie des scieries Gilmour et Hughson est jeté entre ce quai et la rive ouest [sic : rive sud] qui formait un marais de 36 acres carrés. Les travaux de remplissage, commencés il y a trois ans [le texte date de 1908], sont fort avancés, et dans une couple d'années, cette ancienne grenouillière sera transformée en un terrain solide sur lequel s'élèveront de nombreux édifices (Cinq-Mars, p.167). »

On ne faisait pas de longues études d'impacts environnementaux à l'époque. Tant pis pour les grenouilles !

J'ignore la suite de l'histoire : le quai existe toujours, à l'abandon dans le ruisseau. Il devait permettre aux remorqueurs de venir livrer les copeaux de bois et le bran de scie à l'usine. L'entreprise a de toute évidence été abandonnée, l'usine ne semble n'avoir connu aucun début de construction, en tout cas il n'en n'existe nulle trace. La seule fonction du quai, en plus de rappeler le souvenir de cette aventure sans suite, est de donner un aspect linéaire à ce tronçon du ruisseau autrement plutôt erratique (fig. 11 et 12).

L'Industrial Development Co. avait payé le terain 15 000 $ à M. Dupuis. Elle prévoyait, toujours selon Cinq-Mars, débourser 250 000 $ pour la construction de l'usine et la machinerie qu'elle ferait venir d'Allemagne. Les opérations devaient commencer « l'été prochain », dixit M. Cinq-Mars, soit l'été 1909, si l'on se fie à la date de publication de son ouvrage. 

Qu'est-il arrivé ? Le terrain de M. Dupuis n'a jamais été développé. L'Imprimerie nationale a été construite sur le boul. Sacré-Coeur (fig. 1a et 4) en 1949-1956, au sud du terrain ; les autoroutes ont ensuite, à partir des années 1960, occupé la rive sud ruisseau. Entretemps, la Gilmour et Hughson était devenue un parc (billet du 15 août 2017). Il est intéressant de noter que tout le terrain de M. Dupuis est longtemps demeuré vacant. On peut tracer une ligne droite passant par l'arrière du bâtiment principal de l'Imprimerie nationale ; l'ancien terrain de M. Dupuis, au nord de cette ligne, ne comportait aucun bâtiment en 1925 (fig. 1). Ceux visibles sur la fig. 2, à l'est de St-Rédempteur, sont récents (dernier quart du XXe s.). (Note. - Les rues orientées NE à l'est de la carte (fig. 2 et 3) existaient déjà en 1908 ; elles étaient hors du terrain de M. Dupuis.)

Le bran de scie et les copeaux ont continué de s'accumuler dans la rivière. Lors de la construction du pont Alexandra entre Ottawa et Hull, en 1900, il a fallu composer composer avec une accumulation de bran de scie et de copeaux de bois dans le fond de l'Outaouais dépassant par endroits les 15 m (lien externe vers historicbridges.org). Pour terminer, un mot sur la qualité de la construction du quai : elle a dû être excellente puisqu'il a survécu sans entretien aux crues, gels et dégels pendant plus de 100 ans. 


À venir : le ruisseau de la Brasserie et le canal de la baie Georgienne.


Références


  • Chas. E. Goad, Hull & Vicinity, Que., January 1903, revised May 1908. Toronto; Montreal, 1 map on 44 sheets : col. ; 63 x 53 cm. BAC.
  • Cinq-Mars, Ernest E., 1908 – Hull, son origine, ses progrès, son avenir. Éditeurs Bérubé frères.




1b. - Fig. 1a sans annotation.



Fig. 2. - Dupuisville, telle qu'on l'imaginait, au nord de l'Île-de-Hull (Cinq-Mars, 1908). Le quai, visible sur la fig. 1a,b, correspond à la ligne double sous le mot Creek (ruisseau de la Brasserie). Rien n'a été bâti de ces rues : sur la photo précédente, datant de 1925, les rues et les constructions ne dépassent pas la limite sud du terrain de M. Dupuis. (Note. - Les rues orientées NE à l'est de la carte existaient déjà en 1908 et étaient hors du terrain de M. Dupuis.)



Fig. 3. - Nord de l'Île-de-Hull, carte de Chas, 1908 (détail modifié).
Le rectangle clair correspond à la zone couverte par la carte de Cinq-Mars ; les rues prévues sur la fig. 2 n'ont pas été construites.
J'ai ajouté quelques noms de rues ; les noms actuels sont entre parenthèses lorsqu'ils diffèrent de ceux de l'époque.
Les rues à l'ouest de St-Rédempteur, anciennement rue Chaudières, n'existent plus, de même celles qui sont au nord du boul. Sacré-Coeur, anc. rue Adelaide, et à l'ouest de la rue Champlain, anc. rue Albert.



Fig. 4. - La situation actuelle. L'ancien quai, paré de vert, reste très bien visible dans le ruisseau de la Brasserie, plus de 100 ans après sa construction. À l'ouest, viaducs de l'autoroute 50 ; à l'est, ponts du boul. Fournier (d'où les pohtos 8 et 9 ont été prises) ; au sud, l'autoroute 5 (autoroute de la Gatineau). Photo © Google.



Fig. 5. - Autre vue. © Google.



Fig. 6. - La nature pierreuse du quai commence à être perceptible. © Google.



Fig. 7a. - Autre vue. © Google.



Fig. 7b. - Détail de 7a. Les pierres sont nettement visibles. La construction est de bonne qualité pour avoir survécu aux crues, aux gels et dégels depuis plus de 100 ans sans entretien. © Google. Voir photo 10 pour vue au sol.



Fig. 8. - Photo prise depuis le pont du boul. Fournier. Sept. 2017.



Fig. 9. - Photo prise depuis le pont du boul. Fournier. Sept. 2017.



Fig. 10. - Extrémité ouest du quai, dans le ruisseau de la Brasserie. La photo ne le laisse pas bien voir, mais il y a une dénivellation de plus de 3 m entre le premier plan et la rive. Nov. 2015.



Fig. 11. - L'Île-de-Hull en 1935.
Carte topographique (détail), «Original survey 1923. Revised 1935», 1/63 360, courbes de niveau en pieds. (Photo du document à main levée, distorsions possibles.)
Cette carte topographique est la seule à montrer un ruisseau de la Brasserie réduit à un mince couloir rectiligne dans sa section nord. Le quai lui-même ne figure pas sur la carte, mais on le devine par son influence sur le dessin de la rive sud du ruisseau. Noter que les terrains de M. Dupuis (sous le mot « HULL » ne montrent aucune trace de développement.


Fig. 12. - L'Île-de-Hull au début du XXe siècle (carte topographique 1908, révisée en 1918).
Noter la large baie que l'accumulation de copeaux derrière le quai (non figuré) avait pour mission de remplir : la « grenouillière » de Cinq-Mars (1908).