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dimanche 16 mars 2014

Marbre en fusion à Chelsea (autoroute 5)



Photo 1A. Dykes de calcite (rose et orangé) recoupant une roche calco-silicatée (vert : skarn – ou fénite) ; à gauche, en rouge sombre, une intrusion granitique. Des éléments vert sombre semblent voltiger dans la masse plus pâle. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5 en construction, au nord de Tulip Valley, oct. 2008. (Voir photo 1B en fin de billet.)


Note. — Une fausse manœuvre a mis ce brouillon prématurément en ligne. Des retouches viendront.


Résumé

Visite de la section de l'autoroute 5 à Chelsea (Québec) inaugurée en 2009 avec le minéralogiste Jeffrey de Fourestier, en août 2013. Selon les travaux de Fahimeh Sinaei-Esfahani et de Fourestier, les dykes de calcite rose et orangée de l'endroit seraient des carbonatites résultant de la fusion des marbres locaux par des fluides magmatiques alcalins d'origine mantellique. (Voir «Références», en fin de billet)
Contexte géologique
Roches calco-silicatées (skarns) et/ou carbonatites (fénites) dans les métasédiments riches en marbre recoupés par la syénite de Wakefield, province de Grenville du Bouclier canadien (un milliard d'années).
Localisation
Autoroute 5, à Chelsea (Québec) : nouveau tronçon inauguré en 2009, au nord de Tulip Valley.
45.572822,-75.873903
Billets traitants du même sujet ou de sujets connexes
Skarns et carbonatites à Chelsea
«Chelsea : dykes et brèches de calcite», 6 nov. 2012
«Skarns : article recyclé», 16 févr. 2012
«Prolongement de l'autoroute 5, Chelsea (Québec) : vallée du ruisseau Meech (3)», 17 janv. 2010
«Intrusion de calcite à Chelsea (Québec), autoroute 5», 22 nov. 2009
Histoire minière de l’Outaouais
«Les mines (parties I et II)», 3 et 7 mars 2012


Local et lointain

En août 2013, j'ai eu la chance de visiter les tranchées rocheuses du nouveau tronçon (2009) de l'autoroute 5 au nord de Chelsea en compagnie du minéralogiste Jeffrey de Fourestier. Il a été malheureusement impossible de combler en une seule journée toutes les lacunes de mon expertise en minéralogie ; au moins, j'ai pu mieux prendre conscience de la variété des phénomènes qui ont façonné et trituré les roches du secteur et de la subtilité de certaines manifestations qui ont laissé de discrètes empreintes.

Magmatisme, métasomatisme, intrusions hydrothermales, gossans (chapeaux de rouille signalant des minéralisations), lectures de la radioactivité, marbre bleu (unique dans la région, voir photo 2), calcite rose omniprésente, etc. ; le programme a été chargé. Je propose ce coin du Bouclier canadien à qui me supportent pas la monotonie.

Jeffrey a, entre autres, identifié une occurrence d'un minéral radioactif, l'oxycalciobétafite, reconnu d'abord dans des échantillons... lunaires ! (Voir photo 2.) La présence de minéraux radioactifs (rarissimes ou banals) indiquent qu'il y a eu ségrégation, migration et concentration d'éléments. Bref, le métamorphise, très «local», qui a formé les roches non moins «locales» du Bouclier canadien a subi toutes sortes d'influences et d'infiltrations plus ou moins «lointaines» – lire «prodondes».

Les roches des collines au nord de Gatineau (Québec), histoire de bien situer les choses, appartiennent aux Laurentides, partie du Bouclier canadien qui se confond a peu près à la province géologique de Grenville, vieille d'un milliard d'années.

Signalons, pour le site qui nous intéresse, la proximité de larges bandes de marbre ainsi que celle du batholithe syénitique de Wakefield dont la marge E coupe l'autoroute au N et au S du site qui nous intéresse.


Skarns vs carbonatites

Le résultat le plus important des travaux de Sinaei-Esfahani et de de Fourestier a été la reconnaissance de carbonatites* dans les masses et dykes de calcite rose-orangée qui recoupent les roches calco-silicatées, aussi nommées skarns, révélées par les tranchées (voir billet du 16 févr. 2012, lien plus haut ; voir aussi photos 1A-B).

* Carbonatites : roches magmatiques d'origine mantellique formées de carbonates (calcite ou dolomie)

Les skarns sont des roches à forte teneur en silicates de calcium et de magnésium. Plusieurs fois, le blogue est revenu sur l'omniprésente association dans la région des skarns et des occurrences de calcite rose grossière qui les accompagnent. (Voir billet 16 févr. 2012, lien plus haut.)

Ces masses de calcite – pour ne pas autrement les qualifier – se remarquent aisément sur le terrain (voir les photos du billet). D'abord, par leurs teintes, roses ou orangées* ; ensuite, par leur grain, grossier (cristaux atteignant plusieurs cm). Enfin, la «matière» est souvent hétérogène, semée de minéraux étrangers : apatite, mica, fluorine, silicates «verts» (pyroxènes et/ou amphiboles), etc. La calcite survient en filons, déformés ou non, lentilles, masses quelconques, ou passe à un marbre blanc-blanchâtre régulier, autre roche omniprésente dans la région.

* Attention (erreur de débutant) à ne pas confondre ces masses de calcite avec du granite rose ou orangé !...

Les occurrences de calcite rose ont eu leur importance dans le passé ; on les a exploitées pour le phosphate (fluorapatite) et le mica (phlogopite) dès la fin du XIXe s. et les collectionneurs de beaux cristaux continuent d'explorer les halles des anciennes mines de l'Outaouais. Elles font partie de notre histoire. (Voir billets du 3 et 7 mars 2012, liens plus haut.)


Origine de la calcite

Pour expliquer les mobilisations, intrusions ou transformations dont ces masses de calcite ont été l'agent, l'objet ou le résultat, les géologues n'ont pas été en peine d'explications.

Sur le terrain, un indice apparaît à l'évidence : l'association étroite des skarns et des abondants marbres locaux. Plusieurs avancent que les skarns sont des calcaires silicieux métamorphisés ; d’autres (ou les mêmes…) invoquent l'influence mutuelle et diffuse (on dit métasomatisme) de marbres dolomitiques (magnésiens) et de gneiss silicieux durant le métamorphisme*. Rappelons que toutes ces transformations se sont déroulées à plus de vingt km de profondeur : dans ces conditions, les roches sont moins inertes qu'en surface !

* Quelle que soit l'origine de la calcite (CaCO3 ± de magnésium), elle a réagi avec les roches silicatées avec pour résultat la production de minéraux calco-silicatées (le «vert» dans les photos).

La circulation de fluides d'origine métamorphique ou magmatique – dans ce cas, provenant de l'intrusion de granites – aurait participé aux processus ou les aurait prolongés, lessivant les roches ici pour précipiter le carbonate de calcium, le magnésium, le phosphate et le fluor là. Ainsi, entre autres, se seraient formé sur le tard (relativement) les veines de calcite-apatite-phlogopite qui recoupent les skarns…

D'autres géologues, enfin, ont supposé que nous étions en présence d'intrusions de carbonatites, roches magmatiques d'origine mantellique (donc profonde) formées de... carbonates (calcite ou dolomie).

Tout tourne donc autour de l'origine de la calcite rose : calcite «sédentaire» (marbres locaux métasomatisés in situ) ou «migratoire» (magmas de provenance profonde, vecteurs de fluides hydrothermaux) ? L'alternative semble se résoudre, après les travaux de Sinaei-Esfahani et de Fourestier, en faveur des partisans d'une origine exotique, ou profonde, indirecte, de la calcite.

Selon Fahimeh Sinaei-Esfahani et de Fourestier, les dykes de calcite rose et orangée de l'autoroute 5 seraient des carbonatites résultant de la fusion des marbres locaux par des fluides magmatiques alcalins (syénitiques), peut-être associés à l'emplacement de la syénite de Wakefield (voir ce billet) qui coupe l'autoroute au sud et au nord du site considéré.

Donc, la calcite est d'origine locale, et les fluides et magmas qui l'ont mobilisée, d'origine lointaine. De quoi contenter tout le monde.


Explication gigogne

J'avais déjà proposé une explication qui les contiendrait toutes (billet du 17 janv. 2010, lien plus haut) :

Imaginez des influences diffuses entre bancs de roches ; des échanges, pas nécessairement réciproques, par l'entremise de fluides minéralisés (avec peut-être du granite, si vous y tenez, pour alimenter et faire circuler des courants hydrothermaux) ; bref, une chimie complexe à 20 km de profondeur, se déroulant en de multiples étapes, simultanées ou successives, et vous ne serez pas loin de la vérité.

Tout devient simple quand on accepte que c'est compliqué... .


Conclusion

Je n'ai fait ici qu'effleurer le sujet. La liste des phénomènes géologiques et minéalogiques que pourrait illustrer chacun des affleurements du secteur est interminable. Métamorphisme, métasomatisme, magmatisme, fluides hydrothermaux, gossans, molybdénite, brucite, minéraux radioactifs, etc.

Merci à Jeffrey de Fourestier de m'avoir expliqué plus de choses sur la géologie et la minéralogie de ce tronçon de l'autoroute 5 que j'ai pu en retenir (et que je pourrai en exposer ici !...)

L'histoire du site est complexe et s'est déroulé en plusieurs stages ainsi qu'en témoigne la présence de minéraux bien formés (euhédraux) dans des roches autrement fortement déformées et métamorphisées. Je pense, notamment, aux cristaux quartz érodés par les fluides hydrothermaux qui se révèlent ainsi bien «tardifs».


Références

  • Fourestier, J. de, Mineralogy of the Autoroute 5 extension, Chelsea, Quebec, Canada, 2008, rapport inédit.
  • Fahimeh Sinaei-Esfahani, Localized metasomatism of Grenvillian marble leading to its melting, Autoroute 5 near Old Chelsea, Quebec, Department of Earth and Planetary Sciences McGill University, Montreal, 2013. (PDF)
  • Martin, R.F. and Sinai, F. 2012. «Rheomorphic fenite and crustal carbonatites: new complications in the Grenville crust, Old Chelsea area, Quebec», abstract in Geological Association of Canada–Mineralogical Association of Canada, St. John’s 2012, Program with Abstracts, v.35, p.85. (PDF)



Photo 1B. Vue rapprochée de dykes déformés de calcite saumon. Cf. photo 1A, coin supérieur gauche. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo oct. 2008.)



Photo 2. Dyke de calcite radioactive recoupant un orthogneiss gris. Le minéral radioactif est l'oxycalciobétafite, rare minéral d'abord identifié dans des échantillons lunaires. Son occurrence à Chelsea est une découverte de Jeffrey de Fourestier. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo août 2013.)



Photo 3. De gauche à droite : marbre blanc (qui était originellement jaune, lorsque la tranchée était fraîche, m'a dit Jeffrey), calcite orangée et «roche verte» plissée (identification d'après la photo), marbre bleu et granite rose (d'après mes notes de terrain pour ces derniers). Géologie très bigarrée ! Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo août 2013.)



Photo 4. Autres intrusion de calcite, plus au sud que celles montrées plus haut. Lentille de calcite à fluorine et phlogopite dans un orthogneiss. Chelsea (Québec), autoroute 5, entre les chemins Old Chelsea et Scott. (Photo juillet 2010.)



Photo 5. Intrusion de calcite transportant des lentilles et masses felsiques (grises et blanches). Chelsea (Québec), autoroute 5, entre les chemins Old Chelsea et Scott. (Photo juillet 2010.)



Photo 6. Masse de calcite claire repoussant une calcite grise chargée de xénolithes. Chelsea (Québec), autoroute 5, au sud de Tulip Valley. (Photo juillet 2000.)

mercredi 11 décembre 2013

Les murs bleus de Cantley (billet à moitié cuit)


Note. – Selon un lecteur, la crocidolite décrite ici serait de l'antigorite bleue, une forme de serpentine. (Voir le commentaire dans ce billet.)

Fig. 1. Fénite de Perkins (Val-des-Monts), en Outaouais, au nord de Gatineau (Québec). Amphibole sodique bleue (arfvedsonite), feldspath potassique orangé (microcline), calcite ou dolomite blanchâtre ; le noir est du mica (phlogopite?). La pièce d'un dollar canadien, échangeable indifféremment contre quatre vingt-cinq cents ou quatre trente sous, a un diamètre de 26,5 mm.


En bref

Murs de crocidolite? dans des métasédiments à Cantley (Québec) ; province de Grenville du Bouclier canadien (1 milliard d'années).
Localisation
Chemin Ste-Élizabeth, Cantley (Québec)
45.540454,-75.744129
Rue Noémie, Cantley (Québec)
45.541882,-75.75084
31G/12
Liens (dans ce blogue)
«Intraordinaire à Cantley», 21 nov. 2013
«Miroir de faille», 14 juill. 2012
«Chelsea : dykes et brèches de calcite», 6 nov. 2012
Photos
Chemin Ste-Élzabeth : juillet 2007
Rue Noémie : nov. 2012


«Les murs bleus de Cantley». Ça pourrait être le titre d'un roman Arlequin. Plus prosaïquement, je désigne ainsi les plans recouverts de crocidolite? bleue qui recoupent des métasédiments (quartzite ou paragneiss) à Cantley, au nord de Gatineau (Québec).

La crocidolite est une amphibole sodique, justement surnommée «amiante bleue»*. Dans le cas des murs décrits ici, il pourrait s'agir d'un autre type d'amphibole et je donne cette identification sous toutes réserves. La crocidolite? du chemin Ste-Élizabeth (fig. 5-8) se défait en fibres, mais aussi en tiges ou en lames longues de plusieurs cm ayant une consistance à la fois souple et cassante. Celle de la rue Noémie (fig. 2-4) a une couleur gris-vert qui ne doit pas nous alarmer : un même minéral peut se présenter sous des variétés de différentes teintes. Le titre du billet devrait donc être «Les murs bleus (ou verts) de Cantley».

* La crocidolite est «utilisée dans l'industrie, [elle est] hautement toxique, [et] provoque le cancer du poumon et le mésothéliome (cancer de la plèvre supérieure).» (Voir Wikiki.) En pleine nature, en gros cristaux pas très volatiles, il n'y a aucun danger.

Peut-être y a-t-il un lien entre les murs et la présence de plutons de granite gneissique à proximité de chacun d'eux (voir billet du 21 nov. 2013, lien plus haut) ? Peut-être s'agit-il de croissance de cristaux sur le plan d'un miroir de faille (slickenslides ; voir billet du 14 juillet, lien plus haut) ? Dans tous les cas, on a l'impression d'une croissance minérale le long d'un plan qui pourrait bien en effet être la trace d'une faille.

Enfin, nous ne voyons que les vestiges ou la bordure d'un corps qui devait avoir une certaine épaisseur.

L'amphibole bleue, le feldspath potassique orangé (microcline) ainsi que la présence d'hématite rappellent les fénites** (voir le billet du 6 nov. 2012) observées ailleurs à Cantley et à l'est de la municipalité, à Perkins (Val-des-Monts) (Hogarth et al., 1987). Un élément important de ces fénites est l'arfvedsonite, un autre type d'amphibole sodique bleue qui se cristallise sous forme de petites aiguilles (cristaux aciculaires) parallèles ou enchevêtrées (voir fig. 1). On trouve aussi d'autres amphiboles sodiques, telle la riébeckite (dont la crocidolite est d'ailleurs la variété fibreuse) et la richtérite.

** Fénite : roche hôte modifiée par diffusion ou imprégnation (métasomatisme) suite à l'introduction d'une roche ignée alcaline ou d'une carbonatite.

Je ne suis pas minéralogiste et l'analyse chimique de mes échantillons est hors de ma portée. Les amphiboles bleues et vertes de Cantley, qu'elles soient fibreuses ou aciculaires, sont des manifestations d'un type de magmatisme rare qui se manifeste par des intrusions de fluides alcalins et de carbonatites, roches ignées composées de carbonates – minéralogiquement, c'est un peu comme du marbre fondu. Ici, nous avons non pas la roche intrusive, mais plutôt le résultat de son assimilation par les roches encaissantes (fénite). Selon toute vraisemblance, les fluides ont été canalisés par des fractures.

Fénites, carbonatites, minéraux alcalins, amphiboles aux noms imprononçables... Faute de trouver un moyen élégant de le boucler, je devrai soit renoncer à publier ce billet à moitié cuit, soit promettre de revenir sur le sujet.

Devinez quelle option j'ai prise.



Fig. 2. Rue Noémie, à Cantley (Québec) : mur de crocidolite? gris-vert. En rouge sombre : hématite.



Fig. 3. Gros plan de la fig. 2.



Fig. 4. Rue Noémie, Cantley. Le mur de crocidolite, discordant par rapport au paragneiss rubanés à gauche (au nord). L'affleurement est en marge d'un pluton de granite (monzonite quartzifère), au sud. Voir la fig. 8 du billet du 21 nov. 2013 (lien plus haut).



Fig. 5. Chemin Ste-Élizabeth (Cantley). Autre mur de crocidolite? dans (ou sur) un quartzite blanc. Le feldspath orangé semble recouper la crocidolite (voir fig. 8). L'orientation des cristaux de crocidolite est verticale, comme dans le cas de la rue Noémie.



Fig. 6. Autre vue de la fig. 5. La crocidolite est est aussi nommée amiante bleue. Le surnom semble bien s'appliquer ici. Des filons de feldspath orangé recoupent la crocidolite (voir fig. 8).



Fig 7. Gros plan de la crocidolite? du chemin Ste-Élizabeth. On dirait une sorte de plumage un peu mal en point...


Fig. 7 bis (ajout après mise en ligne). Détail de la fig. 7. Aspect effiloché et esquilleux de la crocidolite.



Fig. 8. Détail de la fig. 6. Du rouge (hématite), comme dans le cas de la fig. 2 ; le feldspath orangé recoupe la crocidolite.


Référence

Hogarth D.D., Chao G.Y., Townsend M.G., 1987 — «Potassium- and fluorine-rich amphiboles from the Gatineau area, Québec», Canadian Mineralogist, vol. 25, p. 739-753.

samedi 1 décembre 2012

Le radon à Gatineau


Ça m'avait échappé, et j'ai d'autant moins d'excuse que c'est quelque chose de très intéressant, du moins important par ses implications.

En novembre 2011, la Gatineau Valley Historical Society (GVHS) présentait une conférence de Donald D. Hogarth sur le radon et la radioactivité (uranium et thorium) dans la vallée de la Gatineau :

Radon in the Gatineau (November 2011 GVHS Event) - pdf 1.9 MB
Handout from Dr. Don Hogarth, geology professor and author, who spoke to GVHS members and friends about radon and radioactivity in the Gatineau Valley. Includes detailed maps.


Donald D. Hogarth, professeur de géologie de l'Université d'Ottawa à la retraite, est l'auteur de nombreux travaux sur la région qui sont d'ailleurs souvent cités dans ce blogue.

Il est trop tard pour la assister à l'événement, mais il nous reste la possibilité de consulter le pdf de la conférence (lien plus haut). Il contient une carte de la région Gatineau - Wakefield où les terrains sont répartis en 4 catégories selon leur degré de radioactivité :

En gros, si je résume, les roches du Paléozoïque (calcaires, grès) le long de l'Outaouais sont «non radioactives» ; le Bouclier canadien (Protérozoïque) est partout «faiblement» à «modérément radioactif», ce qui ne surprendra personne. Les zones «très radioactives» sont éparses à travers le territoire.

Remarquez qu'il est au-delà de mes capacités d'appréhender avec exactitude ce que signifie exactement ici les adverbes«faiblement», «modérément» et «très»...

Les roches qui présentent les taux de radioactivité les plus élevés sont une trachyte, des lamprophyres, des fénites/carbonatites et certaines intrusions granitiques. Les gneiss, marbres et quartzites (la matière même du Bouclier canadien) appartiennent surtout aux roches faiblement radioactives.


À propos du radon

«Le radon est un gaz radioactif d’origine naturelle. Il est sans couleur et sans odeur. Il provient de la désintégration de l’uranium, un élément chimique présent dans la croûte terrestre. Les concentrations de radon varient d’une région et d’une localité à l’autre.
Le radon se retrouve dans l’air tant à l’extérieur de bâtiments, qu’à l’intérieur. À l’extérieur, les concentrations de radon sont très faibles. Cependant, à l’intérieur, le radon peut s’accumuler et atteindre des concentrations pouvant, à long terme, être néfastes pour la santé.
Le radon peut s’infiltrer dans les bâtiments par les fissures dans la fondation, les vides sanitaires et les entrées de canalisations. Comme il est plus dense que l’air, ce gaz peut s’accumuler dans les parties les plus basses ou mal ventilées d’un bâtiment.»
(Santé Outaouais.)

«Un nouveau problème de radon dans les maisons fait surface à Chelsea, en Outaouais, où la présence de ce gaz dans l'eau inquiète les citoyens.» (Radio-Canada)

mardi 6 novembre 2012

Chelsea : dykes et brèches de calcite


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (17 juin 2000).
1. Dyke ou brèche de calcite large de plusieurs mètres recoupant un gneiss gris. Une calcite claire repousse une calcite «sale», les deux variétés portant de multiples xénolites anguleux. Carbonatite ou marbre (deux fois) mobilisé ? Voir cet ancien billet (à une époque, je numérotais les photos de ce blogue, quelle patience j'avais...)
Les xénolithes, anguleux, ne doivent pas provenir de bien loin, en particulier celui, fragile, de forme allongée et effilée. Il a quand même disposé du loisir de développer une bordure micacée noire en réaction à son bain de calcite.


Moment de liesse pour ce blogue.

Enfin, après presque 20 ans de patience et de recherches, je dispose d'un début d'explication sur un phénomène géologique pourtant très courant au nord de Gatineau. Jusqu'ici, j'avais dû me contenter d'informations indirectes ou d'inférences toutes personnelles. (Voir mes billets à ce sujet ; lien et lien.)

Je parle des filons, dykes et brèches de calcite rose à orangée qui recoupent les métasédiments et les orthogneiss de l'autoroute 5 à Chelsea.

(Note. – Ce billet a subi de multiples retouches depuis sa mise en ligne.)


Calcite ubiquiste
Ces intrusions de calcite, omniprésentes, sont les orphelines de la géologie locale. J'avais avancé à l'époque 3 hypothèses (qui ne s'excluaient pas) sur leur nature (ce billet) :

  • 1) Marbre mobilisé. Le marbre, abondant dans la région, et constitué de… calcite, est une bonne source de… calcite ! Par fluage, en réponse aux contraintes tectoniques, il est arrivé que le marbre se soit injecté dans les formations voisines moins ductiles en plissant et disloquant les pans et fragments de roc qu’il emportait. Il s'agit de mobilisations locales. Voir, par exemple, ce marbre à xénolithes dans cet ancien billet : à comparer avec la photo no 1 du présent billet ;
  • 2) Skarns, omniprésents dans la région, résultats de l’interaction de marbres dolomitiques (magnésiens) avec les paragneiss silicieux voisins. Bref, du métasomatisme, ou influences mutuelles locales entre roches adjaçantes, supposant peu ou pas du tout d’apports extérieurs. Voir ce billet ;
  • 3) Carbonatites, rares, mais comme il en existe au lac Meech et au lac McGregor (Hogarth, 1997) ou à Buckingham (Hogarth, 2003). Cristallisation d’un magma composé de carbonates (calcite et/ou dolomie). Dans ce cas, il s’agit d’une roche d’origine lointaine, et même profonde, les fluides magmatiques, contaminés ou non par les marbres qu’ils auront traversés, provenant des couches inférieures de l’écorce terrestre. Voir ce billet, déjà mentionné.

Les marbres mobilisés (hypothèse no 1), habituellement gris, à grain plus modeste que les intrusions de calcite rose, souvent très grossières (cristaux de calcite de plus de 3 à 4 cm ; photos 3A et 3B), ne semblent décidément pas de bons candidats pour ce qui nous intéresse. Les skarns et les carbonatites (hypothèses 2 et 3), se manifestent souvent sur le terrain par la coexistence de calcite rose grossière à très grossière et de minéraux verts (diopside, amphiboles), résultat de l'interaction des carbonates avec les minéraux silicieux des roches encaissantes.


Easton (2012) : syénites de la région de Brudenell (Ontario)..
2. Photos tirées de Easton (2012), légendes adaptées.
A) Filon de calcite grossière rose pâle recoupant une syénite rouge. B) Agrégat de calcite grossière pâle et de feldspath potassique dans la même syénite rouge. C et D) Filon boudiné de calcite recoupant une syénite grise et fragment isolé de feldspath rose dans la même syénite. 
Comparez les photos A et B avec les photos 3A et3B, prises sur le bord de l'autoroute 5. (Voir ce billet.) Comparez aussi les photos C et D avec les photos 5 et 6.
Easton relie des carbonatites et des syénites associées de la région de Brudenell aux carbonatites-fénites étudiées à Chelsea par Martin et Sinai (2012). À juger d'après les photos, les ressemblances sont pour le moins évocatrices... 


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (7 octobre 2012).
3A. Filon de calcite-quartz-pyrite recoupant un granite à tourmaline qui, lui-même, recoupe la syénite-diorite de Wakelfield.

Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (7 octobre 2012).
3B. Filon de calcite-quartz-pyrite recoupant le même granite qu'en 3A.


Travaux récents
Entre roches présentant un indéniable air de famille (hypothèses 2 et 3), il n'est pas toujours simple de savoir à quoi on a affaire...

Or, voici que je découvre les travaux de deux chercheurs de l'Université McGill sur les «fénites-carbonatites*» de Old Chelsea. Peut-être y verra-t-on enfin clair ?

«We focus here on an unexpected discovery of evidence of fenitization of the regionally developed quartzofeldspathic gray gneiss. This transformation occurs near dikes of orange calcite, which typically have a selvage of tiny euhedral diopside crystals and apatite granules.» (Martin et Sinai ; 2012)

Fénitisation, dyke de calcite orangée, diopside... Avouez que c'est évocateur.

Selon Martin et Sinai (2012), la calcite de ces dyke est intermédiaire entre celle des (abondants) marbres régionaux et des carbonatites d'origine mantellique. Le marbre local aurait réagi (métasomatisme) avec des fluides alcalins pour produire des carbonatites. Dans une perspective plus large, un processus de délamination crustale (vers 1040 Ma**) aurait entraîné la formation de magmas syénitique, granitique et carbonatitique par remontée concomitante du manteau terrestre, plus chaud. On pourrait se demander si le batholite de Wakefield (ce billet) ne ferait pas partie de cette suite magmatique reconnue plus à l'ouest en Ontario par Easton (2012).

À cette étape de l'exposé, il serait inexcusable de ne pas mentionner la suite volcano-plutonique potassique de Robitaille, à Buckingham (Hogarth, 2003), à un peu plus de 30 km à l'est de Chelsea. Les roches de la suite incluent justement des syénites/trachytes*** et une calciocarbonatite. Les analyses datent la suite du Mésoprotérozoïque (1060 Ma).

* Fénite : roche hôte modifiée par diffusion ou imprégnation (métasomatisme) par l'introduction d'une roche ignée alcaline ou d'une carbonatite.
** Ma : million d'années.
*** Trachyte : version effusive (lave) de la syénite.


Échantillon ca 1998, autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard.
4. Calcite (et/ou dolomite) de teintes variées avec hématite spéculaire. Échantillon provenant d'une poche de calcite large d'environ 1 m installée dans un paragneiss. L'intrusion, en partie lessivée, était bordée de cristaux de quartz idiomorphes de quelques mm pointant vers l'intérieur. Des filons minces de quartz-calcite-pyrite recoupaient le paragneiss hôte.


Skarns ou carbonatites ?
Maintenant que la question de la présence ou non de carbonatites sur les bords de l'autoroute 5 a trouvé une réponse positive, le problème de les distinguer des skarns, tout aussi avérés et répandus à travers une plus vaste région, n'a toujours pas de résolution...

Skarns ou carbonatite, la question a toujours sa raison d'être.

Un billet à venir fera le point sur la question.


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo HenriLessard (29 octobre 1999).
 5. Intrusion de calcite à phlogopite et fluorite verte recoupant un orthogneiss. Skarn ou carbonatite ?


RÉFÉRENCES
  • Easton, R.M., «Project Unit 11-004. Geology and Mineral Potential of the Brudenell Area, Northeastern Central Metasedimentary Belt, Grenville Province, with an Emphasis on the Syenitic Rocks», Summary of Field Work and Other Activities 2012, Ontario Geological Survey, Open File Report 6280, p.12-1 to 12-17.
  • Hogarth, D.D., Rocks of the Mason - Buckingham - Mayo Area, with emphasis on Mesoproterozoic igneous types. MRNF, Québec, GM 63238, 2003, 28 p., 1 carte (1/20 000) (31G11).
  • Hogarth, D.D., «Carbonatites, fenites and associated phenomena near Ottawa», GAC/MAC, Joint Annual Meeting, Ottawa, Field Trip Guidebook A4, 1997, 21 p.
  • Martin, R.F. and Sinai, F. 2012. «Rheomorphic fenite and crustal carbonatites: new complications in the Grenville crust, Old Chelsea area, Quebec», abstract in Geological Association of Canada–Mineralogical Association of Canada, St. John’s 2012, Program with Abstracts, v.35, p.85. (Disponible (PDF) par Internet.)


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (27 mai 2000).
6. Filon de calcite dans un gneiss.


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (octobre 2008).
7. Skarn, pendant les travaux de prolongement de l'autoroute 5, contenant de la calcite rose et recoupé par un granite rouge brique (à gauche). Voir ce billet.