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mardi 20 décembre 2022

Draperies de pierre au fond des lacs des Laurentides

Photo 1. - Élégantes draperies de pierre au fond du lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Chaque « draperie » est un lit silicaté insoluble dans un marbre composé de minéraux carbonatés qui ont été lentement dissous par l'eau. Photo © Jean-Louis Courteau.



Sauf mention contraire, les photos qui illustrent ce billet sont de Jean-Louis Courteau et elles ont déjà été diffusées dans ce blogue. Elles ne proviennent pas de l'article du Naturaliste canadien dont il est question ici et dont il est un des coauteurs.


Ce petit blogue a joué son petit rôle dans la révélation de ce qu’il faut bien appeler une découverte dans la géologie du Quaternaire de l'Outaouais et des Laurentides.

Il y a 10 ans, Jean-Louis Courteau m’avait contacté via ce blogue à propos de formations étranges qui peuplaient le fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Il faut dire que Jean-Louis est plongeur, en plus d’être peintre et écrivain. Quand on écrit, quand on dessine, on a l’œil, et on le conserve même dans les eaux brouillées des profondeurs des lacs. Surtout, on est curieux. 


Photo 2. - Restes d'inclusions insolubles ayant survécu à la dissolution de leur matrice de marbre. Comment ont-elles pu subir sans dommage le passage des glaciers ? Photo © Jean-Louis Courteau.


Jean-Louis m’avait décrit d’intrigants reliefs ; pieux ou rouleaux de pierre surgissant du plancher lacustre, fantomatiques draperies rocheuses sur les flancs de falaises sous-marines et il se questionnait sur leur origine. La seule réponse plausible que j'avais pu fournir était qu’il s’agissait sans doute d'inclusions rocheuses enclavées et plissées dans un marbre – chose commune en Outaouais comme dans les Laurentides, mais ces inclusions ne font jamais saillie sur la surface du roc au point que le décrivait Jean-Louis. Il fallait croire que l’immersion au fond d’un lac avait peu à peu dissout la matrice en marbre, fait de carbonates solubles, dégageant et laissant en relief les inclusions silicatées, les insolubles, comme on les appellera. La quiétude des fonds lacustres les a apparemment préservées. Sauf que...


Photo 3. - Ondulation de pierre au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Sauf que la dernière glaciation du Quaternaire, dite du Wisconsinien, a pris fin dans la région il y a 12 000 ans. Les glaces, à leur départ, laissaient derrière elles un continent raboté et poncé à fond par leur passage. Nos tenaces mais frêles insolubles n’auraient pas pu survivre à un tel épisode qui s'était étiré sur quelque 90 000 ans. Et, à moins de supposer un taux de dissolution improbable, les 12 petits millénaires écoulés depuis le départ des glaces ne permettaient pas le dégagement des éléments insolubles du marbre dans les proportions rencontrées au fond du lac Tremblant. Ces monstruosités lacustres n’auraient pas dû exister, tout simplement.

J’insiste : il s’agissait d’une véritable découverte, de quelque chose d’insoupçonné qu’on n’aurait pas cru possible ni envisageable dans notre contexte.

Et pourtant, ces impossibles formations existaient ! Pas seulement au lac Tremblant ; au lac Marie-Lefranc, au Lac-des-Seize-Îles aussi, tous des lacs du bouclier canadien, au NO de Montréal. Restait seulement à expliquer leur existence...


J’ai mis en ligne au cours des années dans mon blogue de nombreuses photos de ces « insolubles » fournies par Jean-Louis. Vous pouvez vous y référer pour suivre l’évolution des choses.


Photo 4. - Des plaques et des futs de colonnes un rouleau lithiques au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Je ne sais plus trop quand et comment j’ai mis en contact Jean-Louis avec Bernard Lauriol, professeur émérite à l’Université d’Ottawa. Bernard a confirmé mes conclusions tout en étant aussi étonné que moi des proportions que présentaient ces formations.


Marbre et inclusions insolubles

Il est rare dans la région qu'un banc de marbre soit homogène et ne contiennent pas des couches ou des intrusions de roches autres. Ces inclusions ont souvent été plissées et disloquées par les pressions tectoniques (photos 8 et 9). Le marbre lui-même est constitué de carbonates de calcium, calcite ou dolomie, faciles à attaquer et sensibles à l'acidité des eaux. Les inclusions, formées de silicates divers et de quartz, sont plus résistantes. 

 



Photo 5. - Non, ce n'est pas une guenille,
mais un insoluble remonté sur la terre ferme. Dépliez mentalement la pierre chiffonnée pour lui redonner sa « planitude » originale. Lac-des-Seize-îles, Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.



Mon résumé

Bref, après des années d’études, d'analyses, de mesures, de prélèvements et bien des plongées, un article cosigné par Benoit Faucher, Jean-Louis Courteau et Bernard Lauriol est publié dans la revue Le Naturaliste canadien : « Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire » (voir plus bas le résumé officiel de l'article et la référence). Il apparaît que le phénomène des insolubles est plus répandu qu’on le croyait dans nos lacs puisque les auteurs en rapportent des occurrences plus à l’ouest, près de Low et de Luskville.

Photo 6. - Un rouleau et autres aspérités au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.







Photo 7. - Jolies draperie, quel mouvement ! Et pourtant elles sont immobiles. Lac -des-Seize-Îles, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Il apparaît aussi que les glaciers ont sans doute joué un rôle dans l'exhumation et la préservation de ces insolubles. (Dans le passage qui suit, je résume le contenu de l'article selon ma compréhension et selon ce qui me semble le plus important. J’espère ne pas trop déformer les propos des auteurs.)

On peut envisager la création de lacs sous-glaciaires dans des poches d’eau turbulente au sud de collines où les glaces, venant du nord, pesaient moins sur le roc. (Et, justement, nos trois lacs sont situés au sud de tels écrans protecteurs.) La turbulence de l’eau sous pression dans ces bassins, coincés entre plancher de roc et toit de glace, a fait ressortir les inclusions silicatées insolubles du marbre. Voilà que nos formes d’érosion en relief sont créées ! Par la suite, des sédiments fluvio-glaciaires fins ont pu les recouvrir et les protéger. Un lessivage subséquent des sédiments par des écoulements sous-glaciaires a pu ensuite dégager les formes en relief ou les détruire et les emporter avec des débris rocheux et autres blocs erratiques, comme il a été observé à Low et à Luskville (photo 11). Reste à préciser la chronologie des événements : érosion, sédimentation, dégagement : wisconsinien ou préwisconsinien ? Ces insolubles mettent aussi en lumière la possibilité de lacs sous-glacaires nombreux.

Le plus étrange, à la fin, n’est pas l’existence de ces formations en relief, mais le fait qu’on ait mis tant de temps avant de se rendre compte de leur existence. (C'est ma conclusion.)


Photos 8 et 9. - Les inclusions de roches diverses dans le marbre sont fréquentes dans l'Outaouais et les Laurentides. 
Photo 8. - Marbre gris contenant des inclusions sombres plissées et étirée. © Photo Henri Lessard, 2009 ; autoroute 50 au nord de Thurso, Qc. 
Photo 9. - L’érosion du marbre peut mettre en relief ces inclusions résistantes, mais elle le fait à des échelles modestes, au bord des rivières comme, par exemple, sur la rive de la Gatineau. © Photo Henri Lessard, 2010; île Marguerite, Gatineau, Qc.

Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire

Référence

Faucher, B., J.-L. Courteau et B. Lauriol, 2022. « Sous la surface des lacs des Laurentides: des témoignages de la dernière période glaciaire. » Le Naturaliste canadien, 146 (2): 19-25. https://doi.org/10.7202/1091885ar


Photo 10. - Tiens, on dirait que je viens de plier les serviettes propres. Lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau. (La photo n'appartient pas à l'article cité.)

Les auteurs 

  • Benoit Faucher est scientifique du Quaternaire à la Commission géologique du Canada (Programme GEM-GéoNord, Ottawa) et enseigne la géographie au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa (Ontario).  bfaucher@uottawa.ca.
  • Jean-Louis Courteau est auteur, artiste, coproducteur de documentaires vidéo et directeur du Centre d’interprétation des eaux laurentiennes à Lac-des-Seize-Îles, CIEL (Québec).
  • Bernard Lauriol est professeur émérite de l’Université d’Ottawa (Ontario). Il a récemment publié deux ouvrages sur l’Outaouais et son passé géologique.

Résumé tiré du Naturaliste canadien

De remarquables formes rocheuses insolubles se dressent dans le fond de lacs creusés dans le marbre de Grenville de la région des Laurentides, au Québec (Canada). Elles atteignent une hauteur pouvant aller jusqu’à plusieurs décimètres. Selon les études sur les taux de dissolution du marbre du Bouclier canadien, il est improbable que celles-ci aient été mises en relief seulement pendant l’Holocène. Nous proposons qu’une érosion hydrique dans des poches d’eau alimentées par l’eau de fonte de la dernière calotte de glace des Laurentides soit à l’origine de la mise en relief de ces roches insolubles. Nous envisageons aussi la possibilité que les roches insolubles aient été dégagées de leur matrice de marbre par une eau courante bien avant la dernière déglaciation, et que celle-ci ait été précédée par un ou des lacs sous-glaciaires.

 


Photo 11. - Bloc erratique de marbre gris avec une protubérance formée par un bloc de roche silicatée (Luskville, à l'ouest de Gatineau, Québec). Le cercle blanc est une intervention picturale contemporaine ! Photo Bernard Lauriol, tirée de l'article de Faucher, Courteau et Lauriol.
La situation initiale de cette roche devait ressembler à ce que l'on voit sur la photo 8.


Photo 12. - Jean-Louis Courteau en compagnie d'un insoluble plissé ramené du fond du Lac-des-Seize-Îles. © Jean-Louis Courteau. 

samedi 24 janvier 2015

Draperies sous-marines, Lac-des-Seize-Îles


© Jean-Louis Courteau 2014







Draperies lacustres : lits ou filons de roches résistantes (quartzite, granite ou gneiss) dégagés du marbre par lente dissolution de ce dernier. Lac-des-Seizes-Îles dans les Laurentides, au nord-ouest de Montréal. Photo © Jean-Louis Courteau, 2014.




Même sujet :
Blogue Aquadelic de Jean-Louis Courteau
Le jardin des immortelles

Dans ce blogue :
11 août 2012, «Lac Tremblant : radiographie du marbre»
17 janv. 2015, «Plis et vieilles guenilles : la merveille»
29 oct. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles : suite et persévérance»
26 oct. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles : suite»
28 sept. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles»
16 oct. 2012, «Lac Tremblant : retour au fond des choses»

samedi 17 janvier 2015

Plis et vieilles guenilles : la merveille


Qu'est-ce ? Vous pouvez en dire ce que vous voulez, ça ne froissera pas la chose.


Résumé

Inclusions silicieuses résistantes dégagées par dissolution du marbre qui les contient dans les lacs des Laurentides. Elles révèlent par leur surgissement la tectonique du marbre (marbre de la province géologique du Grenville, Bouclier canadien, âgé de plus d'un milliard d'années).
Billet consacré au même sujet, blogue Aquadelic de Jean-Louis Courteau
Le jardin des immortelles
Billets consacrés au même sujet (dans ce blogue; le plus important est placé en premier)
11 août 2012, «Lac Tremblant : radiographie du marbre»
29 oct. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles : suite et persévérance»
26 oct. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles : suite»
28 sept. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles»
16 oct. 2012, «Lac Tremblant : retour au fond des choses»


Qu'est-ce au juste, que cette... chose ? Une pièce de chamois qui a servi à astiquer le casque de Goliath ? Ou à nettoyer le monocle du cyclope ? Le cuir d'un buffle blindé ? Le pan d'une veste pare-silex du Paléolithique ?

Vous ne voyez pas ?

Réponse : c'est une merveille.


Dans son milieu naturel, la chose (ou ses semblables) ont meilleure allure. Lits ou filons de roches silicieuses plissées dégagées par dissolution du marbre qui les contient. Lac-des-Seize-Îles dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau, 2014.


Ce rectangle tout plissé de roche – un granite ou un quartzite – revient de loin. Il a toute une histoire.

Loin dans le temps, mais aussi loin – ou profond – dans l'espace.

Il s'est formé il y a plus d'un milliard d'années, à plusieurs km de profondeur à l'intérieur de l'écorce terrestre. Les pressions tectoniques ont plissé et trituré le banc de marbre à l'intérieur duquel il avait trouvé place. Notre granite/quartzite a pris un pli, même plusieurs ; bons ou mauvais plis, il les a conservé jusqu'à aujourd'hui.

Je passe rapidement les millions d'années, les centaines de millions d'années. L'érosion amène le marbre tout près de la surface. Les glaciations du Quaternaire rabotent et polissent le socle continental. Les glaces, il y a 10 000 ans, se retirent, l'eau s'installe dans un bassin de marbre poli. Voici bientôt un joli lac, entouré de feuillus et de conifères. Au fond, l'eau dissous peu à peu la calcite (le marbre, quoi) ; les inclusions siliceuses – granite, quartzite et gneiss –, résistantes, font saillie et sont peu à peu dégagées.

Vers 2012, des plongeurs plongent explorer les lacs des Laurentides. Ils en rapportent des photos de paysages fantastiques. Des rouleaux de pierre, pareils à des pieux, sortent de la roche, des murs se dressent, des draperies ondulent - ou plutôt n'ondulent plus, elles ont pris leur plis il y a  longtemps.

Ces paysages lacustres (ou sous-lacustres) sont à peu près totalement ignorés. Il doit s'en trouver partout dans les Laurentides et en Outaouais, partout où il y a du marbre.

C'est un scandale que ces merveilles soient soit si peu connues. Comme elles reposent au fond des eaux, il y a peu de chance que la publicité autour de leur existence ne les exposent au vandales !

Ce morceau de silicates rouillé m'a été apporté par Jean-Louis Courteau qui l'a ramassé au fond du Lac-des-Seize-Îles, au NW de Montréal, dans les Laurentides. (Voir, en autres, les billets d'octobre 2014, liens plus haut.)

Il figure à une place de choix dans mes collections. Qui d'entre vous, chers lecteurs, a eu le privilège de tenir en main une plaque de roche qui s'est fait froisser à plus de vingt km sous terre ? Qui ?


Je manque d'indices – et, disons-le, d'expertise – pour interpréter la coupure nette entre la partie rouillée et la partie noire (manganèse?).


Quel beau pli serré !


Comptez les plis et replis à droite, contre mon petit doigt.


C'est vraiment de la pierre. Infroissable - ou plutôt, indéfroissable !


La nature de la roche est difficile à déterminer avec certitude. Filon de granite ? Lit de quartzite ? La roche (d'après un autre échantillon) est silicieuse, rouillée, et contient des grains de sphène(?) et de diopside(?). Ces deux minéraux se rencontrent souvent dans les granites qui interagissent avec le marbre.


C'est pas son meilleur profil.


Gênant que la mise au point soit faite sur le mur du fond plutôt que sur l'échantillon... Je suis très mal installé pour la photographie.


Photos suivantes : fond du lac Tremblant dans les Laurentides (photos © Jean Louis Courteau, Le jardin des immortelles, blogue Aquadelic). Exemples de paysages créés par dissolution du marbre : les piquets et les murs sont des inclusions insolubles que la quiétude des profondeurs lacustres préserve des bris et des ruptures.





samedi 3 novembre 2012

Outaouais et Laurentides : même patrimoine géologique


Photo tirée de : Poirier et Daigneault, 2011.


Découverte un peu tardive d'un article paru dans Le Naturaliste Canadien* : «La mise en valeur du patrimoine géologique du Sentier national du Québec dans les Laurentides», par Brigitte Poirier et Robert-André Daigneault. (PDF téléchargeable gratuitement dans Internet.)

Résumé («Mise en gras» par moi). «Cet article présente une proposition de mise en valeur du patrimoine géologique de trois tronçons du Sentier national du Québec dans les municipalités de Labelle et de La Conception. Cette proposition s’appuie sur l’inventaire de sites d’intérêts géologiques et l’évaluation de leur valeur scientifique, à partir de la quantification de critères bien définis (rareté, intégrité, représentativité, nombre de phénomènes et qualité des points d’observation). Les sites ayant obtenu les pointages les plus élevés ont été considérés comme des sites géologiques exceptionnels ou géosites. Des 44 sites géologiques inventoriés, 16 sites ont été considérés comme des géosites. À partir des phénomènes observés, ces géosites sont regroupés sous trois thématiques : l’origine du Bouclier canadien, la dernière glaciation et les processus actuels et récents. Un exemple de mise en valeur du patrimoine géologique en fonction de ces thématiques est présenté à partir du sentier qui présente le plus de géosites, soit le sentier Alléluia

Du point de vue géologie, il n'y a pas de différence notable entre l'Outaouais et les Laurentides, chacune étant la continuité de l'autre dans le même secteur du Bouclier canadien (province de Grenville).

Notre blogue, pourtant consacré à la géologie de l'Outaouais, a d'ailleurs fait quelques excursions du côté des Laurentides, au lac Tremblant, en particulier. (Au fond du lac, pour être plus précis, Géo-Outaouais aime aller au fond des choses.)

L'article contient un bon résumé de l'évolution géologique de la région, une description de sa physiographie et un inventaire des sites d'intérêt (géosites).

Affaire à suivre. Un tel projet de mise en valeur du patrimoine géologique de cette région sœur siamoise de la nôtre est une initiative très encourageante.


 Nous aussi nous avons un beau bloc erratique perché au sommet d'une colline. En plus, il est en couleur. Parc de la Gatineau, mai 2000, voir cet ancien billet. (Pour un aperçu plus récent, suivre ce lien.)


Référence complète
Brigitte Poirier et Robert-André Daigneault, «La mise en valeur du patrimoine géologique du Sentier national du Québec dans les Laurentides», Le Naturaliste Canadien, vol. 135, no 1, hiver 2011, p. 45-55. PDF téléchargeable gratuitement.


* Il y a quelques années (c'était au siècle dernier), ayant demandé au comptoir de la Bibliothèque d'Ottawa de vieux numéros du Naturaliste Canadien, la préposée, une bénévole assez âgée, m'avait répondu d'un ton pincé qu«'il n'y avait pas de ça ici». J'avais dû lui montrer l'index des périodiques conservés à la Bibliothèque pour la convaincre du contraire. Quand elle s'est rendu compte qu'elle avait confondu naturaliste et naturiste, son attitude a changé du tout au tout. Ah ! le pouvoir d'un simple mot, de quelques lettres même...

mardi 16 octobre 2012

Lac Tremblant : retour au fond des choses


Compétence et incompétence*
À gauche (étirement et boudinage) : lits silicieux rompus et réduits en baguettes (c.-à-d. boudinés) dans un calcaire ; le calcaire, ductile, remplit les espaces libérés entre les boudins.
À droite (boudinage et plissements) : tiges et reliques allongées de veines silicatées dans un marbre.
Tiré de Compton (1962). (Légende modifiée.)

* Roche compétente, incompétente. – En réponse aux contraintes tectoniques, une roche compétente, plus rigide, moins déformable, tendra à former des plis à grand rayon, se rompra, tandis que des couches de roches incompétentes, plus ductiles, multiplieront les petits plis, flueront ou couleront comme de la pâte dentifrice pincée dans un tube. 


Le double schéma ci-haut illustre le comportement opposé de roches silicieuses rigides et de calcaires (marbres) ductiles. À gauche, des lits silicieux sont étirés, rompus (boudinés en baguettes) tandis qu'à droite, des inclusions de nature semblable sont disloquées et plissées au point que des boudins sont enroulés sur eux-mêmes. Le calcaire, plus accommodant, agit à la longue comme pâte malléable.

«Thin beds, veins, or dikes enclosed in incompetent materials are frequently broken, rotated, and squeezed into linear bodies during metamorphism and folding.» (Compton, 1962, p. 313.)

Tout ne vous rappelle rien ?

Voyez le «rouleau» en bas, à droite du schéma de droite, et comparez-le avec les «pieux» ou «rouleaux» des photos plus bas.

Il suffirait de dissoudre le calcaire/marbre de ses schémas pour se trouver face à un paysage ressemblant à celui que nous offre le fond du lac Tremblant :

Contexte géologique pour la suite (voir cet ancien billet)
Marbre du lac Tremblant, province de Grenville (un milliard d'années) du Bouclier canadien, métamorphisé, plissé et culbuté par les forces tectoniques de façon à ce que son rubannement se présente à la verticale. Poli par les glaciers qui ont quitté le secteur il y a 10 000 ans, le marbre se dissout peu à peu sous les eaux du lac Tremblant. La disparition du marbre laisse en relief les lits ou rubans verticaux plus résistants, parfois rompus («plaques») ou repliés sur eux-mêmes («rouleaux»).

(Au lac Tremblant, les inclusions résistantes sont à la verticale ou obliques au lieu que sur les schémas elles sont dessinées à l'horizontale. Ne pas se laisser troubler par ce petit problème d'orientation.)

Rouleaux
Photos tirées d'Aquadelic, déjà montrées dans ce blogue ; fond du lac Tremblant (Québec) : marbre se dissolvant au fond de l'eau, révélant les inclusions résistantes qu'il contient. Notez que le pieu de la première photo est en réalité un rouleau ; le plus petit, brisé, mieux visible sur le second cliché, montre la structure enroulée de ces formations. À droite du «pieu», un lit résistant, intact sur une bonne longueur (en réalité, légèrement plissotté), dresse une sorte d'écran ou de muret.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
Au pied du grand «pieu» : un fragment boudiné (rompu) d'un lit résistant s'est enroulé sur lui-même et a pris la forme d'un C fermé. S'il était coupé en deux, le pieu se révélerait posséder une structure enroulé semblable. L'épaisse couche de biofilm qui recouvre tout contribue à l'illusion. 


Gros plan du petit rouleau brisé. Il correspond à ce qui est illustré dans le schéma, au début du billet (le «rouleau», en bas à droite du schéma de droite). Extrait du vidéo (capture d'écran) accompagnant le billet de Jean-Louis.


RÉFÉRENCE
Robert R. Compton. Manual of Field Geology, John Wiley and Sons, Inc., New York, London, Sydney, 1962, 390 pages.

jeudi 16 août 2012

Lac Tremblant et Cantley : marbres jumeaux


Air de famille 



Inclusion (granite ou quartzite rouillé) plissée dans un marbre, à Cantley (Québec). Surface polie par les glaciers récemment mise à jour. Inclusion : env. 30 cm x 40 cm. Photo (tirée d'un ancien billet de ce blogue) : Lise Massicotte, 1999


Son frère jumeau*, après plus ou moins 10 000 ans passé sous les eaux du lac Tremblant, a pris un relief très prononcé par dissolution lente du marbre. Photo courtoisie de Jean-Louis Courteau, 2012.
* Jumeau quant à la forme, parce qu'avec l'altération de la surface, incrustée en plus d'on ne sait quoi, difficile de dire s'il s'agit d'une inclusion de quartzite, de granite ou de gneiss...
(Lac Tremblant : voir le précédent billet de ce blogue.)



samedi 11 août 2012

Lac Tremblant : radiographie du marbre (ajout)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
1. Des crêtes et «pieux» un «rouleau» : éléments résistants dans le marbre dissous par les eaux du lac Tremblant.


Note. – Des corrections et des remaniements (mots rayés, retouches [entre crochets] et «Ajout» à la fin du billet) ont été apportés au texte le 13 août 2012.

Fabuleux paysage sous-marin que Jean-Louis Courteau nous révèle. Courez aller y voir tout de suite (et n'oubliez pas de revenir ici ensuite). Jean-Louis vous promènera de la Mongolie éprouvée au lac Tremblant dans les Laurentides où vivent d'immortelles hydres. Tout ça, c'est est sérieux, de l'authentique, du féérique (moins enchanteur toutefois pour les Mongols, les touladis et autres ouananiches).

L'atmosphère est fantasmagorique (en autant que l'on puisse parler d'atmosphère sous l'eau, bien sûr).


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012.
 2. Des pieux*, des planches qui surgissent du fond du lac comme la charpente d'une épave. Mais non, tout ça est minéral et naturel. Le rubanement du marbre est visible sur le «plancher» (lignes et saillies parallèles). Remarquez la taille, la même, qu'atteignent les deux grands éléments.
[* Des pieux ? non, des rouleaux, plutôt.]



Résumé
Marbre du lac Tremblant, province de Grenville (un milliard d'années) du Bouclier canadien, culbuté par les forces tectoniques de façon à ce que son rubannement se présente à la verticale. Poli par les glaciers qui ont quitté le secteur il y a 10 000 ans, le marbre se dissout peu à peu sous les eaux du lac Tremblant. La disparition du marbre laisse en relief les lits ou rubans verticaux plus résistants, parfois rompus («plaques») ou repliés sur eux-mêmes («rouleaux»).


Le lac Tremblant est traversé par une bande de marbre (calcaire, calcaire cristallin) rubanné ; quelques lits plus résistants à l'érosion forment des lignes de crêtes parallèles (photos 1 et 2), ce qui est banal.

Moins banales sont les «plaques» non moins parallèles (photos 2, 3 et 7), hautes de plusieurs cm (max. 75 cm, à l'estime) qui jaillissent du roc en compagnie de «pieux» «rouleaux» qui pointent avec une relative unanimité dans la même direction (photos 1 et 2).

C'est une vraie radiographie du marbre que nous offre le fond de ce lac.

Ces inclusions résistantes à l'érosion (gneiss, quartzite ou granite ?) que les forces tectoniques avaient bien auparavant redressées dans une position verticale, ont été dégagées par la dissolution graduelle du marbre. Il est difficile d'imaginer que cette dissolution ait eu lieu à une époque (hypohétique, je le précise) où des courants auraient accéléré l'érosion du marbre : ces fragiles structures ont eu besoin de calme pour subsister à leur lente mise au jour. («Jour» tamisé par les eaux du lac, of course.)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
3. Lits résistants dans le marbre, peu à peu dégagés par la dissolution de ce dernier et peu à peu encroûtés et désagrégés à leur tour. On remarque les inclusions ne dépassent pas une certaine hauteur, plus ou moins la même d'une photo à l'autre. Le sommet de ces inclusions représente peut-être le niveau originel de la roche avant que ne débute la lente dissolution du marbre.


Si les «plaques» sont reliquats de lits plus durs dans le marbre ou d'intrusions concordantes dans celui-ci, les pieux rouleaux m'intriguent d'avantage. Sont-ce des inclusions étirées par les forces tectoniques ?... [C'est pas faux, mais... Voir «Ajout» à la fin du billet.]

Quelques-uns de ces pieux rouleaux montrent un sommet plat et lisse (photos 1 et 2). On se demande s'il ne s'agit pas de la surface originelle de la roche après le passage des glaciers et le début de l'érosion au fond de l'eau...  [L'épais biofilm qui recouvre ces rouleaux peut donner l'impression d'une surface plate à leur sommet. Voir «Ajout» à la fin du billet.]

Il serait intéressant de chercher des indices de l'orientation de la structure des roches de l'endroit : rubanement et gneissosité (orientation des surfaces planes), éventuelles linéations (orientation des éléments allongés). Après tout, le lac Tremblant est situé dans un couloir (zone de cisaillement de Labelle-Kinonge) où, il y a un petit milliard d'années, se sont concentrées les effets des forces tectoniques qui ont façonné cette portion du Bouclier canadien. [Passage remanié.]


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012.
 4. Falaise de marbre laminé, libre de grosses inclusions, sauf la formation plissée sur le fond du lac, percée d'une arche.


Il serait intéressant aussi de «prendre des mesures», histoire de vérifier si les plus grandes inclusions ont toutes à peu près la même taille. Ceci nous permettrait d'évaluer le taux d'érosion du marbre à partir d'une hypothétique surface originale. [Cette remarque reste valable.]

Il n'est pas rare de constater des dénivelés de l'ordre de ceux qu'on observe ici entre le marbre dissous et ses inclusions résistantes. Le long de la Gatineau, l'érosion du marbre par l'eau courante atteint plus de 50 cm à certains endroits, près de la berge. Comme le socle rocheux du secteur est fréquemment exposé à l'air libre, les inclusions ne survivent pas longtemps intactes à leur exhumation.

Voir les nombreux billets que j'ai consacrés dans ce blogue à l'île Marguerite, à Gatineau, en particulier celui-ci. (Voir aussi photos 5a et 5b.)


5a. Inclusion sombre en voie d'exhumation, marbre de l'île Marguerite à Gatineau. Photo Henri Lessard, 2012.


 5b. Marbre lardé d'inclusions résistantes plissées, île Marguerite, à Gatineau. Photo © Henri Lessard, 2010.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
 6. Inclusion résistante plissée dans le marbre, au fond du lac Tremblant.


À toi, Jean-Louis
L'explication de Jean-Louis est probablement la bonne : loin des perturbations humaines, animales, végétales et météorologiques (j'en oublie ?) ces fragiles structures ont subsisté en étant laissées en paix :

«S'il est très fréquent de voir des inclusions dans les marbres, il l'est vraiment moins d'en observer de cette forme et de cette taille ! Mais je suppose qu'ici, sous l'eau, à l'abri des tempêtes, du gel, des vandales, des accidents du monde d'en-haut, l'érosion du calcaire cristallin au fil des siècles, des millénaires, s'est faite tout doucement... Le temps que ça a dû prendre m'étourdit !» (Aquadelic)

«Le temps que ça a dû prendre» ? Dans le secteur du lac Tremblant, il s'est écoulé, entre le départ des glaciers et aujourd'hui, environ 10 000 ans.

Notons que le secteur est trop au nord pour avoir été touché par les eaux de l'ancienne mer de Champlain.

Conclusion
Pendant que vous ébahissez du spectacles des merveilles de la nature, moi, je vais réfléchir à un autre de ses aspects : les humains devraient-ils continuer de se reproduire comme de banals mammifères ou plutôt se satisfaire de se régénérer comme les immortelles hydres ? (Cf. le billet de Jean-Louis.)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
 7. Ce qui semble être un filon de granite (?) discordant recoupe comme une lame de rasoir le marbre et la «plaque» redressée. Bel exemple de radiographie ou de tomographie par soustraction de la matière soluble !



AJOUT (13 août 2012)

Rouleaux impérieux
Impérieuse mise au point. Les «pieux» ne sont pas des pieux. Selon Jean-Louis, qui a tenu à apporter cette précision, il s'agit de rouleaux dont la section horizontale ressemblerait à un U, un C ou un G.

Des biofilms recouvrent les surfaces (plus d'un cm sur les surfaces verticales, jusqu'à 8 cm sur les surfaces horizontales), ce qui contribue à l'illusion de cylindres pleins.


Croquis des «pieux», Jean-Louis Courteau (2012).


Déjà, sur les photos, il était clair que certains «pieux» n'étaient que des fragments de lits résistants plissés et enroulés sur eux-mêmes.

Je reviendrai plus tard avec un supplément d'information.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
Au pied du grand «pieu» : un fragment boudiné (rompu) d'un lit résistant s'est enroulé sur lui-même et a pris la forme d'un C fermé. S'il était coupé en deux, le pieu se révélerait posséder une structure enroulé semblable. L'épaisse couche de biofilm qui recouvre tout contribue à l'illusion. 


Gros plan du petit rouleau. Extrait du vidéo (capture d'écran) accompagnant le billet de Jean-Louis. Supplément d'information à venir.


Une suite