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lundi 6 novembre 2017

Marbre, gabbro et mégacristaux, autoroute 50, Qc


Autres billets sur l'autoroute 50 : lien.

Fig. 1. - Gabbro noir recoupant un marbre grisâtre : le marbre a réagi à son tour en rompant le gabbro et en s'injectant dans les cassures (à droite).


Résumé

Un des corps de gabbro le long de l'autoroute 50, entre Buckingham et Grenville, Qc. L'intrusion du gabbro dans un marbre a généré des porphyroblastes de silicates atteignant 20 cm (diopside, scapolite, etc.. Les gabbros de l'A50 recoupent des paragneiss, des marbres et des orthogneiss de la province de Grenville, Bouclier canadien, âgés d'entre 1,0 et 1,2 milliards d'années.
Localisation
Auroroute 50, sortie chemin Kilmar Sud ; angle chemin Kilmar et rue Rourke.
Photos
12 avril 2015
Autres billets sur l'autoroute 50
Lien.


Intérêt géologique et minéralogique. - Gabbro recoupant un marbre grisâtre ; le gabbro lui-même est recoupé par le marbre mobilisé par son intrusion. Le gabbro est par ailleurs recoupé par des filons de granite et par une faille oblique où la roche devient friable. La réaction à hautes températures et à hautes pressions entre le gabbro et le marbre a généré dans ce dernier des silicates de calcium divers (porphyroblastes de 20 cm). 

Philippe Belley (2017) a exploré le site entre 2006 et 2010, durant la construction de l'autoroute et la reconfiguration des chemins proches. Les affleurements disponibles alors n'étaient pas les mêmes que ceux existant lorsque je l'ai visité en avril 2015. Philippe signale des cristaux de clinopyroxènes verts de plus de 20 cm, de la titanite brun rougeâtre de 3 cm, de la scapolite xénomorphe de 15 cm, du feldspath potassique de 15 cm et du graphite massif. Mes propres observations ajoutent à cette liste de l'apatite turquoise xénomorphe

Philpotts (1976) a cartographié la région. Sa carte au 1/12 000 est fidèle à ce qui s'observe sur le terrain. 


Références



  • Philippe M. Belley, Michel Picard, Ralph Rowe et Glenn Poirier, 2017 — Minerals of Highway-50, Grenville to Pointe-Au-Chêne, Québec. Lien : https://www.mindat.org/a/hwy50grenville
  • Bourdeau, J.E. — 2009. A mineralogical investigation of a blue-calcite-bearing calc-silicate assemblage from Grenville, QC. B.Sc. Thesis, University of Ottawa.
  • Philpotts A.R., 1976 — Canton de Grenville (partie sud-est). MRNQ, avec carte 1803 au 1/12 000.


Fig. 2.- Le gabbro avec des enclaves du marbre blanc qu'il recoupe.



Fig. 3. - Lentille de calcite dans le gabbro (enclave du marbre encaissant ou marbre mobilisé par l'intrusion du gabbro ?). Des cristaux de pyroxène vert (diopside ?) parsèment la calcite. Si vous faites coexister à hautes températures et hautes pressions des silicates (gabbro) et du carbonate (marbre), vous obtenez très logiquement des silicates de calcium (par ex. des Ca-pyroxènes).



Fig. 4. - Gros plan sur les cristaux de pyroxène vert de la fig. 3. La tête du marteau a 13 cm de long.


Fig. 5. - Calcite saumon, pyroxène vert bouteille, apatite turquoise, sphène (titanite) brune (?) à gauche de la tête du marteau, dans le pyroxène. Tout pour la joie du collectionneur de minéraux (que je ne suis pas).


Fig. 6. - Un filon de granite massif recoupe à son tour le gabbro.


Fig. 7. - Une faille verticale recoupe le gabbro et rend la roche friable.

lundi 6 juillet 2015

Petit Poucet du Quaternaire


Fig. 1. Sablière dans un delta édifié dans la mer de Champain à l'embouchure d'une rivière alimentée par l'eau de fonte des glaciers, il y a 13 000 ans. La succession des épisodes d'accumulation/érosion/accumulation/... se déchiffre par le recoupement des strates entrecroisées. Au nord de Calumet (Québec), à l'ouest de Grenville-sur-la-Rouge. Visée approx. nord ; photo 2 juillet 2015.


Résumé

Delta sablonneux construit par l'eau de fonte des glaciers dans la mer de Champlain il y a env. 13 000 ans. Quelques dropstones(?) s’inscrivent mal dans la variation de la granulométrie des sédiments.
Localisation
Chemin Whinfield, Grenville-sur-la-Rouge (Québec), au nord-est de Calumet, à moins de 4 km de la rivière des Outaouais.
45.674108, -74.629445
Photos
2 juillet 2015


Je laisse plus qualifié que moi décrire cette sablière dans la région de Calumet, au nord de la rivière des Outaouais :

«Sédiments deltaïques et estuairiens : sable moyen à fin, fossilifère à certains endroits ; se présente le plus souvent sous forme de plaines deltaïques sableuses construites à l'embouchure des rivières dans la mer [de Champlain] au fur et à mesure que son niveau s'abaissait.» (St-Onge, 2009, carte 2140A ; version française tirée de Richard, 1991, carte 1670A.)

Dans un estuaire, les sédiments (ici, sable et gravier) sont le jouets des courants et des marées. Les stratifications entrecroisées, visibles ici (fig. 1-2a-b), témoignent de la succession des épisodes de dépôt et d'érosion des sédiments tout autant que de la direction changeante des eaux. Au sommet, des strates horizontales riches en galets et blocs recouvrent l'ensemble de ce château de sable (fig. 2-4).

Je demeure un peu perplexe devant les blocs de grandes dimensions, jusqu'à plus d'un m, qui se retrouvent à un niveau distinct de l'accumulation (fig. 5).

Ça pourrait être des dropstones (n'appelez pas l'Office de la langue française du Québec, c'est le terme accepté). Des icebergs, petits ou grands, détachés du glacier en retrait, tout proche, au nord, ont pu suivre le courant, fondre en relâchant les blocs de pierre qu'ils contenaient, et les semer chemin faisant vers le sud, vers la mer de Champlain. C'est l'histoire du Petit Poucet, version du Quaternaire. Notez, à ma connaissance, on attend toujours l'iceberg qui reviendrait au bercail grâce à ces indices...

Je n'assure rien quant à cette explication (celle des dropstones, pas celle du Petit Poucet !) – qui me paraît quand même la seule plausible.


Fig. 2a. Vue rapprochée. Les couches de sables riches en galets, au sommet, ont coiffé les plus anciennes. Les variations dans les angles et la granulométrie des strates témoignent des changements de la force et de la direction des marées et des courants.


Fig. 2b. Un-deux-trois : les trois systèmes de strates se suivent dans cet ordre. Les strates 1 et 2 s'inclinent vers le sud, vers le spectateur. La couche 3 semble mieux d'aplomb, bien à l'horizontale.


Fig. 3. Même endroit que la fig. 3, autre angle.


Fig. 4. Au sommet, le till ou le diamicton, ici un peu dérangé, est chargé de blocs d'une trentaine de cm de diamètre.


Fig. 5. Au tiers supérieur de la pente, une couche riche en blocs de bonnes dimensions (jusqu'à un m et plus) : des dropstones ? Les blocs anguleux, en bas à gauche, proviennent d'ailleurs et n'ont aucun rapport avec les sédiments du delta.


Références

  • Serge Occhietti et Pierre J.H. Richard, «Effet réservoir sur les âges 14 C de la Mer de Champlain à la transition Pléistocène-Holocène : révision de la chronologie de la déglaciation au Québec méridional», Géographie physique et Quaternaire, vol. 57, n° 2-3, 2003, p. 115-138. http://id.erudit.org/iderudit/011308ar  DOI: 10.7202/011308ar
  • St-Onge, D A; Surficial geology, lower Ottawa Valley, Ontario-Quebec / Géologie des formations en surface, basse vallée de l'Outaouais, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, Carte série "A" 2140A, 2009; 1 feuille, doi:10.4095/247486
  • Richard, S H; Surficial Geology, Lachute-Arundel, Québec-Ontario / Géologie des formations en surface, Lachute-Arundel, Québec-Ontario. Commission géologique du Canada, Carte série "A" 1577A, 1984; 1 feuille, doi:10.4095/120010 
  • Richard, S H; Géologie des formations en surface, Buckingham, Québec-Ontario / Surficial geology, Buckingham, Québec-Ontario. Commission géologique du Canada, Carte série "A" 1670A, 1991; 1 feuille, doi:10.4095/183823

vendredi 24 avril 2015

Lave ? du chemin Avoca


J'ai intégré à la suite de ce billet le contenu de celui du 25 avril sur le même sujet. J'ai aussi ajouté du nouveau matériel (26 avril et 24 mai). L'ensemble du texte a été revu et resserré le 11 février 2017. Pour les lecteurs pressés, ce résumé :

  • Marbre blanc recoupé par plusieurs dykes sombres (mélanocrates). Tous sont discordants dans le marbre :
  • Un dyke horizontal rompu (dyke H), fait d'une roche noire grenue massive ;
  • Deux dykes parallèles obliques d'un gabbro grenu (dykes G) ;
  • Deux dykes verticaux d'une roche à grain très fin (aphanatique) à phénocristaux (cristaux apparents) de feldspath (dykes Va et Vb).
  • Le fluage du marbre, qui a rompu le dyke H, n'a pas affecté les autres qui sont donc post-tectoniques.
Lire le commentaire de JLC et ma réponse pour voir d'autres aspects de la question.


Fig. 1. - Falaise de marbre blanc traversée par deux dykes sombres ; l'un, mince et vertical (dyke Va), l'autre, plus large et à l'horizontale (dyke H). (Le mince «dyke» vertical, à droite, est une coulisse laissée par l'eau.) Autoroute 50 (bretelle accès ouest par le chemin Avoca), entre Gatineau et Montréal, QC. Photo 12 avril 2015.


Résumé

Dykes mélanocrates (sombres) dans un marbre de Grenville âgé de plus d'un milliard d'années.

Localisation

Autoroute 50 et chemin Avoca, bretelle d'accès vers l'ouest.
31G/10
45.651050, -74.752419


Les affleurements de marbre du sud-ouest du Québec (marbre de Grenville) apparaissent habituellement lardés de bancs de roches diverses et sont traversés d'intrusions magmatiques de toutes sortes. Les deux dykes sombres (mélanocrates) dans la falaise de marbre blanc de la photo n'ont donc rien pour surprendre à première vue (Fig. 1-2 et 4). Ajoutons cependant que le marbre, roche ductile, a flué, ou s'est déformé de façon plastique sous les pressions tectoniques lors de sa formation. Nombre de ses inclusions, plus dures, mais aussi plus cassantes, se sont souvent retrouvées dispersées dans la masse du marbre.

Ainsi, le plus large des deux dykes, disposé à l'horizontale (dyke H) au sommet de la falaise, a été rompu, ainsi que l'indique la coupure à 90 degrés à son extrémité gauche. Il a été entraîné par le mouvement de fluage du marbre responsable de sa rupture loin des autres fragments du corps d'origine. Sa disposition actuelle ne permet donc pas de présumer de son orientation originelle (oblique, horizontale ou verticale ?).

Tout à côté, un mince dyke vertical traverse la falaise de haut en bas (dyke Va).

Or, il est difficile d'admettre que fluage de la masse rocheuse, capable de rompre le dyke H, le plus costaud, ait épargné le frêle Va, lequel serait demeuré tout droit, tout d'une pièce, indifférent au bouleversement général.

On pourrait arguer qu'un bon intervalle de temps a séparé l'intrusion de chacun des dykes ; le dyke H, pour parler en termes idoines, serait pré-tectonique (et pré-fluage) ; le dyke Va, post-tectonique (post-fluage).

Les deux intrusions sont pourtant d'aspect similaire, du moins à première vue : noires, contacts francs et rectilignes avec le marbre.

Voyons de plus près.

Le dyke Va (Fig. 3) est formée d'une roche gris sombre à grain très fin, de l'ordre du dixième de mm (roche aphanatique), ce qui n'aide pas à en déterminer la minéralogie. Cependant, de fines aiguilles de feldspath clair (< 0,1 mm x < 30 mm) apparaissent dispersées dans la matrice sombre. On dit d'une roche présentant cet aspect qu'elle a une texture porphyrique. Les minces baguettes des phénocristaux soulignent l'évidence, à savoir que la roche n'a subie aucune contrainte tectonique après son refroidissement. Auquel cas, la déformation ou la recristallisation de sa matière aurait entraîné la disparition des baguettes. On peut aussi distinguer de très fins phénocristaux noirs que je n'ai pu identifier (< 30 mm), ainsi que des feldspaths chatoyants (tabulaires?).

(Le dyke Va a un grand frère situé une soixantaine de m plus à l'E (dyke Vb ; Fig. 6). Je ne l'ai découvert que lors de ma seconde visite du secteur. Il est constitué de la même roche aphanatique à phénocristaux de feldspath que le dyke Va).

On peut ramasser au pied de la falaise des morceaux du dyke H tombés au sol. Il s'agit encore d'une roche grenue, massive d'aspect, à grain de 1-2 mm. Elle est presque entièrement constituée d'un minéral noir (pyroxène ?) et elle se brise facilement en s'émiettant.


Dykes de gabbro grenu

Une tranchée de route, immédiatement au nord de la falaise, m'a permis de découvrir deux dykes rectilignes parallèles qui recoupent obliquement le marbre (Fig. 7). Les bordures de ces dykes sont rectilignes, à bords francs. Contrairement aux dykes Va et Vb, ils sont faits d'une roche grenue (grain env. 1 mm) ; il s'agirait d'un gabbro (dykes G). Les échantillons que j'en ai ramenés sont d'aspect massif. La roche contient des agrégats irréguliers de grenat orangé vif (Fig. 8). Notons que le gabbro est abondant dans le secteur et que sa présence dans la falaise n'étonne pas. (Un dyke de gabbro mal défini se trouve presque en face des dykes G dans la tranchée de route. Le temps m'a manqué pour bien l'examiner.)

Il y a donc trois types de dykes noirs. Replaçons-les dans l'histoire tectonique du marbre :
  • Un dyke horizontal fait d'une roche noire grenue massive (dyke H) ; rompu par le fluage du marbre ;
  • Deux dykes parallèles obliques d'un gabbro grenu (dykes G) ;
  • Deux dykes verticaux d'une roche à grain très fin (aphanatique) à phénocristaux (cristaux apparents) de feldspath (dykes Va et Vb).

Conclusion : le dyke H, rectiligne, est pré-tectonique : le fluage du marbre (épisode tectonique) l'a rompu et déplacé. Les autres dykes, intacts, sont donc post-tectoniques.


Ce que disent les cartes géologiques

Philpotts (1976) signale de minces dykes de lamprophyre qui recoupent un marbre et une pegmatite près du pluton de syénite de Chatham-Grenville, à l'est du dyke du chemin Avoca. Si le pluton a été daté de 530 millions d'années, l'âge de ces dykes est incertain, et rien n'indique un lien entre eux et le pluton. Le lamprophyre forme de minces dykes (60 cm x plusieurs centaines de m). Il s'agit d'une roche grise à patine brun grisâtre, à grain fin et porphyrique. Les phénocristaux de hornblende et de biotite sont sertis dans une matrice de plagioclase, de magnétite, de hornblende et de biotite. Quelques dykes contiennent de gros phénocristaux de plagioclase (felspath) altéré. (= dykes Va et Vb ?)

Dupuy (1989) mentionne que les dykes de diabase du faisceau de Grenville (590 millions d'années) de la région de Papineauville (à l'ouest du chemin Avoca), habituellement à grain moyen ou grossier, peuvent, quand ils sont minces (moins d'un m), être à granulométrie très fine et même aphanatique. Mais les dykes de diabase sont de direction est-ouest alors que le dyke Va est de direction ±NW.

Dans le Grenville du SW du Québec et l'E de l'Ontario, les suites plutoniques de Chevreuil (1,17-1,16 Ga) et de Kensington-Skootamatta (1,09-1,07 Ga) sont accompagnées de dykes de microdiorite et de lamprophyre (et de carbonatite pour la seconde suite). Les dykes de microdiorite de la suite de Chevreuil présentent des phénocristaux de plagioclase (Corriveau ; fig. 33a et suivantes). (= dykes Va et Vb ?)

On sait qu'il existe des laves à Gatineau, dans le secteur Buckingham* (kersantite de Wilson, trachyte-latite et kérantite de la suite de Robitaille, décrite par Hogarth qui l'a datée de 1060 milliard d'années). Selon Dupuy (1989), on trouve des petits corps de latite à l'ouest de Saint-André-Avellin, entre Gatineau et notre affleurement de la 50. Il s'agit d'une roche microgrenue porphyrique. Certaines laves de Buckingham ressemblent aussi, par leurs aiguilles de feldspath éparses, à la roche du chemin Avoca (Fig. 5).

* J'en ai vaguement parlé dans un vieux billet (11 février 2010, «Pas de «A» pour la 1508A»).


Conclusion

Les dykes Va-b seraient soit des lamprophyres (Philpotts, 1976 ; Corriveau, 2013), des latites (Wilson, 1920 ; Dupuy, 1989, Hogarth, 2003, Hogarth et Robin, 2007), soit des microdiorites (Corriveau, 2013). Trancher la question dépasse mes compétences.

La gabbro, abondant dans la région, ne présente aucun mystère. Le dyke H, s'il est effectivement composé d'un pyroxène(?), serait un dyke résultat du métasomatisme d'une intrusion silicieuse dans la marbre(?). C'est ici que mes talents de minéralogiste, hélas très limités, montrent leurs limites.

Mais enfin, l'important est d'être capable de tirer des heures de plaisir rien qu'avec un bout de falaise...


Fig. 2. - Vue rapprochée des dykes Va et H. Photo 19 avril 2015.


Fig. 3. - Le dyke Va, large d'un peu moins d'un mètre. Le contact avec le marbre blanc est franc et rectiligne. Photo 19 avril 2015.


Fig. 4. - Ils ne se rejoignent pas, ne se recoupent pas non plus... Photo 19 avril 2015.



Fig. 5. - Photo Lafleur et Hogarth (1981).
Mon matériel ne me permet par de fournir de vues détaillées de l'échantillon des dykes Va et Vb. Cette reproduction d'une microphotographie d'une lave (trachyandésite) de Gatineau, secteur Buckingham (Lafleur et Hogarth, 1981) donne un bonne idée de ce que je peux voir avec mon microscope 60x.
La légende originale de la photo se lit comme suit : «Euhedral and skeletal oligoclase laths in trachytic alignment in microporphyritic trachyandesite.» On pourrait en extraire l'information utile à notre propos sans trahir les auteurs en disant les choses ainsi : «Bâtonnets bien formés ou résiduels de feldspath dans une lave (trachyandésite) microporphyrique.» «Les épanchements des trachyandésites sont de type subaérien et proviennent d'orifices en échelon ou de fissures. » (Lafleur et Hogarth, 1981.) La trachyandésite de Lafleur et Hogarth (1981) correspond à la kersantite aphanatique de Wilson (1920). La roche a été datée du Cambro-Protérozoïque (540 millions d'années) par Lafleur et Hogarth avant d'être assignée par Hogarth (2003) à la suite volcanique et plutonique de Robitaille, datée de 1060 millions d'années.



Fig. 6. - Second dyke vertical (Vb) composé de la même roche aphanatique que le dyke Va. Ses bords sont francs et irréguliers ; une enclave oblique de marbre blanc, non déformée, est visible en bas. Photo 24 mai 2015.



Fig. 7. - Dykes parallèles de gabbro (dykes G) dans le marbre, au nord de la falaise. Photo 24 mai 2015. Le marbre, à droite, est chargé d'un minéral rosâtre translucide. De la vésuvianite ? Mais du diopside de cette couleur existe aussi dans la région. Ajout 26 oct. 2017. - Il s'agit bien de diopside. Voir cet article de Philippe Belley dans Mindat (Roadcut B).



Fig. 8. - En haut, à gauche, fragment grenu du dyke H ; à droite, fragment du dyke Vb ; en bas, fragment du dyke G, semé de grenats. La pièce d'un dollar canadien vaut 0,80 dollar américain ou 0,74 euro et mesure 26,5 mm de diamètre. (Ajout 28 mai 2015.)


Références

  • Louise Corriveau, Architecture de la ceinture métasédimentaire centrale au Québec, Province de Grenville : un exemple de l'analyse de terrains de métamorphisme élevé. Commission géologique du Canada, Bulletin no 586, 2013; 264 pages, doi:10.4095/226449
  • Dupuy H., Sharma K.N.M. et al., Carte de la région de Thurso-Papineauville. MÉRQ, MB 89 08, 1989, 1/20 000.
  • Hogarth, D.D., Rocks Of The Mason - Buckingham - Mayo Area, With Emphasis On Mesoproterozoic Igneous Types. Ministère des Ressources naturelles et de la faune du Québec, GM 63238, 27 pages, 1 carte (1/20 000), 2003. 31G11.
  • Donald D. Hogarth ; Michel J.L. Robin, «Strontium In Feldspars Of High-K Proterozoic Igneous Rocks Of The Robitaille Suite, Buckingham, Québec», The Canadian Mineralogist, oct. 2007, v. 45, no 5, p. 1293-1306.
  • Jean Lafleur, Donald D. Hogarth, «Cambro-Proterozoic volcanism near Buckingham, Quebec», Revue canadienne des sciences de la Terre, 1981, 18(12): 1817-1823, 10.1139/e81-169. Disponible gratuitement en ligne : http://www.nrcresearchpress.com/doi/abs/10.1139/e81-169#.VTtnAfDQTdo
  • A.R. Philpotts, Partie sud-est du canton de Grenville, ministère des Richesses naturelles, Québec, RG-156, 1976, 44 pages, avec une carte (1/12 000).
  • Wilson, M. E., Geology of Buckingham, Hull and Labelle Counties, Quebec, GSC, map 1691, 1920, 1/63 360.

samedi 1 février 2014

Géologie-fiction : les deux bras de l’Outaouais ou Ottawa, PQ


Version retouchée le 8 févr. 2014.


Fig. 1. Paléochenaux de l'Outaouais (ou du proto-Outaouais) à l'est d'Ottawa,
il y a plus de 5000 ans (Aylsworth et al. ; 2000). Voir la fig. 2 pour la partie à l'ouest de la carte.
Ottawa Channel : «bras Nord» de l'Outaouais dans le texte ; chenal de l'actuelle rivière ; Ottawa River : Outaouais ; Mer Bleue Channel : «bras Sud» dans le texte ; chenal abandonné par la rivière ; Mer Bleue Bog et Alfred Bog : tourbières de la Mer Bleue et d'Alfred ; Hammond, Bourget et Plantagenet Channels : chenaux secondaires abandonnés ; Gris clair + pointillé : zones perturbées (argile «remuée» par des séismes préhistoriques)* ; Gris moyen : glissements de terrains préhistoriques (séismes)* ; Gris foncé (ou noir) : socle rocheux ; Lemieux Landslide 1993 : glissement de terrain de Lemieux, 1993.
* Voir billets des 18 et 19 sept. 2013, «Séismes et argile en Outaouais».


Résumé

Essai de géopolitique fiction : on tente de redessiner la frontière Québec-Ontario et de rapatrier Ottawa au Québec. Suite (ou séquelle, dans le plein sens du terme) du billet du 15 janv. 2014, «Géologie-fiction».
Voir, à propos des chenaux pré-glaciaires de l’Outaouais, le billet du 24 janv. 2014, «Paysages pré-glaciations : annonce d'un ajout». Voir aussi le billet du 4 mai 2013, «Gatineau-Ottawa : courbe immotivée ?», si les questions de frontières vous passionnent.
Ajout (11 mars 2014). Il y a maintenant la  «Suite de la tourbière Mer Bleue».



1. Dur de faire son lit
Je ne vais pas vous resservir une nouvelle mouture de l'histoire des Grandes Glaciations. Les glaces sont venues, les glaces sont reparties, puis elles sont revenues, et ainsi de suite. Au moins quatre grands coups de froid se sont succédés durant le Quaternaire (1).

1. Quaternaire : 2,6 millions d'années – aujourd'hui.

Le rappel minimal nécessaire à la compréhension du billet se résumerait à ceci (si ces histoires de glaces sont du réchauffé pour vous, passez directement à la section 2) :

Le dernier départ des glaces dans la région de Gatineau s'est produit il y a 12 000 ans ; la mer de Champlain a occupé aussitôt, durant deux millénaires, un bassin déprimé par le poids des glaces. Ce n'est qu'ensuite, une fois l'eau salée refoulée par le relèvement du socle, que l'épaisse couche d'argile qui s'était accumulée au fond de la mer s'est révélé. En fait, elle s'est surtout révélée un obstacle pour le proto-Outaouais qui s'est trouvés dans l'obligation de se creuser un lit dans un matelas de glaise compacte. Le déblaiement a été assez efficace pour que la rivière atteigne par endroits le till glaciaire sous-jacent à l’argile, ou bondisse sur le socle rocheux dénudé.

Dur travail que de faire son lit ! Mais il faut savoir que la rivière d'il y a 10 000 ans était beaucoup plus impétueuse que l'actuel cours d'eau. Son pouvoir érosif en était augmenté d’autant. Les eaux des Grands Lacs, grossies par celles du lac glaciaire Agassiz (Manitoba et Ontario), se dévidaient dans la rivière des Outaouais par le chenal du lac Nipissing tandis que celles du lac Barlow-Ojibway (nord de l’Ontario et du Québec) s'écoulaient directement dans la rivière. Le débit atteint était celui d'un grand fleuve : des pointes 200 fois supérieures à celui de l’Outaouais actuel, ou vingt fois celui du Saint-Laurent en aval de Montréal (2) !

2. Selon Gilbert (1994, p. 7 de la version française).

L'Outaouais aurait vraiment mérité à cette époque son nom de Grande Rivière (3). Il drainait une bonne partie du continent au sud des glaces en retrait.

3. Nom algonquin de la rivière : Kitchesippi, qui signifie Grande Rivière.

Le lit actuel, on le comprend, n’aurait pas suffi à contenir la rivière qui le débordait largement. Les territoires des futures villes de Gatineau et d'Ottawa étaient pratiquement noyés sous les flots du proto-Outaouais.


2. Autoroute du proto-Outaouais

À l'ouest, en amont d'Ottawa, le proto-Outaouais disposait potentiellement d'une autoroute à quatre voies taillées dans le roc pour «arriver en ville» (future ville, bien sûr). Du nord au sud (voir carte 2), c'était : le chenal au pied de l'escarpement d'Eardley (EE (4)), celui du lac Deschênes (LD), du lac Constance (LC) et, enfin, celui de la rivière Carp (RC). Les chenaux EE et RC, boudés par le proto-Outaouais, étaient et sont encore enfouis sous le manteau d'argile de la mer de Champlain (5). Notre grand route se réduisait donc en fait à ses deux voies centrales : le chenal du LD, conservé par l'Outaouais actuel, et le LC, que le proto a délaissé lorsque son débit s'est amenuisé. On voit que le socle rocheux exerçait une influence certaine sur l'orientation (sud-est) de la rivière en amont d'Ottawa, orientation qu'elle a conservée jusqu'à nos jours (6).

4. Billet du 19 sept. 2013 sur les glissements de terrains de Breckenridge et de Quyon.
5. Quelques valeurs relatives à des vallées enfouies sous la plaine marine : à Kinburn (RC) : 120 m de sédiments, principalement de l'argile ; à Breckenridge (EE), la profondeur de la couche d'argile atteint 90 m.
6. Ces vallées rocheuses, orientées sud-est, ont une longue histoire et remontent aux époques d'avant les glaciations. Jusqu'à quel point les passages des glaces les ont-elles retouchées : mystère, les données à ce sujet sont rares et d'usage délicat.Voir «Ajout (25 janv. 2016)», à la fin du billet.


3. Travail de bras

À l'est d'Ottawa, dans la plaine d'argile toute grande offerte ouverte, le proto s'est divisé en deux bras. Le bras Nord, qui longe le Bouclier canadien au Québec, est l'ancêtre direct du cours d'eau actuel ; le bras Sud, en Ontario, s'écoulait vers l'est pour rejoindre la branche Nord à la hauteur d’Hawkesbury (7).

7. Des bras secondaires joignaient les deux branches principales, découpant, à l'est d'Ottawa, la couche d'argile marine en plateaux isolés (voir fig. 1). Hawkesbury, ville immortalisée par Jean Leloup dans sa chanson I Lost My Baby.

Quand il y a trop d'eau pour une rivière, on en fait deux !

Le relèvement du continent et le drainage des lacs glaciaires ont peu à peu rapproché le réseau hydrographique des conditions que nous connaissons aujourd'hui. L’Outaouais, il y a 4700 ans, considérablement assagi, s'est vu confiné à son lit et à son bassin actuels. Les tourbières de la Mer Bleue (à l'est d'Ottawa ; fig. 1 et 2) et celle d'Alfred (au SW d'Hawkesbury ; fig. 1), sont les vestiges humides du bras Sud de l'Outaouais (8).

8. On peut suivre les étapes du rétrécissement de la rivière jusqu’à ses proportions actuelles par la succession de terrasses sinueuses découpées dans l’argile marine le long des rives actuelles ou des chenaux abandonnés.


4. Ottawa, PQ (9)

9. J'emprunte ce titre au roman de Jean Taillefer, Ottawa, P.Q. (Éditions du Vermillon, 2000).

On peut se demander ce qui se serait passé si les choses avaient suivi un autre cours, je veux dire si la rivière avait conservé son bras Sud au lieu du Nord, en maintenant, par exemple, le couloir du lac Constance, au lieu de celui du lac Deschênes ?

Avertissement. – À partir d'ici, la spéculation et les «si...» l'emportent sur les faits avérés.

L'examen de la fig. 2 permet de rêver à un Outaouais (la région) différent. Si l'Outaouais (la rivière) avait adopté le bras Sud pour lit définitif, tout le nord de l’actuelle ville d'Ottawa, ainsi que Rockland, Lefaivre, L’Orignal, Hawkesbury, etc, pour ne m’en tenir qu’à ces villes, serait sur la rive gauche (sud nord) de la rivière : au Québec, donc. Imaginez : la Colline du Parlement à Gatineau !

Autre conséquence, plus anodine, le canal Rideau aurait été plus court (il aurait joint la rivière à la hauteur de l’aéroport d’Ottawa) et la plus longue patinoire au monde n'existerait pas. Il serait intéressant d'établir où la Gatineau – et la Blanche et la Rouge et la Petite Nation Sud – aurait joint l'Outaouais.

L'ample Outaouais de jadis disposait d'une non moins ample marge de manœuvres pour établir son lit définitif. Est-ce que le choix du lit actuel était inévitable ?

Est-ce que le maintient du chenal du lac Constance, dont l'embouchure était situé à la même latitude que le bras Sud, aurait pu contraindre ou inciter la rivière à conserver ce dernier ? La courbe à long rayon qui aurait relié le chenal du lac Constance au bras Sud aurait été moins forcée que le coude que fait l'Outaouais aux rapides Deschênes. Mais un rehaut du socle rocheux, dégagé de son manteau d'argile par le proto-Outaouais, a obstrué le chenal à partir du moment où il a émergé des eaux qui s'abaissaient. Obstacle incontournable ?

Autre hypothèse, plus hardie ; si le proto-Outaouais avait excavé le chenal de la rivière Carp, actif, parait-il, avant les glaciations (10), aurait-il été plus aisé de maintenir le bras Sud de la rivière ?

Constance ou Carp, plus la trajectoire de la rivière s’établissait au sud en amont d’Ottawa, plus les chances étaient fortes pour que le bras Sud soit conservé en aval.

Très hypothétiques spéculations, me direz-vous. Mais est-ce qu'à partir du fond plat de la mer de Champlain, il aurait été possible de creuser des chenaux dans la glaise pour que l'un d'eux atteigne l'ancienne vallée pré-glaciaire de la rivière Carp ? Le parcours de l'Outaouais pré-glaciaire à l'est d'Ottawa, à partir de la vallée de la rivière Carp, ressemble à s'y méprendre à celui du bras Sud post-glaciaire (11)...

10 et 11. voir le billet du billet du 24 janv. 2014 et la carte des chenaux pré-glaciaires de l'Outaouais. Voir aussi l'«Ajout», en fin de billet.


5. Gracieuse courbe

Si les choses s’étaient déroulées selon l'un ou l'autre des scénarios que j'imagine, la rivière, au lieu du grand V (dont la pointe est aux rapides Deschênes) que l’oblige à tracer le contournement des rives rocheuses de l'ouest de Gatineau (anciennes villes d'Aylmer et de Hull), aurait suivi une gracieuse courbe à grand rayon, depuis l'ouest d'Ottawa jusqu’à Hawkesbury, s’épargnant ainsi, en plus, la contrainte de l'étroit goulot des Chaudières, à Hull.

«[I]l semble acquis [que le tracé préglaciaire de la rivière] a été repéré au Sud de la ville d'Ottawa, à partir de l'extrémité aval du lac des Chênes. On nous décrit en effet à plusieurs milles de la capitale un lit préglaciaire où l'on constate ''par de forages de puits la présence d'une large vallée profondément comblée de drift''* ; notre impression est que si on pouvait la suivre de bout en bout, on la verrait aboutir à l'Ottawa [à l'Outaouais] à l'amont de Masson, ce qui éliminerait le coude de Hull et les chutes des Chaudières.» (Blanchard, p. 165 ; * cités par Blanchard : Goldthwait, Keele et Johnston ; Johnston.)

Il reste, au sud d’Ottawa, de larges étendues d'argile que la rivière aurait pu excaver (12). Le roc est à nu à quelques endroits, mais le trajet actuel de la rivière des rapides Deschênes à la Colline du Parlement se fait presque exclusivement sur le socle calcaire. Les éperons rocheux ça et là auraient apporté de l’imprévu au trajet de la rivière, dans l’obligation où elle aurait été de les contourner – à moins qu’elle ait préféré les encercler et en faire des îles.

12. Au Musée canadien de la Nature, la couche d'argile atteint 50 m. À Orléans (plus au nord, il est vrai), 70 m.

Enfin, on peut se demander si le moyen le plus simple d’infléchir la rivière vers le sud n’aurait pas été de la laisser emprunter le chenal du lac Deschênes, mais de lui conserver sa trajectoire vers le sud-est à l’embouchure de ce dernier, lui évitant de bifurquer vers le nord-est au goulot des rapides Deschênes (13).

13. En fait, la topographie n'autorise pas ce scénario que je ne mentionne que pour l'écarter (la hauteur des berges rocheuses à Ottawa s'y oppose). Notons que le fond du lac Deschênes est recouvert d'une généreuse couche d'argile (qui atteint plus de 50 m), ce qui indique que le socle rocheux n'a pas été rejoint. Le lac Constance, lui, repose directement sur le roc ; le chenal ne pouvait donc plus être approfondi. On pourra rétorquer, comme il est fait plus haut, que le lac Deschênes est fermé par le seuil rocheux des rapides Deschênes et, qu’en aval de ces rapides, la rivière, bifurquant vers le nord-est, ne s’empêche pas de couler sur le socle rocheux jusqu’à l'embouchure de la Gatineau.

Il faudrait aussi tenir compte du rebond isostatique, plus accentué sur le Bouclier canadien que dans la plaine au sud (Lajoie, 2009). La rivière a creusé son lit (ses lits ?) dans un plan horizontal qui se relevait au nord.


6. La rivière joue des coudes

Je ne prétends pas que mon scénario et ses variantes soient exempts de failles ou de faiblesses. Il faudrait examiner les cartes avec soin avant de se prononcer. Mais ça m’amuse de pouvoir imaginer, ne serait-ce qu'une minute, la Colline du Parlement isolée à l’intérieur des terres, au Québec, à plusieurs km au nord de la rivière. (Mais ça ne serait plus la Colline du Parlement...)

Cet exercice de géologie-fiction n’aura pas été vain s’il permet de se rendre compte à quel point, le cours de l'Outaouais, qui bifurque par de brusques coudes, aurait très bien pu suivre d'autres méandres. (Les coudes, anguleux, sont contraints par le socle rocheux ; les méandres, eux, auraient résulté d'un libre jeu de la rivière dans la plaine d'argile marine.)

Il aurait peut-être suffit d'un petit changement à telle époque et à tel endroit, pour qu'ensuite, par une cascade de conséquences, tout soit changé...



Fig. 2. chenaux du proto-Outaouais
Détail de la carte 1425A de Richard et al (1978) : Dépôts meubles et formes du relief d'Ottawa-Hull.
Légende simplifiée
Gris : tourbières ; vert-gris : chenaux du proto-Outaouais ; jaune vif : sable sub-littoral de la mer de Champlain ; bleu : argile de la mer de Champlain (découpée par le «vert-gris») ; olive : till glaciaire; rose : socle rocheux. La rivière des Outaouais traverse la carte d'ouest en est ; au nord de la rivière, Gatineau (Québec) ; au sud, Ottawa (Ontario).
À l'ouest, l'orientation des vallées rocheuses (rose) a canalisé les eaux du proto-Outaouais vers le sud-est. Les chenaux de l'escarpement d'Eardley (EE) et de la rivière Carp (RC) n'ont pas été exploités par le proto-Outaouais et sont demeurés jusqu'à ce jour enfouie sous le manteau d'argile de la mer de Champlain. Le chenal du lac Deschênes (LD), emprunté par le proto-Outaouais, a été conservée par la rivière actuelle ; la vallée du lac Constance (LC), elle, a été abandonnée (le LC, sur fond rocheux, est un vestige du proto-Outaouais). Le maintien du LD peut expliquer en partie celui du bras Nord (BN) de l'Outaouais au détriment du bras Sud (BS), dont la tourbière Mer Bleue (MB) est un vestige. Pourtant, si le BS avait été conservé, la rivière se serait économisé le coude des rapides Deschênes (RD), où un seuil rocheux ferme le LD – sans parler du goulot des Chaudières (C), plus loin en aval. Le BS maintenu au détriment du BN, une partie de la Ville d'Ottawa, dont la Colline du Parlement (P) et de l'Est ontarien serait au Québec... L'exploitation du chenal RC, s'il avait été entrepris, aurait amené la rivière à suivre beaucoup au sud que l'actuel et son trajet aurait été semblable à celui de la rivière d'avant les glaciations (cf. billet du 24 janv. 2014, lien plus haut.). A, H et G : anciennes villes d'Aylmer, Hull et Gatineau, maintenant Gatineau ; O : Ottawa.


Références

  • Cummings, D. I. and Russell, H. A. J., 2007 — The Vars–Winchester esker aquifer, South Nation River watershed, Ontario, CANQUA Fieldtrip Guidebook, June 6th,  2007; Geological Survey of Canada, Open File 5624, 68 p, With contributions from Sam Alpay, Anne-Marie Chapman, Coralie Charland, George Gorrell, Marc J. Hinton, Tessa Di Iorio, André Pugin, Susan Pullan, and David R. Sharpe.
  • J.M. Aylsworth, D.E. Lawrence and J. Guertin, 2000 – «Did two massive earthquakes in the Holocene induce widespread landsliding and near-surface deformation in part of the Ottawa Valley, Canada?» Geology, vol. 28, p. 903-906.doi:10.1130/0091-7613(2000)28
  • Raoul Blanchard, «Études canadiennes (Troisième série). III. ― Les pays de l'Ottawa.» Revue de géographie alpine, 1949, vol. 37, no 2, p. 135-272. doi: 10.3406/rga.1949.5460
    http://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1949_num_37_2_5460 
  • Gilbert, Robert (compil.), 1994 – Guide d'excursions dans le paysage glaciaire et postglaciaire du sud-est de l'Ontario et d'une partie du Québec, Commission géologique du Canada, Bulletin 453, 1994; 86 pages.
  • Paul-Gérard Lajoie, Glacio-isostasie et évolution de l'argile marine (Champlain) et des matériaux parentaux des sols sur le Bouclier laurentidien et sur les terrasses anciennes et actuelles de la rivière des Outaouais et du fleuve Saint-Laurent. 2009 (doc. auto-édité, disponible dans Internet.) 
  • J.W. Goldthwait, J. Keele and W.A. Johnston, «Excursion A10. Pleistocene : Montreal, Covey Hill and Ottawa», in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa (excursions A6, A7, A8, A10, A11), Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps). 
  • W.A. Johnston, Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 pages, 1917, avec carte 1662 (1/63 360).
  • Richard, S H; Gadd, N R; Vincent, J -S; 1978 – Surficial Materials and Terrain Features of Ottawa-Hull, Ontario-Québec / Dépôts meubles et formes du relief d'Ottawa-Hull, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, carte série «A», 1425A, 1 feuille, 1/125 000.

Ajout (25 janv. 2016)

Ce billet a été fortement inspiré par un article sur les chenaux prés-glaciaires de l'Outaouais publié par Ells en 1901. (J'espère n'avoir pas trop extrapolé sa pensée !)

Vous me direz que 1901, ce n'est pas hier. Sans doute, mais les recherches sur les lits préglaciaires de la rivière n'ont pas progressé depuis cette date. La plupart des textes publiés sur le sujet depuis se contentent de reprendre les données d'Ells. Donc, 1901, c'est encore up to date !

L'article d'Ells contient une carte des chenaux pré-glaciaires de l'Outaouais. L'un de ces chenaux, passant au sud d'Ottawa (voir billet du 24 janv. 2014), rejoint le lit actuel de la rivière à la hauteur de L'Orignal. Pendant un temps, j'ai cru qu'Ells avait confondu ce que j'ai appelé le bras Sud (BS) de l'Outaouais (post-glaciaire, dans l'argile) avec un ancien chenal (pré-glaciaire, dans le roc). Ceci d'autant plus qu'il notait que cet ancien chenal passait par la tourbière Mer Bleue (MB), comme le bras Sud.

Or, à la relecture, il m'apparaît que j'avais mal interprété les choses. Ells parle bien d'une vallée rocheuse enfouie sous l'argile de la mer de Champlain, vallée révélée par les rapports des puisatiers. L'épaisseur de la couche d'argile qui remplit la vallée atteint 60 m dans le canton de Plantagenet. Il s'agirait bien d'un chenal pré-glaciaire, dans le roc.

Ells souligne qu'il y continuité de part et d'autre d'Ottawa entre la vallée de la rivière Carp (RC dans mon texte) à l'ouest - autre ancien chenal pré-glaciaire identifié par Ells - et la vallée qui aboutit à L'Orignal, à l'est, et dont le trajet se confond avec le bras Sud. (La continuité que j'avais supposée entre le RC et le bras Sud n'était pas une idée en l'air mais m'avait été inspirée par Ells.)

Tout ceci signifie qu'à au moins deux occasions l'Outaouais, empruntant le chenal de la rivière Carp, a poursuivi son cours directement vers l'est, au sud de son lit actuel, dessinant une «gracieuse courbe à grand rayon» qui lui évite l'anguleux détour par les rapides Deschênes. On peut donc considérer les RC et BS comme une tentative de la rivière de retrouver son ancien lit à travers la couche d'argile.

Si on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, les rivières, elles, peuvent passer deux fois entre les mêmes rives.


Source. – R. W. Ells, «Ancient Channels of the Ottawa River», The Ottawa Naturalist, vol. XV, no 1, avril 1901, p. 17-30, avec une carte. Disponible dans Internet


Fig. 1 C. Détails de Ells (1901).
Légende
_ _ _ _ _ : ancien chenal (pré-glaciaire) de l'Outaouais ;
_ ._ ._ ._ : ligne de partage des eaux (Height of Land) ;
Hull : aujourd'hui Gatineau.
Le chenal (pré-glaciaire) qui passe au sud d'Ottawa pour se rendre jusqu'à L'Orignal correspond à la jonction du chenal de la rivière Carp (RC dans mon texte) et du Bras Sud (BS dans mon texte)  par lesquels l'Outaouais aurait pu, après la glaciation, retrouver son chenal pré-glaciaire, à présent enfoui sous l'argile marine. Le petit chenal à l'ouest d'Ottawa correspond à mon LC (chenal du lac de Constance).







mercredi 18 septembre 2013

Séismes et argile en Outaouais


Carte tirée de Ressources naturelles Canada. J'y ai ajouté la position de Quyon.


Un bon article sur un puissant séisme qui aurait causé des glissements de terrain considérables dans l’argile de la mer de Champlain (argile à Leda, argile sensible) il y a 1000 ans est paru aujourd'hui dans l’Ottawa Citizen :

«Ancient landslides offer clues powerful earthquake that rattled Ottawa», par Tom Spears, Ottawa Citizen, 17 sept. 2013, p. C2.

Évidemment, l’article soulève la question de la répétition dans le futur de pareils tremblements de terre :

«New evidence shows that an earthquake 1,000 years ago shook the Ottawa Valley with at least 10 times more strength than the quake we had in 2010*. Very close to 1000 AD, an earthquake estimated at a magnitude of 6.1 – or possibly stronger – shook this region enough to cause 10 major landslides. One of them, at Quyon, covered an area of 31 square kilometres stretching back from the Ottawa River along the Quyon River valley. And scientist Gregory Brooks, who studied the slides, says the same seismic conditions are present today.» (T. Spears)


* Séisme de Val-des-Bois, 23 juin 2010 ; voir ce billet. Voir également ce billet sur le séisme de Shawville, le 17 mai 2013.

Le village de Quyon, au Québec, est situé environ à 40 km à l’ouest de Gatineau, sur l’Outaouais.

D’autres géologues ont déjà établi que des séismes plus anciens avaient causé de volumineux glissements de terrain, toujours dans l’argile à Leda (argile marine sensible), entre Gatineau et Montréal, sur les deux rives de l’Outaouais. L'article de Spears touche un mot à leur sujet. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, un document qui fait le point sur cette question est disponible dans Internet (pdf) :

Earthquake-Induced Landsliding East Of Ottawa; A Contribution To The Ottawa Valley Landslide Project, J.M. Aylsworth and D.E. Lawrence, Geological Survey of Canada (2003).


Carte tirée de Aylswortht et Lawrence (2003). Comme indiqué dans la légende originale, Ottawa (et Gatineau) se trouvent immédiatement à l'ouest de la zone couverte par la carte.



Les cicatrices de ces anciens glissements de terrain sont connues depuis longtemps. On croyait qu’ils s’étaient produits très peu de temps après le départ de la mer de Champlain (il y a 10 000 ans à Gatineau), dans l’argile marine encore fraîche. De nouvelles datations ont montré que cette idée étaient fausse :

«Des résultats obtenus par datation radiométrique et par investigation in situ suggèrent que la région d'Ottawa a subi deux séismes géologiquement destructeurs. L'un, daté de 4550 [années] BP*, a provoqué à l'échelle régionale des glissements de terrain dans les dépôts marins d'argile sensible. L'autre, daté de 7060 [années] BP, a causé un affaissement irrégulier du sol, des étalement latéraux, et la déformation d’épais dépôts d'argiles marines et de sables remplissent une petite cuvette profonde dans la roche en place. La magnitude de ces séismes a probablement dépassé 6,5.» (Résumé tiré de l’article d’Aylsworth et Lawrence, lien plus haut.)

(*BP : Before Present, par convention l’an 1950 de notre ère, voir Wikiki.) Les deux séismes se sont donc produits 2600 et 5110 ans avant J.-C. Celui dont parle l’article du Citizen date de 1000 après J.-C. De pareils événements se produisent donc à de très larges intervalles de temps.

À quand le prochain ?

(Ajout, 19 sept. 2013). – Le prochain billet, lui, est ici.