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lundi 26 octobre 2020

Hors sujet : « la Babine » lance un appel à tous (Ajouts)



Ce texte a une suite : voir le billet du 17 déc. 2020.

Voir aussi le billet du 21 déc. 2020...

... et celui du 27 février 2022.


Le pont de « la Babine », promenade du Lac-des-Fées, à Gatineau. Il ne paie pas de mine, mais je l'ai connu en plus mauvais état. À une époque, le garde-fou à droite (côté sud) avait été arraché. La réparation est visible sur place. Photo oct. 2020.

NOTES. - Des détails sur l'usage et l'origine du nom « la Babine » sont dans les Commentaires, à la fin du billet ainsi que dans le billet du 17 déc. 2020 (lien plus haut).

Des renseignements obtenus après la mise en ligne de ce billet m'ont obligé à des ajouts et des corrections qui nuisent un peu à la lisibilité du texte. Une synthèse viendra mettre un peu d'ordre et de continuité dans tout ça.



Le pont de la Babine

Il est discret, il s'efface du paysage à mesure que les arbres qui l’environnent croissent et que la végétation se resserre autour de lui : le petit pont de pierre au-dessus du ruisseau du Lac-des-Fées, à Gatineau, au sud de la promenade du même nom, à la hauteur du pavillon Lucien-Brault de l’UQO.

Ce pont, c’est le « pont de la Babine ». Quand j’étais enfant et ado (années 60 et 70), j’habitais tout près et le site était en effet connu sous le nom de « la Babine ». J’ignore si ce toponyme officieux s’est maintenu dans l'usage.

Mais pourquoi un pont à cet endroit du sentier du Lac-des-Fées sur la promenade ? La personne qui, venant du sentier de la promenade, emprunte le pont se bute aussitôt franchi son arche unique, à un escarpement boisé haut de 25 m (voir cartes 1 et 2). Là, un abrupt sentier l'invite, s'il craint les escalades, à rebrousser chemin. 

Autant dire que le pont conduit à un cul-de-sac.

Ce pont qui ne conduit nulle part n’a pas de nom officiel (à ce que je sache) et n’a pas d’histoire non plus. Quand a-t-il été construit ? Et pourquoi ? A-t-il déjà eu une utilité ? Aujourd’hui, il paraît à l’abandon, la piste goudronnée du sentier récréatif qui y mène est bosselée et semée de nids de poule, la végétation envahit ses abords. Questionnée à son sujet, la Commission de la capitale nationale (CCN), de qui dépend la promenade, renvoie les curieux à la ville de Gatineau, propriétaire du pont, selon elle*.
*Selon une personne travaillant à la Ville de Gatineau qui a questionné la CCN au sujet du pont. 

Petit pont mal aimé dont personne ne veut !




La croix lumineuse (la nuit, du moins) de Val-Tétreau, au sommet de l'escarpement, rue Boucherville. Photo oct. 2020.

L’escalier et la croix

Mais le pont de la Babine n'est pas seul ouvrage du secteur. Autrefois, au lieu du sentier, se trouvait un escalier en bois, couleur sang de bœuf. Il faisait la jonction entre le pont et le sommet de l’escarpement où s'élève la grande croix lumineuse de Val-Tétreau, à l'extrémité nord de la rue Boucherville. (Voir Réseau patrimoine.)

Sans le pont, le ruisseau rendait l’escalier inaccessible ; sans l’escalier, le pont n’a plus aucune véritable utilité. La croix justifie-t-elle l'existence de l'escalier ? Point important pour ce qui suit, l'accès au pont et à l'escalier a toujours été limité aux piétons et aux cyclistes, via le sentier récréatif de la promenade.


1950 : année à marquer d’une croix

Le pont et l’escalier semblent bien avoir été conçus exprès pour conduire à la croix lumineuse. Érigée sous l’initiative de la Société Saint-Jean-Baptiste de Hull et du Nord de l’Outaouais, elle a été inaugurée le 25 juin 1950 à l’occasion des célébrations du 75e anniversaire de l’incorporation de la municipalité de Hull et du 150e anniversaire de la fondation de Hull. (Hull est maintenant partie de Gatineau.) Une procession de 12 000 personnes, présidée par l’archevêque d’Ottawa, Mgr Alexandre Vachon, s’était dirigée, partant de cette ville, vers le parc Columbia, près du sanatorium Saint-Laurent*. Primitivement haute de 9,4 m, la croix a été surélevée à 23,9 m en 1995 (Réseau Patrimoine, lien plus haut), soit la hauteur de l'escarpement sous elle.
*Ouvert en 1937 ; hôpital Pierre-Janet depuis1967.



Seuil et piliers de l'ancien escalier depuis le
haut de l'escarpement : le petit pont se trouve tout
en bas (hors cadre). C'est à-pic ! Photo oct. 2020.

La personne à l’origine de l’érection de la croix, le constable Oscar Duquette, est aussi un des concepteurs de la promenade du Lac-des-Fées. « En 1938, il lança le projet de la promenade du Lac-des-Fées en proposant l’aménagement d’un boulevard national à Hull. [...] Une partie importante du tracé proposé à l’époque par Oscar Duquette correspond à l’actuelle promenade du Lac-des-Fées. Aménagée durant les années 1950 par la [Commission du district fédéral, ancêtre de la] Commission de la capitale nationale, cette voie de communication fait partie des 38 km de promenades panoramiques qui sillonnent le parc de la Gatineau*. » (Wikipédia
*En 2008, le pont d'étagement du boulevard des Allumetières qui traverse la promenade et le ruisseau du Lac-des-Fées, 800 m au nord du pont de la Babine, a été baptisé viaduc Oscar-Duquette. (Wikipédia, lien plus haut)

La promenade

La promenade, la croix et, sans doute, les aménagements secondaires comme le pont et l’escalier, faisaient donc partie du même projet d’embellissement de la ville dans l'esprit de leur concepteur, M. Duquette. Mais la promenade du Lac-des-Fées, on vient de le voir, n'a été construite par la CCN (Commission du District fédéral, ou CDF, à l’époque) que « dans les années 1950 » - et non en ou pour 1950 ! Je ne peux être plus précis pour l'instant, cependant, une carte topographique publiée en 1958, mais réalisée d'après des photos aériennes prises en 1955, montre la promenade achevée. (Voir la « Mise au point » et l'« Ajout », plus bas : la promenade date d'après 1952.) 
AJOUT. - Le billet du 21 déc. 2020 établit que le pont de la Babine date du printemps 1965 (et sans doute l'escalier aussi). 
AJOUT (mars 2022). - La promenade du Lac-des-Fées a été inaugurée en juin 1955 (Claude Devault et Raymonde Devault, « C'était avant, dans le secteur Laramée... », Hier encore, no 13, 2021, p. 6-10).

Le lien du pont et de l’escalier, tous deux sur le terrain de la promenade, avec la croix et la journée du 25 juin 1950 devient problématique. 

Déviation

En comparant des cartes et des photos d’avant et après la construction de la promenade, j’ai constaté que le pont de la Babine enjambe une section artificielle du ruisseau. Le cours d’eau a été dévié à partir d'un point immédiatement en amont du pont (voir les cartes 1 et 2). Si on lui avait conservé ses méandres originaux, le ruisseau croiserait la promenade et coulerait de l'autre côté de la chaussée à partir de ce point. La section artificielle disparaît à la vue dans une canalisation moins de 200 au sud du pont. (Le ruisseau termine sa course souterraine en se jetant dans le ruisseau de la Brasserie*.) Les eaux s'accumulent volontiers dans un bas terrain qui correspond à l'ancien ruisseau, entre la promenade (côté est) et le parking de l'UQO**.
*Selon des cartes topographiques, le ruisseau dévié coulait à l’air libre jusqu’à la voie ferrée à l’E du manège militaire (actuel trajet du Rapibus) en 1955 (carte topo de 1958 réalisée d'après des photos aériennes prises en 1955) ; la situation actuelle prévalait sur la carte topo de 1963 (réalisée d'après des photos aériennes prises en 1960). Un habitant du secteur m’a raconté que l’enfouissement du ruisseau avait été réclamée par la population suite à la noyade d’un enfant.
** Avons-nous oublié de préciser ce point ? Le lac des Fées est à 1,5 km au nord du pont de la Babine.

La promenade n'offrait aucune facilité à ceux qui, venant en automobile, auraient voulu accéder au sommet de l'escarpement par l’escalier - et n'en offre toujours pas. Ce dernier et le pont ne sont accessibles qu’à pied ou à vélo, uniquement à partir de la promenade. Les 12 000 processionnaires de juin 1950 ne sont sûrement pas passés par l’escalier, à supposé qu’il ait existé à ce moment. L’accès à la croix était plus facile par la rue Boucherville (voir les cartes 1 et 2)


Terrain humide du côté est de la promenade du Lac-des-Fées, derrière le parking du pavillon Lucien-Brault de l'UQO. Cette zone correspond sans doute à l'ancien trajet du ruisseau du Lac-des-Fées. À l'avant-plan, la piste cyclable. Photo oct. 2020.

SOS

Bref, si la promenade a été construite « dans les années 1950 », il est illusoire d'envisager que la promenade elle-même, la déviation du ruisseau, préalable à la construction du pont et de l'escalier, aient été achevées à temps pour le 25 juin 1950, jour de l'inauguration de la croix de Val-Tétreau.

MISE AU POINT (mars 2022)

Fin 1952, aucun travail n'avait encore été commencé sur le terrain en vue construction de la promenade à en juger d'après l'Insurance plan of the city of Hull, Que., daté de novembre de cette année. Ceci est confirmé en outre par une photo aérienne datant de 1951. Une autre photo aérienne prise en 1927 montre qu'un sentier aurait préexisté à l'escalier de la Babine, avant même la construction du pont et la déviation du ruisseau. AJOUT (mars 2022). - La promenade du Lac-des-Fées a été inaugurée en juin 1955 (Claude Devault et Raymonde Devault, « C'était avant, dans le secteur Laramée... », Hier encore, no 13, 2021, p. 6-10). 

En l’absence de données plus précises, j’ai tendance à croire que la réalisation du projet du constable Duquette s’est faite en deux épisodes décalés et indépendants ; l’érection de la croix en 1950 (sur un terrain municipal), la construction de la promenade et de ses équipements et la déviation du ruisseau « dans les années 1950 » (sur des terrains de la CDF/CCN). Deux juridictions : comment se sont-elles entendues pour coordonner les travaux ?

L'Atlas de la Ville de Gatineau nous assure que la croix est sur un terrain municipal tandis que le pont et l'escalier (et toute la promenade et tout l'escarpement jusqu'à son sommet) appartiennent à la CCN. Je ne comprends pas pourquoi la Ville et la CCN se disputent à qui n'est pas le propriétaire du pont. Qui réparait l'escalier à l'époque, dans les années 1970, où les vandales en démontaient régulièrement des morceaux (voir plus bas) ? Qui a réparé le garde-fou arraché du pont (voir première photo) ? La Ville ou la CCN ?

Tant que la Covid m’empêchera d’aller consulter la collection de photos aériennes de la Photothèque nationale de l'air (PNA), je n’en saurai pas plus sur la chronologie de tous ces travaux, à moins qu’un lecteur plus savant que moi veuille bien me communiquer ce qu'il sait. 
Je n'ai pas réussi à trouver la date exacte des travaux de la promenade. Et si quelqu'un pouvait m'éclairer sur les autres aspects de l'affaire, je lui en serais extrêmement reconnaissant ! (C’est un SOS, un appel à tous.)



La croix originale (le jour de son inauguration, le 25 juin 1950 ?) Photo Pierre-Louis Lapointe (Réseau Patrimoine, lien plus haut.)

Utilité

Si l'escalier et le pont ont été construit trop tard pour l'inauguration de la croix ; s’ils sont dépourvus des facilités nécessaires à accommoder même un petit groupe de gens (pas de parking, obligation de monter à pied un long escalier), à qui, à quoi servaient-ils ?

Sauf la croix, que personne ne visite de toute façon (exception faite du jour de l'inauguration), il n'y a rien à voir en haut de l'escalier...

Servait-il à permettre aux Val-Tétrois de se rendre à l'école secondaire Saint-Jean-Baptiste* inaugurée en 1962 (aujourd’hui pavillon Lucien-Brault de l’UQO), en face de la Babine, de l'autre côté de la promenade ? Mais encourager les élèves à longer le boisé de l'escarpement, rue Boucherville, et à se diriger à son extrémité isolée pour prendre l'escalier n’est peut-être pas de la meilleure inspiration. Une fois passé le pont, il leur aurait fallu traverser la promenade, loin de toute traverse pour piétons**. Le chemin le plus pratique passait par le boul. Taché et la rue Scott.

*Successivement devenue ensuite la polyvalente de la Promenade, la D’Arcy McGee High School, le pavillon Lucien-Brault de l’UQAH puis de l’UQO.
**C’est ce que j’ai longtemps pendant plusieurs années, même lorsque les vandales s'ingéniaient à rendre le pont de moins en moins praticable (voir plus bas), mais j’habitais proche de l’escalier et c’était pour moi la voie la plus directe pour me rendre à l’école Saint-Patrice, sur la rue Laramée.

Peut-être servait-il aux patients du sanatorium Saint-Laurent ?

Bref, la croix est venue trop tôt, ou la promenade trop tard ; l’accès limité à la Babine ne justifie pas la construction du pont et de l’escalier à cet endroit ; l’escalier ne servait à rien puisqu’on l’a laissé se détériorer et qu’on ne l’a pas remplacé après sa démolition (voir plus bas dans « Souvenirs personnels »), laquelle a rendu le pont inutile. Et trop de juridictions sont assurément ou potentiellement en cause : la Ville, la CCN, la Commission scolaire (?) et le sanatorium Saint-Laurent (?), sans compter la croix (?)...

Je réitère mon SOS ! 


Les abords du pont de la Babine depuis la piste récréative de la promenade du Lac-des-Fées. Photo oct. 2020. 

Souvenirs personnels

Mes plus vieux souvenirs de l'escalier et du pont datent de 1965, année où nous avons aménagé à Val-Tétreau. Après 1970, l'escalier a commencé à souffrir de vandalisme et des planches étaient régulièrement arrachées des marches ou du garde-fou. La CCN (ou la Ville ?), au début, réparait les dégâts, puis a renoncé. Quand j'allais à l'école Saint-Patrice, rue Laramée (1974-1976), l’escalier était à l’abandon et il fallait composer avec l'absence de sections entières. Pour la suite, mes souvenirs deviennent moins précis. Il me semble que l'escalier était détruit ou quasiment en 1990-1992. Aujourd’hui, il n’en reste que les piliers de béton. (Curieusement, Google conserve le souvenir de son existence (voir carte 1). Dans quelle base de données a-t-il puisé ce renseignement ?)

Le fait qu'on ne l'ait jamais remplacé plaide pour le peu de nécessité de l'escalier ; ce qui ne fait que renforcer le mystère de sa construction... Depuis sa démolition, le pont est orphelin et sans vocation.

Il me souvient qu'à une certaine époque (ma mémoire n'est pas très précise), un des garde-fous du pont avait été descellé et avait été laissé gisant sur le tablier. Les dégâts ont été réparé (par qui ? ; voir photo de 2015).

Même s'il ne sert plus à grand chose, il suffirait d'un peu d'entretien, d'un brin de toilette pour redonner au pont de la « la Babine » un peu de son lustre d'autrefois.  

Un pont qui ne mène nulle part, ça ferait un bon argument promotionnel pour attirer les visiteurs, ce petit pont mal aimé que personne ne veut ! 




CARTE 1. - Google surligne le parcours de l'escalier démoli par une pâle ligne blanche comme s'il existait encore. La ligne tiretée bleue indique le cours original du ruisseau. R : ruisseau du Lac-des-Fées, section naturelle (en haut) et artificielle (en bas).

Les petits bonshommes verts

En 1967(?), en automne (à la rentrée des classes, si mes souvenirs sont bons), le bruit s’est répandu à mon école - Saint-Jean de Brébeuf à Val-Tétreau - que des « petits bonshommes verts » avaient été vus à la Babine. » Ils auraient communiqué aux témoins de leur apparition leur intention de revenir sur les lieux à 19 h (on disait 7 heures du soir), le soir même ou le lendemain, je ne sais plus. Plusieurs dizaines de personnes s'étaient réunies dans l'escalier et autour du pont. (Selon Gilles Lacasse, voisin de la Babine à l'époque, la GRC eut du mal à assurer la circulation sur la promenade, encombrée de véhicules – autre preuve du peu de capacité du site à accueillir les foules). Peut-être effarouchés par ce comité d'accueil (dont j'étais l'un des membres), les petits bonshommes verts ont préféré demeurer discrets. (Je fus déçu, mais non surpris). Le Droit s'était fendu d'un court article dans ses pages intérieures. J'aimerais remettre la main dessus, mais la date exacte des événements m'échappe.
AJOUT (mars 2020). - Selon Alain Lamothe (voir les Commentaires à la fin du billet), il pourrait s'agir de feux follets, fréquents dans les endroits marécageux ou humide. Voir photo « Terrain marécageux » plus haut : le côté est de la promenade, qui correspond à l'ancien bras du ruisseau, est souvent inondé. Les flammes des feux follets prennent différentes couleurs, bleu, jaune ou... vert. 

Marmites et coups de gouge

Le socle calcaire sous le pont montre des évidences d'érosion par l'eau courante (marmites, coups de gouge) trop prononcées pour résulter de l'action du paisible ruisseau depuis les 70 dernières années. (Le pont, rappelons-le, est sur une section artificielle du ruisseau datant des années 1950.)

On peut se demander si un cours d'eau plus puissant n'a pas coulé à cet endroit après la glaciation, avant la déposition de l'argile de la mer de Champlain. Les eaux de la section artificielle sur laquelle est construit le pont auraient dégagé le socle rocheux érodé de la couche de glaise qui subsistait.

Voir les billets sur la Marmite des Allumettières.





CARTE 2. - LÉGENDE

Ovale rouge : la Babine.

E (pointillé rouge) : escalier en bois (démoli) ;
P : pont de la Babine.

1 : escarpement ;
2 : ruisseau du Lac-des-Fées (cours original préservé) ;
3 (tireté bleu foncé) : ruisseau du Lac-des-Fées : cours original ;
4 : ruisseau du Lac-des-Fées : section artificielle ;
5 : entrée du ruisseau dans la canalisation souterraine.

CHPJ : centre hospitalier Pierre-Janet ;



PLdF :
promenade du Lac-des-Fées (sentier du LdF en pointillé gris de chaque côté) ;
UQO : Université du Québec en Outaouais (A.-T. : pavillon Alexandre-Taché ; L.-B. : pavillon Lucien-Brault).





Des coups de gouge et une marmite dans le calcaire sous le pont ; érosion fluviatile. 
Photos mars 2015.




Pont condamné ? Affiche « Danger » à la sortie du pont (côté ouest, ou côté escarpement) : il y en a une aussi à l'autre extrémité du pont, mais il n'en reste que le poteau. Posée par la Ville ou la CCN ? Photo 27 oct. 2020.











AJOUT (3 nov. 2020)

J'ai contacté par courriel la Commission de la capitale nationale (CCN) pour obtenir les dates du début et de la fin des travaux de la construction de la promenade du Lac-des-Fées. On m'a répondu qu'elle avait été construite « dans les années 1950 », ce que nous savions déjà. J'attends à présent plus de précision de la part de la CCN. 

En attendant le fin mot de l'histoire, voici quelques documents visuels que j'ai découverts par mes propres moyens pour alimenter le dossier. Si l'on se fie à ces documents, la promenade a été construite après 1952 et elle était achevée en 1957. (Une photo datée du 4 mai 1957 que j'ai découverte en décembre montre la promenade achevée. Voir le billet du 24 déc. 2020.) AJOUT (mars 2022). - La promenade du Lac-des-Fées a été inaugurée en juin 1955 (Claude Devault et Raymonde Devault, « C'était avant, dans le secteur Laramée... », Hier encore, no 13, 2021, p. 6-10).
 
Évidemment, savoir de quand date la promenade ne nous dira pas qui a fait construire le pont « de la Babine » et son escalier à flanc d'escarpement, ni pourquoi ils ont été construits. (Sûrement pas pour l'inauguration de la croix, en juin 1950.) Affaire à suivre.


On peut cliquer sur les images pour les voir plus grandes.

Novembre 1952. - Aucun travail n'avait encore été commencé sur le terrain en vue de la construction de la promenade du Lac-des-Fées à en juger d'après l'Insurance plan of the city of Hull, Que., daté très précisément de novembre 1952. 

LÉGENDE DES RETOUCHES

T : croix lumineuse de Val-Tétreau, érigée en 1950 ;
Rectangle rouge : pont de la Babine, post-1952 ;
Ligne pointillée rouge : escalier post-1952, maintenant détruit ;
Ligne rouge pleine : promenade du Lac-des-Fées, post-1952.
Rue Boucherville : elle longe l'escarpement au pied duquel coule le ruisseau,

1 (ligne bleue pleine) : cours original du ruisseau du Lac-des-Fées, conservé jusqu'à aujourd'hui ;
2 (ligne tiretée bleue) : section abolie du ruisseau après la construction de la promenade du Lac-des Fées ;
3 (ligne bleue pleine) : tronçon artificiel du ruisseau aménagé pendant ou après la construction de la promenade disparaissant dans une canalisation souterraine.

Escarpement : à droite (à l'est) de la rue Boucherville ;
SSL : sanatorium Saint-Laurent, aujourd'hui CH Pierre-Janet ;
CMY : collège Marguerite d'Youville (sœurs grises), site de l'actuel pavillon Alexandre-Taché de l'UQO.

NB. - Certains tronçons de rues vides de maisons n'ont existé que sur plans. Il y a un désaccord sur une partie du trajet du ruisseau entre cette carte et les autres documents utilisés pour les retouches.

Insurance plan of the city of Hull, Que. Toronto ; Underwriters' Survey Bureau Limited, 1952, 49 pl. en coul. [pl. 28], 1: 600, BAnQ, Centre d'archives de l'Outaouais, P1000,S2,D4, 0003820664. https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2247012. [La publication est datée à l'intérieur de novembre 1952.] 


1927. - Même secteur que la carte de 1952. Photo prise avant la construction de la promenade du Lac-des-Fées et la déviation d'une partie du ruisseau qu'elle a entraînée et avant la construction du futur pont de la Babine (P blanc) sur le tronçon dévié du ruisseau.
Photothèque nationale de l'air (PNA), photo HA246-76 (détail), 5 mai 1927. 

1927 (détail). - À gauche : le ruisseau (cours original) ; cercle blanc : position du futur pont de la Babine ; lignes pointillées : sentiers (?) sur l'escarpement boisé. Le sentier sud, correspond, à la gauche du cercle, au tracé du futur escalier. En bas, à gauche : extrémité nord de la rue Boucherville. 
À droite : même détail, contraste retouché et sans les lignes blanches pour rendre visibles les traces des deux sentiers.



26 janv. 1955. - Tracés préliminaires. - Le tracé des promenades de la Gatineau et du Lac-des-Fées (Gatineau Parkway et Lac des fees (sic) Parkway) est reporté à la main en vert sur ce document. Il ne correspond pas au tracé réel (voir cartes suivantes). Je ne peux affirmer si la date donnée correspond à la réalisation du document ou à autre chose.
Federal District Commission. [Partial Map of Ottawa-Hull Region]. Gatineau and Lac Des Fees Parkways [26/01/1955] (détail). Bibliothèque et Archives Canada, no d’identification : 2163337.

1957. - Les promenades achevées. - Promenades achevées ou projetées (GATINEAU PARKWAY et LAC DES FEES PARKWAY). Cependant, leur tracé est un peu approximatif (voir la carte de droite), surtout celui de la promenade de la Gatineau près du lac des Fées (FAIRY LAKE). On a l’impression que la carte a été mise à jour rapidement. Les lignes tiretées rouge sur l'original indiquent des routes projetées.
Commission du District fédéral, Service de l’information, La capitale nationale : plan d’Ottawa et des environs et du parc de la Gatineau. Édition 1957 (détail).

2020. - Situation actuelle. J’ai surligné en gris la promenade de la Gatineau qui n’était pas très apparente sur l’original. Le repère rouge indique la position du pont de la Babine.
Modifiée de © Collector Classic, Esri.

 

Détail de la carte de 1957 : le PARC COLUMBIA figure au nord du sanatorium Saint-Laurent. 
PLdF : promenade du Lac-des-Fées ;
Ligne tiretée bleue : j'ai souligné le cours du ruisseau du Lac-des-Fées : ou la carte est infidèle, ou la ruisseau a été dévié après la construction de la promenade. Or, le pont de la Babine a été construit sur la partie déviée du ruisseau. Le pont et l'escalier seraient post-1957 ? 
Le noms de quelques rues a été changé ; certaines rues n'existent plus.
Le nom de la pauvre rue Châteaubriand a été tronqué d'une drôle de façon : CH BRIAND. (Ce qui ne veut pas dire chemin Briand !)
 
 

 
1951. - Photo venue à la dernière minute. Comparer avec celle de 1927. (Les deux photos ne sont pas pareillement orientées.) 

Le point blanc (P) indique la position approximative du futur pont de la Babine. La flèche (à gauche) indique l'ombre de la croix inaugurée en juin 1950. 
À droite, on voit le boul. Saint-Joseph ; à gauche, le prolongement de la rue Boucherville. Ce prolongement est aujourd'hui une simple piste.
Cliché PNA, A13142-36 [ou 38], 6 et 7 juin 1951, alt. 5300'. Tirée d'Arkéos inc., Autoroute Laramée/McConnell, Hull : Évaluation de l'intérêt archéologique. Gouv. du Québec, Min. des Transports, Direct. de l'Outaouais, février 2001.

AJOUT (21 juillet 2021)

Le Soixante-troisième Rapport annuel - 1962-1963 - Première partie de la Commission de la capitale nationale contient ce bref passage (p. 15) :

« Un trottoir d'asphalte a été construit du côté est de la promenade du lac des Fées entre l'avenue Duquesne et la rue Brodeur. » 

La rue Duquesne (elle n'est plus une avenue) constitue la bretelle d'accès à la Promenade à partir du boul. Saint-Joseph (voir carte 2). La rue Brodeur est située plus au nord, à la hauteur du Lac-des-Fées. (Par la suite, le « trottoir d'asphalte », maintenant la piste cyclable du Sentier du Lac-des-Fées de la CCN, a été prolongé jusqu'à la rue Gamelin, à une date que je ne peux préciser.) 
Le « trottoir d'asphalte » dont il est question ici passait et passe toujours devant le pont de la Babine, de l'autre côté de la Promenade. Il est difficile d'imaginer que le pont ait existé sans un chemin pratiquable pour y mener. Le pont de la Babine daterait donc d'après 1963 ?
(La piste cyclable est visible sur les cartes 1 et 2 ainsi que sur la photo titrée « Terrain humide du côté est de la promenade du Lac-des-Fées ».
Ceci confirme ce que le billet du 21 déc. 2020 nous apprenait : le pont de la Babine date du printemps 1965.


mardi 8 mars 2016

Érosion post-glaciaire en Outaouais


La vallée encaissée* post-glaciaire de l'Outaouais au début de l'Holocène, il y a environ 10 000, après le départ des eaux de la mer de Champlain, comparée à celles de fleuves contemporains. Tiré de Cummings et Russell, 2007.
* Incised valley dans le texte original : vallée encaissée. Voir Linguee : 


Résumé

Questions sur l'importance de l'érosion fluviatile post-glaciaire dans l'Outaouais.

Autres billets du blogue sur des sujets reliés



Jusqu'à quel point le socle rocheux de la région a-t-il été modifié par l'érosion depuis la fin des glaciations ? Je ne parle pas des terrasses découpées dans l'argile marine par la rivière après le départ des eaux de la mer de Champlain (env. 10 000 ans), mais des effets qu'a pu avoir la rivière sur ses berges et son lit rocheux.

Les renseignements à ce sujet sont à la fois rarissimes, partiels ou très vagues. Et datés. (Le gras, dans les passages qui suivent, est de moi.)


«The exposed Palæozoic rocks and the unconsolidated glacial and marine sediments have been considerably modified by more recent erosion* along Ottawa and St. Lawrence Rivers and their long, winding tributaries (Wilson, 1946, p. 32).» * «More recent» : depuis le départ de la mer de Champlain.


«The principal fall in the Ottawa river occurs at Chaudiere falls at Ottawa where the water falls over a low escarpment of Trenton limestone. A series of narrow gorge-like channels below the falls, the largest one being occupied by the main volume of the river, shows the distance the falls have receded in post-Glacial time. The total distance is only about one-quarter mile [400 m]. The maintenance of the falls is owing to the well jointed character of the rocks which permits large masses to be separated by widening of the joints and finally to be worn away, leaving a still nearly vertical front over which the water falls. The general uniformity of hardness of the beds, however, has prevented a rapid recession of the falls (Johnston, 1917 ; p. 8-9).»


«In post-glacial time it is probable that the Ottawa river has cleaned out and somewhat deepened the old valley in the vicinity of Ottawa, and the steepwalled gorge which extends for a short distance below the Chaudière falls is evidently due to post-glacial erosion (Goldthwait et al., 1913 ; p. 133).»

On sait qu'après le départ des glaces et celui des eaux de la mer de Champlain, l'Outaouais a dû effectuer le dur travail de tracer faire son lit dans le manteau d'argile laissé par ladite mer. Cependant, la rivière d'il y a 10 000 ans était beaucoup plus considérable que l'actuel cours d'eau et son pouvoir érosif en était augmenté d’autant. Les eaux des Grands Lacs, grossies par celles du lac glaciaire Agassiz (Manitoba et Ontario), se dévidaient dans la rivière des Outaouais par le chenal du lac Nipissing tandis que celles du lac Barlow-Ojibway (nord de l’Ontario et du Québec) s'écoulaient directement dans la rivière. Le débit atteint était celui d'un grand fleuve : 200 fois celui de l’Outaouais actuel, vingt fois celui du Saint-Laurent en aval de Montréal (Gilbert, 1994) ! Le débit a atteint des pointes de 200 000 m3/sec. au début de l'Holocène, contre 2000 aujourd'hui (Lewis et Anderson, 1989, cités par Cummings et Russell, 2007). D'autres estimations portent ces valeurs à 800 000 m3/sec., 400 fois le débit de l'Outaouais actuelle (Cummings et Russell ; 2007 : voir leur fig. 24 au début du billet) !

J'aimerais bien avoir une bonne idée du pouvoir érosif de cette méga-Outaouais (400 fois !...) sur le socle rocheux*. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien !

Or, les pouvoir érosifs d'un cours d'eau torrentiel peuvent être considérables. Témoin cet article (résumé plus bas) sur le torrent né du débordement du réservoir du lac Canyon au Texas. Si le torrent a persisté 6 semaines, 3 jours lui ont suffi pour excaver un couloir profond de 7 m et long de 2,2 km dans le calcaire. La force du courant a mis en mouvement des blocs d'un mètre de diamètre. Le pouvoir érosif du torrent était en fonction de la quantité de sédiments que les flots pouvaient transporter.

Je ne prétends pas que la rivière a fait reculer les chutes des Chaudières de 400 m en 3 jours (Johnston, 1917, cité plus haut). Ni en quarante. Le pouvoir érosif de l'Outaouais a cependant déjà été beaucoup plus grand que celui d'aujourd'hui.

D'où ma perplexité et d'où la question que je repose : quels traits du paysage actuel doit-on à l'érosion post-Champlain ? Jusqu'à quel point le socle rocheux a-t-il été «profondément modifié» par l'érosion fluviatile récente (Wilson, 1946, passage cité plus haut) ?

J'aimerais le savoir. Vous pouvez m'envoyer vos réponses.

L'article

Michael P. Lamb & Mark A. Fonstad, «Rapid formation of a modern bedrock canyon by a single flood event», Nature Geoscience 3, 477 - 481 (2010)

doi:10.1038/ngeo894
http://www.nature.com/ngeo/journal/v3/n7/abs/ngeo894.html

Abstract*

«Deep river canyons are thought to form slowly over geological time [...], cut by moderate flows that reoccur every few years. In contrast, some of the most spectacular canyons on Earth and Mars were probably carved rapidly during ancient megaflood events. Quantification of the flood discharge, duration and erosion mechanics that operated during such events is hampered because we lack modern analogues. Canyon Lake Gorge, Texas, was carved in 2002 during a single catastrophic flood. The event offers a rare opportunity to analyse canyon formation and test palaeo-hydraulic-reconstruction techniques under known topographic and hydraulic conditions. Here we use digital topographic models and visible/near-infrared aerial images from before and after the flood, discharge measured during the event, field measurements and sediment-transport modelling to show that the flood moved metre-sized boulders, excavated ~7?m of limestone and transformed a soil-mantled valley into a bedrock canyon in just ~3?days. We find that canyon morphology is strongly dependent on rock type: plucking of limestone blocks produced waterfalls, inner channels and bedrock strath terraces, whereas abrasion of cemented alluvium sculpted walls, plunge pools and streamlined islands. Canyon formation was so rapid that erosion might have been limited by the ability of the flow to transport sediment. We suggest that our results might improve hydraulic reconstructions of similar megafloods on Earth and Mars.» * J'ai retiré les appels de notes.


Voir aussi ces deux articles dans ScienceDaily :

«Canyon carved in just three days in Texas flood: Insight into ancient flood events on Earth and Mars»

http://www.sciencedaily.com/releases/2010/06/100620155748.htm
«In the summer of 2002, a week of heavy rains in Central Texas caused Canyon Lake -- the reservoir of the Canyon Dam -- to flood over its spillway and down the Guadalupe River Valley in a planned diversion to save the dam from catastrophic failure. The flood excavated a 2.2-kilometer-long, 7-meter-deep canyon in the bedrock. According to a new analysis, that canyon formed in just three days.»

«Floods created home of Europe's biggest waterfall»

http://www.sciencedaily.com/releases/2015/02/150209161429.htm
«A massive canyon that is home to Europe's most powerful waterfall was created in a matter of days by extreme flooding, new research reveals.»

Ajout (8 mars 2016)

Andy Coghlan, «Vanishing river gorge shows geology in fast forward», New Scientist, 17 August 2014

https://www.newscientist.com/article/dn26065-vanishing-river-gorge-shows-geology-in-fast-forward/

 

 

Références

  • Cummings, D. I. and Russell, H. A. J., 2007 — The Vars–Winchester esker aquifer, South Nation River watershed, Ontario, CANQUA Fieldtrip Guidebook, June 6th, 2007; Geological Survey of Canada, Open File 5624, 68 p, with contributions from Sam Alpay, Anne-Marie Chapman, Coralie Charland, George Gorrell, Marc J. Hinton, Tessa Di Iorio, André Pugin, Susan Pullan, and David R. Sharpe.
  • Gilbert, Robert (compil.), 1994 – Guide d'excursions dans le paysage glaciaire et postglaciaire du sud-est de l'Ontario et d'une partie du Québec, Commission géologique du Canada, Bulletin 453, 1994; 86 pages.
  • J.W. Goldthwait, J. Keele and W.A. Johnston, 1913 – «Excursion A10. Pleistocene : Montreal, Covey Hill and Ottawa», in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa (excursions A6, A7, A8, A10, A11), Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps).
  • W.A. Johnston, 1917 – Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 p., avec carte 1662 (1/63 360).
  • Richard, S H, 1982 – Surficial geology, Ottawa, Ontario-Québec / Géologie de surface, Ottawa, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, Cartes série «A» 1506A, 1 feuille. [1/50 000] 
  • Wilson A.E., 1946 – Geology of the Ottawa-St. Lawrence Lowland, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada (CGC), Mémoire 241, 66 p. (+ cartes).


Carte des dépôts superficiels (Richard, 1982).
Légende très simplifiée, du plus ancien au plus récent : les roses : socle rocheux ; vert clair : till glaciaire ; brun-orangé : dépôts d'eau de fonte glaciaires ; les bleus : sédiments de la mer de Champlain* ; orangé : sédiments deltaïques et estuairiens de la mer de Champlain : les jaunes : alluvions récents.
* En particulier, le bleu moyen le long de la rivière : chenaux du proto-Outaouais dans l'argile marine, dénudant le till glaciaire et le socle rocheux. Ce bleu donne la largeur de l'ancienne rivière après le départ des eaux de la mer de Champlain.


dimanche 26 octobre 2014

Marbre, rideaux et vieilles guenilles : suite


Fig. 1. Inclusion rocheuse dégagée par la dissolution du marbre au fond du Lac-des-Seize-Îles (Laurentides). Photo et cueillette sous-marine, Jean-Louis Courteau, 2014.


Suite du billet du 28 sept. 2014, «Marbre, rideaux et vieilles guenilles».


Malgré les apparences, il ne s'agit pas d'un morceau de feutre tout juste retiré de la laveuse (fig. 1 et 2), mais bien d'une inclusion remontée du fond du Lac-des-Seize-Îles par Jean-Louis Courteau.

Le marbre des Laurentides est une roche bien inclusive, mais qui se froissait facilement à l'époque de sa jeunesse*. Les inclusions (granite, gneiss...) qui la traversaient ont gardé quelques faux plis de cette époque. La dissolution du marbre au fond des lacs par l'action de l'eau dégage peu à peu ces inclusions chiffonnées, plus résistantes à l'érosion.

J'ai beau en avoir déjà vu, c'est toujours le même étonnement.

* Marbre de la province de Grenville, plus d'un milliard d'années.


Blogues de Jean-Louis Courteau

Voir aussi les articles du blogue liés au libellé «Marbre (fluage)».


Fig. 2. L'inclusion de la fig. 1, vue par la tranche. Admirez les plis serrés... Photo ; Jean-Louis Courteau, 2014.


Fig. 3. La roche mère, au fond du Lac-des-Seize-Îles, d'où provient l'inclusion. Tout n'est pas parfaitement identifiable. On remarque quand même, au centre, les plis que forme une mince strate rocheuse. Photo Jean-Louis Courteau, 2014.


Fig. 4. Exemple plus local : inclusions plissées dans un marbre «aérien» : il suffirait de laisser le massif rocheux tremper au fond d'un lac quelques centaines d'années et plus pour que les inclusions ressortent en relief.
Parc de la Gatineau, chemin Dennison (piste 5), 12 juillet 2012.

dimanche 28 septembre 2014

Marbre, rideaux et vieilles guenilles


Ce billet a désormais une suite (26 oct. 2014).

1. Inclusion (gneiss ? quartzite ? ou ?...) retirée d'un marbre grenvillien (plus d'un milliard d'années) au fond du Lac-des-Seize-Îles, dans les Laurentides. L'eau du lac a lentement dissout le marbre (calcaire) et a laissé en relief les inclusions plissées de gneiss ou de granite, plus résistantes. Photos et cueillette en plongée : Jean-Louis Courteau (2014).

Blogues de Jean-Louis Courteau (à voir absolument, mais après lecture de ce billet).


J'en ai souvent parlé, le marbre dans notre région contient nombre d'inclusions (bandes de gneiss ou de quartzite, intrusions de granite, etc.) qui ont été plissées, démembrées et dispersées par les forces tectoniques. Le marbre, ductiles et fluable, a agi comme un solide «pâteux», les inclusions, plus ou moins fragiles, se sont plissées ou brisées.

(Voir les articles du blogue liés au libellé «Marbre (fluage)»).

Le résultat peut-être assez spectaculaire.

Parfois, on a l'impression de tenir des fragments de draperies.

Témoin ce fragment de (gneiss, ou quartzite, ou granite...) fortement plissé, ramené du fond du Lac-des-Seize-Îles dans les Laurentides par Jean-Louis Courteau (fig. 1). L'eau a lentement dissous le marbre (calcaire) et a laissé en relief le gneiss ou le granite, plus résistant.

Le lac, d'orientation N-S, suit d'ailleurs le trajet d'une importante bande de marbre.

Mes rideaux font à peu près le même genre de plis que ce fragment. L'altération de sa surface ne me permet pas toutefois de préciser sa nature : gneiss, quartzite ou granite...


Autres billets du blogue sur le même sujet illustrés par des photos de Jean-Louis



2. Le phénomène ne s'observe pas qu'au fond des lacs. Cette photo tirée de mes archives personnelles (juin 2010) montre un gneiss tordu imparfaitement dégagé du marbre qui le contient par l'érosion fluviatile. Rive de l'île Marguerite, Gatineau (Québec). On dirait de vieilles guenilles...


3. J'ai souligné en rouge l'allure des plis de l'échantillon ramené par Jean-Louis ; la contraction de la plaque rocheuse est d'environ 70 %. La présence de marbre lors de la contraction tout autour, il y a un milliards d'années, a sans doute joué dans le fait qu'elle ne se soit pas rompue. Voir section «Autres billets du blogue sur le même sujet...» Photo modifiée de Jean-Louis Courteau.



mardi 16 octobre 2012

Lac Tremblant : retour au fond des choses


Compétence et incompétence*
À gauche (étirement et boudinage) : lits silicieux rompus et réduits en baguettes (c.-à-d. boudinés) dans un calcaire ; le calcaire, ductile, remplit les espaces libérés entre les boudins.
À droite (boudinage et plissements) : tiges et reliques allongées de veines silicatées dans un marbre.
Tiré de Compton (1962). (Légende modifiée.)

* Roche compétente, incompétente. – En réponse aux contraintes tectoniques, une roche compétente, plus rigide, moins déformable, tendra à former des plis à grand rayon, se rompra, tandis que des couches de roches incompétentes, plus ductiles, multiplieront les petits plis, flueront ou couleront comme de la pâte dentifrice pincée dans un tube. 


Le double schéma ci-haut illustre le comportement opposé de roches silicieuses rigides et de calcaires (marbres) ductiles. À gauche, des lits silicieux sont étirés, rompus (boudinés en baguettes) tandis qu'à droite, des inclusions de nature semblable sont disloquées et plissées au point que des boudins sont enroulés sur eux-mêmes. Le calcaire, plus accommodant, agit à la longue comme pâte malléable.

«Thin beds, veins, or dikes enclosed in incompetent materials are frequently broken, rotated, and squeezed into linear bodies during metamorphism and folding.» (Compton, 1962, p. 313.)

Tout ne vous rappelle rien ?

Voyez le «rouleau» en bas, à droite du schéma de droite, et comparez-le avec les «pieux» ou «rouleaux» des photos plus bas.

Il suffirait de dissoudre le calcaire/marbre de ses schémas pour se trouver face à un paysage ressemblant à celui que nous offre le fond du lac Tremblant :

Contexte géologique pour la suite (voir cet ancien billet)
Marbre du lac Tremblant, province de Grenville (un milliard d'années) du Bouclier canadien, métamorphisé, plissé et culbuté par les forces tectoniques de façon à ce que son rubannement se présente à la verticale. Poli par les glaciers qui ont quitté le secteur il y a 10 000 ans, le marbre se dissout peu à peu sous les eaux du lac Tremblant. La disparition du marbre laisse en relief les lits ou rubans verticaux plus résistants, parfois rompus («plaques») ou repliés sur eux-mêmes («rouleaux»).

(Au lac Tremblant, les inclusions résistantes sont à la verticale ou obliques au lieu que sur les schémas elles sont dessinées à l'horizontale. Ne pas se laisser troubler par ce petit problème d'orientation.)

Rouleaux
Photos tirées d'Aquadelic, déjà montrées dans ce blogue ; fond du lac Tremblant (Québec) : marbre se dissolvant au fond de l'eau, révélant les inclusions résistantes qu'il contient. Notez que le pieu de la première photo est en réalité un rouleau ; le plus petit, brisé, mieux visible sur le second cliché, montre la structure enroulée de ces formations. À droite du «pieu», un lit résistant, intact sur une bonne longueur (en réalité, légèrement plissotté), dresse une sorte d'écran ou de muret.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
Au pied du grand «pieu» : un fragment boudiné (rompu) d'un lit résistant s'est enroulé sur lui-même et a pris la forme d'un C fermé. S'il était coupé en deux, le pieu se révélerait posséder une structure enroulé semblable. L'épaisse couche de biofilm qui recouvre tout contribue à l'illusion. 


Gros plan du petit rouleau brisé. Il correspond à ce qui est illustré dans le schéma, au début du billet (le «rouleau», en bas à droite du schéma de droite). Extrait du vidéo (capture d'écran) accompagnant le billet de Jean-Louis.


RÉFÉRENCE
Robert R. Compton. Manual of Field Geology, John Wiley and Sons, Inc., New York, London, Sydney, 1962, 390 pages.

samedi 11 août 2012

Lac Tremblant : radiographie du marbre (ajout)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
1. Des crêtes et «pieux» un «rouleau» : éléments résistants dans le marbre dissous par les eaux du lac Tremblant.


Note. – Des corrections et des remaniements (mots rayés, retouches [entre crochets] et «Ajout» à la fin du billet) ont été apportés au texte le 13 août 2012.

Fabuleux paysage sous-marin que Jean-Louis Courteau nous révèle. Courez aller y voir tout de suite (et n'oubliez pas de revenir ici ensuite). Jean-Louis vous promènera de la Mongolie éprouvée au lac Tremblant dans les Laurentides où vivent d'immortelles hydres. Tout ça, c'est est sérieux, de l'authentique, du féérique (moins enchanteur toutefois pour les Mongols, les touladis et autres ouananiches).

L'atmosphère est fantasmagorique (en autant que l'on puisse parler d'atmosphère sous l'eau, bien sûr).


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012.
 2. Des pieux*, des planches qui surgissent du fond du lac comme la charpente d'une épave. Mais non, tout ça est minéral et naturel. Le rubanement du marbre est visible sur le «plancher» (lignes et saillies parallèles). Remarquez la taille, la même, qu'atteignent les deux grands éléments.
[* Des pieux ? non, des rouleaux, plutôt.]



Résumé
Marbre du lac Tremblant, province de Grenville (un milliard d'années) du Bouclier canadien, culbuté par les forces tectoniques de façon à ce que son rubannement se présente à la verticale. Poli par les glaciers qui ont quitté le secteur il y a 10 000 ans, le marbre se dissout peu à peu sous les eaux du lac Tremblant. La disparition du marbre laisse en relief les lits ou rubans verticaux plus résistants, parfois rompus («plaques») ou repliés sur eux-mêmes («rouleaux»).


Le lac Tremblant est traversé par une bande de marbre (calcaire, calcaire cristallin) rubanné ; quelques lits plus résistants à l'érosion forment des lignes de crêtes parallèles (photos 1 et 2), ce qui est banal.

Moins banales sont les «plaques» non moins parallèles (photos 2, 3 et 7), hautes de plusieurs cm (max. 75 cm, à l'estime) qui jaillissent du roc en compagnie de «pieux» «rouleaux» qui pointent avec une relative unanimité dans la même direction (photos 1 et 2).

C'est une vraie radiographie du marbre que nous offre le fond de ce lac.

Ces inclusions résistantes à l'érosion (gneiss, quartzite ou granite ?) que les forces tectoniques avaient bien auparavant redressées dans une position verticale, ont été dégagées par la dissolution graduelle du marbre. Il est difficile d'imaginer que cette dissolution ait eu lieu à une époque (hypohétique, je le précise) où des courants auraient accéléré l'érosion du marbre : ces fragiles structures ont eu besoin de calme pour subsister à leur lente mise au jour. («Jour» tamisé par les eaux du lac, of course.)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
3. Lits résistants dans le marbre, peu à peu dégagés par la dissolution de ce dernier et peu à peu encroûtés et désagrégés à leur tour. On remarque les inclusions ne dépassent pas une certaine hauteur, plus ou moins la même d'une photo à l'autre. Le sommet de ces inclusions représente peut-être le niveau originel de la roche avant que ne débute la lente dissolution du marbre.


Si les «plaques» sont reliquats de lits plus durs dans le marbre ou d'intrusions concordantes dans celui-ci, les pieux rouleaux m'intriguent d'avantage. Sont-ce des inclusions étirées par les forces tectoniques ?... [C'est pas faux, mais... Voir «Ajout» à la fin du billet.]

Quelques-uns de ces pieux rouleaux montrent un sommet plat et lisse (photos 1 et 2). On se demande s'il ne s'agit pas de la surface originelle de la roche après le passage des glaciers et le début de l'érosion au fond de l'eau...  [L'épais biofilm qui recouvre ces rouleaux peut donner l'impression d'une surface plate à leur sommet. Voir «Ajout» à la fin du billet.]

Il serait intéressant de chercher des indices de l'orientation de la structure des roches de l'endroit : rubanement et gneissosité (orientation des surfaces planes), éventuelles linéations (orientation des éléments allongés). Après tout, le lac Tremblant est situé dans un couloir (zone de cisaillement de Labelle-Kinonge) où, il y a un petit milliard d'années, se sont concentrées les effets des forces tectoniques qui ont façonné cette portion du Bouclier canadien. [Passage remanié.]


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012.
 4. Falaise de marbre laminé, libre de grosses inclusions, sauf la formation plissée sur le fond du lac, percée d'une arche.


Il serait intéressant aussi de «prendre des mesures», histoire de vérifier si les plus grandes inclusions ont toutes à peu près la même taille. Ceci nous permettrait d'évaluer le taux d'érosion du marbre à partir d'une hypothétique surface originale. [Cette remarque reste valable.]

Il n'est pas rare de constater des dénivelés de l'ordre de ceux qu'on observe ici entre le marbre dissous et ses inclusions résistantes. Le long de la Gatineau, l'érosion du marbre par l'eau courante atteint plus de 50 cm à certains endroits, près de la berge. Comme le socle rocheux du secteur est fréquemment exposé à l'air libre, les inclusions ne survivent pas longtemps intactes à leur exhumation.

Voir les nombreux billets que j'ai consacrés dans ce blogue à l'île Marguerite, à Gatineau, en particulier celui-ci. (Voir aussi photos 5a et 5b.)


5a. Inclusion sombre en voie d'exhumation, marbre de l'île Marguerite à Gatineau. Photo Henri Lessard, 2012.


 5b. Marbre lardé d'inclusions résistantes plissées, île Marguerite, à Gatineau. Photo © Henri Lessard, 2010.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
 6. Inclusion résistante plissée dans le marbre, au fond du lac Tremblant.


À toi, Jean-Louis
L'explication de Jean-Louis est probablement la bonne : loin des perturbations humaines, animales, végétales et météorologiques (j'en oublie ?) ces fragiles structures ont subsisté en étant laissées en paix :

«S'il est très fréquent de voir des inclusions dans les marbres, il l'est vraiment moins d'en observer de cette forme et de cette taille ! Mais je suppose qu'ici, sous l'eau, à l'abri des tempêtes, du gel, des vandales, des accidents du monde d'en-haut, l'érosion du calcaire cristallin au fil des siècles, des millénaires, s'est faite tout doucement... Le temps que ça a dû prendre m'étourdit !» (Aquadelic)

«Le temps que ça a dû prendre» ? Dans le secteur du lac Tremblant, il s'est écoulé, entre le départ des glaciers et aujourd'hui, environ 10 000 ans.

Notons que le secteur est trop au nord pour avoir été touché par les eaux de l'ancienne mer de Champlain.

Conclusion
Pendant que vous ébahissez du spectacles des merveilles de la nature, moi, je vais réfléchir à un autre de ses aspects : les humains devraient-ils continuer de se reproduire comme de banals mammifères ou plutôt se satisfaire de se régénérer comme les immortelles hydres ? (Cf. le billet de Jean-Louis.)


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
 7. Ce qui semble être un filon de granite (?) discordant recoupe comme une lame de rasoir le marbre et la «plaque» redressée. Bel exemple de radiographie ou de tomographie par soustraction de la matière soluble !



AJOUT (13 août 2012)

Rouleaux impérieux
Impérieuse mise au point. Les «pieux» ne sont pas des pieux. Selon Jean-Louis, qui a tenu à apporter cette précision, il s'agit de rouleaux dont la section horizontale ressemblerait à un U, un C ou un G.

Des biofilms recouvrent les surfaces (plus d'un cm sur les surfaces verticales, jusqu'à 8 cm sur les surfaces horizontales), ce qui contribue à l'illusion de cylindres pleins.


Croquis des «pieux», Jean-Louis Courteau (2012).


Déjà, sur les photos, il était clair que certains «pieux» n'étaient que des fragments de lits résistants plissés et enroulés sur eux-mêmes.

Je reviendrai plus tard avec un supplément d'information.


Photo © Jean-Louis Courteau, 2012
Au pied du grand «pieu» : un fragment boudiné (rompu) d'un lit résistant s'est enroulé sur lui-même et a pris la forme d'un C fermé. S'il était coupé en deux, le pieu se révélerait posséder une structure enroulé semblable. L'épaisse couche de biofilm qui recouvre tout contribue à l'illusion. 


Gros plan du petit rouleau. Extrait du vidéo (capture d'écran) accompagnant le billet de Jean-Louis. Supplément d'information à venir.


Une suite