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lundi 6 mai 2013

Disparitions durables : suite no 2


Note. – Pour des raisons de droits de reproduction, je ne peux maintenir en ligne les images de la première partie de ce billet. Plutôt que de le supprimer en entier, ce qui causerait des problèmes avec d'autres qui y sont reliés, je le conserve tel qu'il était, mais sans les problématiques photos. Il vous suffit de croire mes descriptions sur parole...



Une île à 1,8 m sous la surface de l'eau

L'«île du Parlement» à Ottawa, ou étape de la disparition d'un morceau de terre sous les eaux de la rivière des Outaouais. (Île no 5 dans le billet du 1er avril 2013 (voir en particulier les ajouts 5, 6 et 7 apportés au billet le 5 avril 2014) ; voir aussi celui du 22 avril 2013.)



1965 [photo supprimée]

Île ou excroissance verdoyante accrochée à la berge de la rivière des Outaouais. Partie ouest de la Colline du Parlement, à droite.



1965 (détail) [photo supprimée]

Un chenal semble séparer l'île de la rive, ce qui nous rappelle la configuration reproduite par Robert Théberge-Trépanier dans son tableau (voir billet du 22 avril, lien au début du présent billet).



1991 [photo supprimée]

Île submergée, pelée jusqu'à l'os – ou à la pierre : on distingue (détail, plus bas) sous la couche d'eau les diaclases (ou joints) du socle calcaire qui se croisent selon les directions NW et NE.



1991 (détail) [photo supprimée]

L'existence de cette île, presqu'île ou péninsule, tout dépendant du niveau de l'eau, s'explique par un plateau rocheux de forme triangulaire accroché à la rive et qui s'élargit sous l'eau par une excroissance à 1,8 m de profondeur. Cf. carte marine du ministère des Pêches et des Océans).



2002 [photo supprimée]

La rive a été aménagée et régularisée. Des blocs de calcaire forment une digue continue. Plus de trace de l'île.



2007 [photo supprimée]

Vue plus nette. La situation n'a pas fondamentalement changée depuis.




William Notman, Barrack Hill, vers 1860, sels d'argent sur papier monté sur carton - papier albuminé, 7,3 x 7 cm, don de M. James Geoffrey Notman, N-0000.193.280.1, © Musée McCord.


Ca 1860

Le niveau de la rivière, très bas, révèle l'étendue de la plate-forme calcaire qui prolonge la rive. Des diaclases (joints) découpent les surfaces les plus proches. Voir les photos du billet du 22 avril 2013 pour des épisodes plus verdoyants de l'existence de cette île - plate-forme - péninsule (lien plus haut).



John Burrows, titre original : Upper and Lower Bytown, showing Lots and Streets (détail), 1831, CARTO12353, No MIKAN 4135481, Bibliothèque et Archives Canada

1831

La carte (attention ! le nord est en bas) montre une péninsule dans Brewary (sic) Bay, à l'ouest de Barrack Hill, dans un creux de la cuesta qui se dresse face à la rivière. De fait, une Brewary (resic) se trouvait bien à l'ouest de la future Colline du Parlement (détail, plus bas). Si ce n'était du risque de confusion avec le notoirement connu ruisseau de la Brasserie (Brewery Creek, à l'origine), à Hull (Gatineau), ce serait un nom tout trouvé pour cette presqu'île anonyme. Les fortifications sur la colline, partiellement visibles à gauche, n'ont jamais été construites. L'île en bas est l'île Hull (no 6 dans le billet du 1er avril 2013, lien au début du billet).



Détail du détail.
...


Référence

  • Service hydrographique du Canada, ministère des Pêches et des Océans, Rivière des Outaouais : Papineauville à Ottawa, Québec-Ontario, carte marine no 1515, 1/20 000, 1998, corrigée 2005-12-02.



Ajout (19 mai 2013)

Pour compenser la disparition des photos «interdites», cette image de notre île, ou prolongement de la rive, à une époque plus verte de son existence (à gauche). Voir billet du 22 avril pour d'autres verdures (lien plus haut). (À droite, l'île Hull, verte elle aussi, no 6 dans le billet du 1er avril 2013, lien plus haut.)


Anonyme, vers 1922, plaque sèche à la gélatine, 8 x 10 cm, don de Mr. Stanley G. Triggs, MP-0000.25.176, © Musée McCord.

Ajout (13 avril 2014)

À l'examen des photos aériennes «interdites», on doute que l'hypothèse la plus plausible à première vue pour expliquer la disparition de l'île, celle invoquant la mise en eau du barrage Carillon (1965 1962 [correction 6 août 2014]), soit la bonne*. En 1965, l'île existe toujours, et apparaît couverte de la végétation dense et continue (arbustes ?) qu'on lui voit sur d'autres représentations. Un mince bras d'eau la sépare de la rive. Autrement, elle serait une péninsule étirée vers le NE (cf. «Ajout» du 20 mai 2013). Sur la même photo, l'île Hull, à un peu plus de 200 m en amont, au milieu de la rivière, se porte beaucoup plus mal. Presque nue, sauf quelques touffes d'herbes ici et là, elle est scindée en deux îlots par l'eau qui a inondé la vallée qui la coupe au centre.
* Voir la Commission de planification de la régularisation de la rivière des Outaouais.
En 1999, l'île Hull, en de meilleures circonstances pour elle, émerge en entier. Or, pas de trace de l'île du Parlement, qui pourtant devrait être plus encline à se montrer au soleil. Il faut donc supposer que le barrage Carillon a haussé le niveau de l'eau pour l'île du Parlement tandis qu'il l'a baissé ou l'a maintenu inchangé pour l'île Hull... (Les autres photos prises après 2002 ne permettent pas d'en affirmer davantage, sinon que l'île Hull est généralement plus verte qu'en 1965. L'arbre qui y pousse et s'y maintient d'année en année semble devient apparent sur les photos aériennes en 2002.)


mardi 9 avril 2013

La Petite Chaudière : fêlée ? (Ajouts)


Secteur des chutes des Chaudières, rivière des Outaouais, major G.A. Eliot (1825)
Bibliothèque et Archives Canada



Petit à petit, touche après touche, et surtout retouche après retouche, le portrait dans leur aspect d'origine des chutes des Chaudières sur l'Outaouais se précise. (Voir, parmi mes billets qui leur sont consacrés, celui du premier janvier 2013).

La carte du major Eliot (1825), bien connue pour avoir été reproduite dans plusieurs ouvrages et travaux sur l'histoire de la région de Hull (aujourd'hui Gatineau) et d'Ottawa, est l'une des plus anciennes à décrire le site des chutes des Chaudières. Ne cherchons pas noise à son auteur à propos de l'aspect étonnant par endroits de sa carte, d'autant que le site a subi beaucoup de bouleversements tout au long des presque deux siècles qui nous séparent de la réalisation du document. Des baies ont été comblées, des chenaux ouverts puis enterrés, des îles ont disparu, l'urbanisation et l'industrialisation ont remué terre et roches, recouvert ou détruit bien des choses. (Voir le billet du premier avril 2013.)

La carte de major Eliot a déjà été utilisée dans ce blogue (billet du 23 mars 2013).



Fêlée ?

Cette carte a ceci de particulier qu'elle montre une échancrure dans l'escarpement de la Petite Chaudière. Pendant un temps, j'ai cru que notre major était le seul à rapporter l'existence de cette entaille coupant le front de la cataracte.

(Sur les cartes qui suivent, l'échancrure est identifiée par un I rouge, en référence à la version annotée de la carte d'Austin (1882) que j'ai mise en ligne dans mon billet du premier janvier 2013 – lien donné plus haut. (Note. – Cet élément a cependant été retiré de la carte d'Austin entre la rédaction du présent billet et sa mise en ligne.))

Le réexamen d'une brochure qui dormait depuis longtemps sur les rayons d'une étagère m'a fait réaliser que je possédais depuis longtemps un second témoignage appuyant celui d'Eliot. La carte de P.H. Smith, datée de 1826, en mauvais état et dont je n'ai qu'une version imprimée en noir et blanc d'une lisibilité médiocre, rapporte aussi la présence de cette échancrure.



Carte du major Eliot (1825) : version annotée
Lettres et chiffres en rouge : voir cartes d'Austin (1882) et de Wilson (1938) dans mon billet  du 1er janvier 2013 (lien plus haut). GC. Chute de la Grande Chaudière ; PC. Chute de la Petite Chaudière ; I. Échancrure* ; J. Pot-de-fleurs ; M et 6. Péninsule de la faille Montcalm** ; 3. «Grand Chenal»**. CS et P : collines de la Cour suprême et du Parlement, Ottawa ; MC : Musée canadien descivilisations, Gatineau (approx., la carte me semble bien insuffisante à cet endroit).
* L'élément I a été supprimé de la version de la carte d'Austin présentement en ligne.
** Faille Montcalm et Grand Chenal : Lessard, 1er janv. 2013 (lien plus haut).


Carte du major Eliot (1825) : transcription des inscriptions originales
Au nord, le canton de Hull ; au sud, pratiquement désert, un site surnommé à l'époque Richmond Landing ; à partir de 1827, on parlera de Bytown et, de 1855, d'Ottawa.

Transcription (de gauche à droite, par secteur) :
HULL (rive gauche) : P[hilemon] Wright ; Wright's Town ; Forge & Mill ; Inn & store ; Church ; Gun Shed.
RIVIÈRE DES OUTAOUAIS : Ottawa River ; Chaudière Falls ; Steam Boat ; Sleigh Bay* ;
RIVE DROITE : Lot 29 – Clergy Reserve ; Road to Richmond ; Govt. Stores ; Lot 40 – Le Breton & Sherwood ; Collins ; Richmond Landing ; Sparks ; Government Purchase ; Lot C ; Lot B.
Entre les escarpements CS et P, ce texte, difficilement lisible (voir à la fin du billet) :

A Boom** would be
useful at one of these
places, to keep the 
Sleigh Bay free
from strong(?) timber.

* «Sleigh Bay» est traduit par «Baie des Radeaux» dans le document auquel conduit le lien que je donne ; l'autre terme aussi proposé, «cages», conviendrait mieux. Voir cet autre document sur les cageux. C'est à cet endroit que débouche le canal Rideau. La colline boisée à gauche (ouest) de cette baie est la Colline du Parlement.
** Boom : chaine de poutres reliées fixée ou ancrée servant à intercepter les objets flottants à la dérive.


Détail.


Carte de Smith (1826) : détail
Annotations : mêmes significations que pour la carte d'Eliot : PC. Petite Chaudière ;   
GC. Grande Chaudière* ; I. Échancrure ; J. Pot-de-fleurs. Le rivage et la jetée, au nord de l'échancrure, sont soulignés pour être plus visibles.
* Sur la version non annotée, on peu lire «Big Kettle» au lieu du «Great Kettle» habituel.




Insaisissables Chaudières

Tant que je ne disposais que de la carte d'Eliot, je ne savais pas quelle créance accorder à ce témoignage isolé alors ses contemporains et successeurs semblaient avoir ignoré l'existence de l'échancrure.

Si la carte de Smith ne permet pas de trancher quand à l'importance du phénomène (simple joint travaillé par l'érosion que les hautes eaux submergent et qui n'apparaît qu'aux périodes d'étiage ?), du moins elle confirme sa réalité.

Je serais porté à croire qu'il s'agit d'un élément de la topographie sensible à de subtiles variations du niveau des eaux. Est-ce qui expliquerait la disparition (pour autant que je sache) de cette faille dans les cartes publiées après 1826 ?

C'est l'un des aspects frustrants de mes recherches sur les chutes des Chaudières, l'impossibilité de trouver deux cartes qui en donnent un portrait semblable et (on l'espère) exact.

Le site a beaucoup changé tout au long des presque deux siècles qui nous séparent de la réalisation de ces cartes, levées à une époque où l'empreinte humaine était encore minime. Les cartes n'ont pas toujours été réalisées dans un même esprit, mais, surtout, je me demande si ce n'est pas dans la nature du site d'être un peu insaisissable...



Références

  • Carte d'Eliot, reproduction tirée de : Robert W. Passfield, Construction du canal Rideau : histoire illustrée. Parcs Canada, 1982, 184 p. ISBN 0-660-90857-3.
  • Carte de Smith, tirée de : Francine Brousseau, Historique du nouvel emplacement du Musée national de l'Homme à Hull. Musée nationaux du Canada, coll. Mercure, Histoire no 38, Ottawa, 1984.


Henry DuVernet (1823) : chute de la Petite Chaudière, avec «Forge & Mill»  de Philemon Wrigth, à Hull, Bas-Canada (Québec). Voir la carte d'Eliot pour leur emplacement.
Bibliothèque et Archives Canada, 1989-402-1


Ajout (12 avril 2013)




John Burrows (1824), Plan d'une partie du village de Hull (détail).
«Sur ce plan d'une partie du village de Hull figurent l'église, la taverne, le moulin à farine, le moulin à scie, le barrage, la forge, la boulangerie, les jardins, les bâtiments, la végétation, les chemins, la digue et la place publique (BANQ).»
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, CN301,S49,D3441.


Nous voyons ici une partie de la plus ancienne carte détaillée de la future ville de Hull (1824). À elle seule, cette carte mériterait de longs développements. Je m’en tiendrai aujourd’hui à ce qui touche l’objet de ce billet.

On se repérera facilement d’après les cartes précédentes, aidé de la jetée qui fournit un bon élément de référence. On distingue la chute de la Petite Chaudière, où l’eau se déverse dans un couloir étroit (que j’ai appelée «tranchée de la Chaudière» dans mon billet du 1er janv. 2013) entre l’escarpement de la chute proprement dite et la rive, immédiatement en aval.

Puis, enfin, l’élément qui justifie l'ajout de la carte au billet, l’entaille qui s’élance vers le NW à partir de la Petite Chaudière (face à la presqu’île, au sud). C’est le plus ancien témoignage de cette faille dont l’existence m’avait encore parue il y a peu très incertaine.

Sa nature superficielle est manifeste, si l’on en juge par le rendu du dessin. L’eau passe par-dessus sans être déviée ou dérangée.

Je remercie Louise Nathalie Boucher, de l’Université d’Ottawa, et auteure d’une thèse sur le site des Chaudières (Interculturalité et esprit du lieu : les paysages artialisés des chutes des Chaudières, Univ. d'Ottawa, 2012), de m’avoir donné la référence de cette carte. (Comme c'est la découverte de sa thèse qui a déclenché mon intérêt pour le site des Chaudières, je en peux faire moins que de la remercier de cette information !)

Le paysage de DuVernet (plus haut) a été peint à partir de la presqu’île, au sud, en regardant vers le nord, dans l'axe de la «tranchée». Là encore, de longs développements seraient tout à fait justifiés…


Ajout (10 avril 2013)


Détail, tourné à 90°, de la carte du major Eliot (1825). Ce que je parviens à lire :

A Boom would be
useful at one of these
places, to keep the 
Sleigh Bay free
from strong timber.

Ces deux îles correspondent aux nos 5 (à gauche, au sud) et 6 (à droite, au nord) dans le billet du 1er avril 2013. La 5 n'existe plus, rattachée en partie à la rive et en partie submergée – difficile d'évaluer dans quelles proportions.

Ajout (25 juin 2014)

La plus ancienne carte des Chaudières (1819), à ce que je sache, mais comment être catégorique ? À comparer avec celle de John Burrows (1824), plus haut.


Fonds John Jeremiah Bigsby, Kettle, or Chaudiere Falls, Hull, Ottawa River, vers 1819.
L'échancrure irrégulière : la Grande Chaudière ; la falaise rectiligne S-N qui y est rattachée : la Petite Chaudière. Une partie de la digue qui figure sur les cartes d'Eliot, de Burrows et de Smith est apparente à droite (au nord).  Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 3028520.
Précisions offertes par BAC :
«The image is from a grangerized volume of Bigsby's 1850 publication The Shoe and Canoe, to which Bigsby added or inserted drawings, maps, and prints as well as many annotations.This work is a diagram by Lieut.-Col. Robe, a member of the Royal Staff Corps. There are inscriptions on p. 145 of the first volume which mention a sketch made by Robe of Hull and its vicinity[.] Removed from: Publication: In Bigsby, John J., "The shoe and canoe, or, Pictures of travel in the Canadas..., London: Chapman and Hall, 1850, vol. 1, glued down to folio inserted between pp. 150-151[.]»

dimanche 17 mars 2013

Trou du Diable numéro bis et chenal perdu (Ajouts)


Ce billet avait des problèmes d'affichage que j'espère avoir
réglé en justifiant tout le contenu à gauche (19 mars 2013).


Fig. 1. «Timber Channel at the Chaudiere Falls» (1829)
Titre original : Plan of the Proposed Improvements in the Timber Channel at the Chaudiere Falls By Lt. Col. By Commanding Royal Engineers. [Drafted by : John Burrows, Overseer of Works, E.D. John By, Lt. Colonel Royl. Engrs. Comg. Rideau Canal, 1st January 1829.]
Pour les toponymes : voir fig. 5.
Bibliothèque et Archives Canada, no MIKAN 4135485
http://data2.archives.ca/nmc/n0021865.pdf


On connaissait déjà le Trou du Diable, sous la chute de la Petite Chaudière (voir le billet du 27 déc. 2012), à Gatineau (respectivement H et A sur la fig. 2).



Fig. 2. Chute des Chaudières sur l'Outaouais
Détail annoté de la carte d'Austin (1882).
A. Petite Chaudière ; B. Grande Chaudière ; C. Barrage des Chaudières ; D. Tranchée des Chaudières ; entre D et M : «grand chenal» ; E. Escarpement Ouest ; F. Amphithéâtre et le «petit chenal» ; G. Escarpement Est ; H. Trou du Diable ; J. Îlot du «pot-de-fleurs» ; K. Baie (île Chaudière) ; L. Baie (île Victoria) et chute du chenal perdu + Trou du Diable no bis ; M. Péninsule (faille Montcalm). La ligne pointillée discontinue marque l'alignement de G, J, K et L.
La carte originale ne donnant que le nord magnétique (variable), le nord astronomique que j'indique ici ne peut être exact au degré près. Pour en savoir plus sur cette carte (et le secteur qu'elle décrit), voir le billet du premier janvier 2013.


Or, voici que je découvre qu'il en a existé un autre, dans le chenal perdu («Lost Channel»)*, entre les îles Chaudière et Victoria. Voyez de plus près la carte de By et Burrows (le L correspond à la même lettre sur la carte d'Austin en fig. 2) :

* Plus prosaïquement nommé sur les cartes modernes le canal de l'O.H.E.C. (Ottawa Hydro Electric Commission).



Fig. 3. Détail de la carte de By et Burrows en fig. 1.
En amont du pont : le mot «Falls». Le pont passe, au moins depuis 1882, en amont des chutes (fig. 2).



Fig. 4. Détail du détail de la carte de la carte de By et Burrows en fig. 1.
Le «Devil's Hole», second du secteur, après celui de la Petite Chaudière (H sur la fig. 2).


Ce n'est pas tout.

La carte de By et Burrows (détails en fig. 3 et 4), ainsi que d'autres de la même époque, montrent qu'une petite chute occupait la largeur du chenal perdu entre les îles Chaudière et Victoria (fig. 5). Le mot «Falls» lève tout équivoque. Il ne s'agit pas de rapides, mais bien, si modeste soit-elle, d'une chute, la différence étant parfois difficile à trancher sur ces anciennes cartes en l'absence d'indications claires.

Décidément, c'est une cascade diabolique de tourbillons, chutes et autres chenaux – sans parler des chaudières et des pots-de-fleurs – dans un tout petit secteur. (Voir billet du premier janvier 2013.)

Ce Trou du Diable no bis n'a pas survécu aux multiples bouleversements qu'à subi le site depuis 1829, année du levé de la carte de By et Burrows. Le chenal naturel, comme les autres du secteur, a été canalisé et harnaché. (Fig. 7-9 ; voir aussi le billet du 7 mars 2013 sur la centrale de l’Ottawa Electric Railway Company, immédiatement à l'est du pont de la Chaudière.) 

Ajout (24 avril 2013). La baie du Trou du Diable no bis existe toujours : le «water plant» de l'Ottawa Electric Railway Co. forme un bassin à ciel ouvert où se devine facilement ses contours. La centrale elle-même a été érigée sur la rive est de la baie. Voir billet du 7 mars 2013, lien paragraphe précédent, 3e photo.)

(Sur les légendes et histoires de pêches qui entourent le Trou du Diable de la Petite Chaudière et la caverne qui siphonnait ce tourbillon, voir le billet du 15 décembre 2012.)



Fig. 5. Détail annoté de la carte de By et Burrows en fig. 1.
Le L selon la fig. 2. Le pont existe toujours, après avoir connu maints avatars (pont de la Chaudière).
Les toponymes ajoutés n'étaient pas nécessairement en usage à l'époque (1829).



Fig. 6. Détail de la carte d'Austin en fig. 2
Le «vrai» Trou du Diable, le seul qui semble être demeuré dans la mémoire collective. Les mots «Devil's Hole» se lisent au centre de l'image. Voir le billet du 3 février 2013 pour constater ce qu'il en est advenu.



Fig. 7



Fig. 8
(Fig. 7 et 8) écluses et digues sur le site du chenal perdu qui porte bien son nom (depuis le pont des Chaudières où ces photos ont été prises, il n'est pas possible de bien le voir). La chute et le Trou du Diable no bis n'ont pas survécu à tant de modernité. Ils devaient se trouver entre le pont et la centrale de l’Ottawa Electric Railway Company (l'édifice en brique rouge, voir mon billet du 7 mars). Photos 12 janvier 2013.



Fig. 9. Chenal perdu, section en amont du pont de la Chaudière, à la faveur d'une opportune éclipse de soleil (30 déc. 2012).



Conclusion

La présence de la chute du chenal perdu près du point L (fig. 2) confirme que «quelque chose» – quelque soit sa nature, faille ou joint – affecte le socle du site des Chaudières dans l'axe SSE de la Tranchée des Chaudières (D, fig. 2). Cette faille ou ces joints ne se révèlent vulnérables qu'aux atteintes de l'eau courante. Sur les île et la terre ferme, rien ne la signale.

Voir le billet du premier janvier 2013 pour plus ample information (lien plus haut).


Références

  • A.W. Austin, C.E., P.L. Surveyor, Plan of the Lower Village of Hull, shewing its position relative to the city of Ottawa, the property of the heirs of the late Ruggles Wright Esquire. Chewett & Co. Lith. Toronto, 1882. Bibliothèque et Archives Canada, no MIKAN 4126312. http://data2.archives.ca/nmc/n0020966.pdf
  • Carte de Burrows et By : voir fig. 1.


Ajout (13 avril 2013)


Autre pièce au dossier :


Fig. 10. Titre original : Plan and Section of the Chaudiere Falls Ottawa River and the Line of Bridges over the same. [1830] John By, Lt. Colonel. Royl. Engrs. Comg. Rideau Canal. 8th July 1830. John Burrows, Overseer of Works.
Le nord est à droite.
Bibliothèque et Archives Canada, Microfiche NMC16833, CARTO12053, MIKAN 4135260


Fig. 11. Détail de la fig. 10. Contraste retouché et nord remis en haut.


Description du détail (fig. 11).

La chute et la baie (le L qui les signale sur les autres cartes n'a pas été reproduit ici) se remarquent d'elles-mêmes au centre de l'image (cf. fig 5). On observe de petites chutes ou de brefs rapides à la sortie des chenaux, à droite. Le chenal asséché, au sud, tout en bas, montre la configuration qui doit être celle des autres chenaux, avec le brusque dénivelé à son embouchure.

Il est étrange que ces seuils, même modeste, ne se poursuivent pas en sol émergé, sur les îles et la rive. S'agirait-il de lignes de faiblesses dans le socle révélées uniquement par l'érosion fluviatile ?

L'impression générale est que toute la zone des îles constitue un plateau sur lequel la rivière a buté et qu'elle a découpé par des chenaux à défaut de pouvoir le contourner.

On pourrait m'opposer le peu de précision de ces cartes anciennes. Elles ont pourtant été faites avec tout le soin qu'il était nécessaire et possible d'y apporter. Les traits de la topographie sur lesquels j'attire l'attention n'existaient déjà plus quelques années après leur réalisation ; ces cartes demeurent l'unique témoignage de l'état des lieux avant que l'intervention humaine massive.

dimanche 10 février 2013

Chutes des Chaudières : autre point de vue


Hull (Gatineau) et Bytown (Ottawa), de part et d'autre de la rivière des Outaouais, ca 1859, 
Thomas Stent et Augustus Laver, lithographie coloriée. À l'avant-plan, les chutes des Chaudières et 
le pont de la Chaudière (Union Bridge).
Bibliothèque et Archives Canada, R11188-3-X-F, ICON181737, no MIKAN 2895939.


Pour en finir avec les chutes des Chaudières, leur aspect et leur géologie (c'est le 12e billet que leur consacre depuis décembre dernier), cette lithographie de Stent et Laver, réalisée avant que le site ne soit trop altéré par l'intervention humaine, l'une des rares à les présenter en entier et sous un angle favorable.


Détail annoté. Le nord est à gauche.
En rouge : voir mes annotations de la carte d'Austin (1882), billet du premier janvier 2013.
P.C.
Chute de la Petite Chaudière, devant le pont Chaudière, ou Union Bridge (A et E sur la carte

d'Austin) ; G.C. Chute de la Grande Chaudière (B et F sur la carte d'Austin) ; H. Trou du Diable 
(au pied du rocher devant le pont) ; J. Îlot du «pot-de-fleurs» (voir les billets du 5 décembre 2012 
et du 20 janvier 2012). Accès au glissoir (X) et sortie du canal (X') qui permettaient au cages ou
radeaux de bois d'éviter les chutes ; notez les cages alignées à l'entrée ; P. Barrack Hill, future Colline
du Parlement. (Bytown ayant changé son nom pour Ottawa en 1855, j'ai commis un
anachronisme en employant ici le premier toponyme.)


Résumé en forme d'exposé
Pour comprendre l'image ci-haut, voici une courte récapitulation de ce qui a été déjà dit (voir mon billet du premier janvier 2013.) (– Moi, me répéter ? Mais non, je ne me répète pas, j'insiste, et j'accumule documents et évidences, c'est pas la même chose du tout !)

La chute de la Grande Chaudière dessine un amphithéâtre dans lequel l'eau s'engouffre de trois côtés. Selon le niveau des eaux, la proportion de roc (calcaire) affleurant à sec est très variable.

La Petite Chaudière, rectiligne, prolonge la Grande vers le nord. Cette mini-Chaudière porte mal son nom et se décrirait mieux comme une tranchée occupée par un chapelet d'îlots, lesquels ont grandement facilité la construction du pont de la Chaudière. Le mur aval de la tranchée, non visible, est masqué ici par l'ouvrage. Orientée NNW, à angle droit avec la rivière qui coule vers le ENE, la tranchée est un élément discordant dans le paysage et il est difficile d'expliquer sa genèse.

Depuis la fin de la dernière glaciation, il y a 10 000 ans, les Chaudières ont reculé de plusieurs centaines de m jusqu'à leur position actuelle, créant le chenal entre les îles Philemon (au nord) et Chaudière-Victoria (au sud).

Pour continuer terminer
Autre vue à vol d'oiseau, plus récente et selon un angle différent ; le chenal îles Philemon / Chaudière-Victoria, juste avant l'élargissement de la rivière, s'appréhende mieux ici  :


Les chutes des Chaudières, emmurées et masquées, entre Gatineau (à gauche) et Ottawa 
(à droite), juin 2006. Le pont des Chaudières se reconnaît à sa superstructure peinte en vert. 

mercredi 19 décembre 2012

Chutes des Chaudières : leur origine


Les chutes des Chaudières sur la rivière des Outaouais : à l'arrière-plan, au nord, Hull.
William James Topley (1845-1930), Chaudière Falls/Chutes de la Chaudière, ca. 1878-1882. 
Bibliothèque et Archives Canada, PA-012546.


La question de l'origine des chutes des Chaudières ayant été soulevée dans mon billet du 5 décembre 2012, je me suis vite tendu compte que ce genre de préoccupations n'obsède les géologues actuels. Il faut creuser les couches du savoir et exhumer de vieux textes pour espérer rapporter quelques renseignements à la lumière.

Les travaux les plus récents qui traitent de la question datent des années... 1910. Je ne parle évidemment pas de ceux qui ont repris ces textes par la suite dans leurs propres productions, comme je suis en train de la faire ici.

Un lit neuf (et accidenté) pour l'Outaouais
«[...] the main features of the bedrock topography [de la région d'Ottawa] are pre-Glacial in origin and were not greatly modified by glacial erosion (Johnston, 1917 ; p. 7)

Au Tertiaire (65 - 2,6 millions d'années), une longue période d’érosion a modelé les grands traits de la topographie régionale que les glaciations du Quaternaire se sont contentées de retoucher ensuite. C'est à cette époque que nous devons les cuestas – plateaux présentant une falaise abrupte au nord et une pente adoucie vers le sud – qui se dressent sur la rive droite de l'Outaouais, échelonnées de distance en distance à mesure que l'on s'éloigne du Bouclier canadien, au nord de Hull (Gatineau) :

«[The cuestas] are largely independant of the [local] faults and clearly owe their origin to differential weathering and stream erosion (Johnston, 1917 ; p. 8)

On sait que l’Outaouais, dans le secteur des Chaudières, coule sur un lit «tout neuf», inauguré après que les grandes glaciations soient venues perturber le paysage. L’actuelle rivière a commencé à tracer son chemin dans l’argile de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, avant de déblayer le till glaciaire sous-jacent et rebondir enfin sur un socle rocheux dénudé, mal adapté à l’écoulement paisible des eaux. D’où de multiples rapides et les chutes des Chaudières. (Voir mon billet du 5 décembre 2012, lien donné plus haut).

«The Ottawa river in the vicinity of Ottawa flows [...] at the base of the limestone escarpment fronting the old land to the north [Bouclier canadien], and occupies a post-glacial channel in the sense that the probable pre-glacial course of the Ottawa or its predecessor was several miles to the south, where well borings show the presence of a broad, deeply drift-filled valley*. The limestone escarpment, however, is believed to be for the most part pre-glacial in origin and due to stream erosion through a protracted period in pre-glacial times.

In post-glacial time it is probable that the Ottawa river has cleaned out and somewhat deepened the old valley in the vicinity of Ottawa, and the steepwalled gorge which extends for a short distance below the Chaudière falls is evidently due to post-glacial erosion (Goldthwait et al., 1913 ; p. 133)

* La question du lit original, ou pré-glaciations, de l'Outaouais est une toute autre histoire. Affaire à suivre.


Les chutes des Chaudières sur la rivière des Outaouais. (Sans date.)
À l'arrière-plan, le pont ferroviaire Prince-de-Galles, construit en 1880, 
et les îles qui suivent le tracé de la faille Hull-Gloucester.
William James Topley (1845-1930), Chaudière Falls/Chutes de la Chaudière, ca. 1878-1882. 
Bibliothèque et Archives Canada, PA-011378.


Les chutes reculent
«The principal fall in the Ottawa river occurs at Chaudiere falls at Ottawa where the water falls over a low escarpment of Trenton [Ordovicien] limestone. A series of narrow gorge-like channels below the falls, the largest one being occupied by the main volume of the river, shows the distance the falls have receded in post-Glacial time. The total distance is only about one-quarter mile [400 m]. The maintenance of the falls is owing to the well jointed character of the rocks which permits large masses to be separated by widening of the joints and finally to be worn away, leaving a still nearly vertical front over which the water falls. The general uniformity of hardness of the beds, however, has prevented a rapid recession of the falls (Johnston, 1917 ; p. 8-9).»

À l'ouest des chutes, la faille Hull-Gloucester – ou plutôt le faisceau de failles que l'on regroupe sous ce nom (voir mon billet du 5 déc.) – a plissé et redressé, sur les deux rives et les îles qui suivent son tracé, les lits autrement horizontaux du calcaire Trenton. Un rejet de 15 à 18 m a pu être mesuré*. Plus au S, le rejet de la faille Hull-Gloucester peut atteindre 550 m.

* Évitons tout malentendu ici. Ce n'est pas un rejet semblable qui serait à l'origine des chutes des Chaudières. Ces failles ont joué il y a bien longtemps – peut-être 100 millions d'années – et l'effet de l'érosion a été d'aplanir les différences de niveaux qui ont pu exister entre les compartiments de part et d'autre des fractures du socle rocheux.

Voir mon billet sur la failles des Allumetières qui doit appartenir à la «famille» de la faille Hull-Gloucester et qui présente, tout comme elle, un abaissement du compartiment NE.

Et la caverne ?
Aucun de ces textes ne parle de la fameuse caverne sous les chutes. J'en arrive à croire que ce n'est qu'une légende. Pourtant, Bouchette, qui, à défaut de la décrire, en a parlé (voir mon billet du 15 décembre 2012), était un arpenteur aussi sérieux que messieurs Goldtwaith, Johnston et Keele étaient de distingués géologues...


RÉFÉRENCES
  • W.A. Johnston, Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 pages, 1917, avec carte 1662 (1/63 360).
  • J.W. Goldthwait, J. Keele and W.A. Johnston, Excursion A10. Pleistocene : Montreal, Covey Hill and Ottawa, in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa (excursions A6, A7, A8, A10, A11), Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps).

NOTE. – Ce billet comportait une suite que j'ai supprimée puisqu'elle faisait double emploi avec le billet du premier janvier 2013 qui offre une sorte de synthèse sur la question de l'origine des chutes des Chaudières. Je vous invite à aller le consulter.

mercredi 5 décembre 2012

Pot-de-fleurs aux Chaudières


Mise en page revue le 31 mai 2020. Menues retouches au texte.



Chaudière Falls, Philemon Wright's on the Ottawa, John Elliott Woolford, 1821 ; 14,9 x 23,8 cm, aquarelle [...] ; Musée des Beaux-Arts du Canada, no 23440 (lien). Un pot-de-fleurs, couronné de végétation, subsiste, tout droit à l'aplomb en aval des chutes.


Ce billet a une suite qui nuance certaines affirmations.

Il semble qu’il existait au début du XIXe siècle un pot-de-fleurs sur la rivière des Outaouais, en aval des chutes des Chaudières, entre les actuelles villes d’Ottawa et de Gatineau.

Pot-de-fleurs : pilier résiduel résultant du démantèlement d’une formation rocheuse par l’action érosive de l’eau et des vagues. Souvent, la végétation prend racine à leur sommet, d’où ce surnom. Les monolithes bien connus du parc national de l'Archipel-de-Mingan, au Québec, sont des sortes de pots-de-fleurs, la plupart chauves. (Voir aussi la Flowerpot Island, dans la Baie Georgienne, en Ontario.) Pour la justesse de ce terme dans ce contexte, voir aussi les commentaires à la fin du billets.

C’est en cherchant de vieilles représentations de la région de l'Outaouais dans Internet que j'ai découvert la thèse de Louise Nathalie Boucher, Interculturalité et esprit du lieu : les paysages artialisés des chutes des Chaudières (Univ. d'Ottawa, 2012), document qui m'a mené à une seconde découverte, celle de notre pot-de-fleurs local. Il apparaît sur deux aquarelles de John E. Woolford, réalisées en 1821 (Boucher, fig. 4 et 19, pages 44 et 89 ; l'une d'elles est reproduite au début de ce billet.)

Cette potiche fleurie a dû s'écrouler très tôt après l'exécution des aquarelles, puisqu'il semble n'en exister aucun autre témoignage, du moins à ma connaissance, pas même pour en rappeler l'existence. [Voir le billet du 8 juin 2014.]

Les chutes, hier...

« [...] Il y a quantité de petites îles qui ne sont que rochers âpres & difficiles [...] L'eau tombe à un endroit d'une telle impétuosité sur un rocher, qu'il s'y est encavé par succession de temps un large & profond bassin : si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent Asticou, qui veut dire chaudière [Le saut de la Chaudière]. Cette chute d'eau mène un tel bruit [...] qu'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passant par là, font une cérémonie [...] » (Tiré des Voyages [...] de Champlain, 1613.)
« Le point le plus historique de l’Ottawa [de l’Outaouais] est sans doute la chute de la Chaudière. [...]
Le premier saut se nomme la grande Chaudière d’après la forme de l’endroit où l’eau se précipite. Juste au-dessus de celle-ci, l’eau se contracte dans une passe étroite et le courant devient très rapide. Plusieurs îles obstruent le passage et la rivière prend une apparence formidable, l’eau bondissant de rocher en rocher après avoir passé par-dessus un mur de roc qui semble fermer la rivière à cet endroit. La plus grande partie de l’eau passe et tombe d’un rocher, qui a la forme de deux tiers de cercle, dans un gouffre qui a plus de trois cents pieds [90 m] de profondeur. À l’extrémité nord se trouve comme une caverne (1) formée dans le roc du rivage et nommée petite Chaudière ou trou du diable ; l’eau y coule dans un souterrain pour sortir plus loin dans la rivière. Du côté sud s’écoule un peu d’eau par le Chenal perdu. Aujourd’hui les usines qui y sont construites de chaque côté masquent et défigurent la beauté de cette chute si vantée par les anciens voyageurs (2). » (Lucien Brault, Ottawa : capitale du Canada de son origine à nos jours. Les Éditions de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 1942, p. 32-33.)
(1) Cette intrigante caverne, signalée encore dans un autre témoignage qui suit immédiatement, n’a jamais été décrite, à ce que je sache.
(2) La rive ontarienne a été aménagée depuis la parution de ce texte, sans rendre les chutes mieux visibles.

« ‘‘À la fonte des neiges [relate Henry (3)] ou au cours des périodes de pluie, un remous, une accumulation d’écume, à un endroit particulier du gouffre, m’ont fait soupçonner l’existence, dans le fond, d’une ouverture par laquelle l’eau se fraie un passage souterrain.’’ Ce passage souterrain où l’eau s’engouffrerait pour retourner à l’Outaouais un peu plus bas, en a intrigué plus d’un. Un homme y aurait même été englouti pour en ressortir vivant et raconter son aventure (4).
Henry attribue le nom de chaudière à la poussière d’eau qui se dégage de la chute sous forme de nuage, comme la vapeur d’une bouilloire. ‘‘Son nom est motivé par le brouillard, la vapeur, qui s’en dégage,’’ dit-il. Il appelle la chute ‘‘the great kettle’’, littéralement la grosse bouilloire, le gros chaudron. C’est d’ailleurs ce que voulait dire le nom indien d’Asticou, que Champlain n’a fait que traduire quand, s’arrêtant à cet endroit, il lui a donné le nom de Chaudière.
Le chevalier de Troyes [en 1686] nous fournit une autre explication de ce toponyme. Il faudrait l’attribuer, selon lui, à la présence d’un trou en forme de chaudière qui se serait creusé avec le temps sous l’action de l’eau tombant sur les rochers(5). Citons ce passage du journal de l’expédition à la baie d’Hudson : ‘‘… portage de la Chaudière que les voyageurs ont ainsi nommé, parce qu’une partie de la rivière qui tombe parmi une confusion affreuse de rochers, se jette dans un trou d’une de ces roches faite en forme de chaudière dont l’eau s’écoule par dessus.’’ » (Guillaume Dunn, Les forts de l'Outaouais. Éditions du Jour, Montréal, 1975, p. 76-77.)
(3) Alexander Henry, Travels and Adventures in Canada and the Indian Territories between the Years 1760 and 1776, cité par Dunn.
(4) Revoici cette caverne, toujours aussi énigmatique. On sait qu’il existe des cavernes dans le lit de l’Outaouais, beaucoup plus en amont, près de l'île aux Allumettes, dont la formation remonterait à la dernière glaciation. À propos de celle des chutes des Chaudières, on en dit pas grand mot : la région est pleine de ces choses à peine décrites que déjà oubliées... [Voir le billet du 15 décembre 2012 à propos de ces cavernes.] Quant à l'anecdote de l'homme rescapé de son passage dans la caverne, sorte de Jonas après la lettre, qu'il me soit permis d'exprimer mes doutes...
(5) S'agirait-il d'une... marmite ? [Voir mon billet sur la marmite des Allumettières.]

... et aujourd'hui

Harnachées, environnées par des installations industrielles vétustes, les chutes sont peu visibles, de la rive gauche comme de la rive droite de l'Outaouais. L'hémicycle formé par le barrage en ferme la vue depuis l'amont et les côtés ; en aval, une vue platement frontale est possible entre des poutres d'acier, depuis le pont des Chaudières, lieu peu propice à l'observation. [Voir le billet du 9 décembre 2012, « Invisible nombril ».]

Les chutes des Chaudières, autrefois splendides, aujourd'hui domptées et cachées...

Un peu de géologie cassante

Une faille d’importance régionale, la faille Hull-Gloucester, coupe les calcaires ordoviciens env. 1 km en amont des chutes des Chaudières, du NW vers le SE. Tout le secteur est d'ailleurs traversé par des failles secondaires, d'orientation diverses. Aucune cependant ne semble expliquer la dénivellation des chutes des Chaudières, ni le « profond bassin » décrit par Champlain.



Carte : Wilson, A E, 1938, Ottawa Sheet, East Half, Carleton and Hull Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, Carte 413A, 1 feuille (1/,63 360) doi:10.4095/107511.
Géologie d'une partie de la ville de Hull (aujourd'hui Gatineau), au Québec, et d'Ottawa, en Ontario.
Les couleurs et les nombres renvoient aux différentes variétés de roches sédimentaires du Paléozoïque (calcaire, shales, grès) qu'il est inutile de détailler ici. Les minces lignes ondulées représentent des failles. La plus importante, la faille Hull-Gloucester, traverse le secteur du NW vers le SE à l'extrémité ouest de la carte ; elle passe entre les « Little Chaudière Falls » et les « Chaudière Falls » (en haut, à gauche) et du lac Dow (en bas, au centre). L'astérisque noir est placé au pied de la Colline du Parlement, près des écluses du Canal Rideau. Faut-il préciser que la rivière en haut est la rivière des Outaouais et que le courant s'écoule de la gauche vers la droite ?...



...
© Google Map 

La carte de Wilson (1938) et une vue moderne, par satellite, du secteur des chutes des Chaudières.
GC : Grande Chaudièere, sous le barrage en hémicycle ; PC : pont des Chaudières. La construction du pont Union (nom originel) a probablement causé la perte du pot-de-fleurs. Voir le billet du 8 juin 2014.


[Ajout, 19 déc. 2012 : le rôle de ces failles est à revoir dans un contexte plus large. Affaire à suivre... En attendant, voir mon billet du 19 décembre sur l'origine des Chutes.]

On sait que l’Outaouais, dans le secteur des Chaudières, coule sur un lit « tout neuf », inauguré après que les grandes glaciations soient venues perturber le paysage. L’actuelle rivière a commencé à tracer son chemin dans l’argile de la mer de Champlain il y a 10 000 ans et s’écoule par endroits directement sur un socle rocheux dénudé, mal adapté à l’écoulement paisible des eaux. D’où de multiples rapides et les chutes des Chaudières.

Pour terminer, la terminologie...

On pourrait chicaner à propos de l'appellation pot-de-fleurs que je donne au pilier de calcaire représenté au centre de l'aquarelle de Woolford. Peut-être n'est ce qu'un trognon d'île, mais aucun lexique géomorphologie ne relève cette expression...

À ma connaissance, les aquarelles de Woolford reproduite dans Boucher (2012) sont les plus anciennes représentations des chutes des Chaudières qui existent (affirmation à vérifier) et aucune de celles qui lui sont postérieures (toujours à ma connaissance) ne montre ce pot-de-fleurs solitaire. Les quelques recherches que j'ai faites pour trouver d'autres représentations de cette formation et, ainsi, pouvoir mieux estimer l'époque de sa disparition. n'ont rien donné. Affaire à suivre... [Voir le billet du 8 juin 2014.]

AJOUT (6 décembre 2012). – Roger Latour, de Flora Urbana, s'est permis (quelle audace) de « laver » l'aquarelle de Woolford, pourtant propriété de Sa Gracieuse Majesté et entreposée dans son Musée des Beaux-Arts. Le résultat, comparé à ce qu'une octogénaire espagnole a fait à la figure du Christ, est plein de respect et d'un professionalisme indéniable !



Woolford (1821), revu par Latour (2012).



Henry DuVernet, Vue du moulin et de la taverne de Philemon Wright aux chutes des Chaudières, à Hull, sur la rivière des Outaouais, Bas-Canada, 1823. (Bibliothèque et Archives Canada, 1989-402-1) Le bâtiment au clocheton sur le toit est visible à l'arrière-plan de l'aquarelle de Woolford. [Voir, dans les Commentaires, la précision apportée par Louise N. Boucher.]