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samedi 31 mai 2025

Carbonatite bréchique de l'autoroute 5 : 35 ans plus tard

Carbonatite bréchique constituée de calcite, chargée de fragments de gneiss enrobés de mica (phlogopite). Autoroute 5, Chelsea, au nord de Gatineau, Qc. Photo 17 juin 2000.

Elle avait fait l’objet d’une de mes premiers billets de ce blogue(1). Une brèche de calcite chargée de xénolites anguleux. Il était difficile de la rater, la couche de mica qui recouvrait les xénolites chatoyait au soleil dans un virage de l’autoroute 5, à Chelsea, au nord de Gatineau. À mon idée, il devait s'agir d'une carbonatite, une fois écarté l'hypothèse possible, mais moins séduisante, d'une mobilisation du marbre local sous les pressions tectoniques. Quand même, la chose était suffisamment visible pour ne pas échapper à l’attention des nombreux géologues qui étudiaient les carbonatites et fénites de la région, sources potentielles de minéraux stratégiques, tels le niobium et les ÉTR. L'un d'eux, m'apportant son avis autorisé, allait venir m'éclairer sur la chose.

La réponse s'est longtemps fait attendre, presque 35 ans - ma découverte de la chose remontant aux environs de 1990. Elle est venue dans un document paru en 2021(2) ; son titre, peu évocateur, explique que je n'en ai pris connaissance que ces derniers jours. Il s’agit bien d’une carbonatite bréchique, élément d'un ensemble d'intrusions apparentées au nord de Gatineau

  • (2) Marc Legault, Ludivine Da Rosa, Flore Parisot et Robin Potvin, MB 2022-01, Travaux de recherche sur les minéraux critiques et stratégiques réalisés par les stagiaires de l’École de terrain. Min. de l'Énergie et des Ressources naturelles, Québec. La partie qui concerne la région de Gatineau, intitulée « Évaluation du potentiel en éléments de terres rares associés aux dykes de carbonatites du secteur de l’Outaouais », signée L. Da Rosa, commence à la page 24. Lien pour télécharger le rapport.

Voir aussi, sur le même sujet :

  • Bouallal I.A.., Legault M.., Mvondo, H., Cartographie des carbonatites et des fénites au nord de Gatineau et leurs potentiels en éléments de terres rares (ÉTR), Province de Grenville. MB 2025-11, 2025. 61 pages. Lien pour télécharger le document.
  • Legault, M., Gaxotte, T., Dommesent, C., Travaux de recherche sur les minéraux critiques et stratégiques réalisés par les stagiaires de l'École de terrain. MB 2023-01, 2022. 50 pages. La partie qui concerne la région de Gatineau, intitulée « Évaluation du potentiel en éléments de terres rares associés aux dykes de carbonatites du secteur de l’Outaouais », signée T. Gaxotte, commence à la page 204. Lien pour télécharger le rapport.

Voir aussi (billets de ce blogue) :

La suite du billet est la reprise du contenu de mon billet de 2009 sur la brèche de l'autoroute 5, avec des mises au point apportées par la nouvelle documentation. Dans le texte de 2009, je parlais d'une intrusion de calcite, sans employer le mot brèche. De petites retouches au texte sont entre [crochets]. Un document visuel a été ajouté à la fin.

* * *

Une carbonatite, il est peut-être bon de le préciser avant d'e passer à la reprise du billet de 2009, est une roche magmatique composée de carbonates (calcite ou dolomite) ; elle a de ce fait la même composition que les marbres qui, ultimement, sont d'origine sédimentaire. Si ces derniers sont abondants dans la région, les carbonatites sont plus rares et affleurent sur des surfaces restreintes. Les carbonatites peuvent être des sources de minéraux stratégiques (niobium, ÉTR). Celles de l'Outaouais sont trop modestes et trop éparpillées pour être exploitées. Elles sont malgré tout l'objet de travaux d'exploration.

* * *

Intrusion de calcite à Chelsea (Québec), autoroute 5

Billet du 22 nov. 2009

Photo 18. – Vue d’ensemble de l’intrusion [ou brèche] de calcite. De gauche à droite : NW-SE. Autoroute 5, Chelsea, au nord de Gatineau, Qc.

Photos : 17 juin 2000.
Texte retouché le 25 juillet 2012 ; ajouts le 31 mai 2025.

Localisation

SNRC 31G/12. Autoroute 5, Chelsea (Québec), à 2,5 km au Sud de la sortie Tulip Valley ; 45°33'34.58"N ; 75°50'56.74"O.



Photo © Google Earth ; en surimposé, géologie (tirée de la carte SI-31G12-G3P-03B : compilation géologique 1 / 50 000, SNRC 31G12, Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Québec, 2007.) Réalisation de la carte : © Henri Lessard, 2009.
On distingue l'autoroute 5, la rivière Gatineau.
Carré blanc (au bout de l'autoroute, en haut à gauche) : sortie Tulip Valley.
Point rouge : l’intrusion de calcite [brèche] dans le paragneiss (M4), côté nord de l'autoroute 5.

Légende

M3a. – Orthogneiss, migmatite ; M4. – Paragneiss ; M7. – Gneiss à pyroxène ; M12. – Quartzite ; M13. – Marbre (abondant hors du secteur de la carte) ; I1Fa. – Aplite, pegmatite ; I2D. – Syénite ; I2J. – Diorite
Voir Géolo-chronologie pour mise en contexte globale.

Contexte géologique local 

Voir la carte. Bordure du batholite de syénite-diorite de Wakefield mis en place dans des métasédiments du groupe de Grenville (paragneiss, quartzite et marbre) [âgés de plus d'un milliard d'années]. Du granite, des pegmatites recoupent le tout. On trouve dans la région des filons de calcite-apatite-phlogopite (dans les métasédiments), des carbonatites, dont celles du lac Meech, à 7 km au S-W du site, et des fénites (Hogarth, 1997). La syénite et la diorite sont ± gneissiques dans le secteur.

Les roches des collines de l’Outaouais ont été formées à plus de 20 km de profondeur dans un contexte de collisions entre continents et autres compartiments de la croûte terrestre. En même temps que des magmas les envahissaient ou les découpaient, elles ont connu des massages et des triturages, subi des étirements jusqu’à la rupture. Ce dynamisme, figé (pétrifié, dirait-on, si l'on ne craignait pas le paradoxe) depuis un milliard d’années, affleure à présent au grand soleil. 

Découvrir l'Outaouais, c’est un peu parcourir les entrailles (autrefois) agitées de la croûte terrestre...

Intrusion de calcite

Exemple de cette agitation « intestine » : sur l’autoroute 5, à Chelsea (Québec), une masse de calcite large de 15 m s'est ouvert un passage à travers la roche locale (en surface, complexe de paragneiss gris et de granite blanc). Le mouvement d'expulsion vers le haut des fragments des roches hôtes dans une pâte de calcite est saisissant.

Au moins deux épisodes ont été nécessaires pour donner à cette intrusion sa configuration finale : d’abord l’injection d’une calcite grise, « sale », et chargée de xénolites – fragments arrachés aux roches encaissantes –, suivie de celle d’une calcite de couleur rose pâle, nette et libre de fragments étrangers, qui a envahi la calcite grise. Les xénolites, arrondis à anguleux, sont recouverts d’une couche de mica. Dans au moins un cas, le mica, à reflets rouges (hématite ?), est accompagné d’une amphibole verte.

Cette intrusion n’est que la plus spectaculaire d’une série de phénomènes plus discrets. De l’autre côté de la chaussée et plus au nord, toujours sur l'autoroute, des filons de calcite massive d’une épaisseur d’environ 30 cm à 1 m recoupent la syénite (voir photo 23, plus bas).

Photo 10. – Bordure NW de l’intrusion. Calcite « sale » ou noircie par les agents atmosphériques ? Elle remplace un granite blanc (pegmatite) qui recoupe lui-même un paragneiss gris, en haut à gauche (contraste peu marqué sur la photo).

La géologie régionale permet d’avancer trois hypothèses sur la nature de ces intrusions :

Hypothèse 1. — Le marbre, abondant dans la région, et constitué de… calcite, est une bonne source de… calcite !... Par fluage, en réponse aux contraintes tectoniques et torsions plus haut évoquées, il est arrivé que le marbre se soit injecté dans les roches voisines moins ductiles en plissant et disloquant les pans et fragments qu’il emportait (voir par exemple la photo 000522 de cet ancien billet).

Hypothèses 2 et 3 confondues. — Les filons et intrusions variées de calcite (souvent de couleur rose) dont certains ont été exploités pour l’apatite et le mica aux XIXe et XXe siècles, parsèment l'Outaouais et le Sud-Est de l'Ontario. Des carbonatites, roches magmatiques formées de carbonates (calcite ou dolomie), affleurent entre le lac Meech et le lac McGregor (Hogarth, 1997). Sur le terrain, la distinction n’est pas toujours facile à établir entre ces irruptions de calcite qui bluffent parfois même les pros.

[Dans toutes ces hypothèses, l'intrusion de la calcite amène la création d'une brèche par incorporation de fragments de la roche encaissante dans la masse de calcite.]

[Ajout (31 mai 2025) : l'avis de la géologue

Description de la brèche selon L. Da Rosa (sa fig. 20D dans MB2022-01, réf. plus haut) : « Brèche à matrice riche en calcite‐phlogopite montrant des fragments de gneiss fortement altérés en phlogopite dans leurs bordures. Cette brèche est recoupée par un dyke de carbonatite beige et un autre rose. »
Selon L. Da Rosa, les dykes de carbonatites au nord de Gatineau se composent de carbonates (calcite, ±dolomite), de feldspath, d’amphibole et de phlogopite (mica). La phlogopite forme des amas, se concentre aux épontes des dykes et autour d’enclaves de roche encaissante dans les brèches. L’amphibole est une amphibole sodique, soit de la magnésio-arfvedsonite et/ou de la richtérite en baguettes plurimillimétriques de couleur noire bleutée à verdâtre (Hogarth, 1997). ]

Conclusion

Les intrusions de la route 5 sont des phénomènes post-tectoniques : elles recoupent la structure des encaissants (gneissositée), ne montrent aucun signe de déformation et leurs contacts avec les roches hôtes sont nets. Elles ont sans doute pris place dans des fractures préexistantes. Il a fallu au moins deux injections de calcite pour créer la grande intrusion : cette montée par étapes concorde mieux, me semble-t-il, avec l’hypothèse d’un phénomène magmatique (carbonatite). Mais l’évidence plaide contre une origine lointaine (profonde) des xénolites ; la survie de fragments tabulaires, la persistance d’angles et de cassures non émoussés, etc. (Voir photo 12.) La calcite des intrusions proviendrait donc, selon nous, de marbre mobilisé. [À lire le rapport de L. Da Rosa, cette hypothèse serait très discutable. Je maintiens cependant que les xénolites n'ont pas fait beaucoup de chemin avant de s'immobiliser dans la pâte de calcite.]


Référence

Hogarth D.D., Carbonatites, fenites and associated phenomena near Ottawa. GAC/MAC, Joint Annual Meeting, Ottawa, Field Trip Guidebook A4, 1997, 21 p.

12. – La calcite neuve (claire) repousse vers le haut la calcite grise chargée de xénolites. Le xénolite allongé n’aurait pas pu supporter un long transport sans se briser… [Jolie brèche, en tout cas.]



13. – On constate un certain alignement des petits fragments allongés parallèlement à une direction empruntée par un courant de calcite propre.

16. – Calcite « sale », chargée de xénolites. Contact avec roches encaissantes (en haut). [Les fragments semblent ici usés, un peu arrondis ?]



23. – [L’un des] filons de calcite recoupant la syénite [de Wakefield près de la brèche]. Un ciseau (15 cm, le long du contact supérieur du filon, premier tiers à gauche) donne l’échelle. Le contact avec la syénite est souligné de diopside (?) vert. Ce filon contenait de la fluorine violette – aux cristaux quelconques.

Supplément (mai 2025, avec matériel de 2009)




Échantillon de la bordure d'un xénolite de la carbonatite bréchique de l'autoroute 5 à Chelsea (à gauche). Mica (phlogopite), amphibole verte, calcite rosâtre ; pyrite. Les reflets rouge (hématite ?) des cristaux de mica ne sont pas apparents sur la photo.
Petit échantillon. – Calcite à hématite spéculaire. Recueilli dans une poche de calcite (carbonatite) contenue dans un paragneiss vert, sur le bord de l'autoroute 5, à l'ouest de la carbonatite bréchique. 
Échelle. – 2,5 km = 1 cm (sic). La règle photographiée du mauvais côté, est graduée au 1/250 000. 


lundi 2 janvier 2017

Calcite bleue et orangée le long de l'autoroute 5, Chelsea et Wakefield, QC (MàJ)


Intrusion de calcite rose. Wakefield, QC, autoroute 5, juillet 2016.


Localisation

SNRC 31G/12
Autoroute 5, Chelsea et Wakefiled (Québec) ; nouvelle section N.

Note

Le sujet de cette mise à jour - l'origine de filons de calcite recoupant des roches calco-silicatées et des gneiss de l'autoroute 5 à Chelsea et Wakefield, QC - a déjà été l'objet de plusieurs billets. Je n'en reprends pas ici l'exposé, veuillez consulter les billets suivants :
Voir aussi :
  • Billets (4) sur le prolongement de l'autoroute 5 (suivre les liens d'un billet à l'autre à partir de celui du 6 janvier 2010).
Un petit mot cependant sur le contexte géologique ; les roches de Chelsea et Wakefield font partie de la province de Grenville (plus d'un milliard d'années) du Bouclier canadien : batholite de syénite-diorite de Wakefield, métasédiments du groupe de Grenville (marbre et roches calco-silicatée, paragneiss, quartzite). Du granite, des pegmatites recoupent le tout, ainsi que des filons ou dykes de calcite.


Il y a du nouveau dans le dossier des intrusions (filons, dykes ou poches) de calcite orangée dans les roches métamorphiques et plutoniques de Chelsea et de Wakefield, le long de l'autoroute 5.

D'abord, un article parus dans Rocks & Minerals (Bellay, Picard et al., 2016). Il est amusant (de mon point de vue) de voir les auteurs afficher une perplexité au moins égale à la mienne quand à la nature exacte de ces dykes de calcite :


«Some researchers (Sinaei-Esfahani 2013; Schumann and Martin 2016) suggest that the calcite veins and pods at Highway 5 are carbonate intrusives derived from local melting of regional marble related to influx of a mixed crustand-mantle-derived alkaline fluid, a hypothesis propounded to be supported by carbon/oxygen isotope and textural evidence. Although it is strongly possible that some degree of local calcite melting occurs at these metamorphic conditions (see Lentz 1999), the evidence presented in the studies could just as easily be interpreted as metamorphic and/or metasomatic, but this is beyond the scope of this article.» (Bellay, Picard et al., 2016, p. 560.)

C'est, en peu de mots, résumer toute la question. Déjà, d'autres études en étaient arrivés à la conclusion que les filons de calcite étaient des carbonatites dérivées de la fusion du marbre local au contact de fluides magmatiques d'origine profonde (voir aussi Martin et Sinai, 2012 ; de Fourestier, 2008 : billet du 6 nov. 2012). Cependant, la théorie la plus favorisée reste celle d'une origine métasomatique par interaction des paragneiss avec les abondants marbres régionaux. Ces interactions auraient conduit à la formation de roches calco-silicatées (ou skarns). La calcite résiduelle (marbre), plus ou moins mobilisée, se serait injectée ou concentrée en filons ou en masses informes. (Voir billet du 18 févr. 2012.) Selon Sinaei-Esfahani (2013), les filons de l'A5 sont datées de 980-1020 millions d'années.

(Et voilà que je suis en train de faire ce que j'avais justement affirmé ne pas vouloir faire : un exposé du problème. Il est difficile de savoir à partir de quel point les informations cessent d'être nécessaires pour devenir superflues.)

Ensuite, un compte-rendu de conférence (Schumann et Martin, 2016) qui traite d'un marbre bleu (calcite bleue) intriguant (Sinaei-Esfahani, 2013). Le titre de la conférence est sans équivoque : «Blue calcite in the Grenville Province: Evidence of melting» :


«There are indications that marble can melt in a post-collision tectonic environment like that in the Grenville province. Regionally developed temperatures and pressures are estimated to have been at least 750̊C and 7–8 kilobars in the Gatineau Park area, north of Ottawa (Canada). Our attention was focused on occurrences of blue marble along Highway 5, close to Old Chelsea and Wakefield, Quebec.» (Je passe les considérations très techniques pour en arriver à la conclusion des auteurs que le marbre bleu provient d'un «silicocarbonatitic melt of crustal origin».)

Alors, calcite d'origine métasomatique ou carbonatitique ? Dans les deux cas, les marbres locaux apportent l'élément prépondérant : la calcite. Tenter de conclure est au-delà des prétentions de ce blogue...

Et comme ces filons de calcite vieux d'un milliards d'années sont répandus de Mont-Laurier, QC, à Bancroft, ON (billet du 18 févr. 2012), le débat dépasse le cadre des territoires de Chelsea et de Wakefield.


Références

  • Philippe M. Belley, Michel Picard, Ralph Rowe & Glenn Poirier (2016). «Selected Finds from the Highway 5 Extension: Wakefield Area, Outaouais, Québec, Canada», Rocks & Minerals, 91:6, 558-569, DOI: 10.1080/00357529.2016.1217473 Lien : http://dx.doi.org/10.1080/00357529.2016.1217473
  • Dupuy, H., 1989, Géologie de la région de Wakefield-Cascades. Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles, Québec, MB89-18, 1989, 14 pages, avec 1 carte (1/20 000).
  • Fourestier, J. de, Mineralogy of the Autoroute 5 extension, Chelsea, Quebec, Canada, 2008, rapport inédit.
  • Lentz, D. R. 1999. «Carbonatite genesis: A reexamination of the role of intrusion-related pneumatolytic skarn processes in limestone melting», Geology 27:335–38.
  • Martin, R.F. and Sinai, F. 2012. «Rheomorphic fenite and crustal carbonatites: new complications in the Grenville crust, Old Chelsea area, Quebec», abstract in Geological Association of Canada–Mineralogical Association of Canada, St. John’s 2012, Program with Abstracts, v.35, p.85.
  • Schumann, D., and R. F. Martin. 2016. «Blue calcite in the Grenville Province: Evidence of melting». Abstracts with program, Geological Society of America Annual Meeting, March 2016. Available online: https://gsa.confex.com/gsa/2016NE/webprogram/Paper272356.html.
  • Sinaei-Esfahani, F. 2013. Localized metasomatism of Grenvillian marble leading to its melting. MSc thesis, Department of Earth and Planetary Sciences, McGill University, Montreal. Lien : http://digitool.library.mcgill.ca/thesisfile117148.pdf



Roche hôte recoupée par des filons ou dykes felsiques rouge sombre ou orangés ; le tout est recoupé par un filon-dyke tardif de calcite d'un orangée plus clair (au centre). Wakefield, QC, autoroute 5, juillet 2016.


Mise à jour (7 nov. 2018)



Skarn (ou plutôt silicarbonatite d'origine crustale, pour utiliser la terminologie des auteurs cités) à calcite rose-saumon et apatite verte, mine Yates, près d'Otter-Lake, dans la municipalité régionale de comté de Pontiac, Qc. Photos : Darryl MacFarlane (à gauche) et John Betts (à droite), dans Schumann et Fourestier, 2017.



Nouvelles publications sur le sujet

(Ce qui suit est un résumé, en termes très peu techniques, pour mon usage personnel. Il exprime l'état de ma compréhension des choses ; pour des avis plus autorisés, voyez les travaux originaux - dans « Références », plus bas.)


Les « skarns » - silicarbonatites d'origine crustale dans la terminologie des auteurs - se sont mis en place dans la province de Grenville il y a un milliard d’années (998 et 1015 Ma : datation mine Yates à Otter Lake), durant une période d’accalmie qui a suivi un paroxysme tectonique. Le détachement (délamination) de la partie inférieure de croûte épaissie aurait favorisé une remonté de l'asthénosphère chaude. Le « fluxed silicacarbonatitic melt » à l'origine des « skarns » serait le résultat de la cristallisation de magmas générés par fusion partielle (anatexie) de la base de la croûte résiduelle. Tant le marbre que les gneiss profonds auraient contribué à la génération de magmas carbonatés et silicatés contemporains - dont les résultats sont les « skarns » et les omniprésentes pegmatites granitiques aujourd'hui observés. Les « skarns » ne seraient donc pas des... skarns, du moins au sens strict, c’est-à-dire le résultat du métamorphisme de contact entre un corps carbonaté et une roche magmatique, mais des carbonatites crustales - par opposition aux carbonatites mantelliques. « Rather than being part of the skarn, we interpret the pyroxenite as a cumulate formed of crystals than sank in the silicocarbonatitic melt. » (Martin, Schumann et Fourestier, 2017)


(D’un point de vue strictement personnel, ne tenant pas à m’immiscer dans un débat entre spécialistes, la nature grossière et massive de nombreux skarns (qu'importe le nom qu'on leur donne) et la présence de phénocristaux géants (par ex. d'apatite dans la calcite, voir photo) les rapprochent davantage des roches intrusives filoniennes, comme les pegmatites granitiques, justement, que des roches métamorphiques normales du voisinage, marbre et gneiss. Ces dernières, en effet, sont d’une granulométrie plus fine et d’une structure habituellement orientée (foliée ou rubanée).


Références
  • F. Martin, Robert & Schumann, Dirk & Fourestier, Jeffrey de. (2017). Globules of fluxed silicocarbonatitic melt at Otter Lake, Quebec: A new complication in the Grenville Province. Conference: GAC-MAC Kingston 2017, At Kingston, Ontario, Canada, Volume: Technical Program T2: The Metamorphic Architecture of Orogenic LIEN
  • F Martin, Robert & Schumann, Dirk & Fourestier, Jeffrey de. (2017). THE CLUSTERS OF ACCESSORY MINERALS IN GRENVILLE MARBLE CRYSTALIZED FROM GLOBULES OF MELT. Geological Society of Sri Lanka Public Lecture Series 2017, DOI:10.13140/RG.2.2.16937.85601 LIEN
  • F Martin, Robert & Schumann, Dirk & Fourestier, Jeffrey de. (2017). The clusters of accessory minerals in Grenville marble crystallized from globules of melt. Geological Society of Sri Lanka Public Lecture Series 2017, DOI:10.13140/RG.2.2.16937.85601 LIEN
  • Schumann, Dirk & F. Martin, Robert & Fourestier, Jeffrey de & Fuchs, Sebastian. (2017). Silicocarbonatite melt inclusions in fluorapatite from Otter Lake (Quebec): Evidence of carbonate melts in the Central Metasedimentary Belt of the Grenville Province. Conference: GAC-MAC Kingston 2017, At Kingston, Ontario, Canada, Volume: Technical Program T2: The Metamorphic Architecture of Orogenic Belts LIEN

vendredi 2 janvier 2015

Marbre, rouille, boudins et lacets


Message privé ; il ne s'adresse pas à vous – sauf si vous êtes le «vous» à qui il s'adresse et qui d'ailleurs est un tu...

Après tout, un blogue est aussi un moyen de communication !

Photos : 29 oct. 1999


1. Inclusions d'un quartzite rouillé dans un marbre de la province de Grenville, à Chelsea (Québec). C'est, en version aérienne, ce que tu explores en mode lacustre et sous-aquatique.

2. Détail de la photo 1. Le boudinage (pincements) du ruban rouillé, au centre, n'a pas été mené jusqu'à la rupture en plusieurs fragments ou boudins.


3. Même endroit ; marbre gris rubané. Variation de l'amplitude des plis selon l'épaisseur des lits. Le lacet qui ondule, au centre de l'image, se donne beaucoup plus de mal que ses confrères plus épais et se contorsionne avec une évidente bonne volonté pour suivre la trajectoire commune. (En fait. il y a plus d'un lacet, dont un, parallèle au principal sans épouser chacune de ses ondulations et méandres.)

4. Détail de 3.

dimanche 19 octobre 2014

Nouveau retour à l'erratique de Chelsea


Bloc erratique de la piste 1 du parc de la Gatineau, à Chelsea (Québec), 19 oct. 2014. Hauteur apparente : env. 3 m ; circonférence : env. 20 m.


Le document appuyé sur le sac à dos, à gauche, format papier lettre, donne l'échelle ; 6 août 2011.


Le même, tel qu'il était le 22 mai 2000.


Le bloc erratique du parc de la Gatineau, à Chelsea (Québec), continue de monter la garde près de la piste 1, à quelques dizaines de mètres de la promenade.

Il a peu changé au cours des dernières années. Cet erratique semble avoir oublié la signification de son épithète. Il ne bouge plus, ce qui permet au moins de savoir où le retrouver.

Plus de détails dans ces anciens billets.

mardi 16 septembre 2014

Hors sujet : carte postales de Chelsea

Rien que pour faire plaisir à un ami qui reçoit des amis...

Le petit pont couvert du ruisseau Meech, à Chelsea, chemin Cross Loop.

Les photos datent de 2008 à 2011.







lundi 15 septembre 2014

Hors sujet, mais vraiment hors sujet...





Parfois, en ses moments de recueillement, l'homme – puisque c'est bien de l'homme qu'il s'agit – laisse son front d'incliner vers le sol.

Certaines bonnes âmes ont obligeamment pourvu à l'appui qui manque épisodiquement à son crâne lourd de pensées.


Qu'elles en soient remerciées.



Photos (janv. 2009) : urinoirs avec appui-tête capitonnés (restaurant de Chelsea, en Outaouais, Québec).




dimanche 15 juin 2014

Erratique à rebours ?



Fig. 1. Bloc erratique (grès de Nepean, env. 500 millions d'années) reposant sur le Bouclier canadien (un milliard d'années) dans le parc de la Gatineau (Québec). La configuration inverse est plus fréquente : lors de la dernière glaciation, les glaces, en mouvement du nord vers le sud (localement et grosso modo), ont déversé les débris du Bouclier sur les roches sédimentaires (grès, calcaire, etc.) de la plate-forme du Saint-Laurent à laquelle appartient le bloc. Circonférence estimée du morceau de roc : 7 m. La fracture qui coupe le grès en deux s'est produite, est-ce nécessaire de le préciser, après son immobilisation. Photo 17 mai 2014.


Localisation
Parc de la Gatineau (Québec), près de la 148.
Cordonnées du point A de la fig. 2
45.485006, -75.797954
Cordonnées du point B de la fig. 2
45.447266, -75.767569
Autres billets du blogue reliés au sujet
23 janv. 2011, «Lac Beauchamp : un milliard d'années inscrites dans la roche»
7 août 2011, sur le bloc erratique de Chelsea
5 oct. 2013, «Grès de Nepean à Gatineau : safari-photo»
27 nov. 2010, «Ne jetez pas la pierre au géologue»


La fig. 1 montre un bloc erratique (grès de Nepean, Cambro-ordovicien, env. 500 millions d'années) qui repose sur le Bouclier canadien (province de Grenville, plus d'un milliard d'années). Le mouvement des glaces, lors de la dernière glaciation, du nord vers le sud (grosso modo et localement), nous a habitué à la configuration inverse : on s'attend à voir des débris du Bouclier sur les roches sédimentaires (grès, calcaire, etc.) de la plate-forme du Saint-Laurent qui affleurent sur sa marge sud (cf. billet du 23 janv. 2011 sur le lac Beauchamp, lien plus haut).

On peut se demander si le bloc n'as roulé à rebours, vers le nord.

Pas nécessairement. Hogarth (1970) signale en effets des affleurements isolés de grès – lambeaux épargnés par l'érosion – dans les collines de la Gatineau, à Chelsea*, à 5 km au NW du bloc (fig. 2). Peut-être que le bloc provient de cet affleurement et qu'il a été entraîné par les glaces jusqu'à son emplacement actuel, à l'extrémité sud du Bouclier. Il pourrait aussi provenir d'un affleurement de grès non cartographié, masqué sous des dépôts meubles.

* Il y en a aussi à Cantley, plus à l'est.

Ou bien, tout simplement, l'affleurement d'origine du bloc a été détruit par les glaciations et nous en voyons là un ultime débris. Celui que signale Hogarth (1970) accueille le lit d'un ruisseau qui serpente à travers une épaisse couche d'argile de la mer de Champlain. On peut supposer que la couche de grès s'étend au-delà de la petite surface visible à travers la glaise.

Tout est normal, donc. Le bloc à bien suivi le trajet normal, du nord vers le sud. Le mouvement des glaces dans le secteur s'est d'ailleurs fait comme le bloc, du NW vers le SE.

Un bloc plus petit se trouve à l'entrée d'un chemin, un peu au sud (fig. 5).




Fig. 2. Partie de Gatineau et du parc de la Gatineau (bande verte), au Québec. Déplacement possible du bloc erratique depuis un affleurement isolé de grès sur le Bouclier canadien (A) jusqu'à l'endroit où il se trouve actuellement (B), toujours sur le Bouclier, 5 km plus au SE. La frontière Bouclier/plate-forme du Saint-Laurent passe un peu au sud du point B. Des lambeaux de la plate-forme affleurent cependant au nord de cette frontière. Cliquez sur la carte pour l'afficher à sa pleine grandeur.
Modifié de © Google, 2014.



Fig. 3. Malgré ses 7 m de circonférence, le bloc est bien camouflé dans le bois. La proximité du chemin fait qu'on ne peut pas exclure qu'il ait été dérangé de sa position originelle. Photo 17 mai 2014.



Fig. 4. Quartzite granitisé du Bouclier canadien : affleurement
typique du secteur, plus représentatif des roches locales que le bloc de grès.
Photo 17 mai 2014.



Fig. 5. Petit bloc de grès de Nepean, au sud du premier. Photo 17 mai 2014.


Référence

  • Hogarth, D.D., 1970, Geology of the southern part of Gatineau Park, National Capital Region, GSC, Paper 70-20, 8 p., map 7-1970.

dimanche 16 mars 2014

Marbre en fusion à Chelsea (autoroute 5)



Photo 1A. Dykes de calcite (rose et orangé) recoupant une roche calco-silicatée (vert : skarn – ou fénite) ; à gauche, en rouge sombre, une intrusion granitique. Des éléments vert sombre semblent voltiger dans la masse plus pâle. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5 en construction, au nord de Tulip Valley, oct. 2008. (Voir photo 1B en fin de billet.)


Note. — Une fausse manœuvre a mis ce brouillon prématurément en ligne. Des retouches viendront.


Résumé

Visite de la section de l'autoroute 5 à Chelsea (Québec) inaugurée en 2009 avec le minéralogiste Jeffrey de Fourestier, en août 2013. Selon les travaux de Fahimeh Sinaei-Esfahani et de Fourestier, les dykes de calcite rose et orangée de l'endroit seraient des carbonatites résultant de la fusion des marbres locaux par des fluides magmatiques alcalins d'origine mantellique. (Voir «Références», en fin de billet)
Contexte géologique
Roches calco-silicatées (skarns) et/ou carbonatites (fénites) dans les métasédiments riches en marbre recoupés par la syénite de Wakefield, province de Grenville du Bouclier canadien (un milliard d'années).
Localisation
Autoroute 5, à Chelsea (Québec) : nouveau tronçon inauguré en 2009, au nord de Tulip Valley.
45.572822,-75.873903
Billets traitants du même sujet ou de sujets connexes
Skarns et carbonatites à Chelsea
«Chelsea : dykes et brèches de calcite», 6 nov. 2012
«Skarns : article recyclé», 16 févr. 2012
«Prolongement de l'autoroute 5, Chelsea (Québec) : vallée du ruisseau Meech (3)», 17 janv. 2010
«Intrusion de calcite à Chelsea (Québec), autoroute 5», 22 nov. 2009
Histoire minière de l’Outaouais
«Les mines (parties I et II)», 3 et 7 mars 2012


Local et lointain

En août 2013, j'ai eu la chance de visiter les tranchées rocheuses du nouveau tronçon (2009) de l'autoroute 5 au nord de Chelsea en compagnie du minéralogiste Jeffrey de Fourestier. Il a été malheureusement impossible de combler en une seule journée toutes les lacunes de mon expertise en minéralogie ; au moins, j'ai pu mieux prendre conscience de la variété des phénomènes qui ont façonné et trituré les roches du secteur et de la subtilité de certaines manifestations qui ont laissé de discrètes empreintes.

Magmatisme, métasomatisme, intrusions hydrothermales, gossans (chapeaux de rouille signalant des minéralisations), lectures de la radioactivité, marbre bleu (unique dans la région, voir photo 2), calcite rose omniprésente, etc. ; le programme a été chargé. Je propose ce coin du Bouclier canadien à qui me supportent pas la monotonie.

Jeffrey a, entre autres, identifié une occurrence d'un minéral radioactif, l'oxycalciobétafite, reconnu d'abord dans des échantillons... lunaires ! (Voir photo 2.) La présence de minéraux radioactifs (rarissimes ou banals) indiquent qu'il y a eu ségrégation, migration et concentration d'éléments. Bref, le métamorphise, très «local», qui a formé les roches non moins «locales» du Bouclier canadien a subi toutes sortes d'influences et d'infiltrations plus ou moins «lointaines» – lire «prodondes».

Les roches des collines au nord de Gatineau (Québec), histoire de bien situer les choses, appartiennent aux Laurentides, partie du Bouclier canadien qui se confond a peu près à la province géologique de Grenville, vieille d'un milliard d'années.

Signalons, pour le site qui nous intéresse, la proximité de larges bandes de marbre ainsi que celle du batholithe syénitique de Wakefield dont la marge E coupe l'autoroute au N et au S du site qui nous intéresse.


Skarns vs carbonatites

Le résultat le plus important des travaux de Sinaei-Esfahani et de de Fourestier a été la reconnaissance de carbonatites* dans les masses et dykes de calcite rose-orangée qui recoupent les roches calco-silicatées, aussi nommées skarns, révélées par les tranchées (voir billet du 16 févr. 2012, lien plus haut ; voir aussi photos 1A-B).

* Carbonatites : roches magmatiques d'origine mantellique formées de carbonates (calcite ou dolomie)

Les skarns sont des roches à forte teneur en silicates de calcium et de magnésium. Plusieurs fois, le blogue est revenu sur l'omniprésente association dans la région des skarns et des occurrences de calcite rose grossière qui les accompagnent. (Voir billet 16 févr. 2012, lien plus haut.)

Ces masses de calcite – pour ne pas autrement les qualifier – se remarquent aisément sur le terrain (voir les photos du billet). D'abord, par leurs teintes, roses ou orangées* ; ensuite, par leur grain, grossier (cristaux atteignant plusieurs cm). Enfin, la «matière» est souvent hétérogène, semée de minéraux étrangers : apatite, mica, fluorine, silicates «verts» (pyroxènes et/ou amphiboles), etc. La calcite survient en filons, déformés ou non, lentilles, masses quelconques, ou passe à un marbre blanc-blanchâtre régulier, autre roche omniprésente dans la région.

* Attention (erreur de débutant) à ne pas confondre ces masses de calcite avec du granite rose ou orangé !...

Les occurrences de calcite rose ont eu leur importance dans le passé ; on les a exploitées pour le phosphate (fluorapatite) et le mica (phlogopite) dès la fin du XIXe s. et les collectionneurs de beaux cristaux continuent d'explorer les halles des anciennes mines de l'Outaouais. Elles font partie de notre histoire. (Voir billets du 3 et 7 mars 2012, liens plus haut.)


Origine de la calcite

Pour expliquer les mobilisations, intrusions ou transformations dont ces masses de calcite ont été l'agent, l'objet ou le résultat, les géologues n'ont pas été en peine d'explications.

Sur le terrain, un indice apparaît à l'évidence : l'association étroite des skarns et des abondants marbres locaux. Plusieurs avancent que les skarns sont des calcaires silicieux métamorphisés ; d’autres (ou les mêmes…) invoquent l'influence mutuelle et diffuse (on dit métasomatisme) de marbres dolomitiques (magnésiens) et de gneiss silicieux durant le métamorphisme*. Rappelons que toutes ces transformations se sont déroulées à plus de vingt km de profondeur : dans ces conditions, les roches sont moins inertes qu'en surface !

* Quelle que soit l'origine de la calcite (CaCO3 ± de magnésium), elle a réagi avec les roches silicatées avec pour résultat la production de minéraux calco-silicatées (le «vert» dans les photos).

La circulation de fluides d'origine métamorphique ou magmatique – dans ce cas, provenant de l'intrusion de granites – aurait participé aux processus ou les aurait prolongés, lessivant les roches ici pour précipiter le carbonate de calcium, le magnésium, le phosphate et le fluor là. Ainsi, entre autres, se seraient formé sur le tard (relativement) les veines de calcite-apatite-phlogopite qui recoupent les skarns…

D'autres géologues, enfin, ont supposé que nous étions en présence d'intrusions de carbonatites, roches magmatiques d'origine mantellique (donc profonde) formées de... carbonates (calcite ou dolomie).

Tout tourne donc autour de l'origine de la calcite rose : calcite «sédentaire» (marbres locaux métasomatisés in situ) ou «migratoire» (magmas de provenance profonde, vecteurs de fluides hydrothermaux) ? L'alternative semble se résoudre, après les travaux de Sinaei-Esfahani et de Fourestier, en faveur des partisans d'une origine exotique, ou profonde, indirecte, de la calcite.

Selon Fahimeh Sinaei-Esfahani et de Fourestier, les dykes de calcite rose et orangée de l'autoroute 5 seraient des carbonatites résultant de la fusion des marbres locaux par des fluides magmatiques alcalins (syénitiques), peut-être associés à l'emplacement de la syénite de Wakefield (voir ce billet) qui coupe l'autoroute au sud et au nord du site considéré.

Donc, la calcite est d'origine locale, et les fluides et magmas qui l'ont mobilisée, d'origine lointaine. De quoi contenter tout le monde.


Explication gigogne

J'avais déjà proposé une explication qui les contiendrait toutes (billet du 17 janv. 2010, lien plus haut) :

Imaginez des influences diffuses entre bancs de roches ; des échanges, pas nécessairement réciproques, par l'entremise de fluides minéralisés (avec peut-être du granite, si vous y tenez, pour alimenter et faire circuler des courants hydrothermaux) ; bref, une chimie complexe à 20 km de profondeur, se déroulant en de multiples étapes, simultanées ou successives, et vous ne serez pas loin de la vérité.

Tout devient simple quand on accepte que c'est compliqué... .


Conclusion

Je n'ai fait ici qu'effleurer le sujet. La liste des phénomènes géologiques et minéalogiques que pourrait illustrer chacun des affleurements du secteur est interminable. Métamorphisme, métasomatisme, magmatisme, fluides hydrothermaux, gossans, molybdénite, brucite, minéraux radioactifs, etc.

Merci à Jeffrey de Fourestier de m'avoir expliqué plus de choses sur la géologie et la minéralogie de ce tronçon de l'autoroute 5 que j'ai pu en retenir (et que je pourrai en exposer ici !...)

L'histoire du site est complexe et s'est déroulé en plusieurs stages ainsi qu'en témoigne la présence de minéraux bien formés (euhédraux) dans des roches autrement fortement déformées et métamorphisées. Je pense, notamment, aux cristaux quartz érodés par les fluides hydrothermaux qui se révèlent ainsi bien «tardifs».


Références

  • Fourestier, J. de, Mineralogy of the Autoroute 5 extension, Chelsea, Quebec, Canada, 2008, rapport inédit.
  • Fahimeh Sinaei-Esfahani, Localized metasomatism of Grenvillian marble leading to its melting, Autoroute 5 near Old Chelsea, Quebec, Department of Earth and Planetary Sciences McGill University, Montreal, 2013. (PDF)
  • Martin, R.F. and Sinai, F. 2012. «Rheomorphic fenite and crustal carbonatites: new complications in the Grenville crust, Old Chelsea area, Quebec», abstract in Geological Association of Canada–Mineralogical Association of Canada, St. John’s 2012, Program with Abstracts, v.35, p.85. (PDF)



Photo 1B. Vue rapprochée de dykes déformés de calcite saumon. Cf. photo 1A, coin supérieur gauche. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo oct. 2008.)



Photo 2. Dyke de calcite radioactive recoupant un orthogneiss gris. Le minéral radioactif est l'oxycalciobétafite, rare minéral d'abord identifié dans des échantillons lunaires. Son occurrence à Chelsea est une découverte de Jeffrey de Fourestier. Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo août 2013.)



Photo 3. De gauche à droite : marbre blanc (qui était originellement jaune, lorsque la tranchée était fraîche, m'a dit Jeffrey), calcite orangée et «roche verte» plissée (identification d'après la photo), marbre bleu et granite rose (d'après mes notes de terrain pour ces derniers). Géologie très bigarrée ! Chelsea (Québec), tronçon de l'autoroute 5, au nord de Tulip Valley. (Photo août 2013.)



Photo 4. Autres intrusion de calcite, plus au sud que celles montrées plus haut. Lentille de calcite à fluorine et phlogopite dans un orthogneiss. Chelsea (Québec), autoroute 5, entre les chemins Old Chelsea et Scott. (Photo juillet 2010.)



Photo 5. Intrusion de calcite transportant des lentilles et masses felsiques (grises et blanches). Chelsea (Québec), autoroute 5, entre les chemins Old Chelsea et Scott. (Photo juillet 2010.)



Photo 6. Masse de calcite claire repoussant une calcite grise chargée de xénolithes. Chelsea (Québec), autoroute 5, au sud de Tulip Valley. (Photo juillet 2000.)

samedi 19 octobre 2013

Retour à l'erratique


Flora Urbana, délaissant ses plates-bandes habituelles, s'intéresse aux roches ayant comme pris racine dans le paysage. Du genre : «J'y étais, j'y suis, j'y reste.» Lien.

Nous aussi, nous avons à demeure des blocs têtus que le vent n'emporte pas deçà, delà, pareils à la feuille morte.



Bloc erratique du parc de la Gatineau, au sud de Chelsea (Québec).
Haut : 20 mai 2000 ; bas : 6 août 2011. Les sacs à dos, en bas à gauche, donnent l'échelle. 

Voir ces anciens billets.


mardi 6 novembre 2012

Chelsea : dykes et brèches de calcite


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (17 juin 2000).
1. Dyke ou brèche de calcite large de plusieurs mètres recoupant un gneiss gris. Une calcite claire repousse une calcite «sale», les deux variétés portant de multiples xénolites anguleux. Carbonatite ou marbre (deux fois) mobilisé ? Voir cet ancien billet (à une époque, je numérotais les photos de ce blogue, quelle patience j'avais...)
Les xénolithes, anguleux, ne doivent pas provenir de bien loin, en particulier celui, fragile, de forme allongée et effilée. Il a quand même disposé du loisir de développer une bordure micacée noire en réaction à son bain de calcite.


Moment de liesse pour ce blogue.

Enfin, après presque 20 ans de patience et de recherches, je dispose d'un début d'explication sur un phénomène géologique pourtant très courant au nord de Gatineau. Jusqu'ici, j'avais dû me contenter d'informations indirectes ou d'inférences toutes personnelles. (Voir mes billets à ce sujet ; lien et lien.)

Je parle des filons, dykes et brèches de calcite rose à orangée qui recoupent les métasédiments et les orthogneiss de l'autoroute 5 à Chelsea.

(Note. – Ce billet a subi de multiples retouches depuis sa mise en ligne.)


Calcite ubiquiste
Ces intrusions de calcite, omniprésentes, sont les orphelines de la géologie locale. J'avais avancé à l'époque 3 hypothèses (qui ne s'excluaient pas) sur leur nature (ce billet) :

  • 1) Marbre mobilisé. Le marbre, abondant dans la région, et constitué de… calcite, est une bonne source de… calcite ! Par fluage, en réponse aux contraintes tectoniques, il est arrivé que le marbre se soit injecté dans les formations voisines moins ductiles en plissant et disloquant les pans et fragments de roc qu’il emportait. Il s'agit de mobilisations locales. Voir, par exemple, ce marbre à xénolithes dans cet ancien billet : à comparer avec la photo no 1 du présent billet ;
  • 2) Skarns, omniprésents dans la région, résultats de l’interaction de marbres dolomitiques (magnésiens) avec les paragneiss silicieux voisins. Bref, du métasomatisme, ou influences mutuelles locales entre roches adjaçantes, supposant peu ou pas du tout d’apports extérieurs. Voir ce billet ;
  • 3) Carbonatites, rares, mais comme il en existe au lac Meech et au lac McGregor (Hogarth, 1997) ou à Buckingham (Hogarth, 2003). Cristallisation d’un magma composé de carbonates (calcite et/ou dolomie). Dans ce cas, il s’agit d’une roche d’origine lointaine, et même profonde, les fluides magmatiques, contaminés ou non par les marbres qu’ils auront traversés, provenant des couches inférieures de l’écorce terrestre. Voir ce billet, déjà mentionné.

Les marbres mobilisés (hypothèse no 1), habituellement gris, à grain plus modeste que les intrusions de calcite rose, souvent très grossières (cristaux de calcite de plus de 3 à 4 cm ; photos 3A et 3B), ne semblent décidément pas de bons candidats pour ce qui nous intéresse. Les skarns et les carbonatites (hypothèses 2 et 3), se manifestent souvent sur le terrain par la coexistence de calcite rose grossière à très grossière et de minéraux verts (diopside, amphiboles), résultat de l'interaction des carbonates avec les minéraux silicieux des roches encaissantes.


Easton (2012) : syénites de la région de Brudenell (Ontario)..
2. Photos tirées de Easton (2012), légendes adaptées.
A) Filon de calcite grossière rose pâle recoupant une syénite rouge. B) Agrégat de calcite grossière pâle et de feldspath potassique dans la même syénite rouge. C et D) Filon boudiné de calcite recoupant une syénite grise et fragment isolé de feldspath rose dans la même syénite. 
Comparez les photos A et B avec les photos 3A et3B, prises sur le bord de l'autoroute 5. (Voir ce billet.) Comparez aussi les photos C et D avec les photos 5 et 6.
Easton relie des carbonatites et des syénites associées de la région de Brudenell aux carbonatites-fénites étudiées à Chelsea par Martin et Sinai (2012). À juger d'après les photos, les ressemblances sont pour le moins évocatrices... 


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (7 octobre 2012).
3A. Filon de calcite-quartz-pyrite recoupant un granite à tourmaline qui, lui-même, recoupe la syénite-diorite de Wakelfield.

Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (7 octobre 2012).
3B. Filon de calcite-quartz-pyrite recoupant le même granite qu'en 3A.


Travaux récents
Entre roches présentant un indéniable air de famille (hypothèses 2 et 3), il n'est pas toujours simple de savoir à quoi on a affaire...

Or, voici que je découvre les travaux de deux chercheurs de l'Université McGill sur les «fénites-carbonatites*» de Old Chelsea. Peut-être y verra-t-on enfin clair ?

«We focus here on an unexpected discovery of evidence of fenitization of the regionally developed quartzofeldspathic gray gneiss. This transformation occurs near dikes of orange calcite, which typically have a selvage of tiny euhedral diopside crystals and apatite granules.» (Martin et Sinai ; 2012)

Fénitisation, dyke de calcite orangée, diopside... Avouez que c'est évocateur.

Selon Martin et Sinai (2012), la calcite de ces dyke est intermédiaire entre celle des (abondants) marbres régionaux et des carbonatites d'origine mantellique. Le marbre local aurait réagi (métasomatisme) avec des fluides alcalins pour produire des carbonatites. Dans une perspective plus large, un processus de délamination crustale (vers 1040 Ma**) aurait entraîné la formation de magmas syénitique, granitique et carbonatitique par remontée concomitante du manteau terrestre, plus chaud. On pourrait se demander si le batholite de Wakefield (ce billet) ne ferait pas partie de cette suite magmatique reconnue plus à l'ouest en Ontario par Easton (2012).

À cette étape de l'exposé, il serait inexcusable de ne pas mentionner la suite volcano-plutonique potassique de Robitaille, à Buckingham (Hogarth, 2003), à un peu plus de 30 km à l'est de Chelsea. Les roches de la suite incluent justement des syénites/trachytes*** et une calciocarbonatite. Les analyses datent la suite du Mésoprotérozoïque (1060 Ma).

* Fénite : roche hôte modifiée par diffusion ou imprégnation (métasomatisme) par l'introduction d'une roche ignée alcaline ou d'une carbonatite.
** Ma : million d'années.
*** Trachyte : version effusive (lave) de la syénite.


Échantillon ca 1998, autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard.
4. Calcite (et/ou dolomite) de teintes variées avec hématite spéculaire. Échantillon provenant d'une poche de calcite large d'environ 1 m installée dans un paragneiss. L'intrusion, en partie lessivée, était bordée de cristaux de quartz idiomorphes de quelques mm pointant vers l'intérieur. Des filons minces de quartz-calcite-pyrite recoupaient le paragneiss hôte.


Skarns ou carbonatites ?
Maintenant que la question de la présence ou non de carbonatites sur les bords de l'autoroute 5 a trouvé une réponse positive, le problème de les distinguer des skarns, tout aussi avérés et répandus à travers une plus vaste région, n'a toujours pas de résolution...

Skarns ou carbonatite, la question a toujours sa raison d'être.

Un billet à venir fera le point sur la question.


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo HenriLessard (29 octobre 1999).
 5. Intrusion de calcite à phlogopite et fluorite verte recoupant un orthogneiss. Skarn ou carbonatite ?


RÉFÉRENCES
  • Easton, R.M., «Project Unit 11-004. Geology and Mineral Potential of the Brudenell Area, Northeastern Central Metasedimentary Belt, Grenville Province, with an Emphasis on the Syenitic Rocks», Summary of Field Work and Other Activities 2012, Ontario Geological Survey, Open File Report 6280, p.12-1 to 12-17.
  • Hogarth, D.D., Rocks of the Mason - Buckingham - Mayo Area, with emphasis on Mesoproterozoic igneous types. MRNF, Québec, GM 63238, 2003, 28 p., 1 carte (1/20 000) (31G11).
  • Hogarth, D.D., «Carbonatites, fenites and associated phenomena near Ottawa», GAC/MAC, Joint Annual Meeting, Ottawa, Field Trip Guidebook A4, 1997, 21 p.
  • Martin, R.F. and Sinai, F. 2012. «Rheomorphic fenite and crustal carbonatites: new complications in the Grenville crust, Old Chelsea area, Quebec», abstract in Geological Association of Canada–Mineralogical Association of Canada, St. John’s 2012, Program with Abstracts, v.35, p.85. (Disponible (PDF) par Internet.)


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (27 mai 2000).
6. Filon de calcite dans un gneiss.


Autoroute 5, Chelsea (Québec) ; photo Henri Lessard (octobre 2008).
7. Skarn, pendant les travaux de prolongement de l'autoroute 5, contenant de la calcite rose et recoupé par un granite rouge brique (à gauche). Voir ce billet.