dimanche 12 février 2023

Retour du dôme de glace sous le pont Alexandra à Ottawa

Dôme de glace affaissé sous le pont Alexandra, entre Gatineau et Ottawa, dans la rivière des Outaouais (vue vers le SE, vers le Parlement d'Ottawa). Des failles en arc de cercle (en arrière des cassures principales) délimitent le contour du soulèvement. Le courant s'écoule vers l'E (vers la gauche). Photo 11 février 2023.

Les photos de ce billet ont été prises depuis le tablier du pont Alexandra.


Voir les billets de 2016 et de 2018 sur le dôme de glace édifié au même endroit dans la rivière.

Depuis 2016, il se forme une année ou l'autre un dôme dans la glace de la rivière des Outaouais, en amont du pont Alexandra. Le dôme apparaît en janvier ou février et son effondrement sur lui-même doit survenir précocement dans son développement puisque je ne l'ai jamais vu intact. Les failles qui le découpent laissent entrevoir l'épaisseur considérable de la glace constitutive. La glace blanche formée de neige plus ou moins consolidée sous une croûte durcie, épaisse de deux mètres et plus, est la seule visible. La glace noire sous-jacente, formée à même l'eau de la rivière, demeure cachée et son épaisseur est inconnue.

Ailleurs, hors du dôme, la glace, sans surprise, présente une surface horizontale malgré les fractures qui peuvent la sillonner (voir photo du 12 mars 2016, plus bas). La plupart des années, il en est de même près du pont Alexandra autour duquel la glace demeure « plate ».

J'ai remarqué la présence du dôme une première fois en 2016. Il a resurgi 2018 (voir les billets référés en début d'article). Étant donné que j'emprunte le pont régulièrement depuis 20 ans, que je suis attentif à ce genre de phénomènes naturels, il y a peu de chance que des manifestations antérieures m'aient échappé. Cette année, le dôme s'est formé plus près du pont que dans les cas précédents.

Le dôme, une fois rompu, voit ses débris dériver au fil des jours et ses derniers fragments passent sous le pont au mois de mars. (En fait, c'est toute la plaque de glace qui glisse ainsi lentement, les fragments les plus en aval s'éloignant d'autant plus rapidement.) Aucune influence de la topographique du lit de la rivière ne peut être invoquée pour expliquer la formation du dôme. Le dôme semble avoir une prédilection pour les zones profondes de la rivière : la dépression fermée (en 2016 et 2018) ou la vallée (en 2023), toutes deux profondes de 11 m, marquées en rouge sur la carte plus bas. Notez qu'il existe d'autres zones aussi profondes et même davantage (23,2 m en aval du pont), sans qu'elles n'exercent aucune influence perceptible. 

Si l'influence du lit de la rivière reste incertaine, on ne voit pas non plus pourquoi la neige aurait pris à partir de 2016 l'habitude de s'accumuler une année et pas une autre dans ce secteur au point de favoriser la formation d'un épisodique dôme de glace blanche. Les failles perpendiculaires au dôme s'expliquent évidemment par le courant qui exerce une poussée des bancs de glace vers l'aval. D'autres, qui lui sont concentriques, remontent sans doute à l'effondrement du dôme sous son propre poids. Une caldera glaciaire ?

Le dôme ne peut résulter du chevauchements ou de l'accumulation de plaques de glace poussées par le courant (explication facile). Au contraire, les grabens qui s'ouvrent entre les cassures et la dérive des fragments vers l'aval sont le signe d'un mouvement d'ouverture et d'expansion, non de compression.

Je cherche toujours une explication à ce retour épisodique du dôme de glace. Accumulation de neige ? Isostasie glacio-nivéale ? Pourquoi là et pas ailleurs ? Votre contribution sera la bienvenue...



7 janvier 2023, le temps est gris, aucun dôme. Glace « plate » et fracturée couvrant une partie de la rivière des Outaouais, en amont du pont Alexandra. La glace apparaît d'épaisseur uniforme, ce qui se vérifie à la photo suivante. (Visée vers le SE, vers le Parlement d'Ottawa.)




Le courant entraîne la rupture de la plaque de glace par des fractures perpendiculaires à sa direction vers l'E. Il s'agit de glace blanche, formée par accumulation de neige. La « vraie » glace, la glace noire formée par le gel de l'eau de la rivière, est invisible.



11 février 2023. Le temps est ensoleillé. Un dôme de glace s'est formé puis s'est effondré. Le plafond se retrouve à plat sous les rebords soulevés, devenant un plancher...,


... et les failles concentriques marquent son contour. Les fragments, sitôt individualisés, tendent à s'éloigner : le soulèvement du dôme ne peut s'expliquer par un mouvement de compression. Les grabens indiquent un mouvement d'éloignement des fragments. Les cassures révèlent l'état de la neige plus ou moins consolidée. 


Vue vers le NO (vers le Musée de l'histoire, à Gatineau).




Glace « platement plate et normale » en aval du dôme de 2016. La neige superficielle non consolidée a fondu, révélant la glace résistante. Les morceaux ne s'éloignent pas malgré les fractures et demeurent au même niveau. Pas de décalage ou de soulèvement. Tout est normal. Photo 14 avril 2016, visée vers le SO.




Dôme de glace en mars 2016. La ligne rouge permet d'évaluer le soulèvement vertical. L'explication facile, chevauchement ou accumulation de plaques de glace poussées par le courant, ne tient pas. Au contraire, les grabens qui s'ouvrent entre les cassures et la dérive des fragments vers l'aval sont le signe d'un mouvement d'ouverture et d'expansion et non de compression. Comme tout est plat sur la rivière hors du dôme ! Photo 12 mars 2016, visée vers le SE depuis la rive gatinoise, sous le tablier du pont Alexandra (visible à gauche) ; le Parlement, de l'autre côté de la rivière.




Topographie du lit de la rivière des Outaouais entre Hull (Gatineau), au Québec, et Ottawa, en Ontario.
Le pont Alexandra est en haut, à droite ; j'ai mis en rouge les zones profondes (11 m) au-dessus desquelles le dôme semble s'édifier de façon préférentielle : la zone fermée sud pour les années 2016 et 2018, la zone nord, près du pont, en 2023. Notez qu'il existe d'autres zones aussi ou plus profondes (23,2 m en aval du pont) sans qu'elles n'exercent aucune influence perceptible. 
Source : Service hydrographique du Canada, ministère des Pêches et des Océans, Rivière des Outaouais : Papineauville à Ottawa, Québec-Ontario, carte marine no 1515, 1/20 000, 1998, corrigée 2005-12-02 (détail).


samedi 11 février 2023

Hors sujet : arc circumhorizontal à Gatineau

Je viens d'apprendre que cette bande colorée qui m'avait intrigué est un arc circumhorizontal.

(Photos prises à Gatineau, Qc, près du Musée canadien de l'histoire, le 10 juin 2018.)

Un arc circumhorizontal, ou arc de circumhorizon, est un arc-en-ciel « droit », parallèle à l'horizon qui apparaît sous le soleil. Ce type de halo est formé par la réfraction de la lumière du soleil par des cristaux de glace en haute altitude. Voir Wikiki pour plus de détails.

Le phénomène avait perduré plusieurs minutes. Une amie l'avait photographié en même temps que moi, à Ottawa, à plus d'un km de ma position.

Ne pas confondre avec un arc circumzénithal dont j'ai déjà parlé dans un ancien billet.



Ici, l'arc circumhorizontal (rouge en haut, vert en bas) apparaît dans des cirrocumulus ondulatus de haute altitude (plus de 6 km) ; des altocumulus de moindre altitude s'interposent devant l'arc et le masquent partiellement. 
À l'arrière-plan, le Musée canadien de l'histoire, à Gatineau.
(Identification des nuages par moi, n'hésitez pas à les corriger.)




Détails accentués des photos. On distingue mieux la superposition des couches de nuages. La traînée de condensation d'un avion traverse le champ des photos.


lundi 6 février 2023

Anciennes carrières de calcaire à Hull : album photo




Anciennes carrières de calcaire de la ville de Hull (Gatineau), Québec, selon des sources variées. Compilation Henri Lessard, © 2013, 2014, 2015, 2020 et 2021 (version 8). Les codes d'identification et références plus bas.
Fond de carte : modifié de © Google. J'ai rectifié à main levée la frontière Québec/Ontario (en rouge, en bas) que Google trace de travers (voir le billet du 4 mai 2013, « Gatineau-Ottawa : courbe immotivée ? »).



Pour en savoir plus sur le sujet, voir le billet du 9 sept. 2015, « Calcaires hullois : des cartes et des lacunes » (et suivre les liens qu'il contient).

Il y a quelques années, j'ai entrepris de dresser la carte (ci-haut) des anciennes carrières de calcaires de la ville de Hull (Gatineau, Qc). Je vous propose ici une galerie de leurs portraits à partir des photo aériennes de la Photothèque nationale de l'air (PNA). Les habitués de la ville de Hull pourront voir à quel point ces carrières sont demeurées apparentes ou non dans le tissu urbain. Rien ne se comble et ne s'oublie plus facilement qu'un trou dans le plancher d'une ville. C'est toute une partie de l'histoire qui est ainsi effacée du paysage et des mémoires.

Les photos mises en ligne ici proviennent de la PNA ; j'ai tiré leurs fichiers du site CARTO.





PNA, photo A9608-56, 1945
Vue aérienne de la ville de Hull. Elle indique la position de plusieurs des carrières identifiées sur la carte plus haut.
RB : ruisseau de la Brasserie ; RO : rivière des Outaouais ; en bas, à droite, le barrage en hémicycle des Chaudières.


Carrières de calcaire, Hull (Gatineau)

Liste d'après la plus ancienne attestation que j'ai pu trouver des carrières énumérées. La liste complète est dans le billet du 9 sept. 2017. Les textes décrivent l'état des carrières à l'époque où les documents originaux ont été rédigés.

McGrath (1885)

  • M1. Carrière du parc Brébeuf. Aucune attestation trouvée après cette date.

Parks (1916)

  • P.1. Wright and Company, Hull, 240 x 120 m. On y extrait des pierres de 15 à 24 pouces d'épaisseur. La carrière, qui aurait appartenu à la Federal Stone, serait aussi le site de l’ancien chantier municipal. (Raymond Ouimet, comm. pers., avril 2020.)
  • P.6. David Laviolette, Hull. « [La carrière a fourni l'échantillon] le plus finement grenu de toutes les pierres de construction les mieux connues au Québec... » (Parks, p. 112.) Tout le produit de la carrière sert à des fins de construction : blocs grossiers, seuils, bouchardés sur le dessus, montants de fenêtres de cave.
  • P.9. Canada Cement Company, Hull, 90 m x 400 m. « Environ 500 tonnes par jour sont retirées pour fabriquer du ciment, durant onze mois de l'année. » (Parks, p. 114.)

Photothèque nationale de l'air, Ressources naturelles Canada

  • P et P?. Carrières (?) qui apparaissent sur des photos aériennes de la PNA de 1925 à 1945 (sans exclure années antérieures ou postérieures).

Goudge (1935)

  • G1. Wright Crushed Stone Co, Ltd., Hull ; pierre concassée, pierre pour la production de pâte au bisulfite ; autrefois exploitée pour la pierre à bâtir.
  • G2. Laurentian Stone Co., Ltd, Ottawa ; pierre concassée, four à chaux.
  • G3. Oscar Noël, Hull ; pierre de construction irrégulière (stratification entrecroisée) : pierres de 8 cm à 15 cm x 12 à 25 cm ; pierres vendues à un tailleur d'Ottawa.
  • G6A. Napoléon Tremblay, Hull. ; pierre concassée, graviers et pierre pour la production de pâte au bisulfite.
  • G6B. Abandonnée ; sur le terrain de William Dennison, Hull
  • G7. Abandonnée.

Uyeno (1974)

  • U5. Carrière désaffectée.
  • U9. Excavation ; position précisée grâce à McGrath (1885).




PNA, photo A9608-56, 1945 (détail)
Selon Goudge (1935), une carrière (G6B) a été exploitée sur le terrain de William Dennison (qui a donné son nom au chemin qui correspond à la piste 5 du parc de la Gatineau), du côté ouest de l'actuel chemin de la Cité-des-Jeunes (en rouge), dans une dépression aujourd'hui occupée par un marais, au nord de l'intersection avec le boul. St-Raymond. La seule trace d'une carrière (?) sur cette photo consiste en la dépressions blanche du côté est du chemin. Disons que l'interprétation des documents est incertaine pour la petite Dennison. Voir le billet du 26 avril 2017, « Vrai-faux marécage à Gatineau ».




PNA, photo A9608-56, 1945 (détail)
Carrière de Napoléon Tremblay (G6A), au nord de la rue Gamelin. L'excavation était visible encore au moins jusqu'en 1965. Site de l'actuel parc Laurent-Groulx.




PNA, photo A9608_56, 1945 (détail)
La canada Cement (P9) à gauche. L'excavation, qui n'avait pas atteint ses dimensions finales en 1945, contient aujourd'hui le lac de la Carrière, près du Casino du Lac-Leamy. À droite, à la hauteur des rapides du ruisseau de la Brasserie, une carrière anonyme (U5), remblayée et coincée entre les autoroutes 5 et 50. Les usagers de la piste cyclable qui longe la carrière n'ont aucun soupçon de son existence.




PNA, photo A7194-21, 1944 (détail)
À l'est de la carrière U5, déjà décrite, on trouve ce qui ressemble à des carrières (P?) dont je ne trouve aucune mention dans les sources. Font-elles parties, avec la U5, d'un même ensemble ? À droite, les vestiges du mur de pierre dans le ruisseau de la Brasserie (billet du 14 juillet 2019, « Jetée de pierre dans le ruisseau de la Brasserie, à Hull (QC) » et suivre les liens).




PNA, photo A6352-42, 1938 (détail)
La carrière d'Oscar Noël (G3). Les données que j'ai sur sa position manquaient de précision. Il semble y avoir eu aussi des travaux sur la rive ouest du ruisseau. Le Rapibus passe immédiatement à l'ouest du chemin de fer.




PNA, photo A9608_56, 1945 (détail)
La carrière d'Oscar Noël (G3 ; au nord) et la Wright Crushed Stone Co, Ltd. (G1 ; au sud). Voir à propos de cette dernière le billet du 1er sept. 2017, « Topographie hulloise : ancienne carrière Wright ». Voir aussi le billet du 24 mai 2019, « La carrière Wright ennoyée, Hull, Qc, vers 1945-1950 » pour une représentation de la carrière par le peintre Henri Masson.




PNA, photo A6352-42, 1938 (détail)
La Wright Crushed Stone Co, Ltd. (G1 ; au nord) et la Laurentian Stone Co., Ltd. (G2 ; au sud). Une partie de la G3, près du ruisseau, est visible au nord. La rue Ahmerst passe aujourd'hui entre les deux carrières. À gauche, le boul. St-Joseph.




PNA, photo A7193-30, 1944 (détail)
Comme photo précédente. À voir le front des carrières vers l'ouest, il me semble clair que la montée en escalier des rues entre le ruisseau et le boul. St-Joseph est le résulat de ces travaux.




PNA, photo A9608_56, 1945 (détail)
À l'est du ruisseau de la Brasserie, la carrière David Laviolette (P6) et la carrière Wright and Company (P1). La ligne rouge : boul. St-Laurent et prolongement vers l'ouest selon l'actuel boul. des Allumettières. La P1 est occupée aujourd'hui par la Coopérative d'habitation sur l'île. Il semble y avoir une seconde excavation au nord de la P6.




PNA, photo A7193-30, 1944 (détail)
Carrière anonyme (G7), aujourd'hui sous le stationnement de l'UQO. La U9 (x blanc), ennoyée : voir le billet 10 nov. 2020, « Anciennes carrières à Hull et mystères résolus ».




PNA, photo A7193-30, 1944 (détail)
La carrière M1 (anonyme) du parc Brébeuf n'est attestée que par McGrath (1885) ; plate-forme claire coupée par un chenal artificiel. Voir le billet 10 nov. 2020, « Anciennes carrières à Hull et mystères résolus ».







Carrière de calcaire de la Wright Crushed Stone Co, Ltd., rive gauche du ruisseau de la Brasserie, à Hull (G1 sur la carte et les photos). Photo : Goudge, 1935 ; vue vers le SE. La carrière était située rue Amherst, entre le boul. Saint-Joseph et le ruisseau. Elle produisait de la pierre concassée, de la pierre pour la production de pâte au bisulfite ; elle avait auparavant été exploitée pour la pierre à bâtir.. L'excavation a été comblée. Voir le billet du 1er sept, 2017, « Topographie hulloise : ancienne carrière Wright ».


Références

(Liste complète dans le billet du 9 sept. 2015.)
  • Goudge, M.F., 1935 — Limestones of Canada, Their Occurrence and Characteristics; Part III. Canada Mines Branch, Report 755, 278 pages, with maps 756 (Montréal) and 757 (Southern Québec) in pocket.
  • Bolton McGrath, Plan of the northern shore of the Ottawa river from the western boundary of the city of Hull to the Gatineau river. 1885, BAnQ : https://numerique.banq.qc.ca:443/patrimoine/details/52327/3474338
  • Parks, Wm.A., 1916 — Rapport sur les pierres de construction et d'ornement du Canada, vol. III, province de Québec. Ministère des Mines, Division des mines, rapport 389, 405 p.
  • Ressources natturelles Canada, Photothèque nationale de l'air.
  • Uyeno T.T., 1974 — Conodonts of the Hull Formation, Ottawa Group (Middle Ordovician), of the Ottawa-Hull area, Ontario and Québec. Commission géologique du Canada, Bull. 248.

vendredi 23 décembre 2022

Hors sujet : canalisation des ruisseaux de la Brasserie et du Lac-des-Fées à Hull



Le sud du ruisseau de la Brasserie, à Hull, en 1930 et 1931. 

(Le nord est à droite ; vous trouverez la clef des rues plus bas). L'île au sud du pont Montcalm, visible sur la photo de 1930 sous les eaux de la crue, est rattachée à la rive ouest en 1931. La rue Taylor (rive ouest) est en partie construite sur un terrain gagné sur le ruisseau. Le ruisseau n'est pas encore bétonné ou « canalisé ». Ça viendra.
Rappelons que le ruisseau est en réalité un bras de l'Outaouais ; l'eau entrait dans le ruisseau par le barrage du boul. Taché (chemin d'Aylmer à l'époque).
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), 1930, A2181 (détail), 28-29 (détail - montage) ; 1931, A3331, 29 (détail).


Ce billet apporte quelques précisions sur la chronologie des transformations qu'ont subi le ruisseau du Lac-des-Fées (RLF) et de le ruisseau de la Brasserie (RB), à Hull (Gatineau), dans les années 1930. Il est destiné à compléter ou corriger les billets suivants :

Son contenu se résume à trois dates et quelques observations :

L'île au sud de la rue Montcalm dans le RB a été rattachée à la rive ouest du ruisseau en 1931. La rue Taylor a pu ensuite être prolongée vers le nord sur le terrain gagné au dépens du ruisseau.


Clef d'indentification

des rues et des constructions mentionnées dans le texte ou identifiées pour repère. Voir aussi la carte de compilation à la fin du billet.

  • C. - Château d'eau et centrale électrique (aujourd'hui Les Brasseurs du Temps).
  • CP. - Voie du Canadien Pacifique.
  • CPk. - Canada Packers.
  • M. - Pont de la rue Montcalm.
  • MM. - Manège militaire de Salaberry.
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • S. - Station de pompage (aujourd'hui Théâtre de l'Île).
  • T. - Rue Taylor.
  • W. - Pont de la rue Wright.
    • Fond : Photothèque nationale de l'air (PNA), 1933, A4569, 68 (détail).


Le RLF a été canalisé entre la voie du CP jusqu'à la rue Hanson (rue Front à l'époque) en 1933 ; son embouchure dans le RB n'est pas visible sur les photos. Le quartier traversé par la canalisation a échappé au développement domiciliaire (sauf la rue Front) jusque dans les années 1950.

Enfin, la bétonisation des rives et du lit du RB entre les ponts Wright et Montcalm, menée par le ministère des Travaux publics du Québec, date de 1938.  La motivation première de l'initiative était de donner du travail aux chômeurs de la Grande Crise. Longtemps, j'ai cru que tous les travaux énumérés ci-haut avaient fait partie du même chantier. J'avais tort.

Je suppose que la canalisation du RLF avait été entreprise pour limiter les dégâts causés par les crues. Les chroniques gardent le souvenir des inondations de 1916 et de 1926, en amont de la portion canalisée cependant, à l'ouest du boul. St-Joseph.

Je me repose essentiellement sur des photos aérienne pour bâtir ma chronologie. Ces documents, objectifs et datés, sont plus fiables que les cartes topographiques ou autres, pas toujours bien mises à jour d'une édition à l'autre. Les photos exigent un travail d'interprétation, elles ne fournissent souvent que des dates extrêmes : tel édifice qui y figure en 1942  n'y apparaissait pas en 1937, ce qui laisse une bonne marge. Les sources écrites ne sont pas moins vagues et abondent en « vers l'année 193x » ou en « dans les années 1930... » J'en déduis que je ne suis pas le seul à me débattre avec ce genre de frustrante imprécision. J'ai parfois l'impression que la chronologie du RB est moins bien calibrée que celles des ziggourats mésopotamiennes.

Quant à la seule date documentée dont je dispose - je veux dire corroborée par une source écrite et non pas seulement par une photo -, celle de la bétonisation (ou de la « canalisation par des murets ») du RB entre les ponts Wright et Montcalm par le ministère des Travaux publics en 1938, je vous en donne ici la référence :

Daniel Arbour & Associés, Corridor du ruisseau de la Brasserie : Élaboration d'un plan général d'aménagement : Rapport final, CCN, Ville de Hull, en coll. avec la SAO, Montréal, août 1982.


Les photos mises en ligne ici proviennent de la PNA ; j'ai tiré leurs fichiers du site CARTO.


1933 : canalisation du ruisseau du Lac-des-Fées.

Le ruisseau du Lac-des-Fées (à gauche du ruisseau de la Brasserie, partie inférieure de la photo) est canalisé entre la voie du CP et la rue Front (points C-C' sur la carte de compilation). Le détail en bas permet de distinguer les tranchées. L'embouchure dans le ruisseau de la Brasserie n'est pas visible. L'île, au sud du pont Montcalm a totalement disparu du ruisseau de la Brasserie ; la rive, réaménagée, permet à la rue Taylor de se prolonger au nord.

 

  • Photothèque nationale de l'air (PNA), 1933, A4569, 68 (détail).






25 sept. 1938 : le béton. 

Le ruisseau de la Brasserie, à sec. Les travaux de bétonisation des rives et du lit, menés sous l'égide du ministère des Travaux publics du Québec, vont bon train.
Une année, un mois, un jour... On sort enfin de l'à peu près.
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), A6352-25, 25 sept. 1938 (détail).


Coïncidence amusante...

(Détail de la photo du 25 sept. 1938.) Une canalisation (soulignée en bleu) est visible dans le lit du ruisseau de la Brasserie, depuis le pont Montcalm et le château d'eau jusqu'au boul. Taché. Elle longe la station de pompage et sa trace se perd dans les installation de la E.B. Eddy, au sud du barrage du boulevard. (On peut confondre la canalisation au nord du pont Wright avec l'ombre du muret du canal.)
Je suppose qu'elle faisait partie du réseau d'aqueduc public et qu'elle était reliée au château d'eau. La station de pompage n'était plus en service depuis le début du siècle. 
Pour la coïncidence annoncée, la conduite d'eau...


...la conduite d'eau...

...apparaît aussi sur cette photo prise le 16 sept. 1938 depuis le pont de la rue Wright. Le pont de la rue Montcalm est vaguement visible au fond. Deux documents qui se confirment l'un l'autre, deux photos du même paysage prises le même mois, depuis des points de vue différents... La photo était dans mes archives. J'ignore sa provenance, BAnq ou BAC ou ?... Elle doit être dans le domaine public et je la reproduit sans mention d'auteur et sans scrupule.


Même point de vue, décembre 2022.














Carte de compilation (tirée du billet du 6 déc. 2022).

Document constitué à partir des cartes et des photos reproduites plus haut et d'autres sources. Je ne reprends dans la légende que ce qui concerne le contenu de cet article. Pour la légende entière, voir le billet du 6 déc. 2022.
  • C-C'. - Section canalisée du ruisseau du Lac-des-Fées en 1933.
  • D. - Embouchure originelle du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie.
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • Ligne tiretée noire. - Cours originel du ruisseau du Lac-des-Fées.
  • Fines lignes pointillées. - Rive originelle du ruisseau de la Brasserie avant le rattachement de l'île à la rive ouest en 1931 et la bétonisation des rives entre les ponts Montcalm et Wright en 1938.
  • Grandes flèches. - Sens de l'écoulement des eaux. (Le ruisseau de la Brasserie est en fait un bras de l'Outaouais (RO) qu'il retrouve au NE de la carte.)
Fond de la carte : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Cartes topographiques.

mardi 20 décembre 2022

Draperies de pierre au fond des lacs des Laurentides

Photo 1. - Élégantes draperies de pierre au fond du lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Chaque « draperie » est un lit silicaté insoluble dans un marbre composé de minéraux carbonatés qui ont été lentement dissous par l'eau. Photo © Jean-Louis Courteau.



Sauf mention contraire, les photos qui illustrent ce billet sont de Jean-Louis Courteau et elles ont déjà été diffusées dans ce blogue. Elles ne proviennent pas de l'article du Naturaliste canadien dont il est question ici et dont il est un des coauteurs.


Ce petit blogue a joué son petit rôle dans la révélation de ce qu’il faut bien appeler une découverte dans la géologie du Quaternaire de l'Outaouais et des Laurentides.

Il y a 10 ans, Jean-Louis Courteau m’avait contacté via ce blogue à propos de formations étranges qui peuplaient le fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Il faut dire que Jean-Louis est plongeur, en plus d’être peintre et écrivain. Quand on écrit, quand on dessine, on a l’œil, et on le conserve même dans les eaux brouillées des profondeurs des lacs. Surtout, on est curieux. 


Photo 2. - Restes d'inclusions insolubles ayant survécu à la dissolution de leur matrice de marbre. Comment ont-elles pu subir sans dommage le passage des glaciers ? Photo © Jean-Louis Courteau.


Jean-Louis m’avait décrit d’intrigants reliefs ; pieux ou rouleaux de pierre surgissant du plancher lacustre, fantomatiques draperies rocheuses sur les flancs de falaises sous-marines et il se questionnait sur leur origine. La seule réponse plausible que j'avais pu fournir était qu’il s’agissait sans doute d'inclusions rocheuses enclavées et plissées dans un marbre – chose commune en Outaouais comme dans les Laurentides, mais ces inclusions ne font jamais saillie sur la surface du roc au point que le décrivait Jean-Louis. Il fallait croire que l’immersion au fond d’un lac avait peu à peu dissout la matrice en marbre, fait de carbonates solubles, dégageant et laissant en relief les inclusions silicatées, les insolubles, comme on les appellera. La quiétude des fonds lacustres les a apparemment préservées. Sauf que...


Photo 3. - Ondulation de pierre au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Sauf que la dernière glaciation du Quaternaire, dite du Wisconsinien, a pris fin dans la région il y a 12 000 ans. Les glaces, à leur départ, laissaient derrière elles un continent raboté et poncé à fond par leur passage. Nos tenaces mais frêles insolubles n’auraient pas pu survivre à un tel épisode qui s'était étiré sur quelque 90 000 ans. Et, à moins de supposer un taux de dissolution improbable, les 12 petits millénaires écoulés depuis le départ des glaces ne permettaient pas le dégagement des éléments insolubles du marbre dans les proportions rencontrées au fond du lac Tremblant. Ces monstruosités lacustres n’auraient pas dû exister, tout simplement.

J’insiste : il s’agissait d’une véritable découverte, de quelque chose d’insoupçonné qu’on n’aurait pas cru possible ni envisageable dans notre contexte.

Et pourtant, ces impossibles formations existaient ! Pas seulement au lac Tremblant ; au lac Marie-Lefranc, au Lac-des-Seize-Îles aussi, tous des lacs du bouclier canadien, au NO de Montréal. Restait seulement à expliquer leur existence...


J’ai mis en ligne au cours des années dans mon blogue de nombreuses photos de ces « insolubles » fournies par Jean-Louis. Vous pouvez vous y référer pour suivre l’évolution des choses.


Photo 4. - Des plaques et des futs de colonnes un rouleau lithiques au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Je ne sais plus trop quand et comment j’ai mis en contact Jean-Louis avec Bernard Lauriol, professeur émérite à l’Université d’Ottawa. Bernard a confirmé mes conclusions tout en étant aussi étonné que moi des proportions que présentaient ces formations.


Marbre et inclusions insolubles

Il est rare dans la région qu'un banc de marbre soit homogène et ne contiennent pas des couches ou des intrusions de roches autres. Ces inclusions ont souvent été plissées et disloquées par les pressions tectoniques (photos 8 et 9). Le marbre lui-même est constitué de carbonates de calcium, calcite ou dolomie, faciles à attaquer et sensibles à l'acidité des eaux. Les inclusions, formées de silicates divers et de quartz, sont plus résistantes. 

 



Photo 5. - Non, ce n'est pas une guenille,
mais un insoluble remonté sur la terre ferme. Dépliez mentalement la pierre chiffonnée pour lui redonner sa « planitude » originale. Lac-des-Seize-îles, Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.



Mon résumé

Bref, après des années d’études, d'analyses, de mesures, de prélèvements et bien des plongées, un article cosigné par Benoit Faucher, Jean-Louis Courteau et Bernard Lauriol est publié dans la revue Le Naturaliste canadien : « Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire » (voir plus bas le résumé officiel de l'article et la référence). Il apparaît que le phénomène des insolubles est plus répandu qu’on le croyait dans nos lacs puisque les auteurs en rapportent des occurrences plus à l’ouest, près de Low et de Luskville.

Photo 6. - Un rouleau et autres aspérités au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.







Photo 7. - Jolies draperie, quel mouvement ! Et pourtant elles sont immobiles. Lac -des-Seize-Îles, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Il apparaît aussi que les glaciers ont sans doute joué un rôle dans l'exhumation et la préservation de ces insolubles. (Dans le passage qui suit, je résume le contenu de l'article selon ma compréhension et selon ce qui me semble le plus important. J’espère ne pas trop déformer les propos des auteurs.)

On peut envisager la création de lacs sous-glaciaires dans des poches d’eau turbulente au sud de collines où les glaces, venant du nord, pesaient moins sur le roc. (Et, justement, nos trois lacs sont situés au sud de tels écrans protecteurs.) La turbulence de l’eau sous pression dans ces bassins, coincés entre plancher de roc et toit de glace, a fait ressortir les inclusions silicatées insolubles du marbre. Voilà que nos formes d’érosion en relief sont créées ! Par la suite, des sédiments fluvio-glaciaires fins ont pu les recouvrir et les protéger. Un lessivage subséquent des sédiments par des écoulements sous-glaciaires a pu ensuite dégager les formes en relief ou les détruire et les emporter avec des débris rocheux et autres blocs erratiques, comme il a été observé à Low et à Luskville (photo 11). Reste à préciser la chronologie des événements : érosion, sédimentation, dégagement : wisconsinien ou préwisconsinien ? Ces insolubles mettent aussi en lumière la possibilité de lacs sous-glacaires nombreux.

Le plus étrange, à la fin, n’est pas l’existence de ces formations en relief, mais le fait qu’on ait mis tant de temps avant de se rendre compte de leur existence. (C'est ma conclusion.)


Photos 8 et 9. - Les inclusions de roches diverses dans le marbre sont fréquentes dans l'Outaouais et les Laurentides. 
Photo 8. - Marbre gris contenant des inclusions sombres plissées et étirée. © Photo Henri Lessard, 2009 ; autoroute 50 au nord de Thurso, Qc. 
Photo 9. - L’érosion du marbre peut mettre en relief ces inclusions résistantes, mais elle le fait à des échelles modestes, au bord des rivières comme, par exemple, sur la rive de la Gatineau. © Photo Henri Lessard, 2010; île Marguerite, Gatineau, Qc.

Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire

Référence

Faucher, B., J.-L. Courteau et B. Lauriol, 2022. « Sous la surface des lacs des Laurentides: des témoignages de la dernière période glaciaire. » Le Naturaliste canadien, 146 (2): 19-25. https://doi.org/10.7202/1091885ar


Photo 10. - Tiens, on dirait que je viens de plier les serviettes propres. Lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau. (La photo n'appartient pas à l'article cité.)

Les auteurs 

  • Benoit Faucher est scientifique du Quaternaire à la Commission géologique du Canada (Programme GEM-GéoNord, Ottawa) et enseigne la géographie au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa (Ontario).  bfaucher@uottawa.ca.
  • Jean-Louis Courteau est auteur, artiste, coproducteur de documentaires vidéo et directeur du Centre d’interprétation des eaux laurentiennes à Lac-des-Seize-Îles, CIEL (Québec).
  • Bernard Lauriol est professeur émérite de l’Université d’Ottawa (Ontario). Il a récemment publié deux ouvrages sur l’Outaouais et son passé géologique.

Résumé tiré du Naturaliste canadien

De remarquables formes rocheuses insolubles se dressent dans le fond de lacs creusés dans le marbre de Grenville de la région des Laurentides, au Québec (Canada). Elles atteignent une hauteur pouvant aller jusqu’à plusieurs décimètres. Selon les études sur les taux de dissolution du marbre du Bouclier canadien, il est improbable que celles-ci aient été mises en relief seulement pendant l’Holocène. Nous proposons qu’une érosion hydrique dans des poches d’eau alimentées par l’eau de fonte de la dernière calotte de glace des Laurentides soit à l’origine de la mise en relief de ces roches insolubles. Nous envisageons aussi la possibilité que les roches insolubles aient été dégagées de leur matrice de marbre par une eau courante bien avant la dernière déglaciation, et que celle-ci ait été précédée par un ou des lacs sous-glaciaires.

 


Photo 11. - Bloc erratique de marbre gris avec une protubérance formée par un bloc de roche silicatée (Luskville, à l'ouest de Gatineau, Québec). Le cercle blanc est une intervention picturale contemporaine ! Photo Bernard Lauriol, tirée de l'article de Faucher, Courteau et Lauriol.
La situation initiale de cette roche devait ressembler à ce que l'on voit sur la photo 8.


Photo 12. - Jean-Louis Courteau en compagnie d'un insoluble plissé ramené du fond du Lac-des-Seize-Îles. © Jean-Louis Courteau.