vendredi 23 décembre 2022

Hors sujet : canalisation des ruisseaux de la Brasserie et du Lac-des-Fées à Hull



Le sud du ruisseau de la Brasserie, à Hull, en 1930 et 1931. 

(Le nord est à droite ; vous trouverez la clef des rues plus bas). L'île au sud du pont Montcalm, visible sur la photo de 1930 sous les eaux de la crue, est rattachée à la rive ouest en 1931. La rue Taylor (rive ouest) est en partie construite sur un terrain gagné sur le ruisseau. Le ruisseau n'est pas encore bétonné ou « canalisé ». Ça viendra.
Rappelons que le ruisseau est en réalité un bras de l'Outaouais ; l'eau entrait dans le ruisseau par le barrage du boul. Taché (chemin d'Aylmer à l'époque).
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), 1930, A2181 (détail), 28-29 (détail - montage) ; 1931, A3331, 29 (détail).


Ce billet apporte quelques précisions sur la chronologie des transformations qu'ont subi le ruisseau du Lac-des-Fées (RLF) et de le ruisseau de la Brasserie (RB), à Hull (Gatineau), dans les années 1930. Il est destiné à compléter ou corriger les billets suivants :

Son contenu se résume à trois dates et quelques observations :

L'île au sud de la rue Montcalm dans le RB a été rattachée à la rive ouest du ruisseau en 1931. La rue Taylor a pu ensuite être prolongée vers le nord sur le terrain gagné au dépens du ruisseau.


Clef d'indentification

des rues et des constructions mentionnées dans le texte ou identifiées pour repère. Voir aussi la carte de compilation à la fin du billet.

  • C. - Château d'eau et centrale électrique (aujourd'hui Les Brasseurs du Temps).
  • CP. - Voie du Canadien Pacifique.
  • CPk. - Canada Packers.
  • M. - Pont de la rue Montcalm.
  • MM. - Manège militaire de Salaberry.
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • S. - Station de pompage (aujourd'hui Théâtre de l'Île).
  • T. - Rue Taylor.
  • W. - Pont de la rue Wright.
    • Fond : Photothèque nationale de l'air (PNA), 1933, A4569, 68 (détail).


Le RLF a été canalisé entre la voie du CP jusqu'à la rue Hanson (rue Front à l'époque) en 1933 ; son embouchure dans le RB n'est pas visible sur les photos. Le quartier traversé par la canalisation a échappé au développement domiciliaire (sauf la rue Front) jusque dans les années 1950.

Enfin, la bétonisation des rives et du lit du RB entre les ponts Wright et Montcalm, menée par le ministère des Travaux publics du Québec, date de 1938.  La motivation première de l'initiative était de donner du travail aux chômeurs de la Grande Crise. Longtemps, j'ai cru que tous les travaux énumérés ci-haut avaient fait partie du même chantier. J'avais tort.

Je suppose que la canalisation du RLF avait été entreprise pour limiter les dégâts causés par les crues. Les chroniques gardent le souvenir des inondations de 1916 et de 1926, en amont de la portion canalisée cependant, à l'ouest du boul. St-Joseph.

Je me repose essentiellement sur des photos aérienne pour bâtir ma chronologie. Ces documents, objectifs et datés, sont plus fiables que les cartes topographiques ou autres, pas toujours bien mises à jour d'une édition à l'autre. Les photos exigent un travail d'interprétation, elles ne fournissent souvent que des dates extrêmes : tel édifice qui y figure en 1942  n'y apparaissait pas en 1937, ce qui laisse une bonne marge. Les sources écrites ne sont pas moins vagues et abondent en « vers l'année 193x » ou en « dans les années 1930... » J'en déduis que je ne suis pas le seul à me débattre avec ce genre de frustrante imprécision. J'ai parfois l'impression que la chronologie du RB est moins bien calibrée que celles des ziggourats mésopotamiennes.

Quant à la seule date documentée dont je dispose - je veux dire corroborée par une source écrite et non pas seulement par une photo -, celle de la bétonisation (ou de la « canalisation par des murets ») du RB entre les ponts Wright et Montcalm par le ministère des Travaux publics en 1938, je vous en donne ici la référence :

Daniel Arbour & Associés, Corridor du ruisseau de la Brasserie : Élaboration d'un plan général d'aménagement : Rapport final, CCN, Ville de Hull, en coll. avec la SAO, Montréal, août 1982.


Les photos mises en ligne ici proviennent de la PNA ; j'ai tiré leurs fichiers du site CARTO.


1933 : canalisation du ruisseau du Lac-des-Fées.

Le ruisseau du Lac-des-Fées (à gauche du ruisseau de la Brasserie, partie inférieure de la photo) est canalisé entre la voie du CP et la rue Front (points C-C' sur la carte de compilation). Le détail en bas permet de distinguer les tranchées. L'embouchure dans le ruisseau de la Brasserie n'est pas visible. L'île, au sud du pont Montcalm a totalement disparu du ruisseau de la Brasserie ; la rive, réaménagée, permet à la rue Taylor de se prolonger au nord.

 

  • Photothèque nationale de l'air (PNA), 1933, A4569, 68 (détail).






25 sept. 1938 : le béton. 

Le ruisseau de la Brasserie, à sec. Les travaux de bétonisation des rives et du lit, menés sous l'égide du ministère des Travaux publics du Québec, vont bon train.
Une année, un mois, un jour... On sort enfin de l'à peu près.
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), A6352-25, 25 sept. 1938 (détail).


Coïncidence amusante...

(Détail de la photo du 25 sept. 1938.) Une canalisation (soulignée en bleu) est visible dans le lit du ruisseau de la Brasserie, depuis le pont Montcalm et le château d'eau jusqu'au boul. Taché. Elle longe la station de pompage et sa trace se perd dans les installation de la E.B. Eddy, au sud du barrage du boulevard. (On peut confondre la canalisation au nord du pont Wright avec l'ombre du muret du canal.)
Je suppose qu'elle faisait partie du réseau d'aqueduc public et qu'elle était reliée au château d'eau. La station de pompage n'était plus en service depuis le début du siècle. 
Pour la coïncidence annoncée, la conduite d'eau...


...la conduite d'eau...

...apparaît aussi sur cette photo prise le 16 sept. 1938 depuis le pont de la rue Wright. Le pont de la rue Montcalm est vaguement visible au fond. Deux documents qui se confirment l'un l'autre, deux photos du même paysage prises le même mois, depuis des points de vue différents... La photo était dans mes archives. J'ignore sa provenance, BAnq ou BAC ou ?... Elle doit être dans le domaine public et je la reproduit sans mention d'auteur et sans scrupule.


Même point de vue, décembre 2022.














Carte de compilation (tirée du billet du 6 déc. 2022).

Document constitué à partir des cartes et des photos reproduites plus haut et d'autres sources. Je ne reprends dans la légende que ce qui concerne le contenu de cet article. Pour la légende entière, voir le billet du 6 déc. 2022.
  • C-C'. - Section canalisée du ruisseau du Lac-des-Fées en 1933.
  • D. - Embouchure originelle du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie.
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • Ligne tiretée noire. - Cours originel du ruisseau du Lac-des-Fées.
  • Fines lignes pointillées. - Rive originelle du ruisseau de la Brasserie avant le rattachement de l'île à la rive ouest en 1931 et la bétonisation des rives entre les ponts Montcalm et Wright en 1938.
  • Grandes flèches. - Sens de l'écoulement des eaux. (Le ruisseau de la Brasserie est en fait un bras de l'Outaouais (RO) qu'il retrouve au NE de la carte.)
Fond de la carte : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Cartes topographiques.

mardi 20 décembre 2022

Draperies de pierre au fond des lacs des Laurentides

Photo 1. - Élégantes draperies de pierre au fond du lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Chaque « draperie » est un lit silicaté insoluble dans un marbre composé de minéraux carbonatés qui ont été lentement dissous par l'eau. Photo © Jean-Louis Courteau.



Sauf mention contraire, les photos qui illustrent ce billet sont de Jean-Louis Courteau et elles ont déjà été diffusées dans ce blogue. Elles ne proviennent pas de l'article du Naturaliste canadien dont il est question ici et dont il est un des coauteurs.


Ce petit blogue a joué son petit rôle dans la révélation de ce qu’il faut bien appeler une découverte dans la géologie du Quaternaire de l'Outaouais et des Laurentides.

Il y a 10 ans, Jean-Louis Courteau m’avait contacté via ce blogue à propos de formations étranges qui peuplaient le fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Il faut dire que Jean-Louis est plongeur, en plus d’être peintre et écrivain. Quand on écrit, quand on dessine, on a l’œil, et on le conserve même dans les eaux brouillées des profondeurs des lacs. Surtout, on est curieux. 


Photo 2. - Restes d'inclusions insolubles ayant survécu à la dissolution de leur matrice de marbre. Comment ont-elles pu subir sans dommage le passage des glaciers ? Photo © Jean-Louis Courteau.


Jean-Louis m’avait décrit d’intrigants reliefs ; pieux ou rouleaux de pierre surgissant du plancher lacustre, fantomatiques draperies rocheuses sur les flancs de falaises sous-marines et il se questionnait sur leur origine. La seule réponse plausible que j'avais pu fournir était qu’il s’agissait sans doute d'inclusions rocheuses enclavées et plissées dans un marbre – chose commune en Outaouais comme dans les Laurentides, mais ces inclusions ne font jamais saillie sur la surface du roc au point que le décrivait Jean-Louis. Il fallait croire que l’immersion au fond d’un lac avait peu à peu dissout la matrice en marbre, fait de carbonates solubles, dégageant et laissant en relief les inclusions silicatées, les insolubles, comme on les appellera. La quiétude des fonds lacustres les a apparemment préservées. Sauf que...


Photo 3. - Ondulation de pierre au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Sauf que la dernière glaciation du Quaternaire, dite du Wisconsinien, a pris fin dans la région il y a 12 000 ans. Les glaces, à leur départ, laissaient derrière elles un continent raboté et poncé à fond par leur passage. Nos tenaces mais frêles insolubles n’auraient pas pu survivre à un tel épisode qui s'était étiré sur quelque 90 000 ans. Et, à moins de supposer un taux de dissolution improbable, les 12 petits millénaires écoulés depuis le départ des glaces ne permettaient pas le dégagement des éléments insolubles du marbre dans les proportions rencontrées au fond du lac Tremblant. Ces monstruosités lacustres n’auraient pas dû exister, tout simplement.

J’insiste : il s’agissait d’une véritable découverte, de quelque chose d’insoupçonné qu’on n’aurait pas cru possible ni envisageable dans notre contexte.

Et pourtant, ces impossibles formations existaient ! Pas seulement au lac Tremblant ; au lac Marie-Lefranc, au Lac-des-Seize-Îles aussi, tous des lacs du bouclier canadien, au NO de Montréal. Restait seulement à expliquer leur existence...


J’ai mis en ligne au cours des années dans mon blogue de nombreuses photos de ces « insolubles » fournies par Jean-Louis. Vous pouvez vous y référer pour suivre l’évolution des choses.


Photo 4. - Des plaques et des futs de colonnes un rouleau lithiques au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Je ne sais plus trop quand et comment j’ai mis en contact Jean-Louis avec Bernard Lauriol, professeur émérite à l’Université d’Ottawa. Bernard a confirmé mes conclusions tout en étant aussi étonné que moi des proportions que présentaient ces formations.


Marbre et inclusions insolubles

Il est rare dans la région qu'un banc de marbre soit homogène et ne contiennent pas des couches ou des intrusions de roches autres. Ces inclusions ont souvent été plissées et disloquées par les pressions tectoniques (photos 8 et 9). Le marbre lui-même est constitué de carbonates de calcium, calcite ou dolomie, faciles à attaquer et sensibles à l'acidité des eaux. Les inclusions, formées de silicates divers et de quartz, sont plus résistantes. 

 



Photo 5. - Non, ce n'est pas une guenille,
mais un insoluble remonté sur la terre ferme. Dépliez mentalement la pierre chiffonnée pour lui redonner sa « planitude » originale. Lac-des-Seize-îles, Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.



Mon résumé

Bref, après des années d’études, d'analyses, de mesures, de prélèvements et bien des plongées, un article cosigné par Benoit Faucher, Jean-Louis Courteau et Bernard Lauriol est publié dans la revue Le Naturaliste canadien : « Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire » (voir plus bas le résumé officiel de l'article et la référence). Il apparaît que le phénomène des insolubles est plus répandu qu’on le croyait dans nos lacs puisque les auteurs en rapportent des occurrences plus à l’ouest, près de Low et de Luskville.

Photo 6. - Un rouleau et autres aspérités au fond du lac Tremblant, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.







Photo 7. - Jolies draperie, quel mouvement ! Et pourtant elles sont immobiles. Lac -des-Seize-Îles, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau.


Il apparaît aussi que les glaciers ont sans doute joué un rôle dans l'exhumation et la préservation de ces insolubles. (Dans le passage qui suit, je résume le contenu de l'article selon ma compréhension et selon ce qui me semble le plus important. J’espère ne pas trop déformer les propos des auteurs.)

On peut envisager la création de lacs sous-glaciaires dans des poches d’eau turbulente au sud de collines où les glaces, venant du nord, pesaient moins sur le roc. (Et, justement, nos trois lacs sont situés au sud de tels écrans protecteurs.) La turbulence de l’eau sous pression dans ces bassins, coincés entre plancher de roc et toit de glace, a fait ressortir les inclusions silicatées insolubles du marbre. Voilà que nos formes d’érosion en relief sont créées ! Par la suite, des sédiments fluvio-glaciaires fins ont pu les recouvrir et les protéger. Un lessivage subséquent des sédiments par des écoulements sous-glaciaires a pu ensuite dégager les formes en relief ou les détruire et les emporter avec des débris rocheux et autres blocs erratiques, comme il a été observé à Low et à Luskville (photo 11). Reste à préciser la chronologie des événements : érosion, sédimentation, dégagement : wisconsinien ou préwisconsinien ? Ces insolubles mettent aussi en lumière la possibilité de lacs sous-glacaires nombreux.

Le plus étrange, à la fin, n’est pas l’existence de ces formations en relief, mais le fait qu’on ait mis tant de temps avant de se rendre compte de leur existence. (C'est ma conclusion.)


Photos 8 et 9. - Les inclusions de roches diverses dans le marbre sont fréquentes dans l'Outaouais et les Laurentides. 
Photo 8. - Marbre gris contenant des inclusions sombres plissées et étirée. © Photo Henri Lessard, 2009 ; autoroute 50 au nord de Thurso, Qc. 
Photo 9. - L’érosion du marbre peut mettre en relief ces inclusions résistantes, mais elle le fait à des échelles modestes, au bord des rivières comme, par exemple, sur la rive de la Gatineau. © Photo Henri Lessard, 2010; île Marguerite, Gatineau, Qc.

Sous la surface des lacs des Laurentides : des témoignages de la dernière période glaciaire

Référence

Faucher, B., J.-L. Courteau et B. Lauriol, 2022. « Sous la surface des lacs des Laurentides: des témoignages de la dernière période glaciaire. » Le Naturaliste canadien, 146 (2): 19-25. https://doi.org/10.7202/1091885ar


Photo 10. - Tiens, on dirait que je viens de plier les serviettes propres. Lac Marie-Lefranc, dans les Laurentides. Photo © Jean-Louis Courteau. (La photo n'appartient pas à l'article cité.)

Les auteurs 

  • Benoit Faucher est scientifique du Quaternaire à la Commission géologique du Canada (Programme GEM-GéoNord, Ottawa) et enseigne la géographie au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa (Ontario).  bfaucher@uottawa.ca.
  • Jean-Louis Courteau est auteur, artiste, coproducteur de documentaires vidéo et directeur du Centre d’interprétation des eaux laurentiennes à Lac-des-Seize-Îles, CIEL (Québec).
  • Bernard Lauriol est professeur émérite de l’Université d’Ottawa (Ontario). Il a récemment publié deux ouvrages sur l’Outaouais et son passé géologique.

Résumé tiré du Naturaliste canadien

De remarquables formes rocheuses insolubles se dressent dans le fond de lacs creusés dans le marbre de Grenville de la région des Laurentides, au Québec (Canada). Elles atteignent une hauteur pouvant aller jusqu’à plusieurs décimètres. Selon les études sur les taux de dissolution du marbre du Bouclier canadien, il est improbable que celles-ci aient été mises en relief seulement pendant l’Holocène. Nous proposons qu’une érosion hydrique dans des poches d’eau alimentées par l’eau de fonte de la dernière calotte de glace des Laurentides soit à l’origine de la mise en relief de ces roches insolubles. Nous envisageons aussi la possibilité que les roches insolubles aient été dégagées de leur matrice de marbre par une eau courante bien avant la dernière déglaciation, et que celle-ci ait été précédée par un ou des lacs sous-glaciaires.

 


Photo 11. - Bloc erratique de marbre gris avec une protubérance formée par un bloc de roche silicatée (Luskville, à l'ouest de Gatineau, Québec). Le cercle blanc est une intervention picturale contemporaine ! Photo Bernard Lauriol, tirée de l'article de Faucher, Courteau et Lauriol.
La situation initiale de cette roche devait ressembler à ce que l'on voit sur la photo 8.


Photo 12. - Jean-Louis Courteau en compagnie d'un insoluble plissé ramené du fond du Lac-des-Seize-Îles. © Jean-Louis Courteau. 

samedi 17 décembre 2022

Hors sujet : le ruisseau du Lac-des-Fées découchait-il ?




Le ruisseau du Lac-des-Fées, à Hull, en 1927.

Le ruisseau dans son lit original, avant les travaux de 1938 qui allaient faire disparaître sa partie aval dans une canalisation souterraine, entre la voie ferrée du Canadien Pacifique et le ruisseau de la Brasserie où il se se jetait (et se jette encore). Le lac des Fées éponyme est à 100 m au NO de la zone photographiée. (L'état actuel du ruisseau, canalisé à partir de la promenade du Lac-des-Fées, à l'ouest du boul. St-Joseph, remonte aux années 1955-1960.)
  • Ombré en bleu : ruisseau du Lac-des-Fées ; route E-O (en bas) : boul. Alexandre-Taché (chemin d'Aylmer à l'époque) ; route N-S (au centre) : boul. St-Joseph ; route coudée (à droite) : rue Montcalm ; arc de cercle à l'est du boul. St-Joseph : voie ferrée du Canadien Pacifique.
    Le ruisseau de la Brasserie est à droite (bande sombre) ; il n'est en réalité qu'un bras de la rivière des Outaouais qu'on entrevoit en bas à droite.
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), cliché HA246-76-1927 (détail). 

Suite du billet du 6 déc. 2022.


Le ruisseau du Lac-des-Fées (RLF), à Hull (Gatineau), se jette dans le ruisseau de la Brasserie (RB), c'est un fait établi. Les travaux de canalisation qui ont modifié et enterré sa partie aval au siècle dernier n'ont pas rendu cette vérité caduque. Les cartes ont toujours montré un ruisseau unique coulant dans un « lit simple ». L'ennui, c'est qu'elles ne s'entendaient pas sur le choix du lit. Et si le RLF avait eu une double vie et s'était amusé à découcher d'un lit à l'autre ? Les fées avaient un ruisseau bien volage...

Je m'explique.

Pour plus de détails sur le ruisseau du Lac-des-Fées, son histoire et ses métamorphoses, voir les billets du 6 déc. 2022 et du 14 mai 2022, ainsi que celui du 27 févr. 2022.

Les cartes topographiques du gouvernement du Canada publiées à partir des années 1910 dessinent au RLF une large boucle vers le sud qui le fait remonter vers le nord pour rejoindre le RB. Dans sa trajectoire, le RLF atteint presque le boulevard Alexandre-Taché (voir cartes de 1910 et de 1915). (L'état actuel du ruisseau, canalisé à partir de la promenade du Lac-des-Fées, à l'ouest du boul. St-Joseph, remonte aux années 1955-1960 ; voir la carte de compilation, à la fin du billet.)


Les photos aériennes des années 1920 et 1930 montrent une toute autre chose. Le ruisseau divague au nord de la boucle que lui attribuent les cartes, à l'est de la voie du CP, avant de couler tout droit rejoindre son embouchure. Reporté sur la ville actuelle, il contournerait l'école primaire Pierre-Elliott-Trudeau, rue Murray. On le voit, le RLF hésitait un peu avant de se jeter dans les eaux pas très propres (en ces temps et encore un peu aujourd'hui) du très urbain RB.

Qui a raison, les cartes ou les photos aériennes ? J'aurais tendance à croire les photos, d'autant que les méandres du RLF sont bien du genre que fait tout cours d'eau quand il ne sait plus où trouver une pente descendante.

D'ailleurs, les cartes antérieures me donneraient plutôt raison. 

Jetons un coup d'oeil sur la carte de 1887. On constate, simplification du dessin mis à part, qu'elle est fidèle dans ses grandes lignes à la réalité des photos aériennes. Je pourrais multiplier les exemples. Voyons seulement encore le détail de cette carte du très officiel Rapport Holt de 1915. Même constat. Je pourrais multiplier les exemples, je m'en tiendrai à ces deux seuls.

Le changement dans les cartes s'est opéré subrepticement. À partir d'un certain moment, les cartes topographiques officielles (regroupons-les sous cette appellation) se sont entendues pour prêter au RLF la boucle vers le sud décrite plus haut, absente tant des cartes antérieures que des photos ultérieures. Unanimité qui découle sans doute du fait que ces cartes dépendaient toutes de la même source (sans jeu de mots), le service de cartographie de l'armée (Department of Militia and Defence ou Army Survey Establishment).

J'aimerais comprendre la raison de ce choix topo-cartographique. Si le ruisseau photographié dans les années 1920 et1930 correspond à celui cartographié en 1887 et en 1915, d'où vient le désaccord entre les photos et les cartes à partir des années 1910 ? (Les cartes étant parfois un peu longues à se mettre à jour, la carte de 1910 montrait la section canalisée en 1938 du RLF couler encore à l'air libre dans son édition révisée de 1950.)

Le cours du RLF était-il un secret militaire ? Demandez à la Milice ou à l'Army Survey Establishment. Peut-être avait-il deux lits ? Mais pourquoi toujours n'en dessiner qu'un seul ? Aurait-il été dévié avant d'être canalisé ? Non, pas selon les photos aériennes.

Si, à l'approche du RB, le RLF se partageait entre deux bras, intermittents ou pas, pourquoi les cartes ne montraient-elles toujours qu'un ruisseau unique, suivant son cours d'un seul trait, sans fourche ou saut d'un lit à l'autre ?

La question reste pendante. Mon avis est que le RLF avait deux bras et que les cartes en négligeaient tantôt l'un, tantôt l'autre - et que l'intensité de l'utilisation d'un bras ou de l'autre par le ruisseau a pu varier pour des causes naturelles ou non...)

Non, le ruisseau du Lac-des-Fées ne découchait pas. Simplement, il avait deux lits et on ne le trouvait pas toujours dans le même.


Carte de 1887.

Le ruisseau du Lac-des-Fées dans la fin de son cours avant de se jetter dans le ruisseau de la Brasserie. Dans ses grandes lignes, pour ce qui est du RLF, la carte correspond à ce que montre la photo aérienne de 1927. La plupart des rues que traverse le RLF dans ce détail n'ont eu une existence que sur papier. (Comparez avec les photos aériennes.)
Aylmer Road : boul. A.-Taché ; Brewery Creek : ruisseau de la Brasserie ; Brewery Str. : rue Montcalm ; Columbia Road : boul. St-Joseph.
  • Map of the City of Ottawa, P. Ontario, and the City of Hull, P. Quebec, and Their Adjacent Suburbs. Compiled by John A. Snow and Son, Provincial Land Surveyors and C.E.ng's from Personal Surveys and Official Records. Scale 660 Feet to One Inch (1887).


Détail d'une carte du Rapport Holt (1915). 

Le RLF est soulignée en bleu ; le ruisseau de la Brasserie (à droite) et la rivière des Outaouais (en bas) sont ombrées en bleu pâle. Comparez avec la carte de 1887 et la photo aérienne de 1927.





Carte topographique de 1910 (rév. en 1923-24, 1948 et 1950). 

Le ruisseau du Lac-des-Fées dessine une large boucle avant de se jeter dans le ruisseau de la Brasserie, sans méandres ni détours. Étrange. A-t-il modifié son lit tel qu'il était en 1887 (carte) avant pour le retrouver en 1927 (photo) ?
  • Department of National Defence - Army Survey Establishment. Sheet 31G/5 East Half - Fifth Edition. Original survey 1910. (Resurveyed, compiled, drawn and printed by the Army Survey Est. RCE, 1923-24. Partial revision 1948, with aerial photography by the RCAF. Converted from the fourth edition of the 1:63360 map to 1:50000 by the A.S.E. 1950.)




Carte des sols de 1915. 

(Oublions la signification géologique de la carte.) Même chose que pour la carte de 1910. Le lac des Fées (Fairy Lake) est à gauche. 
  • W.A. Johnston, 1915 – Ottawa, Carleton and Ottawa Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, Carte géologique polychrome 1662, 1 feuille (1/63 360). (Based on a map published by the Department of Militia and Defence.)


 

Le ruisseau du Lac-des-Fées en 1938.

À droite, le ruisseau de la Brasserie, à sec pour les travaux de bétonisation qui vont bon train. L'île au sud du pont de la rue Montcalm, visible sur les cartes et la photo de 1927, avait déjà été rattaché à la rive ouest en 1931. On distingue vaguement les méandres du bras nord du ruisseau du Lac-des-Fées au centre de la photo ; l'autre bras se devine (?) à la bordure du boisé, au sud. Les lignes droites blanches représentent les travaux de canalisation en cours du RLF à l'est de la voie ferrée du CP. **(Je reviendrai sur cette photo dont j'ai obtenu un fichier plus détaillé. [Ajout 21 déc. 2022.])**
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), cliché A6352-25, 25 sept. 1938.




Carte de compilation (tirée du billet du 6 déc. 2022 ; version du 21 déc. 2022).

Document constitué à partir des cartes et des photos reproduites plus haut et d'autres sources. Voir le billet du 6 déc. 2022 pour plus de détails.
  • A-B. - Section artificielle (à l'air libre) du ruisseau du Lac-des-Fées (vers 1955-1960).
  • B. -  Entrée du ruisseau dans sa canalisation souterraine actuelle (depuis ca 1960).
  • B-E. - Canalisation souterraine actuelle du ruisseau du Lac-des-Fées. (Le trait bleu qui relit ces deux points figure sur la carte originale et n'appartient pas aux ajouts.)
  • C-C'. - Section canalisée du ruisseau du Lac-des-Fées en 1933.
  • D. - Embouchure originelle du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie.
  • F. - Canalisation d'où se déverse actuellement l'eau du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie. 
  • PLF. - Promenade du Lac-des-Fées (inaugurée en 1955).
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • Ligne tiretée. - Cours originel du ruisseau du Lac-des-Fées. La branche nord, qui apparaissait sur les cartes municipales et les photos aériennes, était omise des cartes topographiques.
  • Ligne tiretée E-F. - Canalisation supposée (trajet hypothétique pour démonstration). 
  • Fines lignes pointillées. - Rive originelle du ruisseau de la Brasserie avant le rattachement de l'île à la rive ouest en 1931 et la bétonisation des rives entre les ponts Montcalm et Wright en 1938.
  • Grandes flèches. - Sens de l'écoulement des eaux. (Le ruisseau de la Brasserie est en fait un bras de l'Outaouais (RO) qu'il retrouve au NE de la carte.)
Fond de la carte : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Cartes topographiques.

mardi 6 décembre 2022

Hors sujet : canalisation du ruisseau du Lac-des-Fées (révisé)


Photo 1. 

Déversement à gros bouillons des eaux du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie par une canalisation, au nord de l'ancien château d'eau de la rue Montcalm, maintenant occupé par les Brasseurs du Temps (à l'arrière-plan) ; point F de la carte 1. Hull (Gatineau), 19 oct. 2022.



Ce texte a un suite dans le billet du 17 déc. 2022.


Dans mon billet du 14 mai 2022, j'affirmais comme une vérité évidente en soi que la section canalisée sous terre du ruisseau du Lac-des-Fées (RLF) débouchait dans le ruisseau de la Brasserie (RB) au nord de la rue Montcalm (point F de la carte 1), derrière l'ancien château d'eau de la ville de Hull, maintenant occupée par les Brasseurs du Temps.

J'apporterais ici une correction, ou disons une nuance à cette affirmation peut-être trop carrée. D'après la carte du réseau hydrographique du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec (carte 1), la partie canalisée du RLF emprunte une ligne droite depuis le sud de la promenade du Lac-des-Fées (PLF) (point B de la carte) et rejoint le RB quelque 100 m au sud de la rue Montcalm (point E). Or, il n'y a aucun indice qu'une canalisation ne débouche à cet endroit pour y déverser son contenu (photo 3). Il faut donc supposer qu'une branche secondaire de la canalisation se dirige vers le nord à partir du point E et qu'elle amène les eaux du RLF se jeter dans le RB au point F, au nord de la rue Montcalm (photos 1 et 2).

L'existence d'un embranchement entre les points E et F est hypothétique et le trajet que je lui donne sur la carte 1, tout aussi hypothétique, n'a été tracé que pour démonstration. Le trajet réel est sans doute différent. Mais, sans cet embranchement, il est impossible de réconcilier la carte du gouvernement du Québec avec la réalité physique : de l'eau s'écoule bel et bien en abondance dans le RB par une canalisation au point F, photos 1 et 2 à l'appui, appui renforcé par les dires d'une personne bien renseignée qui a effectué des recherches sur l'histoire, la faune et la flore du RB. Cette personne m'a assuré que la canalisation qui débouche au nord du château d'eau sur la rive ouest du ruisseau constitue bien l'embouchure réaménagée du RLF.

Photo 2. 

Triste façon de finir pour un ruisseau... ; point F de la carte 1. Hull (Gatineau), sept. 2011.) 


Les travaux touchant le RLF se sont faits en deux étapes, d'abord en 1933 (points C-C'), puis vers 1955-1960, en lien avec la construction de la PLF (points B-E). La deuxième étape a été la plus radicale, on le verra. La bétonisation des rives du RB entre les ponts Montcalm et Wright en 1938 n'est associée à aucune de étapes de la transformation du RLF, contrairement à ce que je croyais et à ce que j'écrivais dans la première version de ce billet. Du moins, pas d'une façon qui serait visible sur les cartes et les photos aériennes, bases de ma documentation. (Paragraphe refondu le 21 déc. 2022.)

Ma carte 1 compile sur un fond moderne les métamorphoses qu'a connu le RLF dans la partie aval de son cours, avant qu'il ne se jette dans le RB.

Mais, mais...,

...mais, à l'examen de la carte, il n'échappera pas aux regards attentifs qu'il est difficile de concevoir comment on a pu passer de la canalisation de 1933 qui s'éloignait beaucoup moins du cours original du RLF (points C-C') à la canalisation actuelle, tout à fait rectiligne (points B-E) et qui remonte plus en amont que celle de 1933. La nouvelle canalisation ne réutilise aucune des sections de l'ancienne, elle n'a pas le même point de départ (il est plus en amont) ni le même point d'arrivé au RB (il est plus au nord). Détail d'ordre topographique, du point B au point F, la dénivellation est d'environ 13 m (de 58 m à 45 m d'altitude). 

Pour établir la canalisation actuelle, il aura fallu passer sous les rues à l'ouest du boul. St-Joseph et sous le boulevard lui-même. (Le secteur à l'est du boulevard, demeuré longtemps une zone industrielle à occupation moins dense, ne posait pas ces obstacles). 

Si quelqu’un à la Ville pouvait nous nous en dire plus...

Cette suite de deux billets sur la canalisation du RLF repose avant tout sur l'examen de documents cartographiques (cartes topographiques de préférence) et de photos aériennes. Les cartes ne sont pas toujours aussi fiables qu'on le voudrait et les photographies enregistrent des détails omis par les cartographes, mais qu'il faut savoir interpréter. Autre limite de la documentation, la publication espacée de plusieurs années des mises à jour des cartes ne permet pas de dater précisément les changements survenus entre deux éditions.

Dans ma jeunesse, j'ai souvent entendu parler d'enfants qui se seraient noyés autrefois dans le RLF. Ces drames, avec les inondations printanière que le ruisseau causait dans le quartier St-Jean-Bosco, auraient été l'une des raisons qui ont entraîné sa canalisation. Les chroniques gardent le souvenir des inondations de 1916 et de 1926 entre les points A et B et le boul. St-Joseph.


Billets à consulter

  • Chronologie du ruisseau de la Brasserie : billet du 25 août 2017.



Photo 3. 

La canalisation du ruisseau du Lac-des-Fées devrait déboucher dans le ruisseau de la Brasserie au sud (à gauche) des escaliers à droite de la photo (point E de la carte 1). Je n'ai trouvé aucun indice laissant soupçonner à cet endroit un apport d'eau dans le ruisseau de la Brasserie. Il faut supposer que la canalisation emprunte un coude qui l'amène déboucher dans le ruisseau au nord de la rue Montcalm (point F et photos 1 et 2). (19 oct. 2022.)



 

Carte 1. (Version 21 déc. 2022)

Carte constituée à partir de cartes et de photos aériennes datant de la première moitié du XXe s. Les documents ne concordent pas toujours entre eux et leur ajustement sur la carte moderne n'est jamais parfait non plus. Sauf minimes ajustements qu'il resterait à faire, le résultat est cependant fiable*.

  • A-B. - Section artificielle (à l'air libre) du ruisseau du Lac-des-Fées (vers 1955-1960).
  • B. -  Entrée du ruisseau dans sa canalisation souterraine actuelle (depuis ca 1960).
  • B-E. - Canalisation souterraine actuelle du ruisseau du Lac-des-Fées. (Le trait bleu qui relit ces deux points figure sur la carte originale et n'appartient pas aux ajouts.)
  • C-C'. - Section canalisée du ruisseau du Lac-des-Fées en 1933.
  • D. - Embouchure originelle du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie.
  • F. - Canalisation d'où se déverse actuellement l'eau du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie. 
  • PLF. - Promenade du Lac-des-Fées (inaugurée en 1955).
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • Ligne tiretée. - Cours originel du ruisseau du Lac-des-Fées. La branche nord, qui apparaissait sur les cartes municipales et les photos aériennes, était omise des cartes topographiques*.
  • Ligne tiretée E-F. - Canalisation supposée (trajet hypothétique pour démonstration). 
  • Fines lignes pointillées. - Rive originelle du ruisseau de la Brasserie avant le rattachement de l'île à la rive ouest en 1931 et la bétonisation des rives entre les ponts Montcalm et Wright en 1938.
  • Grandes flèches. - Sens de l'écoulement des eaux. (Le ruisseau de la Brasserie est en fait un bras de l'Outaouais (RO) qu'il retrouve au NE de la carte.)
* Les désaccords entre les documents sur le tracé du lit du ruisseau du Lac-des-Fées ou sur l'existence d'une second bras feront l'objet d'un prochain billet (et d'une nouvelle carte). Voir billet du 17 déc. 2022.
 
Fond de la carte : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Cartes topographiques.




Carte 2. - Image satellite

Le point B correspond au point E de la carte 1 ; le point C, à son point F ; BT : Brasseurs du Temps, ancien château d'eau et centrale électrique du barrage, rue Montcalm. Le triangle qui s'avance dans le ruisseau de la Brasserie au nord du point B : escaliers visibles sur la photo 3.

lundi 5 décembre 2022

La caverne Pooley à Ottawa

© Andrew King, Ottawa Rewind

La géologie de la région nous réserve encore des surprises. Témoin cette caverne Pooley en plein centre-ville d'Ottawa. Qui en a entendu parler ? Partant de la cathédrale Christ Church sur le plateau de l'escarpement de la rue Commissionner, elle se jette - ou se jetait - dans un chenal de la rivière des Outaouais sous le pont Pooley, près de la station de pompage de la rue Fleet (au sud du musée de la Guerre). J'ai appris son existence par le site Ottawa Rewind d'Andrew King. Un extrait de son billet, The Legend of Pooley’s Cave (c'est moi qui souligne) :

The “Park of The Provinces” [Jardin des Provinces et des Territoires, rue Wellignton] was built over what was once Brading’s Brewery. And just around the corner from that was a remarkable natural feature of a cavern that stretched east under Sparks Street for apparently more than 200 feet [60 m] all the way to Christ Church Cathedral. This legend originated from the 1800’s and described a “natural wonder” and a room of stalagmites and stalactites that were “beautiful beyond description”. But not a single mention or trace exists today of this incredible underground feature in the heart of the Nation’s Capital. [...] Upon entering the cave, a natural tunnel headed in an easterly direction towards Christ Church Cathedral. Traveling 75 feet [23 m] in a stooped position through the tunnel, it was then said that one had to go on hands and knees for another 40 feet [12 m]. Here, the tunnel widened into a room about 40 feet by 60 feet [18 m x 12 m] where stalagmites and stalactites appeared. Other descriptions mention a running waterfall inside the cave. So, this all sounds pretty cool but where would this be now and would it still possibly be there?

L'ancienne Brading’s Brewery puisait son eau à la caverne et les compagnies de boissons gazeuses Pure Spring et Crush Beverages auraient fait de même jusqu'en 1963, selon Andrew King.

Photo 1. - © Henri Lessard, avril 2014

Toujours selon M. King, les restes de l'intrigante tour érigée sur le trajet présumé de la caverne, au pied de l'escarpement de la rue Commissioner, derrière le parc des Provinces et des Territoires (photo 1), laissent sourdre un bruit d'eau courante (rushing water). L'ouverture de la tour, au sommet, a été bétonnée. 
Elle pourrait faire partie des aménagements qui de puiser l'eau de la caverne. (J'ai pris la photo en avril 2014 sans me douter le moins du monde de la signification possible de cet ouvrage qui m'intriguait.)

Photo 2. - © Henri Lessard, 4 déc. 2022

Mais une station de pompage des eaux usées voisine la tour (édifice cubique sur la photo 2) et des installations d'accès aux égouts se trouve à ses pieds. L'affichette « Sanitary Sewer /Égoût sanitaire » (en vert sur la photo 1) et les relents qui flottent dans l'air chassent les derniers doutes sur la nature du glouglou. Ce n'était pas le chant cristallin d'une eau de source qui s'entendait, mais l'écoulement des eaux usées dans des canalisations... Est-ce que l'on aurait utilisé le boyau que fournissait la caverne et les aménagements de la Brasserie ou de la Pure Spring pour installer les canalisations du quartier ? (Hypothèse personnelle.)

D'autres cavernes

Dans son état original, la caverne Pooley aurait pu faire concurrence à la caverne Laflèche de Wakefield (voir ce billet dans mon blogue) avec sa grande salle de 18 m x 12 m, ses stalagmites et ses stalactites. La caverne Laflèche traverse un marbre précambrien vieux de plus d'un milliard d'années. La caverne Pooley s'est attaqué à un calcaire ordovicien, à moitié plus jeune (444-485 millions d'années). Marbre ou calcaire, c'est le même matériau, le même minéral : la calcite, érodable et soluble.

Le calcaire ordovicien de la région s'avère décidément parcouru de crevasses et semés de vides. En vrac, on peut mentionner la caverne Cardinal dans l'est d'Ottawa, le réseau de couloirs creusés sous le lit de l'Outaouais à Pembrooke (ce billet), le « vide » dans le roc sous l'île Lemieux (ce billet), celui près du barrage des Chaudières (ce billet), sans oublier la caverne de Rockland (ce billet). Je me suis d'ailleurs laissé dire que les travaux de construction du quartier Zibi aux chutes des Chaudières avaient été compliqué par des effondrements causés par des vides insoupçonnés dans le socle rocheux. Et je ne parle pas du légendaire Trou du Diable, toujours aux Chaudières (ce billet).

Il y a quelques années, j'ai été prendre des photos dans le secteur de l'escarpement de la rue Commissioner, sans soupçonner l'existence d'une caverne. Comme elle semble avoir été oblitérée du paysage, j'ai des excuses de ne rien avoir deviné. La caverne Pooley s'ouvrait sur le plateau, près de la cathédrale Christ Church (altitude 72 m), passait apparemment sous l'escarpement et se jetait dans un chenal de l'Outaouais en aval du pont Poorley (44 m), soit une dénivellation de 28 m pour une longueur d'environ 350 255 m.

Murée, effacée, oubliée. Triste sort que celui de de la caverne Pooley... La grande salle et une partie du couloir existent peut-être encore sous terre ? Quand on pense aux dégâts que les générations de curieux ont infligés à la caverne Laflèche, je crois que la Pooley, ou ce qu'il en reste, est peut-être mieux préservée ainsi.

L'âge de la caverne (ajout)

Une note pour terminer. Les stalagmites et ses stalactites ne se forment pas en quelques mois ou quelques années. La caverne Pooley a donc plusieurs siècles (millénaires ?) d'âge. Une eau courante (eau de fonte des glaciers) ou encore l'eau salée de la mer de Champlain n'auraient pas permis la formation de stalactites et de stalagmites. La caverne, dans l'état encore intacte où on l'a décrite au XIXe s., existait depuis au plus 10 000 ans, époque du départ des eaux de la mer de Champlain. Par contre, il est possible que le conduit originel ait été creusé par l'eau de fonte des glaciers de la dernière glaciation il y a 12 000 ans et plus. (Hypothèses personnelles.)