samedi 17 décembre 2022

Hors sujet : le ruisseau du Lac-des-Fées découchait-il ?




Le ruisseau du Lac-des-Fées, à Hull, en 1927.

Le ruisseau dans son lit original, avant les travaux de 1938 qui allaient faire disparaître sa partie aval dans une canalisation souterraine, entre la voie ferrée du Canadien Pacifique et le ruisseau de la Brasserie où il se se jetait (et se jette encore). Le lac des Fées éponyme est à 100 m au NO de la zone photographiée. (L'état actuel du ruisseau, canalisé à partir de la promenade du Lac-des-Fées, à l'ouest du boul. St-Joseph, remonte aux années 1955-1960.)
  • Ombré en bleu : ruisseau du Lac-des-Fées ; route E-O (en bas) : boul. Alexandre-Taché (chemin d'Aylmer à l'époque) ; route N-S (au centre) : boul. St-Joseph ; route coudée (à droite) : rue Montcalm ; arc de cercle à l'est du boul. St-Joseph : voie ferrée du Canadien Pacifique.
    Le ruisseau de la Brasserie est à droite (bande sombre) ; il n'est en réalité qu'un bras de la rivière des Outaouais qu'on entrevoit en bas à droite.
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), cliché HA246-76-1927 (détail). 

Suite du billet du 6 déc. 2022.


Le ruisseau du Lac-des-Fées (RLF), à Hull (Gatineau), se jette dans le ruisseau de la Brasserie (RB), c'est un fait établi. Les travaux de canalisation qui ont modifié et enterré sa partie aval au siècle dernier n'ont pas rendu cette vérité caduque. Les cartes ont toujours montré un ruisseau unique coulant dans un « lit simple ». L'ennui, c'est qu'elles ne s'entendaient pas sur le choix du lit. Et si le RLF avait eu une double vie et s'était amusé à découcher d'un lit à l'autre ? Les fées avaient un ruisseau bien volage...

Je m'explique.

Pour plus de détails sur le ruisseau du Lac-des-Fées, son histoire et ses métamorphoses, voir les billets du 6 déc. 2022 et du 14 mai 2022, ainsi que celui du 27 févr. 2022.

Les cartes topographiques du gouvernement du Canada publiées à partir des années 1910 dessinent au RLF une large boucle vers le sud qui le fait remonter vers le nord pour rejoindre le RB. Dans sa trajectoire, le RLF atteint presque le boulevard Alexandre-Taché (voir cartes de 1910 et de 1915). (L'état actuel du ruisseau, canalisé à partir de la promenade du Lac-des-Fées, à l'ouest du boul. St-Joseph, remonte aux années 1955-1960 ; voir la carte de compilation, à la fin du billet.)


Les photos aériennes des années 1920 et 1930 montrent une toute autre chose. Le ruisseau divague au nord de la boucle que lui attribuent les cartes, à l'est de la voie du CP, avant de couler tout droit rejoindre son embouchure. Reporté sur la ville actuelle, il contournerait l'école primaire Pierre-Elliott-Trudeau, rue Murray. On le voit, le RLF hésitait un peu avant de se jeter dans les eaux pas très propres (en ces temps et encore un peu aujourd'hui) du très urbain RB.

Qui a raison, les cartes ou les photos aériennes ? J'aurais tendance à croire les photos, d'autant que les méandres du RLF sont bien du genre que fait tout cours d'eau quand il ne sait plus où trouver une pente descendante.

D'ailleurs, les cartes antérieures me donneraient plutôt raison. 

Jetons un coup d'oeil sur la carte de 1887. On constate, simplification du dessin mis à part, qu'elle est fidèle dans ses grandes lignes à la réalité des photos aériennes. Je pourrais multiplier les exemples. Voyons seulement encore le détail de cette carte du très officiel Rapport Holt de 1915. Même constat. Je pourrais multiplier les exemples, je m'en tiendrai à ces deux seuls.

Le changement dans les cartes s'est opéré subrepticement. À partir d'un certain moment, les cartes topographiques officielles (regroupons-les sous cette appellation) se sont entendues pour prêter au RLF la boucle vers le sud décrite plus haut, absente tant des cartes antérieures que des photos ultérieures. Unanimité qui découle sans doute du fait que ces cartes dépendaient toutes de la même source (sans jeu de mots), le service de cartographie de l'armée (Department of Militia and Defence ou Army Survey Establishment).

J'aimerais comprendre la raison de ce choix topo-cartographique. Si le ruisseau photographié dans les années 1920 et1930 correspond à celui cartographié en 1887 et en 1915, d'où vient le désaccord entre les photos et les cartes à partir des années 1910 ? (Les cartes étant parfois un peu longues à se mettre à jour, la carte de 1910 montrait la section canalisée en 1938 du RLF couler encore à l'air libre dans son édition révisée de 1950.)

Le cours du RLF était-il un secret militaire ? Demandez à la Milice ou à l'Army Survey Establishment. Peut-être avait-il deux lits ? Mais pourquoi toujours n'en dessiner qu'un seul ? Aurait-il été dévié avant d'être canalisé ? Non, pas selon les photos aériennes.

Si, à l'approche du RB, le RLF se partageait entre deux bras, intermittents ou pas, pourquoi les cartes ne montraient-elles toujours qu'un ruisseau unique, suivant son cours d'un seul trait, sans fourche ou saut d'un lit à l'autre ?

La question reste pendante. Mon avis est que le RLF avait deux bras et que les cartes en négligeaient tantôt l'un, tantôt l'autre - et que l'intensité de l'utilisation d'un bras ou de l'autre par le ruisseau a pu varier pour des causes naturelles ou non...)

Non, le ruisseau du Lac-des-Fées ne découchait pas. Simplement, il avait deux lits et on ne le trouvait pas toujours dans le même.


Carte de 1887.

Le ruisseau du Lac-des-Fées dans la fin de son cours avant de se jetter dans le ruisseau de la Brasserie. Dans ses grandes lignes, pour ce qui est du RLF, la carte correspond à ce que montre la photo aérienne de 1927. La plupart des rues que traverse le RLF dans ce détail n'ont eu une existence que sur papier. (Comparez avec les photos aériennes.)
Aylmer Road : boul. A.-Taché ; Brewery Creek : ruisseau de la Brasserie ; Brewery Str. : rue Montcalm ; Columbia Road : boul. St-Joseph.
  • Map of the City of Ottawa, P. Ontario, and the City of Hull, P. Quebec, and Their Adjacent Suburbs. Compiled by John A. Snow and Son, Provincial Land Surveyors and C.E.ng's from Personal Surveys and Official Records. Scale 660 Feet to One Inch (1887).


Détail d'une carte du Rapport Holt (1915). 

Le RLF est soulignée en bleu ; le ruisseau de la Brasserie (à droite) et la rivière des Outaouais (en bas) sont ombrées en bleu pâle. Comparez avec la carte de 1887 et la photo aérienne de 1927.





Carte topographique de 1910 (rév. en 1923-24, 1948 et 1950). 

Le ruisseau du Lac-des-Fées dessine une large boucle avant de se jeter dans le ruisseau de la Brasserie, sans méandres ni détours. Étrange. A-t-il modifié son lit tel qu'il était en 1887 (carte) avant pour le retrouver en 1927 (photo) ?
  • Department of National Defence - Army Survey Establishment. Sheet 31G/5 East Half - Fifth Edition. Original survey 1910. (Resurveyed, compiled, drawn and printed by the Army Survey Est. RCE, 1923-24. Partial revision 1948, with aerial photography by the RCAF. Converted from the fourth edition of the 1:63360 map to 1:50000 by the A.S.E. 1950.)




Carte des sols de 1915. 

(Oublions la signification géologique de la carte.) Même chose que pour la carte de 1910. Le lac des Fées (Fairy Lake) est à gauche. 
  • W.A. Johnston, 1915 – Ottawa, Carleton and Ottawa Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, Carte géologique polychrome 1662, 1 feuille (1/63 360). (Based on a map published by the Department of Militia and Defence.)


 

Le ruisseau du Lac-des-Fées en 1938.

À droite, le ruisseau de la Brasserie, à sec pour les travaux de bétonisation qui vont bon train. L'île au sud du pont de la rue Montcalm, visible sur les cartes et la photo de 1927, avait déjà été rattaché à la rive ouest en 1931. On distingue vaguement les méandres du bras nord du ruisseau du Lac-des-Fées au centre de la photo ; l'autre bras se devine (?) à la bordure du boisé, au sud. Les lignes droites blanches représentent les travaux de canalisation en cours du RLF à l'est de la voie ferrée du CP. **(Je reviendrai sur cette photo dont j'ai obtenu un fichier plus détaillé. [Ajout 21 déc. 2022.])**
  • Photothèque nationale de l'air (PNA), cliché A6352-25, 25 sept. 1938.




Carte de compilation (tirée du billet du 6 déc. 2022 ; version du 21 déc. 2022).

Document constitué à partir des cartes et des photos reproduites plus haut et d'autres sources. Voir le billet du 6 déc. 2022 pour plus de détails.
  • A-B. - Section artificielle (à l'air libre) du ruisseau du Lac-des-Fées (vers 1955-1960).
  • B. -  Entrée du ruisseau dans sa canalisation souterraine actuelle (depuis ca 1960).
  • B-E. - Canalisation souterraine actuelle du ruisseau du Lac-des-Fées. (Le trait bleu qui relit ces deux points figure sur la carte originale et n'appartient pas aux ajouts.)
  • C-C'. - Section canalisée du ruisseau du Lac-des-Fées en 1933.
  • D. - Embouchure originelle du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie.
  • F. - Canalisation d'où se déverse actuellement l'eau du ruisseau du Lac-des-Fées dans le ruisseau de la Brasserie. 
  • PLF. - Promenade du Lac-des-Fées (inaugurée en 1955).
  • RB. - Ruisseau de la Brasserie.
  • RLF. - Ruisseau du Lac-des-Fées.
  • RO. - Rivière des Outaouais.
  • Ligne tiretée. - Cours originel du ruisseau du Lac-des-Fées. La branche nord, qui apparaissait sur les cartes municipales et les photos aériennes, était omise des cartes topographiques.
  • Ligne tiretée E-F. - Canalisation supposée (trajet hypothétique pour démonstration). 
  • Fines lignes pointillées. - Rive originelle du ruisseau de la Brasserie avant le rattachement de l'île à la rive ouest en 1931 et la bétonisation des rives entre les ponts Montcalm et Wright en 1938.
  • Grandes flèches. - Sens de l'écoulement des eaux. (Le ruisseau de la Brasserie est en fait un bras de l'Outaouais (RO) qu'il retrouve au NE de la carte.)
Fond de la carte : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, Cartes topographiques.

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