dimanche 18 juin 2023

Conglomérat déposé sur un quartzite grenvillien à Gatineau (ajout)

Mise au point (8 août 2023). - Un retour au site du grès de Nepean du lac Beauchamp (affleurement de la discordance Bouclier/plate-forme) m'a montré que le conglomérat qui se trouve à sa base ne se distingue pas de celui de la station Labrosse* dont il est question dans les lignes qui suivent. Les deux conglomérats contiennent des éléments anguleux à arrondis de quartz, leur seule différence notable étant l'absence de clastes de feldspath dans celui du lac Beauchamp. 

* Je n'avais pas donné d'indices clairs sur l'emplacement du conglomérat jusqu'ici parce qu'il se trouve sur un terrain privé interdit d'accès. Disons que je l'ai découvert au nord de la station Labrosse du Rapibus. 

Les interrogations que soulève ce billet sont donc obsolètes : je n'ai pas découvert un conglomérat pré-Nepean comme je l'ai un instant cru, mais une nouvelle occurrence d'un conglomérat Nepean, tout simplement. Ce qui est suffisant en soi pour justifier mon contentement.

Photos. - Pièce du conglomérat Nepean du lac Beauchamp à Gatineau ramassé au sol  : clastes de quartz anguleux à arrondis. 5 août 2023.






Complément au billet du 7 juin 2023, « Conglomérat à la surface d'un quartzite ».


Quartzite grenvillien â
gé de plus d'un milliard d'années sous le gris manteau d'argile de la mer de Champlain (10 000 ans). 
Moins de deux pieds carrés du quartzite sont couverts par les restes d'un conglomérat feldspathique vieux d'au moins 500 millions d'années. Auriez-vous pu le trouver au travers de ce fatras de débris ?
Gatineau, Qc, juin 2023.




Résumé

Conglomérat contenant des débris anguleux de feldspath reposant à la surface d'un quartzite de la province de Grenville (1 Ga), à Gatineau (Québec). Le conglomérat, très rouillé, devait se trouver à la base du grès de Nepean déposé en discordance (500 Ma) sur le quartzite. Il pourrait également s'agir des restes de la formation de Covey Hill qui a précédée le Nepean. (Le grès n'est pas exposé au site même.)

 


J’ai fait une découverte. Ma place est réservée dans les manuels de géologie (en tout petit, dans une note de bas de page, mais une place quand même).

Grâce à moi la stratigraphie de Gatineau va s’enrichir d’une formation pré-Nepean en contact direct avec le socle précambrien. Ce n’est pas rien.

Avant de voir la chose elle-même, voyons le contexte dans lequel elle s’inscrit par un examen rapide des unités ou des ensembles de roches qui forment le sous-sol de Gatineau et d’Ottawa.


Quartzite grenvillien (plus d'un milliard d'années). Le manque de contraste ne le rend pas très photogénique. 
Photo juin 2023.



À la base, tout en bas, se trouve le Bouclier canadien (bouclier précambrien, province de Grenville), complexe de roches métamorphiques et plutoniques âgé de plus d’un milliard d’années. Voilà les fondations sur lesquelles s’est édifié tout le reste – et, bien souvent, au nord de l’Outaouais par exemple, il n’y a que le Bouclier, sans rien d’autre dessus que les débris laissés par les glaciations ou, dans les vallées, l’argile de la mer de Champlain.

Plus tard, bien plus tard, sur cette base cristalline, sont venues se déposer les sédiments de la plate-forme du Saint-Laurent. Les plus anciens, ou les plus précoces, sont les grès de la fin du Cambrien (510 Ma ou millions d’années), suivis des calcaires, dolomies et shales de l’Ordovicien (485-444 Ma). (Je ne détaillerai pas d’avantage, voyez mon « Tableau des temps géologiques : Gatineau et ses environs »), mais grosso modo, la séquence sédimentaire témoigne de l’avancée et de l’approfondissement d’une mer qui gagnait sur le continent. Dans la région, l’arrivée de l’eau salée s’est faite par un bras de mer à la faveur de l’ouverture de l’océan Iapetus (une sorte de préquel de l’Atlantique). C’est le rentrant d’Ottawa (Ottawa Embayment), contenu par les hauteurs du Bouclier à Perth (Ontario), au nord de l'Outaouais (Laurentides) et au sud du Saint-Laurent (Adirondacks).

Note. Les âges des divisions géologiques sont souvent révisés : il peut donc y avoir des incohérences à travers les billets du blogue. Ces raffinements n’affectent pas le fond du discours.

Retenons simplement pour la suite que les premiers sédiments à se déposer dans la région sont les grès de la formation de Nepean. Le grès est une roche formée de sable lithifié (consolidé). Les sables de Nepean, composés de quartz presque pur, ont tapissé le fond et les bords du rentrant d'Ottawa.

Entre le Bouclier érodé (en dessous) et les sédiments nouveaux venus (au-dessus), existe ce qu’on appelle une discordance (discordance d’érosion). Elle est visible au lac Beauchamp (Gatineau) où l’on voit dans une coupe à flanc d’une butte le Bouclier (sous la discordance) et le grès de Nepean (au-dessus). Plus de 500 Ma séparent les roches de part et d’autre de la discordance. (Voir mon billet du 23 janvier 2011, « Lac Beauchamp : un milliard d'années inscrites dans la roche ».)


Conglomérat reposant sur le quartzite à  Gatineau : fragments (clastes) de feldspath blanc dans une matrice de sable vitreux (quartz).


Ailleurs dans le rentrant d’Ottawa, le grès de Nepean a été précédé par les conglomérats de Covey Hill. (Conglomérat : roche sédimentaire formée d'éléments de tailles hétéroclites.) On ne les trouve pas dans notre région. Ou bien ils ne se sont pas déposés chez nous, ou bien ils ont été érodés avant le dépôt du Nepean (hypothèse la plus probable). Mais bref, le résultat est que, dans la région de Gatineau et d’Ottawa, le Nepean repose directement sur le Bouclier, sans le tapis rugueux du Covey Hill. [Corr. : le Covey Hill affleure à Kanata, dans l'ouest d'Ottawa.]

Des points essentiels distinguent le Covey Hill du Nepean. La formation de Nepean est composée de grès et de conglomérats à cailloux arrondis de quartz. Le tout s'est déposé sur le fond et les marges du rentrant d'Ottawa. La formation de Covey Hill a une origine continentale (ses constituants proviennent de l'érosion du Bouclier) et ses éléments ont connu un transport fluvial. Elle est formée de grès et de conglomérats feldspathiques à éléments anguleux.



Le conglomérat, in situ. Fallait être attentif pour ne pas passer sans le voir. Ni sa couleur ni la rouille omniprésente ne contribuent à le distinguer du quartzite hôte. (Surface mouillée pour mieux faire ressortir les contrastes.)
Photos juin 2023.


Il faut retenir de ce qui précède que le Nepean a été édifié par des sédiments matures, triés et arrondis par un long transport. Ils ont donc une origine distale. Le Covey Hill a accumulé des éléments immatures tels les clastes (brisures) de feldspath anguleux qu’un long transport aurait émoussés ou détruits. Leur origine est donc locale. Ils proviennent de l'érosion du Bouclier proche. (Le feldspath en particulier est, contrairement au quartz, un minéral vulnérable absent des sédiments mobilisés. Sa présence dans un dépôt trahit une origine locale.)

La découverte

Or, j’ai découvert un conglomérat riche en clastes de feldspath blanc anguleux déposés directement sur le Bouclier (sur un quartzite) à Gatineau. Le conglomérat, d'aspect variable, contient en outre des clastes arrondis de feldspath et de quartz ainsi que des galet arrondis dans une matrice de grès quartzeux. Conglomérat et quartzite sont fortement rouillés.



Le conglomérat : un galet arrondi s'est détaché de la roche. 
(Non, le blogue n'est pas commandité par World of Maps.)


La présence d’une forte proportion de fragments de feldspath anguleux témoigne de l'origine locale (au moins partiellement) du conglomérat. Le secteur où je l'ai découvert abonde justement en quartzite et en granite blanc qui auraient pu fournir les clastes anguleux de quartz et de feldspath – ce dernier provenant surtout du granite.

Il est donc parfaitement légitime de se demander s’il ne s’agirait pas d’un (petit) lambeau de Covey Hill ayant échappé à l’érosion.

À la lueur de cette découverte, la colonne stratigraphique de la région serait donc :

Ordovicien : 485-444 Ma

  • Sédiments carbonatés et shales témoignant de l’avancée et de l’approfondissement de la mer (non répertoriés en détail ici : voir mon tableau des temps géologiques)

Cambrien moyen – Ordovicien inférieur : 509-497 Ma

  • Formation de Nepean du groupe de Potsdam ; origine marine et margino-marine, dépôt sur le fond et les marges du rentrant d’Ottawa : grès et conglomérat à cailloux arrondis de quartz
Discordance d’érosion à l'intérieur du groupe de Potsdam

Protérozoïque supérieur  (avant 539 Ma) – Cambrien moyen : 539-498 Ma

  • Formation de Covey Hill du groupe de Potsdam ; dépôts origine continentale (transport fluvial) : grès et conglomérats feldspathiques
Discordance d’érosion Protérozoïque-Paléozoïque (cf. lac Beauchamp, Gatineau)

Protérozoïque moyen : 1,6 – 1,0 Ga (milliard d’années)

  • Bouclier canadien, province de Grenville
  • Roches métamorphiques et plutoniques

Mes moyens et connaissances ne me permettent pas de trancher la question s’il s’agit de Covey Hill ou non. L’important est la place qu’occupe mon conglomérat dans la stratigraphie. Il est pré-Nepean et il repose directement sur le Bouclier. Il pourrait même représenter des sédiments encore plus anciens que le Covey Hill ? Pourquoi pas ?

Si cette origine plus ancienne ne s’avérait pas, il resterait que mon conglomérat étendrait vers le nord, au Québec, la zone couverte par le Covey Hill dans le rentrant d’Ottawa.

Ce n’est pas rien.

À moi la médaille Logan !

Ajout (23 juin 2023). 

Informations qui dormaient dans mes filières mais sur lesquelles je n'ai mis la main (et posé les yeux) qu'après la rédaction du mon billet.

Le conglomérat, au centre, et la glauconite gris-vert friable et terreuse, de chaque côté (la photo rend mal les teintes). Photo juin 2023.

 

Bernius (1996) signale la présence d'un conglomérat à quartz-feldspath de 5 cm d'épaisseur sur le Bouclier précambrien à la base du Paléozoïque dans des forages à Bell's Corners, Nepean (ouest d'Ottawa). Il ne précise pas si le conglomérat fait partie du Nepean (qui le surmonte), mais son texte permet de le supposer. 

La partie supérieure du Bouclier sous le conglomérat est fortement altérée et météorisée (saprolite) et Bernius plusieurs minéraux résultant de l'altération des roches, dont une glauconite gris-verdâtre, sont présents. « La glauconite est répandue dans les roches sédimentaires accumulées dans la mer [...], dans des secteurs proches des côtes. »

Ceci conforte ma première hypothèse selon laquelle mon conglomérat ferait partie du Nepean (et non du Covey Hill). La glauconite vert terne friable affleure sur le quartzite près de mon conglomérat.







Clastes anguleux de quartz et de feldspath.


Notes

Le site où j’ai découvert le conglomérat au fond d’une excavation dans une propriété privée non gardée et non clôturée. Il est probable que l'excavation précède des travaux de construction et que le conglomérat sera détruit ou qu'il deviendra inaccessible. La partie visible du conglomérat, blanc rouillé, sur un plancher de quartzite blanc rouillé lui aussi et recouvert de cailloux, n’excédait pas deux pieds carrés. Il m’a fallu un peu de visu et beaucoup de chance pour ne pas le manquer.

La nomenclature des sédiments du Paléozoïque de la plate-forme du Saint-Laurent varie selon les auteurs et les régions (Ontario, Québec ou État de New York). Les controverses entretenues par les géologues professionnels dépassent mes compétences. J’ai utilisé les termes Covey Hill et Nepean un peu librement, mais correctement, il me semble. Que les pros me pardonnent mes approximations !

Les formations de Covey Hill et de Nepean font partie du groupe de Potsdam. Selon certains, une discordance d’érosion sépare les deux formations et leur réunion dans un même groupe est problématique. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de participer à ce savant débat.

 


Clastes, vides et matrice de sable vitreux (quartz). Sans oublier la rouille.

 


Pour en savoir plus

  • G.R. Bernius, 1996, Borehole Geophysical Logs from the GSC Borehole Geophysics Test Site at Bell's Corners, Nepean, Ontario. GSC, Open File 3157.
  • Sanford, B.V. et Arnott, R.W.C., Stratigraphic and structural framework of the Potsdam Group in eastern Ontario, western Quebec, and northern New York State, Commission géologique du Canada, Bulletin 597, 2010, 83 p. (+ cartes)
  • Williams, D. and P.G. Telford, 1986. Paleozoic Geology of the Ottawa Area. Geological Association of Canada, Mineralogical Association of Canada, Canadian Geophysical Union, Joint Annual Meeting, Ottawa '86, Field Trip 8: Guidebook, 25 p.
  • Williams, D.A., P.G. Telford, A.D. McCracken and F.R. Brunton, 1992. Cambrian-Ordovician Geology of the Ottawa Region. Geological Association of Canada, Canadian Museum of Nature, CPC-II Ottawa '92, Canadian Paleontology Conference, Field Trip Guidebook No. 2, 51 p.
  • A. E. Wilson, Geology of the Ottawa-St. Lawrence Lowland, Ontario and Quebec, Commission géologique du Canada (CGC), Mémoires 241, 1946, 66 pages + cartes 413A et 414A.



Ce n'est pas très visible sur photo, mais voici le seul échantillon à montrer un litage dans la disposition des grains et des clastes. Leur disposition est parallèle au bord inférieur de l'échantillon.

mercredi 7 juin 2023

Conglomérat à la surface d'un quartzite


Excavation au nord du terminus Labrosse du Rapibus, à Gatineau (Québec), début avril 2023. Le cratère était à sec lors de ma dernière visite, début juin. 
Sous le tapis d'argile grise de la mer de Champlain (12 000 - 10 000 ans), le quartzite du Bouclier canadien (plus d'un milliard d'années).



Un billet plus complet a été publié le 18 juin 2023.

Résumé


Conglomérat contenant des débris de feldspath anguleux reposant à la surface d'un quartzite de la province de Grenville (1 Ga), à Gatineau (Québec). Le conglomérat, très rouillé, devait se trouver à la base du grès de Nepean, déposé en discordance (500 Ma) sur le quartzite. (Le grès n'est pas exposé au site même.)


C'est souvent au retour d'une expédition, en examinant les échantillons recueillis, que l'on fait ses découvertes les plus surprenantes.

Échantillon du conglomérat. S'il ne paye pas de mine sous son revêtement rouillé, dites-vous qu'il s'agit là d'un morceaux du sol tel qu'il était il y a 500 millions d'années.

Un exemple : ce conglomérat extrait d'un coup de marteau d'un quartzite du groupe de Grenville âgé de plus d'un milliard d'années. Il méritait mieux que le regard distrait que je lui avais accordé en le récoltant, intrigué par son aspect tacheté. Il constitue un témoin rare de l'époque qui a précédé le dépôt en discordance du grès de Nepean sur le quartzite il y a 515 millions d'années. La présence dans le conglomérat d'éléments sous-millimétriques et de fragments anguleux ou allongés de feldspath blanc mesurant jusqu'à 15 mm indique que ses constituants se sont accumulés à proximité de leur roche mère : un transport sur de longues distances, par l'eau ou le vent, n'aurait laissé que de petits grains de sable quartzeux bien arrondis et mieux triés.

Si mon conglomérat rouillé ne paye pas de mine, dites-vous qu'il s'agit là d'un morceaux du sol tel qu'il était il y a 500 millions d'années ! Ça mérite un peu de respect.

Le granite blanc, abondant dans le secteur (paragraphe suivant), a pu fournir le feldspath et le quartz du conglomérat.

Granite blanc provenant du secteur. Il aurait pu fournir le feldspath (blanc) et le quartz (gris) du conglomérat.


Plus à l'est, à 1,5 km, la séquence complète granite/discordance/grès de Nepean est exposée au bord du lac Beauchamp (voir billet du 23 janvier 2011). La discordance à cet endroit contient en plus un paléosol altéré entre les deux roches et des galets de quartz de plusieurs cm apparaissent à la base du grès. Des centaines de millions d'années en un seul affleurement !


Détail de la photo précédente cadré sur les fragments de feldspath blanc anguleux. Noter la taille hétérogène des clastes. En bas, à gauche : vide long d'une dizaine de mm laissé par la chute d'un élément ovale.


L'interface quarzite/grès a pu canaliser les eaux souterraines, ce qui peut expliquer la rouille et l'altération des minéraux à ce niveau.

Le quartzite sur lequel j'ai recueilli le conglomérat est exposé dans une excavation creusée dans l'argile de la mer de Champlain au nord du terminus Labrosse du Rapibus, à Gatineau (terrain privé). Des traces de travaux anciens sont visibles dans le roc et la surface naturelle u quartzite n'a pas intégralement été préservée.



Affleurement de la discordance, lac Beauchamp, Gatineau, Qc.
Photo nov. 2010.

Coupe de l'affleurement
A) Granite de la province de Grenville (Bouclier  canadien), âgé de plus d'un milliard d'années.
B) Discordance d'érosion : elle coïncide avec la surface du continent telle qu'elle était avant le dépôt du grès (C).
C) Grès (sable consolidé) ; sédiments déposés au bord d'une mer peu profonde, il y a 515 millions d'années.
D) Surface du grès, polie par le passage des glaciers, lors de la dernière glaciation (80 000 - 12 000 ans).

Avec cet « affleurement de la discordance », nous disposons d'une coupe qui témoigne de plus d'un milliard d'années de l'histoire de notre continent. (Tiré du billet du 23 janvier 2011.)


Autre face de l'échantillon du conglomérat. Un feldspath long de 15 mm est visible à droite.