mardi 18 août 2015

Plaisance 1862



Logan, W. E.; Map showing the distribution of Laurentian rocks in parts of the counties of Ottawa, Terrebonne, Argenteuil & Two Mountains, CGC, 1862.


Résumé

Séquelle du billet précédent.



Petit voyage dans l'histoire.

La carte de sir Logan (fondateur et premier directeur de la Commission géologique du Canada (CGC)) reproduite ici est la plus ancienne (1862) à montrer de façon un tant soit peu détaillée la géologie des rives de l'Outaouais inférieur entre Plaisance et le lac des Deux Montagnes.

On peut retrouver beaucoup des contours de cette carte ou de leurs éléments sur les plus récentes. L'importance des bandes de marbre (les plus évidentes sont en en bleu) me semble exagérée ; elles ne forment pas en réalité des corps continus capables d'envelopper les quatre corps de gneiss à orthoclase (beige pâle à brun) identifiés sur la carte. Mais ne chipotons pas ; c'est facile de critiquer, café à la main, cet ouvrage ancien après avoir disposé les cartes récentes, forcément plus détaillées et plus exactes, tout autour de soi. Gneiss et marbre appartiennent à ce que Logan appelait le «Lower Laurentian», selon une conception stratigraphique du Précambrien obsolète depuis des lustres et des lustres.

(Ajout, 19 août 2015 : ces roches précambriennes appartiennent à la province de Grenville, un milliard d'années et plus. La «Limestone Grenville Band» de Logan – justement celle qui est en bleu –, en est l'ancêtre, mais je préfère fermer cette parenthèse avant de perdre du vue son point final.)

La carte montre la bande de marbre (bleu), continue ou non, qui passe par les chutes de Plaisance (voir le billet précédent ; voir détail de la carte, plus bas). Les gneiss locaux selon Logan (rose et brun) regroupent les paragneiss, gneiss granitique, tonalitique, etc., de nos cartes modernes.

La Petite-Nation est dite River Chaudiere or La Petite Nation sur la carte (voir détail). La Commission de toponymie du Québec fait allusion à une ancienne Chaudière pour ce cours d'eau. Voir aussi Bouchette (1831), cité dans Baribeau, p. 23.

Je ne décris pas la carte de Logan plus en détail. Ceux qui veulent l'examiner à leur aise peuvent la télécharger gratuitement à partir du site de la CGC (GEOSCAN). Rendez-vous à la «Recherche avancée» et utilisez une combinaison des mots-clefs suivants : auteur : Logan ; no de la carte : 54 ; année : 1862 ; Provinces : Québec et Ontario.



Mais bref...,

... là où je voulais en venir : dans le fond, cette carte vieille de 153 ans aurait (presque) suffit à interpréter la géologie des chutes de Plaisance (marbre et gneiss granitiques). Bon, je ne vous interdis pas (et à moi non plus !) de consulter des documents plus récents (voir «Références»).


Références

  • Baribeau, Claude, La seigneurie de la Petite-Nation 1801-1854 : le rôle économique et social du seigneur. Les éditions Asticou enr., 1983, 168 p.
  • Dupuy H., Sharma K.N.M. et al., 1989, Carte de la région de Thurso-Papineauville. MÉRQ, MB 89 08, 1/20 000.
  • Énergie et Ressources naturelles du Québec, carte interactive des données Sigéom.
  • Logan, W E; Map showing the distribution of Laurentian rocks in parts of the counties of Ottawa, Terrebonne, Argenteuil & Two Mountains, Commission géologique du Canada, Carte géologique polychrome 54, 1862; 1 feuille, doi:10.4095/123567





Détail (entre la Baie Noire et Montebello) et détail annoté de la carte de Logan (1862) ; saisie d'écran, je suis désolé de la «qualité» de l'image affichée à 400 %. Largeur de la zone représentée : env. 20 km.
  • Bleu : marbre ;
  • Rose et brun : gneiss à orthoclase ; pour les autres formations, voir le document original téléchargeable (instructions dans le texte) ;
  • X : les chutes de Plaisance sur la Petite-Nation ;
  • Trait blanc : chemins Papineau et Malo entre Plaisance et les chutes ;
  • * * : River Chaudiere or La Petite Nation.

dimanche 16 août 2015

Fluctuat nec mergitur à Plaisance



Fig. 1. La Petite-Nation, vue depuis le pont des chutes de Plaisance (Québec). À l'avant-plan, un «radeau» de granite (tonalite) gris dont nous reparlerons. Visée ± sud, photo 14 août 2015.


Résumé

Aux Chutes de Plaisance (Québec), un grand radeau de granite (tonalite) est immobilisé dans une formation de marbre ductile. Roches de la province de Grenville, âgées d'un milliard d'années et plus.
Localisation
Chutes de Plaisance (Québec)
45.641089, -75.133912
Ailleurs dans le blogue, sujet similaire
10 déc. 2009, «Marbre : plis et plissottements»
Sites Internet (Ville de Plaisance)
Centre d'interprétation du patrimoine de Plaisance
Chutes de Plaisance
http://www.chutesplaisance.ca/
Photos
14 août 2015


Il y a un milliard d'années et des poussières, à plus de vingt km de profondeur dans l'écorce terrestre, des forces tectoniques capables de déplacer les continents ont comprimé un marbre et un granite*.

* Les roches des chutes de Plaisance et de leurs environs sont principalement le marbre et plusieurs «granites» plus ou moins gneissiques (tonalite, monzonite, etc.). Ces savantes distinctions ne sont pas essentielles à l'exposé et nous nous contenterons d'employer le mot granite dans son sens le plus large. On trouve aussi du paragneiss et du quartzite.

La coexistence forcée de ces deux roches à accentué leurs différences de comportements. Le granite, solide, cassant, a résisté ou s'est rompu en éclats ; le marbre, ductile, souple, s'est plissé, insinué ici et là et a emporté avec lui des fragments du granite et d'autres roches.

Nous voyons maintenant ici, aux chutes de Plaisance, figé dans la pierre (forcément), les conséquences de ces querelles de voisinage dans les profondeurs de l'écorce terrestre.

Une longue période d'érosion, entre un milliard et 600 millions d'années, a amené le marbre et le granite à affleurer à la surface.



Le «radeau» de granite


C'est ainsi, qu'immédiatement en aval du pont au dessus des chutes, formant un îlot, un «radeau» de granite flotte au dessus d'un marbre plissé et runabé. Le granite chevauche le marbre depuis un milliard d'années et n'a pas bougé depuis ni d'un pouce ni d'un cm !

Joli rafting immobile. C'est pas demain que le radeau risque de chavirer ! Fluctuat nec mergitur (Il est battu par les flots mais ne sombre pas.)



Interprétation des photos

  • Bruns variés, noir, aspect feuilleté ou rubané, souvent plissé, semé de fragments de roches en relief : le marbre ;
  • Gris uni, aspect massif, toujours en relief par rapport au marbre : le granite (tonalite) ;
  • Divers, en relief dans le marbre, parfois rouillés : les fragments de roches dans le marbre peuvent être de natures variées : granites (dont la tonalite, bien sûr), paragneiss, quartzite, etc.

Note. – Dans un parc naturel, on ne recueille pas de fragments de roches à coup de marteau (de géologue ou non).



D'abord, le marbre et ses petites et moyennes enclaves



Fig. 2. Plissements du marbre (brun pâle, noir) vus du pont sur la Petite-Nation, soulignés par les fragments de roches plus résistantes à l'érosion qu'il transporte.


Fig.3. Beaucoup d'enclaves dans le marbre sont plissées de façon serrée. Elles soulignent ainsi les déformations subies par le marbre. Le nord est à droite, comme l'indique la boussole.


Fig. 4. Plusieurs fragments de roche «plongent» littéralement dans le marbre, vers l'ouest (flèche rouge). Les géologues recherchent les indices de ce genre pour recomposer les mouvements de la croûte terrestre.


Ensuite, les contacts entre le marbre et le granite gris







Fig. 5, 6 et 7. Contacts entre le marbre plissé et le granite gris massif sous le pont de la Petite-Nation. Les contorsions de bandes de granite les font ressembler parfois à de la guenille froissée (fig. 5 et 6). (Rappelez-vous, le granite est en relief par rapport au marbre, facilement érodé.) Les fractures parallèles sur le bord du granite ne se prolongent pas dans le marbre.


Enfin, le radeau de granite qui «flotte» sur le marbre.



Fig. 8. À droite : «radeau» ou couvercle de granite gris, immédiatement en aval du pont de la Petite-Nation ; sous le granite massif, on aperçoit le marbre plissé et rubané qui le supporte (à droite du centre de la photo : voir photos suivantes).



Fig. 9. Le marbre sombre, rubané et plissé est ici mieux visible. Il supporte la masse de granite gris clair. L'érosion du marbre par l'eau, en laissant en relief les parties plus résistantes, fait ressortir la structure de la roche. Le granite, moins grignotable, se rompt blocs ou éclats selon des joints ou des plans de cassures. Il est possible que l'intervention humaine ait eu un rôle à jouer, si près du pont.



Fig. 10. Autre vue du «radeau» de granite avec, dessous, le marbre, plus sombre. À droite, le marbre, visible à l'air libre. Granite et marbre épousent un grand plis qui fait ployer le radeau vers le sud (vers la gauche).

mardi 11 août 2015

Bassin dans le calcaire de l'Île-de-Hull (Oups !)



Fig. 1. Travaux du chantier des Immeubles DSM du bassin Morin-Papineau-Montcalm dans un calcaire de l'Ordovicien moyen-supérieur (488-461 millions d'années), à Gatineau.
Le site est tout près de failles majeures et j'avais espéré en voir de belles déranger l'ordonnance des lits de calcaire, comme sur la rue Eddy, 400 m au SE (billet du 5 avril 2014, et carte, plus bas). Au lieu de spectaculaires ruptures, on a une ligne horizontale, nette et continue, entre le calcaire sombre parcouru d'entrelits de shale et le plus clair. [En réalité, les couches plongent légèrement ± vers l'W.]
Visée vers le NW. Photo 9 août 2015, sauf indication autre.


Résumé

Anciennes carrières dans un calcaire faillé de l'Ordovicien moyen-supérieur (470-444 Ma), plate-forme du Saint-Laurent.

Localisation

Angle des rues Montcalm et Gagnon, à Gatineau (anciennement Hull), Québec.

Ailleurs dans le blogue, sur le même sujet

5 avril 2014, «Calcaire faillé dans le Vieux-Hull»
6 juillet 2013, «Calcaires hullois : la carte» (et suivre les liens)

Photos

9 août 2015, sauf indication autre.


La Ville de Gatineau creuse un nouveau bassin (de collecte des eaux de pluie ?) sur le territoire de l'ex-Ville de Hull*.


* Voir «Correction», à la fin du billet !

Il aurait pourtant suffit d'aller un peu plus au nord pour dégager les anciennes carrières de calcaire maintenant comblées (voir la carte, plus bas).

Bon, j'avoue être de mauvaise foi ; il est probable que l'utilisation actuelle du sol ne permettait pas une autre solution.

Morale de l'histoire : l'ancienne Ville de Hull est une ville comblée (et creusée).


Cinquante teintes de gris, de brun de bleu...

Le chantier étant clôturé, je n'ai pu récolter d'échantillons. La roche locale étant généralement décrite comme du calcaire de teintes variées (gris clair ou foncé, bleu foncé ou brunâtre) entrelité ou non de shale (noir), je tiendrai jusqu'à nouvel ordre que nous avons là l'explication de la coupure entre le haut, sombre (calcaire gris-brun et shale) et le bas, clair (calcaire gris pâle que la poussière du chantier blanchit encore), des parois du bassin de l'excavation.

Selon Sanford et Arnott (2010), le calcaire (gris, bleu ou brun) appartient au groupe de Trenton de l'Ordovicien moyen et supérieur (461 à 488 millions d'années).


Une faille et des anciennes carrières

Je n'ai pas réussi à trouver l'exact équivalent de la configuration du bassin de l'excavation dans les carrières situées immédiatement au nord (voir la carte, plus bas). Il faut tenir compte du fait qu'une faille passe entre le bassin le chantier et les carrières (billet du 5 avril 2014, lien plus haut). Quoique, le rejet de part et d'autre de la faille n'est pas très important (le compartiment sud est abaissé de quelques m au point E de la carte) et ce décalage n'est pas nécessairement plus important que celui entre deux carrières plus ou moins profondes creusées à des niveaux différents.

Le bassin Morin-Papineau-Montcalm chantier (B sur la carte) est situé immédiatement au sud de la faille (F), dans le compartiment abaissé. Rien n'y paraît sur le terrain, ce qui ne doit pas nous alarmer, le trajet d'une faille est souvent plus capricieux que le tracé rectiligne que lui donnent les cartes.

La carrière la plus proche du bassin chantier est la carrière Morin (P4 sur la carte), travaillée sur un front de 60 m (étrange que rien n'en paraisse plus !) Parks (1916) en donne la coupe suivante, du haut vers le bas :


  • 1,80 m. — Lits d'une pierre brunâtre ; l'épaisseur des lits atteint 35 cm.
  • 6 m. — Pierre grise et brune entrelitée ; les bandes brunes dominent. Les lits atteignent 40 cm. 
  • Notes. - Les couches plongent vers le NW selon un angle bas [perceptible sur la photo 2a]. Le calcaire servait à produire de la blocaille et de la pierre concassée.


Sédimentation

La transition entre la sédimentation du calcaire clair inférieur et le sombre, entrelité de shale, s'est faite sans rupture ou discontinuité. La prévalence plus marquée des lits de shale vers le haut de la séquence enregistre le passage d'une sédimentation calcaire en eaux peu profondes, agitées par les marées et les vagues, à une dans un milieu plus calme et plus profond où les sédiments fins (argile) ont pu s'accumuler en couches distinctes. (Ajout 22 août 2015. – Toute la séquence s'est déposée sur le plateau continental, profond au plus de 200 m.) Des apports épisodiques de sédiments fins durant des moments d'accalmie ne sont pas non plus à exclure. Pour en dire plus, il faudrait un examen détaillé des parois du bassin de l'excavation.

Une sorte d'équivalent montréalais (groupe de Trenton) est visible ici (photo 3).


Ajout (11 août, après mise en ligne du billet)

Étant retourné voir le site, j'ai pu constater que les travaux, au pied de la paroi de la rue Montcalm (cf. fig. 1), s'attaquent à un banc de roche noire (shale ?) d'une épaisseur d'au moins 1 m.

Références

  • Parks, Wm.A., Rapport sur les pierres de construction et d'ornement du Canada, vol. III, province de Québec. Ministère des Mines, Division des mines, rapport 389, 1916, 405 p.
  • Sanford, B.V. et Arnott, R.W.C., Stratigraphic and structural framework of the Potsdam Group in eastern Ontario, western Quebec, and northern New York State, Commission géologique du Canada, Bulletin 597, 2010, 83 p.



Fig. 2a. Visée vers le SE ; rue Montcalm, à droite. La plongée ± W des couches est nettement perceptible. Aucune évidence de la faille qui passe tout près de l'endroit (voir la carte, plus bas). Photo suivante (fig. 2b), prise le lendemain (10 août) : détail. Le calcaire gris clair, sous la poussière du chantier, apparaît gris moyen en surface propre.






Fig. 3. Visée vers le SW. Vues sous cet angle, les formations paraissent horizontales.



Fig. 4. Le commentaire éditorial n'est pas de moi. Voir la «Correction» à la fin du billet (fig. 5) !



Carte 1. Quelques anciennes carrières de calcaire de la ville de Hull (maintenant Gatineau).
Fond : © Google ; annotations : © Henri Lessard, 2013-2015
B : bassin Morin-Papineau-Montcalm excavation décrite dans le billet ;
E : calcaire faillé de la rue Eddy (voir le billet du 5 avril 2014, lien plus haut) ;
F et ligne noire : l'une des principales failles qui découpent le socle. C'est le compartiment SW qui est abaissé (billet du 5 avril 2014) ;
A, G, P, U : anciennes carrières de calcaire (voir le billet du 6 juillet 2013, lien plus haut, pour la carte complète et les sources).


Correction (13 août 2015)


Fig. 5. Panneau des Immeubles DSM, rue Montcalm. Il était trop évident, je ne l'ai tout simplement pas vu !... Faut dire que j'ai découvert les travaux en venant de la rue Morin, derrière le chantier DSM, où le panneau de la fig. 4, celui du bassin Morin-Papineau-Montcalm, m'est aussitôt apparu. (On l'aperçoit d'ailleurs, à la droite du grand panneau, au fond, sous le feuillage des arbres.) Photo 13 août 2015.


Je ne suis pas si distrait que ça, finalement. En réexaminant mes photos, je me suis rendu compte que le panneau de la photo 5 n'était pas encore en place le 9 août, jour de ma première visite du chantier. Voyez les photos 1 et 3, datée du 9, où il est absent alors qu'on devrait l'apercevoir s'il avait été installé à cette date. Le panneau apparaît toutefois, de dos ou de profil, sur les photos prises à partir du 10 août.


Fig. 6. Celle-ci ne m'avait pas échappé (à gauche sur la photo 5). Photo 11 août 2015.