dimanche 23 janvier 2011

Lac Beauchamp : un milliard d'années inscrites dans la roche

Version simplifiée du post du 20 novembre 2010. Prière de vous y reporter pour un exposé plus fourni.
Textes, photos et schémas : Henri Lessard, 2007-2011

Affleurement de la discordance

Affleurement de la discordance (1/3) : un milliard d'années en un clin d'œil
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010


Mine de rien, le parc du Lac-Beauchamp recèle un «bouton rocheux» exceptionnel qui en fait un site unique dans tout le Sud-Ouest du Québec. On peut y observer le contact, ou la discordance, entre les deux entités géologiques qui se partagent le territoire de l'Outaouais et examiner par la même occasion la surface de notre continent telle qu'elle était il y a plus de 500 millions d'années, les cailloux qui la jonchaient encore en place !

L'«affleurement de la discordance» est visible au sud de lac, sur le bord du chemin qui mène au terrain de stationnement. Observez sur la photo la rainure qui tranche obliquement la butte : il s'agit de la discordance. Rien de bien spectaculaire au premier abord, mais près de 500 millions d'années séparent les formations de part et d'autre de cette discontinuité.

En fait, l'«affleurement de la discordance» résume à lui seul le dernier milliard d’années de l'histoire de notre continent.

Performance qui en fait une rareté à préserver.

Affleurement de la discordance (2/3) : tranche de continent
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010

Coupe de l'affleurement
A) Granite âgé d'un milliard d'années ; voici un échantillon de la «pâte» ou de la substance même dont est formé notre continent (Bouclier canadien).
B) Discordance : une couche de roche de plusieurs km «manque» au socle continental. La discordance (un géologue parlerait ici de «discordance d'érosion») coïncide avec la «vieille» surface du continent telle qu'elle était il y a 515 millions d'années, avant le dépôt des «jeunes» sédiments en C.
C) Grès (sable consolidé) ; sédiments déposés au bord d'une mer peu profonde, il y a 515 millions d'années (plate-forme du Saint-Laurent).
D) Surface du grès, polie par le passage des glaciers, lors de la dernière glaciation (80 000 - 12 000 ans). (Voir les photos de la section «Passage des glaciers», plus bas.)

Les sédiments de la plate-forme du Saint-Laurent et le Bouclier canadien forment les deux entités géologiques qui se partagent le territoire de l'Outaouais. Si l'on compare le Bouclier à un gâteau, la plate-forme n'en serait que le mince glaçage. Le contact entre ces deux étages est cependant la plupart du temps invisible sur le terrain.

Avec l'«affleurement de la discordance», nous disposons d'une vitrine qui offre en une seule coupe verticale toutes les escales d'un voyage à travers l'histoire de notre continent.

Il est heureux que sa présence au milieu du parc du Lac-Beauchamp garantisse à ce morceau de roc le maintien de conditions qui en assurent à la fois la préservation et l'accès. Voici en tout cas une discordance qui fait l'unanimité pour elle...

Affleurement de la discordance (3/3) : voyons de près
Texte et photo : Henri Lessard, juillet 2007


Détail de la discordance. En haut : le grès (sable consolidé), qui présente ici le caractère d'un conglomérat : il est truffé de galets qui lui donnent une apparence grêlée bien caractéristique. En bas : le granite, de teinte claire. Entre les deux, une bande d'une matière friable, couleur orangée, semée, elle aussi, de galets, et dont on se demande s'il faut la rattacher au grès ou au granite. Tout indique qu'il s'agirait d'un paléosol («ancien sol») qui remonterait à l’époque précédant immédiatement la déposition du sable. Si cette hypothèse se vérifiait, la substance friable constituerait le reliquat du sol meuble qui recouvrait le continent il y a plus de 500 millions d'années. 
Ajout, 22 oct. 2011. – Le conditionnel n'est plus de mise : il s'agit bien d'un paléosol résultant de l'altération du socle continental. Voir ce billet (et sa mise à jour de juin 2018).

Traces de vie

Terriers fossiles
Texte et photo : Henri Lessard, avril 2011 

Le grès du lac Beauchamp à Gatineau conserve des traces fossilisées de l'activité d'organismes fouisseurs qui peuplaient le sable à l'époque de son accumulation sur le fond marin à proximité du rivage (500 millions d'années) : Diplocraterion (puits terrier à deux ouvertures, en forme de U), Skolithos (puits terrier vertical ou incliné). 

Photo : trois Diplocraterions côte à côte ?


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Passages des glaciers 

Passage des glaciers (1/5) : les stries
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010


Avec les glaciations du Quaternaire, nous quittons le passé «très» éloigné, les centaines de millions d'années, pour aborder la «toute récente» période. De nombreuses traces de la dernière glaciation, dite du Wisconsinien (80 000 - 12 000 ans), subsistent autour du lac Beauchamp.

Surface du grès polie et striée par les glaciers. La flèche noire indique le nord tandis que la flèche blanche donne la direction du mouvement de la glace, vers le SE. Il est fréquent que deux systèmes de stries glaciaires se superposent, enregistrant ainsi les variations dans la direction de l'écoulement des glaces. Dans le secteur, les deux directions relevées sont SE et SSE.

Passage des glaciers (2/5) : train de broutures
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010


Broutures concaves dans le grès, au sud du lac. Ces structures, tout comme les fractures de broutage (photo suivante) sont créées par les «rebonds» d'un bloc de roche emprisonné à la base d'un glacier à l'avance saccadée. Les croissants des broutures présentent leur face concave en direction de l'amont, selon le sens de l'écoulement du glacier (du NW vers le SE, soit de la gauche vers la droite).

Voir le schéma explicatif, plus bas.

Passage des glaciers (3/5) : train de fractures de broutage
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010


Train de fractures de broutage dans le grès, toujours au sud du lac ; même mécanisme de formation que les broutures concaves. Dans le cas des fractures de broutage, les croissants pointent cette fois leur face convexe en direction de l'amont, selon le sens de l'écoulement du glacier (ici, du NW vers le SE).

Voir le schéma explicatif, plus bas.

Passage des glaciers (4/5) : broutures concaves et fractures de broutage
Texte Henri Lessard, schéma de J. Vaillancourt, adapté par Henri Lessard (nov. 2009).


Lorsqu'un bloc emprisonné à la base d'un glacier progresse par à-coups, la succession des épisodes de pression et de relâchement sur le socle rocheux se traduit par la formation d'un chapelet de marques en forme de croissant, fractures de broutage ou broutures concaves, selon le degré d'énergie dissipée.

La fracture de broutage est une simple fracture, sans éclats enlevés.

Sous une pression plus élevée, il se forme des broutures concaves ; une première fracture est créée à l'arrière de la future brouture ; une seconde cassure vers l'aval vient croiser la première, amenant le détachement d'une esquille en forme de croissant de lune.

Les pointes d’une brouture indiquent l’amont alors que celles d’une fracture de broutage visent l’aval. Ces marques se retrouvent le plus souvent en chapelet, ou en train.

Passage des glaciers (5/5) : erratiques
Texte et photo : Henri Lessard, novembre 2010


L'un des nombreux blocs erratiques, morceaux de gneiss ou de granite entraînés par le glacier et abandonnés lors de son retrait, qui parsèment les bois entourant le lac Beauchamp. Peut-être que ce bloc sombre, avant de servir de piédestal à un arbre, a été le responsable de la création de quelques trains de broutures concaves ou de fractures de broutage encore à découvrir...

samedi 8 janvier 2011

Lac Beauchamp : un peu d'histoire (ajout)

Parc du lac Beauchamp : supplément

Voir ce post pour le contexte («affleurement de la discordance»).
Voir aussi le site Internet officiel du parc du Lac-Beauchamp.

Deux cartes anciennes
Voici un détail de deux cartes ramenées à la même échelle et cadrant le même secteur autour du lac Beauchamp. De notables changements dans la forme du lac semblent s'être produits entre 1920 (carte en couleurs, de M.E. Wilson) et 1934 (carte en noir et blanc, de Cole et Carnochan). En particulier, la pointe sud-ouest du plan d'eau a été prolongée vers le sud, en relation, probablement, avec l'exploitation d'une carrière de silice (Ottawa Silica and Sansdstone Co). Le quadrillage des rangs et des lots diffère d'une carte à l'autre, ce qui complique les comparaisons.

Note : Nepean et Potsdam 
Dans mes autres posts consacré au secteur, il est habituellement fait mention du grès de Nepean. La formation de Nepean (son nom dans l'échelle stratigraphique) qui continue à nous intéresser ici, fait partie du groupe de Potsdam. Dans un contexte local restreint, ces subtilités de la nomenclature peuvent être négligées et les deux termes considérés comme équivalents.

À l'évidence, Cole et Carnochan ont reproduit les contours de la carte de Wilson pour figurer les affleurement du groupe de Potsdam sur la leur.


1934
Détail modifié de : L.H. Cole et R.K. Carnochan, Mines Branch Investigations of Mineral Resources and the Mining Industry, 1932 : Silica Deposit Near Gatineau Point, Quebec, Depart. of Mines, Canada Mines Branch, Report No. 735, 1934, Fig. 1.
1920
Détail modifié de : Wilson, M. E., 1920, Geology of Buckingham, Hull and Labelle Counties, Quebec, Commission géologique du Canada, carte 1691. (Il s'agit de la carte géologique du secteur la plus récente qui existe. Les autres publiées depuis n'en sont que des adaptations.)

Légende toponymique (en italique, noms actuels)
Lac Wabassi : lac Beauchamp ; Scarf Road : boul. Labrosse ; Au S du lac Beauchamp : boul. Maloney Est rue Notre-Dame ; À l'E du lac Beauchamp : boul. Lorrain
Astérisque blanc : position approximative de l'«affleurement de la discordance» (voir ce post). Des changements dans la forme du lac après la publication de la carte compliquent la localisation exacte de l'affleurement.
Légende géologique (adaptée)
QUATERNAIRE
10 000 ans ; jaune très pâle (se confondant avec le fond jauni du papier) : argile, sable et graviers de la mer de Champlain ;
12 000 ans ; jaune vif : argile à blocaux, blocs, gravier et sable (till glaciaire) ;
PALÉOZOÏQUE
515 000 000 - 480 000 000 d'années (Cambrien moyen - Ordovicien inférieur) ; brun : grès de Nepean, conglomérat (Potsdam) ; vert foncé : calcaire (Beekmantown) ;
PROTÉROZOÏQUE
1 000 000 000 et plus (Protérozoïque) ; Bouclier canadien (province de Grenville) : bleu pâle : paragneiss à grenat et quarzite ; vert pâle : syénite, gabbro, etc., à pyroxène ; bleu foncé : marbre ; rose : granite, pegmatite).


HISTOIRE
«Avant de devenir un parc récréatif, le lac Beauchamp était connu comme le lac de La Mine en raison de la mine de silice qui a été en exploitation durant les années 1930 et 40*. Cette mine exploitait le grès quartzeux dans des petites carrières à l’extrémité sud du lac. Le minerai était amené dans des wagonnets sur rail tirés par des chevaux vers l’usine de broyage et de concassage qui était située à l’endroit où se trouve le pavillon actuel. Le quartz, composant 95 % du grès quartzeux, était séparé des autres minéraux pour former un sable de silice pur et amené vers le chemin de fer pour se rendre à Montréal où il servait à la fabrication de verre. Les déchets, ou minéraux autres que le quartz, étaient rejetés au pied de l’usine et formèrent la plage de sable servant présentement à la baignade.
La mine de silice cessa ses activités à la fin de la deuxième guerre mondiale car elle n’était plus rentable, le lac Beauchamp devint donc le dépotoir de la ville de Gatineau. La ville y a enfoui et brûlé des déchets jusque vers les années 1970. Le brûlage des déchets est responsable de la couleur noirâtre des parois rocheuses. C’est ensuite que le parc est devenu un endroit récréatif.»
Extrait de : Centre d'Interprétation de la géologie du Grenville, Plan de développement intégré : sites et circuits du patrimoine naturel de la région de l'Outaouais, 2003, p. 96.

* D'après la carte de Cole et Carnochan (plus haut), il s'agirait de la Ottawa Silica and Sandstone Co.


AJOUT (17 mars 2012). — Quelques éléments «nouveaux» à verser au dossier (Maurice, 1973) :

Le grès du lac Beauchamp a été exploité de 1927 à 1930 par la Canada Glass Sand Ltd et, de 1931 à 1941, par la Ottawa Silica and Sandstone Ltd. Après des travaux menés quelques mois en 1942 par l'Industrial Sands and Minerals Corporation, le site est abandonné. Une reprise des opérations est tentée en 1949 par l'Ottawa Silica & Rock Wool Ltd qui, malgré d'importantes sommes investies dans le but de faciliter le broyage du grès, n'a laissé traces d'aucune production.

La roche était réduite en sable qui était vendu pour servir au sablage au jet ou pour la fabrication de moules dans les fonderies. Le grès se caractérisait par sa haute teneur en silice (of course...), mais aurait gagné à être nettoyé des sulfures de fer qui le contaminaient.

RÉFÉRENCE
  • Maurice, O.D., 1973 – Annotated list of occurences of Industrial Minerals and Building Materials in Quebec. MER, DP 184, 580 pages

mercredi 5 janvier 2011

Dissolution à Gatineau : fin

Photo 1135. «Marmite abritée» ou caverne dans un marbre chargé d'enclaves. 
Je sais, j'ai déjà affiché cette photo, mais elle est mieux mise en valeur ici. (Gatineau, juin 2010)


LOCALISATION ET CONTEXTE
Histoire de clore ce feuilleton consacré au secteur de l'île Marguerite, quelques photos disparates qui n'épuisent cependant pas les ressources du site. Voir les trois autres billets de la série.

En bref, pour vous donner l'essentiel : marbre chargé d'enclaves (granite et quartzite rouillés, gneiss sombres) «dissous» par les eaux de la Gatineau.

Pour en savoir plus, ou suffisamment, consulter, comme il est indiqué plus haut, les premiers billets.



PHOTOS
Juin et juillet 2010


Photos 1032 et 1117. Encoches horizontales dans le marbre (rose, photo du haut ; gris clair et rose, photo du bas) semé d'enclaves variées : j'ai déjà évoqué ces entailles dans ce récent postSauf l'érosion, je ne vois pas d'autres manières d'expliquer leur existence. Mais pourquoi des effets à la fois si nets, si intenses et si circonscrits ?


Photos 1076 et 1124. Marmites.

Photo1078. Mince lit plissé dans le marbre. Comment a-t-il fait pour subsister sans être disloqué alors que d'autres inclusions plus robustes ont été réduites à l'état de débris dispersés ? Voir un autre exemple de lit plissé ici.

Photo 1168. Dyke(?) rectiligne. Sa direction est conforme au rubanement du marbre (NE), mais, au lieu d'accompagner ce dernier en plongeant comme lui vers le SE, il le recoupe verticalement. Grand frère costaud du mince lit de la photo 1078 ?


Photos 1084 et 1091. Lits de gneiss dans le marbre : on dirait de vieilles guenilles tordues...


Photos 1110, 1112. Enclaves rouillées dispersées et plissées (granite et quartzite) dans le marbre.


AJOUT. – 26 février 2012
Dans les années 1940 et 1950, le géologue français Aubert de la Rüe a mené plusieurs campagnes de cartographie au nord de l'Outaouais dans un vaste secteur autour de Mont-Laurier et de Bouchette-Maniwaki. Les rapports qu'il a publiés (voir «Bibliographie») contiennent des descriptions de phénomènes de dissolution observés dans les marbres le long des rives des cours d'eau et des lacs qui rappellent ceux que j'ai relevés dans l'île Marguerite, à Gatineau.

Voici donc quelques photos...


Dyke de granite étiré et fragmenté dans un marbre. Rive ouest de la Lièvre en aval de Mont-Laurier. (Aubert de la Rüe, 1948) Voir ma photo 1168, plus haut.


«Nids» de minéraux silicatés en saillie à la surface d'un affleurement de marbre. La photo est imprécise, j'aurais aimé voir ce phénomène de près. Vallée de la Lièvre, canton de Campbell, à l’est de Mont-Laurier. (Aubert de la Rüe, 1948)

... entrecoupées de quelques notes de lecture
Dans la région de Kensington (à l’est de Maniwaki), «[d]es lapiez s'observent assez souvent dans les zones calcaires ; ces fissures et ces trous, cachés par la végétation, peuvent être assez dangereux par endroits.» (Aubert de la Rüe, 1953, p. 12)

Entre le lac des Pins et la Lièvre (canton de Bigelow), des dolines, dépressions circulaires en forme d'entonnoir, se sont creusées dans la plaine de marbre recouverte de sable. Elles atteignent 30 m de diamètre pour une profondeur de 6 m à 9 m.

Sujets à creuser, sans jeu de mots...


Alternances de marbre et de pyroxénite. Rive d'une île du lac des Trente et Un Milles. (Aubert de la Rüe, 1953) Voir ma photo 1084, plus haut.


Inclusions de pyroxénite dans des marbres, canton de Dudley, à l’est du lac des Trente et Un Milles. En noir et blanc, l'aspect «vielles guenilles» est encore plus probant (cf. plus haut, photos 1084 et 1091). (Aubert de la Rüe, 1953)


BIBLIOGRAPHIE (POUR CETTE SECTION)
  • Aubert de la Rüe, E., 1956, Rapport géologique 68 : région de Mcgill, districts électoraux de Papineau, de Labelle et de Gatineau. Québec, ministère des Mines, 30 pages, carte 922 (/63 360).
  • Aubert de la Rüe, E., 1956b, Rapport géologique 67 : région du lac Trente-et-un-Milles, districts électoraux de Papineau, de Labelle et de Gatineau. Québec, ministère des Mines, 1956, 42 pages, carte 921 (1/63 360).
  • Aubert de la Rüe, E., 1953, Rapport géologique 50 : région de Kensington, comtés de Gatineau et de Labelle. Québec, ministère des Mines, 1953, 50 pages, cartes 919 et 920 (1/63 360).
  • Aubert de la Rüe, E., 1948, Rapport géologique 23 : régions de Nominingue et de Sicotte, comtés de Labelle et de Gatineau. Québec, ministère des Mines, 84 pages, cartes 544 et 545 (1/63 360).