mardi 12 octobre 2010

Dissolution à Gatineau

Un premier billet consacré à cet endroit est paru le 20 juin 2010 sous le titre «Rideau pétrifié». D'autres vont suivre.

LOCALISATION
Gatineau (Québec) ; rive gauche de la rivière Gatineau, au N du pont Alonzo-Wright (secteur de l'île Marguerite).
SNRC 31G/05
Le site est sous les eaux de la rivière Gatineau une partie de l'année. L'endroit présente un danger certain (variations brusques du niveau de l'eau causées par l'activité du barrage Chelsea en amont). Ne pas s'y rendre demeure une excellente idée.


Photos 1024-1205. – Marbre semé d'inclusions sombres, rive de la Gatineau. La couleur véritable du marbre est de blanc à blanc-gris ; la teinte ocre ou orangée résulte d'une altération superficielle.
L'ensemble des inclusions évoque un torrent de débris saisis en plein mouvement ; elles ont suivi les mouvements tectoniques qui ont fait fluer le marbre vers l'ENE. Plusieurs d'entre-elles, «debouts», plongent à la verticale. (Juin 2010)

CONTEXTE GÉOLOGIQUE
Marbre de la province de Grenville ; roches vieilles d'un milliard d'années (voir Géolo-chronologie) ; érosion par l’eau courante, érosion différentielle.

INTRODUCTION
Passez l'intro et allez dans le vif du sujet.

VIF DU SUJET
Érosion par l'eau courante dans un marbre semé d'inclusions variées (gneiss, quartzite, granite blanc rouillé), rive gauche de la rivière Gatineau, au N du pont Alonzo-Wright (photos 1024-54). Le marbre se dissolvant peu à peu, des inclusions résistantes finissent par faire saillie jusqu'à se détacher de la matrice de calcite qui les contient.

Ajout de dernière minute : précisions
Le marbre, ou calcaire cristallin, est composé de calcite (carbonate de calcium), soluble dans l'eau – si l'on dispose de quelques dizaines de milliers d'années et d'une bonne patience – tandis que le granite, le gneiss et le quartzite, formés de silicates et de quartz, sans être inaltérables, peuvent faire preuve de plus de durabilité.

Le marbre, de teinte blanche, est altéré en surface et prend une teinte rose à orangée. La rouille, des dépôts de manganèse, rendent difficile l'identification des inclusions qui seront collectivement désignées ici sous le nom... d'inclusions.

Photo 1032. – Inclusions de granite (rugueux) dans le marbre, rive de la Gatineau. Remarquez qu'on a plutôt l'impression que c'est le granite qui a agrippé le marbre... Entailles horizontales : seront traitées dans un prochain billet. À gauche, un reliquat de marbre en forme d'arc-boutant relie une petite inclusion à la plus grosse, au sommet. Sens du courant : de gauche à droite, mais la roche n'est peut-être pas «en place». Voir photos qui suivent. (Juin 2010)

Photo 1037. – Vue rapprochée du pilier suspendu qui relie deux inclusions, reliquat de marbre épargné par l'érosion. (Juin 2010)

Photo 1038. – Autre vue rapprochée du pilier suspendu. Entre les deux inclusions sombres, on distingue une cavité sans doute creusée par des remous entretenus à une époque dans le courant de la rivière Gatineau. (Phénomène semblable à celui de la création des cupules décrites dans mon billet du 20 juin.) (Juin 2010)

Photo 1645. – Autre angle encore : la cupule profonde est mieux visible, sous le pilier résiduel de marbre. Sur cette photo, le sens du courant est de droite à gauche, parallèle à l'alignement de l'inclusion et de la cupule. (Juillet 200)

ESTIMATIONS
J'ignore depuis quand le rivage est soumis à l'action érosive de l'eau courante. Sachant que les glaciers ont quitté le secteur il y a 12 000 ans, que la mer de Champlain a ensuite occupé les lieux pendant 2000 ans, on peut supposer que l'exposition du marbre aux conditions actuelles, ou proches de celles-ci, n'a pas dépassé 10 000 ans.

Pour être plus précis, il faudrait savoir quand le lit de la Gatineau a rejoint le socle rocheux, depuis quand, autrement dit, l'argile de la mer de Champlain (qui forme les berges de la rivière à cet endroit) a été déblayée par ce tributaire de l'Outaouais. On sait que l'ancêtre de la Gatineau, après le départ des eaux marines, était beaucoup plus puissante que la rivière que nous connaissons.

La consultation de cartes datant du début du XXe siècle permet de constater que la construction des barrages, durant les années 1920, en amont, n'a pas modifié grandement la configuration de la rivière dans le secteur considéré.

De plus, il faudrait tenir compte du fait que le site n'est qu'épisodiquement submergé, au printemps et au début de l'été (d'un printemps et d'un été normaux, ce qui exclu ceux de cette année...)

La dissolution du marbre par l'eau courante a dû se faire, au total, en moins de 10 000 ans. En tenant compte du déchaussement des plus gros débris encore en place dans le marbre, 15 cm à 50 cm et plus, on pourrait estimer le taux d'érosion.

Photo 1135. – Autre résultat de l'action de l'eau courante : une marmite ou une cavité «abritée sous toit» créée par l'eau courante. (Juillet 2010)

TAUX D'ÉROSION DU MARBRE
En 1994, Prévost et Lauriol ont publié les résultats de leurs travaux sur le taux d'érosion actuel des marbres grenvilliens en calculant la dissolution de plaquette de marbre (calcaire) laissées dans différents milieux (ruisseaux, sous la terre, etc.)

RÉSUMÉ DE L’ARTICLE DE PRÉVOST ET LAURIOL
«Cet article souligne la difficulté de comparer les taux d'érosion mesurés dans les marbres de Grenville selon différentes méthodes. La variabilité des taux d'érosion a été mise en évidence par l'étude des nodules en relief, des plaquettes de calcaire et par l'hydrochimie. La mesure moyenne du déchaussement postglaciaire des nodules emprisonnés dans les marbres se situe à 5 mm/1000 ans pour une période qui couvre l'Holocène (58 nodules, 1429 mesures). L'étude hydrochimique a fourni une vitesse moyenne d'érosion de 21,4 mm/1000 ans. Le taux médian de 17,2 mm/1000 ans se rapproche plus de la vitesse réelle d'érosion chimique actuelle, car les mesures ont surtout été prises en été et au printemps. Parmi les nombreux facteurs qui expliquent l'écart entre les taux d'érosion fournis par les deux méthodes, la différence de milieu étudié est primordiale. Elle est mise en évidence par la méthode ubiquiste de l'étude des plaquettes qui a fourni des taux moyens d'érosion presque huit fois plus importants dans les ruisseaux que dans les sols. Dans ces derniers, le résultat obtenu après une expérience de 18 mois a été de 12,4 mm/1000 ans alors qu'il a été de 94,3 mm/1000 ans pour les plaquettes immergées dans diverses eaux courantes. Dans les eaux calmes, le résultat a été de 41,7 mm/1000 ans.»

Extrait de l'article
«En milieu aquatique, l'abrasion joue sûrement un rôle prépondérant dans l'érosion des plaquettes de calcaire. Dans les cours d'eau, l'usure mécanique provoquée par les impacts d'éléments en suspension peut en effet prendre une importance assez significative [...]» (p. 301)

À venir : d'autres photos, d'autres textes, en maigre, en gras, en italiques et en romains, en gros et en tout petit...

RÉFÉRENCE
Clément Prévost et Bernard Lauriol, 1994, «Variabilité de l'érosion actuelle et Holocène : le cas des marbres de Grenville en Outaouais Québécois», Géographie physique et Quaternaire, vol. 48, no 3, p. 297-304.
Article téléchargeable gratuitement à l'adresse suivante :

Photo 1112. – Autres débris ressortant en relief dans le marbre (gris cette fois). La direction du transport tectonique des inclusions se fait ± vers le NE. (Juillet 2010)

Ce billet est la refonte datée du 16 octobre 2010 d'un billet paru plus tôt le 12 octobre précédent.

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