Carbonatite bréchique constituée de calcite, chargée de fragments de gneiss enrobés de mica (phlogopite). Autoroute 5, Chelsea, au nord de Gatineau, Qc. Photo 17 juin 2000.
Elle avait fait l’objet d’une de mes premiers billets de ce
blogue(1). Une brèche de calcite chargée de xénolites anguleux. Il était difficile
de la rater, la couche de mica qui recouvrait les xénolites chatoyait au soleil dans un virage de l’autoroute 5, à Chelsea, au nord de Gatineau. À mon idée, il devait
s'agir d'une carbonatite, une fois écarté l'hypothèse possible, mais moins
séduisante, d'une mobilisation du marbre local sous les
pressions tectoniques. Quand même, la chose était suffisamment visible pour ne
pas échapper à l’attention des nombreux géologues qui étudiaient les carbonatites et
fénites de la région, sources potentielles de minéraux stratégiques, tels le
niobium et les ÉTR. L'un d'eux, m'apportant son avis autorisé, allait venir m'éclairer sur la chose.
La réponse s'est longtemps fait attendre, presque 35 ans - ma découverte de la chose remontant aux environs de 1990. Elle est venue dans un document paru en 2021(2) ; son titre, peu évocateur, explique que je n'en ai pris connaissance que ces derniers jours. Il
s’agit bien d’une carbonatite bréchique, élément d'un ensemble d'intrusions apparentées au nord de Gatineau.
- (2) Marc Legault, Ludivine Da Rosa, Flore Parisot et Robin Potvin, MB 2022-01, Travaux de recherche sur les minéraux critiques et stratégiques réalisés par les stagiaires de l’École de terrain. Min. de l'Énergie et des Ressources naturelles, Québec. La partie qui concerne la région de Gatineau, intitulée « Évaluation du potentiel en éléments de terres rares associés aux dykes de carbonatites du secteur de l’Outaouais », signée L. Da Rosa, commence à la page 24. Lien pour télécharger le rapport.
Voir aussi, sur le même sujet :
- Bouallal I.A.., Legault M.., Mvondo, H., Cartographie des carbonatites et des fénites au nord de Gatineau et leurs potentiels en éléments de terres rares (ÉTR), Province de Grenville. MB 2025-11, 2025. 61 pages. Lien pour télécharger le document.
- Legault, M., Gaxotte, T., Dommesent, C., Travaux de recherche sur les minéraux critiques et stratégiques réalisés par les stagiaires de l'École de terrain. MB 2023-01, 2022. 50 pages. La partie qui concerne la région de Gatineau, intitulée « Évaluation du potentiel en éléments de terres rares associés aux dykes de carbonatites du secteur de l’Outaouais », signée T. Gaxotte, commence à la page 204. Lien pour télécharger le rapport.
Voir aussi (billets de ce blogue) :
La suite du billet est la reprise du contenu de mon billet de 2009 sur la brèche de l'autoroute 5, avec des mises au point apportées par la nouvelle documentation. Dans le texte de 2009, je parlais d'une intrusion de calcite, sans employer le mot brèche. De petites retouches au texte sont entre [crochets]. Un document visuel a été ajouté à la fin.
* * *
Une carbonatite, il est peut-être bon de le préciser avant d'e passer à la reprise du billet de 2009, est une roche magmatique composée de carbonates (calcite ou dolomite) ; elle a de ce fait la même composition que les marbres qui, ultimement, sont d'origine sédimentaire. Si ces derniers sont abondants dans la région, les carbonatites sont plus rares et affleurent sur des surfaces restreintes. Les carbonatites peuvent être des sources de minéraux stratégiques (niobium, ÉTR). Celles de l'Outaouais sont trop modestes et trop éparpillées pour être exploitées. Elles sont malgré tout l'objet de travaux d'exploration.
* * *
Intrusion de calcite à Chelsea (Québec), autoroute 5
Billet du 22 nov. 2009

Photo 18. – Vue d’ensemble de l’intrusion [ou brèche] de calcite. De gauche à droite : NW-SE. Autoroute 5, Chelsea, au nord de Gatineau, Qc.
Photos : 17 juin 2000.
Texte retouché le 25 juillet 2012 ; ajouts le 31 mai 2025.
Localisation
SNRC 31G/12. Autoroute 5, Chelsea (Québec), à 2,5 km au Sud de la sortie Tulip Valley ; 45°33'34.58"N ; 75°50'56.74"O.
Photo © Google Earth ; en surimposé, géologie (tirée de la carte SI-31G12-G3P-03B : compilation géologique 1 / 50 000, SNRC 31G12, Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Québec, 2007.) Réalisation de la carte : © Henri Lessard, 2009.
On distingue l'autoroute 5, la rivière Gatineau.
Carré blanc (au bout de l'autoroute, en haut à gauche) : sortie Tulip Valley.
Point rouge : l’intrusion de calcite [brèche] dans le paragneiss (M4), côté nord de l'autoroute 5.
Légende
M3a. – Orthogneiss, migmatite ; M4. – Paragneiss ; M7. – Gneiss à pyroxène ; M12. – Quartzite ; M13. – Marbre (abondant hors du secteur de la carte) ; I1Fa. – Aplite, pegmatite ; I2D. – Syénite ; I2J. – Diorite
Contexte géologique local
Voir la carte. Bordure du batholite de syénite-diorite de Wakefield mis en place dans des métasédiments du groupe de Grenville (paragneiss, quartzite et marbre) [âgés de plus d'un milliard d'années]. Du granite, des pegmatites recoupent le tout. On trouve dans la région des filons de calcite-apatite-phlogopite (dans les métasédiments), des carbonatites, dont celles du lac Meech, à 7 km au S-W du site, et des fénites (Hogarth, 1997). La syénite et la diorite sont ± gneissiques dans le secteur.
Les roches des collines de l’Outaouais ont été formées à plus de 20 km de profondeur dans un contexte de collisions entre continents et autres compartiments de la croûte terrestre. En même temps que des magmas les envahissaient ou les découpaient, elles ont connu des massages et des triturages, subi des étirements jusqu’à la rupture. Ce dynamisme, figé (pétrifié, dirait-on, si l'on ne craignait pas le paradoxe) depuis un milliard d’années, affleure à présent au grand soleil.
Découvrir l'Outaouais, c’est un peu parcourir les entrailles (autrefois) agitées de la croûte terrestre...
Intrusion de calcite
Exemple de cette agitation « intestine » : sur l’autoroute 5, à Chelsea (Québec), une masse de calcite large de 15 m s'est ouvert un passage à travers la roche locale (en surface, complexe de paragneiss gris et de granite blanc). Le mouvement d'expulsion vers le haut des fragments des roches hôtes dans une pâte de calcite est saisissant.
Au moins deux épisodes ont été nécessaires pour donner à cette intrusion sa configuration finale : d’abord l’injection d’une calcite grise, « sale », et chargée de xénolites – fragments arrachés aux roches encaissantes –, suivie de celle d’une calcite de couleur rose pâle, nette et libre de fragments étrangers, qui a envahi la calcite grise. Les xénolites, arrondis à anguleux, sont recouverts d’une couche de mica. Dans au moins un cas, le mica, à reflets rouges (hématite ?), est accompagné d’une amphibole verte.
Cette intrusion n’est que la plus spectaculaire d’une série de phénomènes plus discrets. De l’autre côté de la chaussée et plus au nord, toujours sur l'autoroute, des filons de calcite massive d’une épaisseur d’environ 30 cm à 1 m recoupent la syénite (voir photo 23, plus bas).
Photo 10. – Bordure NW de l’intrusion. Calcite « sale » ou noircie par les agents atmosphériques ? Elle remplace un granite blanc (pegmatite) qui recoupe lui-même un paragneiss gris, en haut à gauche (contraste peu marqué sur la photo).
La géologie régionale permet d’avancer trois hypothèses sur la nature de ces intrusions :
Hypothèse 1. — Le marbre, abondant dans la région, et constitué de… calcite, est une bonne source de… calcite !... Par fluage, en réponse aux contraintes tectoniques et torsions plus haut évoquées, il est arrivé que le marbre se soit injecté dans les roches voisines moins ductiles en plissant et disloquant les pans et fragments qu’il emportait (voir par exemple la photo 000522 de cet ancien billet).
Hypothèses 2 et 3 confondues. — Les filons et intrusions variées de calcite (souvent de couleur rose) dont certains ont été exploités pour l’apatite et le mica aux XIXe et XXe siècles, parsèment l'Outaouais et le Sud-Est de l'Ontario. Des carbonatites, roches magmatiques formées de carbonates (calcite ou dolomie), affleurent entre le lac Meech et le lac McGregor (Hogarth, 1997). Sur le terrain, la distinction n’est pas toujours facile à établir entre ces irruptions de calcite qui bluffent parfois même les pros.
[Dans toutes ces hypothèses, l'intrusion de la calcite amène la création d'une brèche par incorporation de fragments de la roche encaissante dans la masse de calcite.]
[Ajout (31 mai 2025) : l'avis de la géologue
Description de la brèche selon L. Da Rosa (sa fig. 20D dans MB2022-01, réf. plus haut) : « Brèche à matrice riche en calcite‐phlogopite montrant des fragments de gneiss fortement altérés en phlogopite dans leurs bordures. Cette brèche est recoupée par un dyke de carbonatite beige et un autre rose. »
Selon L. Da Rosa, les dykes de carbonatites au nord de Gatineau se composent de carbonates (calcite, ±dolomite), de feldspath, d’amphibole et de phlogopite (mica). La phlogopite forme des amas, se concentre aux épontes des dykes et autour d’enclaves de roche encaissante dans les brèches. L’amphibole est une amphibole sodique, soit de la magnésio-arfvedsonite et/ou de la richtérite en baguettes plurimillimétriques de couleur noire bleutée à verdâtre (Hogarth, 1997). ]
Conclusion
Les intrusions de la route 5 sont des phénomènes post-tectoniques : elles recoupent la structure des encaissants (gneissositée), ne montrent aucun signe de déformation et leurs contacts avec les roches hôtes sont nets. Elles ont sans doute pris place dans des fractures préexistantes. Il a fallu au moins deux injections de calcite pour créer la grande intrusion : cette montée par étapes concorde mieux, me semble-t-il, avec l’hypothèse d’un phénomène magmatique (carbonatite). Mais l’évidence plaide contre une origine lointaine (profonde) des xénolites ; la survie de fragments tabulaires, la persistance d’angles et de cassures non émoussés, etc. (Voir photo 12.) La calcite des intrusions proviendrait donc, selon nous, de marbre mobilisé. [À lire le rapport de L. Da Rosa, cette hypothèse serait très discutable. Je maintiens cependant que les xénolites n'ont pas fait beaucoup de chemin avant de s'immobiliser dans la pâte de calcite.]
Référence
Hogarth D.D., Carbonatites, fenites and associated phenomena near Ottawa. GAC/MAC, Joint Annual Meeting, Ottawa, Field Trip Guidebook A4, 1997, 21 p.
12. – La calcite neuve (claire) repousse vers le haut la calcite grise chargée de xénolites. Le xénolite allongé n’aurait pas pu supporter un long transport sans se briser… [Jolie brèche, en tout cas.]
13. – On constate un certain alignement des petits fragments allongés parallèlement à une direction empruntée par un courant de calcite propre.
16. – Calcite « sale », chargée de xénolites. Contact avec roches encaissantes (en haut). [Les fragments semblent ici usés, un peu arrondis ?]
23. – [L’un des] filons de calcite recoupant la syénite [de Wakefield près de la brèche]. Un ciseau (15 cm, le long du contact supérieur du filon, premier tiers à gauche) donne l’échelle. Le contact avec la syénite est souligné de diopside (?) vert. Ce filon contenait de la fluorine violette – aux cristaux quelconques.
Supplément (mai 2025, avec matériel de 2009)
Échantillon de la bordure d'un xénolite de la carbonatite bréchique de l'autoroute 5 à Chelsea (à gauche). Mica (phlogopite), amphibole verte, calcite rosâtre ; pyrite. Les reflets rouge (hématite ?) des cristaux de mica ne sont pas apparents sur la photo.
Petit échantillon. – Calcite à hématite spéculaire. Recueilli dans une poche de calcite (carbonatite) contenue dans un paragneiss vert, sur le bord de l'autoroute 5, à l'ouest de la carbonatite bréchique.
Échelle. – 2,5 km = 1 cm (sic). La règle photographiée du mauvais côté, est graduée au 1/250 000.
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