mercredi 20 février 2019

Canal de la Baie Georgienne : votre silence, mes agneaux...


Je corrige une erreur : il aurait fallu écrire Baie Georgienne, et non Géorgienne.


Fig. 1. - Planche du Georgian Bay Ship Canal; Report Upon Survey, With Plans And Estimates Of Cost, 1909 : secteur de Hull-Ottawa (voir « Référence »). L'image provient du site UConn Library MAGIC où un fichier de meilleure résolution est disponible. Détail : voir fig. 1b. Voir aussi la fig. 1 du billet du 14 février 2019.


Billets précédents sur le même sujet





Le canal de la Baie Georgienne

Durant 100 ans, du début du XIXe s. au premier quart du XXe, le projet du canal de la Baie Georgienne qui devait relier le Grand Lac Huron à Montréal via l’Outaouais n’a jamais cessé de resurgir dans l'actualité. Il s’agissait de systématiser le « chemin des fourrures » qu’empruntaient voyageurs et Amérindiens sous le Régime français.

Le canal aurait répondu à des motifs autant stratégiques que commerciaux et politiques. Pour placer les Grands Lacs et l'ouest du continent à la portée de Montréal, valait mieux aménager le chemin le plus court, celui qui passait passait par l’Outaouais, le lac Nipissing et la rivière des Français, plutôt que le plus long, celui qui passait par le St-Laurent (1500 km contre 1960 km).

La plupart des initiatives pour hâter l'avènement du canal sont venues de Bytown (Ottawa), du Haut-Canada (Ontario), du Sénat et du Parlement fédéraux. Et de Montréal, aussi. N'empêche, le silence du Bas-Canada (Québec) et des Hullois est étonnant. Mais ma documentation comporte peut-être des lacunes.

Énumérer le nombre de pétitions, de levés cartographiques, de commissions, de rapports, de chantiers ouverts puis abandonnés, etc., engendrés par ce projet qui ne voulait pas naître déborderait sur le sujet qui m’intéresse : la topographie.

Jamais le canal n’a été aussi prêt de voir le jour qu’en 1909, année de la publication à Ottawa d’un rapport commandé par le ministère des Travaux publics. Outre une estimation des coûts, le volume contenait des cartes détaillées du tracé du canal, des écluses et des barrages à construire.

Une élection fédérale au mauvais moment, une attention qui se tourna vers le potentiel hydroélectrique de la Niagara et du St-Laurent, la Grande Guerre, la concurrence des chemins de fer et de Toronto, etc. Bien sûr, nous sommes au Canada, les querelles de juridiction entre le fédéral et les provinces concernées ont aussi joué. Le projet est abandonné en 1927 lorsque le Parlement refuse de renouveler la charte de la Montreal, Ottawa and Georgian Bay Canal Company. C'est finalement le long chemin, celui du St-Laurent et de sa Voie Maritime qui sera réalisé, en collaboration avec les Américains, dans les années 1950.


SI…

Mais que serait-il arrivé SI le canal avait été construit selon les plans du rapport de 1909 ? Je me concentre ici sur la section de l’Outaouais en amont des chutes des Chaudières à Hull. (Voir les figures et leurs légendes.)

Le niveau de la rivière aurait été uniformisé par la construction de deux barrages, l’un au lac des Chats, en amont, l’autre aux chutes des Chaudières, à Hull, en aval. Le barrage de Hull se serait appuyé sur le chapelet d'îles entre la baie Squaw (Québec) et Lazy Bay (Ontario). Cette disposition préservait les dispositifs immédiatement en aval, le Pont-Noir, ou pont Prince-de-Galles, sur l'île Lemieux, et le barrage hydroélectrique des Chaudières (1908-1910 ; Musée canadien de l'Histoire). Le canal touchait la rivière en amont du barrage, contournant ainsi la dénivellation des chutes des Chaudières.  

Un immense lac artificiel, serpentant sur près de 55 km, paradis des navigateurs, aurait été ainsi créé entre les barrages. Le niveau des eaux aurait été maintenu entre 195 et 190 pieds (59,4 m et 58 m). Outre que le canal aurait traversé l’Île-de-Hull et coupé le ruisseau de la Brasserie en deux endroits (voir billet précédent), la conséquence la plus évidente sur la physionomie des lieux aurait été un élargissement de la rivière et ce, d’autant plus qu’on se trouvait dans la partie basse de son cours. Une bonne partie de Val-Tétreau (Tétreauville) et des plaines LeBreton (Mechanicsville) se serait retrouvée sous les eaux. Le lac Constance, en Ontario, serait pratiquement devenu une baie ou un fjord de la rivière. Des sections de chemins de fer à Hull, Aylmer et Ottawa auraient dû être transportées sur des terres plus élevées, ce qui aurait entraîné d’autres perturbations parmi la population.

Finis les rapides Deschênes, Remic et de la Petite Chaudière. À la place, nous aurions eu un lac plat, un long fleuve tranquille qui aurait englouti ses îles. Adieu plages du parc Moussette, de Britannia, de Westboro, adieu parc Brébeuf, ses rapides anonymes et son sentier des explorateurs (LIEN et LIEN), adieu le chapelet d'îles entre la baie Squaw et Lazy Bay, adieu les stromatolites du pont Champlain (LIEN). Ç'aurait été le prix à payer pour que Hull devienne un « port de mer »... (voir billet précédent).

Votre silence, mes agneaux, m'étonne


Étrange qu'il n'est jamais question du canal dans les textes d'histoire sur la ville de Hull. (Pas seulement : je viens de feuilleter quatre volumes sur l'histoire de Montréal et du Québec : aucun ne fait allusion au projet du canal de la Baie Georgienne.) Étant donné l'impact qu'aurait eu ce projet sur la physionomie et la destinée de la Ville, on devrait en parler. Comme d'une occasion perdue ou d'une catastrophe à laquelle on a échappé, mais en parler quand même.

Surprenant silence.


Référence


  • Department of Public Works, Canada. Georgian Bay Ship Canal; report upon survey, with plans and estimates of cost, 1908. [Publié en] 1909.



Fig. 1b. - Détail modifié de 1a : Hull-Deschênes. Les lignes bleues discontinues (pointées par des flèches rouges) délimitent les zones inondées (cote 195 pieds, ou 59,4 m). Le plateau de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), à plus de 60 m d'altitude, serait demeuré au sec. Quelques autres points de repère : PB : parc Brébeuf (LIEN et LIEN) ; PC : pont Champlain ; LF : lac des Fées, signalé ici pour sa forme étrange, avec une excroissance au nord ; S : stromatolites du pont Champlain (LIEN). Les rapides Deschênes coulent entre DESCHENES et BRITANNIA ; les rapides Remic, sous le pont Champlain, et les Petites Chaudières, entre MECHANICSVILLE (plaines LeBreton) et TETRAUVILLE (Val-Tétreau).


Fig. 1 c. - Détail modifié de 1a. Les lignes bleues discontinues (pointées par des flèches rouges) délimitent les zones inondées (cote 195 pieds, ou 59,4 m). CC : chutes des Chaudières (le barrage en hémicycle des Chaudières, construit en 1908-1910, n'est pas représenté) ; PN : Pont-Noir, ou pont Prince-de-Galles ). Sans entrer dans les détails de l'aménagement, on voit que le canal (« DAM » ) donne sur la rivière derrière le barrage (sous « E » final de TETRAUVILLE), contournant ainsi l'obstacle des chutes des Chaudières.
Autres éléments : LF : lac des Fées ; PB : parc Brébeuf ; UQO : Université du Québec en Outaouais. Noter les rapides des Petites Chaudières sous TETREAUVILLE.



Fig. 2a. - Planche du Georgian Bay Ship Canal; Report Upon Survey, With Plans And Estimates Of Cost, 1909 : tronçon du canal depuis l'écluse Hull no 2 jusqu`à l'écluse du lac des Chats. L'image provient du site UConn Library MAGIC où un fichier de meilleure résolution est disponible. La ligne de rivage, en noir, est débordée par les zones inondées, en vert. Le lac Constance, au centre, est pratiquement réuni à la rivière ; le fjord de Constance ? Voir billet du 1er février 2014, « Géologie-fiction : les deux bras de l’Outaouais ».



Fig. 2b. - Détail de la fig. 2a, entre la Gatineau, Hull et les rapides Deschênes : vue simplifiée de la fig. 1b. Une bonne partie de la voie du CP, côté québécois, se retrouve en zone inondée.

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