dimanche 3 mars 2013

Chaudières : notes tardives


Carte 1. Les chutes des Chaudières, rivière des Outaouais (Leclerc ; 1982)
Version «au propre» d'une esquisse qui illustre le rapport de Leclerc et Guindon (1982) ; échelle
 et contours très libres, comme l'indique le titre original : «Approximative position of fault lines in
the Chaudiere area». J'ai pris soin de rétablir la distinction entre failles avérées et failles supposées. 
Notez que celle qui passe tout juste en amont des chutes des Chaudières devrait être en réalité 
beaucoup plus à l'ouest. Il apparaît risqué d'appareiller failles et topographie, certaines se
manifestant par des «creux» (chenaux), d'autres, par des «bosses» (îles).
Légende selon mes annotations de la carte 2 (Wilson, 1938).
FM : Faille Montcalm* ; 1. Barrage des Chaudières ; 3. «Grand Chenal»*, traversé par une 
faille supposée ; 4. Ruisseau de la Brasserie ; 6. Péninsule traversée par la FM.
* Mon appellation : voir billet du premier janvier 2013.


Préambule

Le présent billet est une sorte de compilation de notes de lecture venues trop tard et impossibles à intégrer dans mes autres billets.

N'y cherchez donc pas un exposé complet et cohérent, voyez plutôt mon billet du premier janvier 2013, qui tente d'expliquer l'origine des chutes des Chaudières sur l'Outaouais, entre Gatineau et Ottawa. En fait, il s'agit plutôt de «notes à moi-même».

Sinon, pour résumer les choses très brièvement, disons simplement que la rivière des Outaouais coule à l'endroit des chutes sur un lit formé de strates horizontales de calcaire (Ordovicien, 488-444 millions d'années). L'influence conjuguée de reliefs hérités d'avant les glaciations (ex. Colline du Parlement), de failles nombreuses et de l'érosion fluviatile explique la formation et la persistence de ces chutes.


* * *



La Commission de la capitale nationale (CCN) a commandé dans les années 1980 plusieurs études consacrées au site des Chaudières sur l'Outaouais, entre Hull (aujourd'hui Gatineau) et Ottawa, en vue du réaménagement du secteur (musées, panoramas, etc.) Ces volumineux rapports intéresseront davantage les amateurs d'archéologie industrielle. Peu de résultats concrets on suivit leur publication. J'y ai glané cependant plusieurs éléments intéressants sur la géomorphologie du site.


Les failles

Leclerc (1982) affirme que la faille Hull-Gloucester (FHG sur la carte 2), située à plus d'un km en amont des chutes, serait responsable de l'existence des petits rapides des Chaudières qui s'étendent sur plusieurs km en amont de cette faille.

Dans sa conclusion, elle soutient en outre que la présence des chutes des Chaudières s'explique par la présence ou l'action de failles :

«The faulting resulting in the Chaudière Falls has given man the opportunity to use the water power to produce energy (mechanical or hydro-electrical) (p. 6)

Commentaire. – Cette conclusion n'est ni affirmée ni même suggérée dans le corps de l'exposé de Leclerc (1982). La faille Hull-Gloucester (FHG), la faille majeure la plus proche des chutes ne figure d'ailleurs pas sur la carte des failles qui illustre son rapport (carte 1). (Notez que la faille qu'elle fait passer à l'ouest des chutes n'est pas la FHG ; comparez sa carte avec les cartes 2 et 3.)

Il ne faudrait ni exagérer ni sous-estimer le rôle des failles dans la topographie régionale. Si certaines se manifestent par des creux (chenaux), d'autres forment bosses (îles) ou ne se remarquent pas (voir la propre carte de Leclerc), l'érosion ayant arasé les disparités depuis l’époque où elles ont joué pour la dernière fois (Crétacé, 110 millions d’années). Dans le cas de la FHG par exemple, le rejet, côté SE de la faille abaissé, atteint 550 m, ce que nul ne devinerait en regardant le paysage !

De toute façon, à Gatineau comme n'importe où le long de l'Outaouais, nous sommes toujours près d'une faille, entre deux failles ou cernés par des failles quand nous ne sommes pas sur une faille. Il nous faudrait des chutes ou de rapides partout.


Carte 2. Détail annoté de la carte de Wilson (1938)
Les couleurs et les nombres de la carte originale renvoient aux différentes variétés 
de roches sédimentaires du Paléozoïque (calcaire, shales, grès) qu'il est inutile de détailler ici.
Légende (adaptée) : lignes ondulées continues : failles avérées ; discontinues : failles supposées.
FHG : Faille Hull-Gloucester ; FM : Faille Montcalm*; 1. Barrage des Chaudières ; 2. Tranchée des
Chaudières* ; 3. Faille ENE et «grand chenal»* ; 4. Ruisseau de la Brasserie ; 5. Une baie et des 
îles sur le passage de la FHG ; 6. Péninsule traversée par la FM.
* Mon appellation ; voir billet du premier janvier 2013, lien plus haut.


Leclerc retient davantage mon attention ici :

«The intense faulting produced the particular characteristics of the Chaudiere area but the continuing movement of the rock masses creates the need of controlling the shifting. Steel pins have been imbedded along the fault to inhibit movement wich could have disasterous results on the Chaudiere dam structure (p. 3)

Commentaire. – Il aurait été utile de préciser ici ce qu'il faut entendre par «fault» : le relâchement de joints horizontaux superficiels, de simples pop-ups (voir Wallach et al.) ou les grandes failles régionales, comme la FGH, qui découpent le socle en profondeur ? N'empêche, des morceaux du socle «brochés» pour qu'ils restent en place...

L'orthodontie tectonique, une nouvelle disciple ?


* * *



Ce passage emprunté à un autre rapport de la même série (Haig, 1982), aurait pu servir de légende à la carte de Leclerc (1982 ; carte 1 de ce billet) :

«This fault [faille Hull-Gloucester] extended east and south across the Ottawa River to the Rideau Falls [sic*] and the Prince of Wales Falls**. [...]

This major fault [faille Hull-Gloucester] shaped the rock bed of the Ottawa River above the Chaudière Falls into a semi-cone configuration. The base of the cone is some two miles upriver of the Chaudière Falls with the apex forming the lip of the falls. Prior to construction of the Chaudière Dam, this extraordinary funnel acted to compress and propel the river forward intil the waters were ejected forcibly over the falls to hammer violently upon deeply rooted rock below. The persistent abrasive action of this torrent of water formed the rock at the base of the falls into the shape of a bowl, or cauldron (p.3)

* Cette phrase n'a aucun sens, sauf à lire «Chaudière Falls» au lieu de «Rideau Falls».
*Prince of Wales Falls : chutes Hog's Back, où le socle, faillé et basculé, affleure.

Commentaire. – L'auteur semble amalgamer en un seul faisceau les failles qui se trouvent en amont des Chaudières pour constituer sa «major fault», la faille Hull-Gloucester, au sens strict, devenant la branche principale de plusieurs.


Recul des chutes

Selon Johnston (1917), déjà cité ici, les chutes actuelles sont à 400 m en amont de leur position originale :

«The principal fall in the Ottawa river occurs at Chaudiere falls at Ottawa where the water falls over a low escarpment of Trenton [Ordovicien] limestone. A series of narrow gorge-like channels below the falls, the largest one being occupied by the main volume of the river, shows the distance the falls have receded in post-Glacial time. The total distance is only about one-quarter mile [400 m]. The maintenance of the falls is owing to the well jointed character of the rocks which permits large masses to be separated by widening of the joints and finally to be worn away, leaving a still nearly vertical front over which the water falls. The general uniformity of hardness of the beds, however, has prevented a rapid recession of the falls (Johnston, 1917 ; p. 8-9 ; le gras est de moi)

Le «largest gorge-like channel» correspond à mon «grand chenal», no 3 sur la carte annotée de Wilson (1938 ; carte 2 ici).

Commentaire. – Les propos de Leclerc (1982) et de Johnston (1917) ne s'excluent évidemment pas, érosion et failles étant à tenir en ligne de compte. Mais expliquer la genèse des chutes en oubliant qu'elles n'occupent plus leur endroit d'origine me semble périlleux. (Dans mon billet du premier janvier, j'interprète le texte de Johnston en supposant que les Chaudières ont créé le grand chenal en reculant à partir du point 6 (carte annotée de Wilson) – lequel coïncide, eh oui, avec une faille, la faille Montcalm (FM).)


Carte 3. Williams et al. (1984)
Aperçu des nombreuses failles qui découpent le socle de la région d'Ottawa. Cette carte étant un
document de la Commission géologique de l'Ontario, les failles (lignes ondulées) semblent épargner le
Québec ; j'y ai prolongé en rouge celles qui sont mentionnées dans le texte. Les nombres de la carte
originale renvoient aux différentes variétés de roches sédimentaires du Paléozoïque (calcaire, shales,
grès) qu'il est inutile de détailler ici. L'omniprésence des failles prévient contre la tentation facile de
coupler les chutes des Chaudières à une faille en particulier.
Légende selon les annotations de la carte 2.
FHG : faille Hull-Gloucester ; FM : faille Montcalm* ;
1. Barrage des Chaudières (son croissant est souligné en rouge) ;  
3. «Grand Chenal»* ; 4. Ruisseau de la Brasserie ; 6. Péninsule traversée par la FM.
* Mon appellation ; voir billet du premier janvier 2013, lien plus haut.


Contours des îles et des rives

«The island contours have changed through the years and the island area has increased due to the lowering of the water level with the dam and to the building of cribbed wharves.

Also many small islands have disappeared. Some were submerged when the water rose up-river from the dam when the latter was built, and at least one was destroyed so as to to better the flow of water (Coffin Island).

«The widening and deepening of water channels, and the widening and subsequent filling of the Wright slide have also transformed the original land configuration (Leclerc, 1982 ; p.4-5)

Commentaire. – Les îles (ou l'île, dépendant du niveau de l'eau) Russell, en amont du barrage, disparues depuis au moins 1925 1938, ainsi que mon «pot-de-fleurs», font sans doute partie des îles noyées et détruites.


Conclusion

Il est difficile de conclure en l'absence de tout exposé. Je n'aurais pas publié ces «notes à moi-même» sans l'utilité que je trouve à les réunir en un seul endroit.


Références

  • Robert Haig, «Les portages de la Chaudière», in : Ken Desson & Associates, The Industrial History of the Chaudiere: A Collection of Manuscripts & Bibliographical Notes. Ottawa, National Capital Commission, Prepared for Interpretation and Heritage Directorate, National Capital Commission, 1982.
  • W.A. Johnston, Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 pages, 1917, avec carte 1662 (1/63 360).
  • Louise Leclerc, «Geology of the Chaudiere», in : Louise Leclerc et Jocelyn Guindon, Chaudière Historical Documentation: "First Round" Papers. Ottawa, National Capital Commission, Prepared for Interpretation and Heritage Directorate, National Capital Commission, 1982.
  • Joe Wallach, K. Benn et R. Rimando, «Recent, tectonically induced, surficial stress-relief structures ine the Ottawa-Hull area, Canada.» Revue canadienne des sciences de la Terre, vol. 32, 1995, p. 325-333.
  • Williams, D.A., Rae, A.M., and Wolf, R.R. Paleozoic Geology of the Ottawa Area, Southern Ontario. Ontario Geological Survey, Map P.2716, Geological Series-Preliminary Map, scale 1:50 000, 1982.
  • Wilson, A E, Ottawa Sheet, East Half, Carleton and Hull Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, carte 413A, 1938, 1 feuille (1/,63 360) 

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