Voir suite, billet du 1er janv. 2016.
1. De très sinueux monts Watshish ondulent en Abitibi. (Frères maristes, 1926). La chaîne déborde même en Ontario - ou, de l'Ontario, déborde au Québec, selon le point du vue que l'on préfère. Photo à main levée, pardonnez les distorsions.
Pendant longtemps, je me suis demandé ce qu'étaient ces monts Watshish qui serpentaient autrefois sur les cartes du Québec au nord des Laurentides. On les chercherait en vain sur les cartes modernes, on ne les trouvera pas davantage sur le terrain. Les monts Watshish n'existent plus ; ont-ils jamais existé, du moins, tels qu'on les a représentés ?
De 1731 à 1949, on a décrit et représenté les monts Ouatchish, Watshish, Watchich, Wotchish, etc. D'abord restreints à une zone au NE du lac Mistassini, ils en sont venus à couper le Québec en deux. Depuis l'Ontario jusqu'au détroit de Belle-Isle, l'extension de cette chaîne de montagnes atteignait 2000 km à vol d'oiseau. Une broutille, que les géographes modernes ne se donnent plus la peine de reporter sur leurs cartes ! Et pour cause.
En 1949, Jacques Rousseau, premier géographe moderne à visiter les monts Watshish - au sens le plus étroit du terme, c'est à dire le massif situé à 160 km au NE du lac Mistassini -, donne sa juste place et ses justes dimensions à cette entité orographique. Les extravagants monts Watshish sont réduits à un massif en cuesta faisant face au NW et découpé par des vallées encaissées accueillant lacs et rivières. Le tout occupe une zone de
Rousseau publie l'histoire des avatars des monts Otish dans un article des Cahiers de géographie du Québec (1959 ; disponible en ligne, voir «Références»). Il explique la création de cette chaîne de montagnes imaginaire à partir d'un embryon réel – le massif – par la tendance des anciens géographes à reporter sur leurs cartes un relief pour souligner les lignes de partage des eaux. À l'examen des cartes (voir celles qui figurent dans ce billet), on constate que les interminables et sinueux monts Watshish ne sont que ça : l'expression exagérée de la ligne de partage des eaux ! Les chaînes de montagnes n'ont pas l'habitude de serpenter comme les monts Watshish de la fig. 1. Quoi qu'il en soit, les chimériques monts Watshish ont quand même eu une existence réelle (sur les cartes) de plus de deux siècles.
Mais Rousseau (1959, p. 457) ne qualifiait-il pas les monts Otish de «pivot hydrographique de la péninsule Québec-Labardor». Les monts Watshish sont morts, vive les monts Otish !
Commission de toponymie du Québec
Le site de la Commission de toponymie du Québec résume et complète l'article de Rousseau (1959) :«Les monts Otish se dressent jusqu'à une altitude de près de 1130 m au mont Yapeitso [1128 m selon la fiche de la Commission consacrée à ce mont], dans la partie est de la municipalité de Baie-James, à quelque 160 km au nord-est du lac Mistassini. De part et d'autre de la limite entre la région administrative du Saguenay–Lac-Saint-Jean et celle du Nord-du-Québec, ces monts s'étendent sur environ 50 km de longueur et 20 km de largeur et comprennent plusieurs pics, couverts de végétation alpine, que séparent des vallées, des ruisseaux et des lacs encaissés. La rivière Otish est issue de ces monts dont elle porte le nom. La première mention du toponyme remonte à 1731, année où sur sa Carte du Domaine en Canada, le père Laure indique «M. Ouatchish» et situe cette entité orographique à environ 50 km au nord-est du lac Mistassini. Plus tard, John Arrowsmith inscrit «Wotchish Mts» sur ses cartes de 1834 et de 1842, tandis que le journal d'expédition de l'aide-arpenteur Frank Bignell, daté de 1885, fait mention des «monts Otish». De façon générale, les explorateurs et les géographes du XIXe siècle arrivent difficilement à un consensus quant aux dimensions et à la localisation exactes des monts Otish. Par exemple, une carte du Canada, tracée en 1885 par John Bartholomew, les représente même comme étant une chaîne de quelque 800 km de longueur, débutant près de la source de l'Harricana et passant au sud du lac Mistassini pour disparaître à la hauteur des terres, au-dessus de la rivière Moisie. Il faudra attendre le XXe siècle pour élucider ce mystère. Lorsqu'il explore les monts en 1949, Jacques Rousseau les localise avec précision et note que le toponyme Otish, qui signifie petite montagne, résulte d'une déformation de l'appellation montagnaise Watshish. Selon le père Joseph-Étienne Guinard, Watchich est tiré du mot cri watchi, montagne et du diminutif ich, petite. En 1952, on avait attribué à ces monts le nom de Marie-Victorin, qui ne s'est pas imposé dans l'usage. L'appellation amérindienne est donc redevenue officielle.»
Coda
Les monts Watshish n'ont pas totalement disparu : à leur extrémité orientale, là où, suivant la lige de partage des eaux, ils se confondent avec les Laurentides (carte 2b), on reconnait leur tracé dans la frontière Québec - Terre-Neuve décidée par le Conseil privé de Londres en 1927 au détriment du Québec. (Voir carte 3 et Wikipedia, «Frontière entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador».)Bien sûr, si les Watshish étaient une fiction, les frontières en sont une autre, me direz-vous...
Ajout (29 déc. 2015)
«Laurentides. — Les Laurentides comprennent trois chaînes principales :1. Les monts du Labrador, qui vont de la baie d'Ungava au détroit de Belle-Ile [sic] ;
2. Les monts Watshish, qui forment la ligne de partage des eaux entre le versant de la baie d'Hudson et celui du Saint-Laurent ;
3. Les Laurentides proprement dites, qui s'étendent du Labrador aux Grands-Lacs [sic] en longeant la vallée du Saint-Laurent.
Plateau laurentien. — La région située entre ces trois chaînes de montagnes forme un immense plateau appelé plateau laurentien.»
(Frères maristes 1926, p. 40, gras dans le texte ; orthographe respectée.)
«Les Watshish ne sont guère que des collines ; elles forment la ligne de partage [des eaux] entre le bassin du Saint-Laurent et celui de la mer d'Hudson.» (Frères des écoles chrétiennes, 1926 (1930), p. 50.)
Références
- Commission de toponymie du Québec, «Monts Otish».
- Commission de toponymie du Québec, «Mont Yapeitso».
- Frères des écoles chrétiennes, 1926 (1930), Géographie : cours complémentaire. Montréal, Les Frères des écoles chrétiennes, 168 p.
- Frères maristes (1926), Atlas-Géographie de la province de Québec et du Canada avec des notions générales sur les cinq parties du monde : cours supérieur, 5ème et 6ème année, Montréal, Librairie Granger Frères Limitée, 114 pages.
- Jacques Rousseau, 1959, «Grandeur et décadence des monts Watshish», Cahiers de géographie du Québec, vol. 3, n° 6, 1959, p. 457-468. DOI: 10.7202/020196ar http://id.erudit.org/iderudit/020196ar
2a. Carte des Frères maristes (1926, détail). Les monts Watshish s'étendent de l'Abitibi jusqu'au Labrador, en prolongeant de squelettiques Laurentides vers l'est. Les Watshish coïncident avec la ligne de partage des eaux (pointillé) qui annonce (à l'est) le futur et toujours contesté tracé de la frontière Québec - Terre-Neuve. Photo à main levée, pardonnez les distorsions.
2b.Carte des Frères maristes, en entier (1926). La côte du Labrador (Terre-Neuve) apparaît en blanc («Monts du Labrador»). La carte a été dessinée avant le jugement du Conseil privé de Londres qui a décidé de la délimitation de la frontière Québec - Terre-Neuve en 1927 au dépens du premier. (Voir carte 3 et Wikipedia, «Frontière entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador».)
3. Le Québec en bleu, Terre-Neuve-et-Labrador en rouge, et la zone contestée au Labrador hachurée en rouge et bleu. La ligne de partage des eaux de la carte 2b (monts Watshish et Laurentides) se retrouve dans la partie du tracé au nord de la zone contestée.
© Sémhur / Wikimedia Commons.