mardi 9 avril 2013

La Petite Chaudière : fêlée ? (Ajouts)


Secteur des chutes des Chaudières, rivière des Outaouais, major G.A. Eliot (1825)
Bibliothèque et Archives Canada



Petit à petit, touche après touche, et surtout retouche après retouche, le portrait dans leur aspect d'origine des chutes des Chaudières sur l'Outaouais se précise. (Voir, parmi mes billets qui leur sont consacrés, celui du premier janvier 2013).

La carte du major Eliot (1825), bien connue pour avoir été reproduite dans plusieurs ouvrages et travaux sur l'histoire de la région de Hull (aujourd'hui Gatineau) et d'Ottawa, est l'une des plus anciennes à décrire le site des chutes des Chaudières. Ne cherchons pas noise à son auteur à propos de l'aspect étonnant par endroits de sa carte, d'autant que le site a subi beaucoup de bouleversements tout au long des presque deux siècles qui nous séparent de la réalisation du document. Des baies ont été comblées, des chenaux ouverts puis enterrés, des îles ont disparu, l'urbanisation et l'industrialisation ont remué terre et roches, recouvert ou détruit bien des choses. (Voir le billet du premier avril 2013.)

La carte de major Eliot a déjà été utilisée dans ce blogue (billet du 23 mars 2013).



Fêlée ?

Cette carte a ceci de particulier qu'elle montre une échancrure dans l'escarpement de la Petite Chaudière. Pendant un temps, j'ai cru que notre major était le seul à rapporter l'existence de cette entaille coupant le front de la cataracte.

(Sur les cartes qui suivent, l'échancrure est identifiée par un I rouge, en référence à la version annotée de la carte d'Austin (1882) que j'ai mise en ligne dans mon billet du premier janvier 2013 – lien donné plus haut. (Note. – Cet élément a cependant été retiré de la carte d'Austin entre la rédaction du présent billet et sa mise en ligne.))

Le réexamen d'une brochure qui dormait depuis longtemps sur les rayons d'une étagère m'a fait réaliser que je possédais depuis longtemps un second témoignage appuyant celui d'Eliot. La carte de P.H. Smith, datée de 1826, en mauvais état et dont je n'ai qu'une version imprimée en noir et blanc d'une lisibilité médiocre, rapporte aussi la présence de cette échancrure.



Carte du major Eliot (1825) : version annotée
Lettres et chiffres en rouge : voir cartes d'Austin (1882) et de Wilson (1938) dans mon billet  du 1er janvier 2013 (lien plus haut). GC. Chute de la Grande Chaudière ; PC. Chute de la Petite Chaudière ; I. Échancrure* ; J. Pot-de-fleurs ; M et 6. Péninsule de la faille Montcalm** ; 3. «Grand Chenal»**. CS et P : collines de la Cour suprême et du Parlement, Ottawa ; MC : Musée canadien descivilisations, Gatineau (approx., la carte me semble bien insuffisante à cet endroit).
* L'élément I a été supprimé de la version de la carte d'Austin présentement en ligne.
** Faille Montcalm et Grand Chenal : Lessard, 1er janv. 2013 (lien plus haut).


Carte du major Eliot (1825) : transcription des inscriptions originales
Au nord, le canton de Hull ; au sud, pratiquement désert, un site surnommé à l'époque Richmond Landing ; à partir de 1827, on parlera de Bytown et, de 1855, d'Ottawa.

Transcription (de gauche à droite, par secteur) :
HULL (rive gauche) : P[hilemon] Wright ; Wright's Town ; Forge & Mill ; Inn & store ; Church ; Gun Shed.
RIVIÈRE DES OUTAOUAIS : Ottawa River ; Chaudière Falls ; Steam Boat ; Sleigh Bay* ;
RIVE DROITE : Lot 29 – Clergy Reserve ; Road to Richmond ; Govt. Stores ; Lot 40 – Le Breton & Sherwood ; Collins ; Richmond Landing ; Sparks ; Government Purchase ; Lot C ; Lot B.
Entre les escarpements CS et P, ce texte, difficilement lisible (voir à la fin du billet) :

A Boom** would be
useful at one of these
places, to keep the 
Sleigh Bay free
from strong(?) timber.

* «Sleigh Bay» est traduit par «Baie des Radeaux» dans le document auquel conduit le lien que je donne ; l'autre terme aussi proposé, «cages», conviendrait mieux. Voir cet autre document sur les cageux. C'est à cet endroit que débouche le canal Rideau. La colline boisée à gauche (ouest) de cette baie est la Colline du Parlement.
** Boom : chaine de poutres reliées fixée ou ancrée servant à intercepter les objets flottants à la dérive.


Détail.


Carte de Smith (1826) : détail
Annotations : mêmes significations que pour la carte d'Eliot : PC. Petite Chaudière ;   
GC. Grande Chaudière* ; I. Échancrure ; J. Pot-de-fleurs. Le rivage et la jetée, au nord de l'échancrure, sont soulignés pour être plus visibles.
* Sur la version non annotée, on peu lire «Big Kettle» au lieu du «Great Kettle» habituel.




Insaisissables Chaudières

Tant que je ne disposais que de la carte d'Eliot, je ne savais pas quelle créance accorder à ce témoignage isolé alors ses contemporains et successeurs semblaient avoir ignoré l'existence de l'échancrure.

Si la carte de Smith ne permet pas de trancher quand à l'importance du phénomène (simple joint travaillé par l'érosion que les hautes eaux submergent et qui n'apparaît qu'aux périodes d'étiage ?), du moins elle confirme sa réalité.

Je serais porté à croire qu'il s'agit d'un élément de la topographie sensible à de subtiles variations du niveau des eaux. Est-ce qui expliquerait la disparition (pour autant que je sache) de cette faille dans les cartes publiées après 1826 ?

C'est l'un des aspects frustrants de mes recherches sur les chutes des Chaudières, l'impossibilité de trouver deux cartes qui en donnent un portrait semblable et (on l'espère) exact.

Le site a beaucoup changé tout au long des presque deux siècles qui nous séparent de la réalisation de ces cartes, levées à une époque où l'empreinte humaine était encore minime. Les cartes n'ont pas toujours été réalisées dans un même esprit, mais, surtout, je me demande si ce n'est pas dans la nature du site d'être un peu insaisissable...



Références

  • Carte d'Eliot, reproduction tirée de : Robert W. Passfield, Construction du canal Rideau : histoire illustrée. Parcs Canada, 1982, 184 p. ISBN 0-660-90857-3.
  • Carte de Smith, tirée de : Francine Brousseau, Historique du nouvel emplacement du Musée national de l'Homme à Hull. Musée nationaux du Canada, coll. Mercure, Histoire no 38, Ottawa, 1984.


Henry DuVernet (1823) : chute de la Petite Chaudière, avec «Forge & Mill»  de Philemon Wrigth, à Hull, Bas-Canada (Québec). Voir la carte d'Eliot pour leur emplacement.
Bibliothèque et Archives Canada, 1989-402-1


Ajout (12 avril 2013)




John Burrows (1824), Plan d'une partie du village de Hull (détail).
«Sur ce plan d'une partie du village de Hull figurent l'église, la taverne, le moulin à farine, le moulin à scie, le barrage, la forge, la boulangerie, les jardins, les bâtiments, la végétation, les chemins, la digue et la place publique (BANQ).»
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, CN301,S49,D3441.


Nous voyons ici une partie de la plus ancienne carte détaillée de la future ville de Hull (1824). À elle seule, cette carte mériterait de longs développements. Je m’en tiendrai aujourd’hui à ce qui touche l’objet de ce billet.

On se repérera facilement d’après les cartes précédentes, aidé de la jetée qui fournit un bon élément de référence. On distingue la chute de la Petite Chaudière, où l’eau se déverse dans un couloir étroit (que j’ai appelée «tranchée de la Chaudière» dans mon billet du 1er janv. 2013) entre l’escarpement de la chute proprement dite et la rive, immédiatement en aval.

Puis, enfin, l’élément qui justifie l'ajout de la carte au billet, l’entaille qui s’élance vers le NW à partir de la Petite Chaudière (face à la presqu’île, au sud). C’est le plus ancien témoignage de cette faille dont l’existence m’avait encore parue il y a peu très incertaine.

Sa nature superficielle est manifeste, si l’on en juge par le rendu du dessin. L’eau passe par-dessus sans être déviée ou dérangée.

Je remercie Louise Nathalie Boucher, de l’Université d’Ottawa, et auteure d’une thèse sur le site des Chaudières (Interculturalité et esprit du lieu : les paysages artialisés des chutes des Chaudières, Univ. d'Ottawa, 2012), de m’avoir donné la référence de cette carte. (Comme c'est la découverte de sa thèse qui a déclenché mon intérêt pour le site des Chaudières, je en peux faire moins que de la remercier de cette information !)

Le paysage de DuVernet (plus haut) a été peint à partir de la presqu’île, au sud, en regardant vers le nord, dans l'axe de la «tranchée». Là encore, de longs développements seraient tout à fait justifiés…


Ajout (10 avril 2013)


Détail, tourné à 90°, de la carte du major Eliot (1825). Ce que je parviens à lire :

A Boom would be
useful at one of these
places, to keep the 
Sleigh Bay free
from strong timber.

Ces deux îles correspondent aux nos 5 (à gauche, au sud) et 6 (à droite, au nord) dans le billet du 1er avril 2013. La 5 n'existe plus, rattachée en partie à la rive et en partie submergée – difficile d'évaluer dans quelles proportions.

Ajout (25 juin 2014)

La plus ancienne carte des Chaudières (1819), à ce que je sache, mais comment être catégorique ? À comparer avec celle de John Burrows (1824), plus haut.


Fonds John Jeremiah Bigsby, Kettle, or Chaudiere Falls, Hull, Ottawa River, vers 1819.
L'échancrure irrégulière : la Grande Chaudière ; la falaise rectiligne S-N qui y est rattachée : la Petite Chaudière. Une partie de la digue qui figure sur les cartes d'Eliot, de Burrows et de Smith est apparente à droite (au nord).  Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 3028520.
Précisions offertes par BAC :
«The image is from a grangerized volume of Bigsby's 1850 publication The Shoe and Canoe, to which Bigsby added or inserted drawings, maps, and prints as well as many annotations.This work is a diagram by Lieut.-Col. Robe, a member of the Royal Staff Corps. There are inscriptions on p. 145 of the first volume which mention a sketch made by Robe of Hull and its vicinity[.] Removed from: Publication: In Bigsby, John J., "The shoe and canoe, or, Pictures of travel in the Canadas..., London: Chapman and Hall, 1850, vol. 1, glued down to folio inserted between pp. 150-151[.]»

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