Mise en page revue le 31 mai 2020. Menues retouches au texte.
Chaudière Falls, Philemon Wright's on the Ottawa, John Elliott Woolford, 1821 ; 14,9 x 23,8 cm, aquarelle [...] ; Musée des Beaux-Arts du Canada, no 23440 (lien). Un pot-de-fleurs, couronné de végétation, subsiste, tout droit
Ce billet a une suite qui nuance certaines affirmations.
Il semble qu’il existait au début du XIXe siècle un pot-de-fleurs sur la rivière des Outaouais, en aval des chutes des Chaudières, entre les actuelles villes d’Ottawa et de Gatineau.
Pot-de-fleurs : pilier résiduel résultant du démantèlement d’une formation rocheuse par l’action érosive de l’eau et des vagues. Souvent, la végétation prend racine à leur sommet, d’où ce surnom. Les monolithes bien connus du parc national de l'Archipel-de-Mingan, au Québec, sont des sortes de pots-de-fleurs, la plupart chauves. (Voir aussi la Flowerpot Island, dans la Baie Georgienne, en Ontario.) Pour la justesse de ce terme dans ce contexte, voir aussi les commentaires à la fin du billets.
C’est en cherchant de vieilles représentations de la région de l'Outaouais dans Internet que j'ai découvert la thèse de Louise Nathalie Boucher, Interculturalité et esprit du lieu : les paysages artialisés des chutes des Chaudières (Univ. d'Ottawa, 2012), document qui m'a mené à une seconde découverte, celle de notre pot-de-fleurs local. Il apparaît sur deux aquarelles de John E. Woolford, réalisées en 1821 (Boucher, fig. 4 et 19, pages 44 et 89 ; l'une d'elles est reproduite au début de ce billet.)
Cette potiche fleurie a dû s'écrouler très tôt après l'exécution des aquarelles, puisqu'il semble n'en exister aucun autre témoignage, du moins à ma connaissance, pas même pour en rappeler l'existence. [Voir le billet du 8 juin 2014.]
Les chutes, hier...
« [...] Il y a quantité de petites îles qui ne sont que rochers âpres & difficiles [...] L'eau tombe à un endroit d'une telle impétuosité sur un rocher, qu'il s'y est encavé par succession de temps un large & profond bassin : si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent Asticou, qui veut dire chaudière [Le saut de la Chaudière]. Cette chute d'eau mène un tel bruit [...] qu'on l'entend de plus de deux lieues. Les Sauvages passant par là, font une cérémonie [...] » (Tiré des Voyages [...] de Champlain, 1613.)
« Le point le plus historique de l’Ottawa [de l’Outaouais] est sans doute la chute de la Chaudière. [...]
Le premier saut se nomme la grande Chaudière d’après la forme de l’endroit où l’eau se précipite. Juste au-dessus de celle-ci, l’eau se contracte dans une passe étroite et le courant devient très rapide. Plusieurs îles obstruent le passage et la rivière prend une apparence formidable, l’eau bondissant de rocher en rocher après avoir passé par-dessus un mur de roc qui semble fermer la rivière à cet endroit. La plus grande partie de l’eau passe et tombe d’un rocher, qui a la forme de deux tiers de cercle, dans un gouffre qui a plus de trois cents pieds [90 m] de profondeur. À l’extrémité nord se trouve comme une caverne (1) formée dans le roc du rivage et nommée petite Chaudière ou trou du diable ; l’eau y coule dans un souterrain pour sortir plus loin dans la rivière. Du côté sud s’écoule un peu d’eau par le Chenal perdu. Aujourd’hui les usines qui y sont construites de chaque côté masquent et défigurent la beauté de cette chute si vantée par les anciens voyageurs (2). » (Lucien Brault, Ottawa : capitale du Canada de son origine à nos jours. Les Éditions de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 1942, p. 32-33.)
(1) Cette intrigante caverne, signalée encore dans un autre témoignage qui suit immédiatement, n’a jamais été décrite, à ce que je sache.
(2) La rive ontarienne a été aménagée depuis la parution de ce texte, sans rendre les chutes mieux visibles.
« ‘‘À la fonte des neiges [relate Henry (3)] ou au cours des périodes de pluie, un remous, une accumulation d’écume, à un endroit particulier du gouffre, m’ont fait soupçonner l’existence, dans le fond, d’une ouverture par laquelle l’eau se fraie un passage souterrain.’’ Ce passage souterrain où l’eau s’engouffrerait pour retourner à l’Outaouais un peu plus bas, en a intrigué plus d’un. Un homme y aurait même été englouti pour en ressortir vivant et raconter son aventure (4).
Henry attribue le nom de chaudière à la poussière d’eau qui se dégage de la chute sous forme de nuage, comme la vapeur d’une bouilloire. ‘‘Son nom est motivé par le brouillard, la vapeur, qui s’en dégage,’’ dit-il. Il appelle la chute ‘‘the great kettle’’, littéralement la grosse bouilloire, le gros chaudron. C’est d’ailleurs ce que voulait dire le nom indien d’Asticou, que Champlain n’a fait que traduire quand, s’arrêtant à cet endroit, il lui a donné le nom de Chaudière.
Le chevalier de Troyes [en 1686] nous fournit une autre explication de ce toponyme. Il faudrait l’attribuer, selon lui, à la présence d’un trou en forme de chaudière qui se serait creusé avec le temps sous l’action de l’eau tombant sur les rochers(5). Citons ce passage du journal de l’expédition à la baie d’Hudson : ‘‘… portage de la Chaudière que les voyageurs ont ainsi nommé, parce qu’une partie de la rivière qui tombe parmi une confusion affreuse de rochers, se jette dans un trou d’une de ces roches faite en forme de chaudière dont l’eau s’écoule par dessus.’’ » (Guillaume Dunn, Les forts de l'Outaouais. Éditions du Jour, Montréal, 1975, p. 76-77.)
(3) Alexander Henry, Travels and Adventures in Canada and the Indian Territories between the Years 1760 and 1776, cité par Dunn.
(4) Revoici cette caverne, toujours aussi énigmatique. On sait qu’il existe des cavernes dans le lit de l’Outaouais, beaucoup plus en amont, près de l'île aux Allumettes, dont la formation remonterait à la dernière glaciation. À propos de celle des chutes des Chaudières, on en dit pas grand mot : la région est pleine de ces choses à peine décrites que déjà oubliées... [Voir le billet du 15 décembre 2012 à propos de ces cavernes.] Quant à l'anecdote de l'homme rescapé de son passage dans la caverne, sorte de Jonas après la lettre, qu'il me soit permis d'exprimer mes doutes...
(5) S'agirait-il d'une... marmite ? [Voir mon billet sur la marmite des Allumettières.]
... et aujourd'hui
Harnachées, environnées par des installations industrielles vétustes, les chutes sont peu visibles, de la rive gauche comme de la rive droite de l'Outaouais. L'hémicycle formé par le barrage en ferme la vue depuis l'amont et les côtés ; en aval, une vue platement frontale est possible entre des poutres d'acier, depuis le pont des Chaudières, lieu peu propice à l'observation. [Voir le billet du 9 décembre 2012, « Invisible nombril ».]
Les chutes des Chaudières, autrefois splendides, aujourd'hui domptées et cachées...
Un peu de géologie cassante
Une faille d’importance régionale, la faille Hull-Gloucester, coupe les calcaires ordoviciens env. 1 km en amont des chutes des Chaudières, du NW vers le SE. Tout le secteur est d'ailleurs traversé par des failles secondaires, d'orientation diverses. Aucune cependant ne semble expliquer la dénivellation des chutes des Chaudières, ni le « profond bassin » décrit par Champlain.
Carte : Wilson, A E, 1938, Ottawa Sheet, East Half, Carleton and Hull Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, Carte 413A, 1 feuille (1/,63 360) doi:10.4095/107511.
Géologie d'une partie de la ville de Hull (aujourd'hui Gatineau), au Québec, et d'Ottawa, en Ontario.
Les couleurs et les nombres renvoient aux différentes variétés de roches sédimentaires du Paléozoïque (calcaire, shales, grès) qu'il est inutile de détailler ici. Les minces lignes ondulées représentent des failles. La plus importante, la faille Hull-Gloucester, traverse le secteur du NW vers le SE à l'extrémité ouest de la carte ; elle passe entre les « Little Chaudière Falls » et les « Chaudière Falls » (en haut, à gauche) et du lac Dow (en bas, au centre). L'astérisque noir est placé au pied de la Colline du Parlement, près des écluses du Canal Rideau. Faut-il préciser que la rivière en haut est la rivière des Outaouais et que le courant s'écoule de la gauche vers la droite ?...
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© Google Map |
La carte de Wilson (1938) et une vue moderne, par satellite, du secteur des chutes des Chaudières.
GC : Grande Chaudièere, sous le barrage en hémicycle ; PC : pont des Chaudières. La construction du pont Union (nom originel) a probablement causé la perte du pot-de-fleurs. Voir le billet du 8 juin 2014.
[Ajout, 19 déc. 2012 : le rôle de ces failles est à revoir dans un contexte plus large. Affaire à suivre... En attendant, voir mon billet du 19 décembre sur l'origine des Chutes.]
On sait que l’Outaouais, dans le secteur des Chaudières, coule sur un lit « tout neuf », inauguré après que les grandes glaciations soient venues perturber le paysage. L’actuelle rivière a commencé à tracer son chemin dans l’argile de la mer de Champlain il y a 10 000 ans et s’écoule par endroits directement sur un socle rocheux dénudé, mal adapté à l’écoulement paisible des eaux. D’où de multiples rapides et les chutes des Chaudières.
Pour terminer, la terminologie...
On pourrait chicaner à propos de l'appellation pot-de-fleurs que je donne au pilier de calcaire représenté au centre de l'aquarelle de Woolford. Peut-être n'est ce qu'un trognon d'île, mais aucun lexique géomorphologie ne relève cette expression...
À ma connaissance, les aquarelles de Woolford reproduite dans Boucher (2012) sont les plus anciennes représentations des chutes des Chaudières qui existent (affirmation à vérifier) et aucune de celles qui lui sont postérieures (toujours à ma connaissance) ne montre ce pot-de-fleurs solitaire. Les quelques recherches que j'ai faites pour trouver d'autres représentations de cette formation et, ainsi, pouvoir mieux estimer l'époque de sa disparition. n'ont rien donné. Affaire à suivre... [Voir le billet du 8 juin 2014.]
AJOUT (6 décembre 2012). – Roger Latour, de Flora Urbana, s'est permis (quelle audace) de « laver » l'aquarelle de Woolford, pourtant propriété de Sa Gracieuse Majesté et entreposée dans son Musée des Beaux-Arts. Le résultat, comparé à ce qu'une octogénaire espagnole a fait à la figure du Christ, est plein de respect et d'un professionalisme indéniable !
Woolford (1821), revu par Latour (2012).
Henry DuVernet, Vue du moulin et de la taverne de Philemon Wright aux chutes des Chaudières, à Hull, sur la rivière des Outaouais, Bas-Canada, 1823. (Bibliothèque et Archives Canada, 1989-402-1) Le bâtiment au clocheton sur le toit est visible à l'arrière-plan de l'aquarelle de Woolford. [Voir, dans les Commentaires, la précision apportée par Louise N. Boucher.]
Vous chicaner? Pas question! Quel extraordinaire découverte! D'ailleurs c'est tout un vaisselier que l'on devine dans cette très intéressante aquarelle. Il semble bien que ce soit au moins deux pots de fleurs (ou tas d'assiettes) qui soient représentés, non? On dirait bien qu'un deuxième se trouve à droite du premier, moins haut, mais distingué de l'arrière-plan (sous l'édifice, lequel?) par un changement de couleur. La couleur et la texture semblent d'ailleurs rendre une formation rocheuse différente de celle de l'arrière-plan… Merci, la journée débute en bouillonnement!
RépondreSupprimerUn pot-de-fleur, littéralement, est «un pilier, une aiguille ou un pinacle de pierre détaché du littoral par l'érosion et pouvant former ou non une île». Ils sont «pour la plupart présents le long de côtes formées de falaises». D'où mon hésitation : un trognon d'île peut-il être qualifié de pot-de-fleurs ? Wikipedia (français), où j'ai pris ces passages entre guillemets, utilise d'ailleurs plutôt le mot stack. Mais je préfère pot-de-fleurs, même si c'est, peut-être également, tout comme stack, un anglicisme (je vais continuer à chercher pour m'assurer de tout ça).
Supprimerhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Stack_%28g%C3%A9ologie%29
Quant au nombre de pot-de-fleurs visibles sur l'aquarelle, je crois que c'est très subjectif. À partir de quand une île est-elle suffisamment rognée pour devenir un pot-de-fleurs ?
Les constructions à l'arrière-plan, à droite, sont la scierie et la taverne de Philemon Wright, le fondateur du premier établissement (par les Blancs) de ce qui deviendra Hull (Gatineau). je vais essayer d'en trouver une vue de l'époque.
C'est fait, j'ai placé à la fin du billet une vue du site datée de 1823 (H. DuVernet).
Supprimerde Louise N Boucher:
RépondreSupprimerPot-de-fleur est à mon avis excellent.Chez Woolford, les constructions sont celles du domaine privé de Wright. Chez DuVernet, il s'agit des bâtiments industriels (forge, moulin, entrepôt)à proximité de la Petite Chaudière (aujourd'hui cachée derrière la centrale Eddy).
Merci pour ces précisions. Un pot de fleurs, une grande chaudière, une petite chaudière... À croire que l'on revient d'une vente de garage !
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