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Perle de la nature dans son écrin industriel. — Où ça, de l'ironie ?...
Chutes des Chaudières, à Gatineau (Québec). Le niveau de l'eau est très bas et les chutes n'ont rien
de spectaculaire. À droite, le pont des Chaudières, seul endroit d'où les chutes sont visibles, et encore,
du mauvais côté de la chaussée. (Voir billet précédent.)
Chutes des Chaudières, à Gatineau (Québec). Le niveau de l'eau est très bas et les chutes n'ont rien
de spectaculaire. À droite, le pont des Chaudières, seul endroit d'où les chutes sont visibles, et encore,
du mauvais côté de la chaussée. (Voir billet précédent.)
Où mieux cacher une caverne que sous terre ? Ben, sous terre et sous l'eau, tout simplement.
Parce qu'il existe des cavernes dans l'Outaouais. Pas en Outaouais, mais bien dans l'Outaouais – la rivière, pas la région. (Ou dans ses affluents.)
Histoire d'être clair, je précise que je ne fais pas allusion ici à la bien famée (et en péril) caverne Laflèche, de toute façon loin à l'intérieur des terres, ni aux non moins fameuses cavernes de la rivière Bonnechère, affluent de l'Outaouais (Eganville, Ontario).
Commençons par les cavernes de l'île des Allumettes (lien, et lien), à l'ouest de Fort-Coulonge. [Voir également mon billet du 15 janvier 2013.]
Pensez, un treillis de couloirs creusé dans le lit calcaire de l'Outaouais, de multiples résurgences. Il y a la Three Island Cave (longueur : 6560 m) et la caverne Gervais (3910 m). Tout ça loge incognito, ou presque, sous notre nez. La documentation sur ce réseau souterrain existe, mais elle est difficile d'accès.
Notez que ces cavernes sont extrêmement dangereuses, même les plongeurs expérimentés sont invités à aller agiter leurs palmes ailleurs. Ça explique peut-être, dans ce cas, la discrétion de ceux qui savent. [Voir «Ajout», à la fin du billet.]
Autre exemple, les chutes des Chaudières à Gatineau (Hull), presque en face du Parlement d'Ottawa, dans un environnement urbanisé depuis le XIXe siècle. Plusieurs descriptions témoignent de la présence d'une caverne sous les chutes, qui absorberait une partie des eaux de la catatacte. (Voir mon billet «Pot-de-fleurs aux Chaudières».)
La meilleure description des chutes est celle de Joseph Bouchette (1832), le célèbre arpenteur. Son métier l'inclinait à la précision et à la juste mesure dans le choix des mots et dans l'expression («Ottawa» : rivière des Outaouais) :
«Above the falls the river is about 500 yards [455 m] wide, and its scenery is agreeably embellished by small grove-clad islets, rising here and there amidst the waters as they gently ripple by or rush on with more or less violence, to the vortex of the Great and Little Chaudière. The bed of the river is composed of horizontal strata of limestone, and the chute is produced by its deep and sudden subsidence, forming broken, irregular, and extraordinary chasms, one of which is called the Great, and the other, the Little Kettle or Chaudière. The former derives its name from its semicircular form and the volume of water it involves; but the latter bears no similitude to justify its appellation, the waters being precipitated into a broad, elongated, and straight fissure, extending in an oblique position north-west of the Great Kettle, and being thus strikingly contrasted with it.* Nom, à l'époque, du Musée canadien des civilisations (Musée canadien de l’histoire) ; Hull fait partie à présent de Gatineau.
The principal falls are 60 feet [18 m] high, and their width is measured by a chord of 212 feet [65 m]. They are situated near the centre of the river, and attract by their forcible indraught a considerable proportion of the waters, which, strongly compressed by the circular shape of the rock that forms the boiling recipient, descend in heavy torrents, struggling violently to escape, and rising in spay-clouds which constantly conceal the lower half of the falls, and ascend at irregular intervals in revolving columns much above the summit of the cataract.
The Little Chaudière may without much difficulty be approached from the Lower Canada shore, and the spectator, standing on a level with the top of the fall and on the brink of the yawning gap into which the floods are headlong plunged, surveys the whole length of chute and the depths of a cavern. A considerable portion of the waters of the falls necessarily escapes subterraneously after their precipitation, as much greater volume is impelled over the rock than finds a visible issue. Indeed this fact is not peculiar to the Little Chaudière, but is one of those curious characters of this part of the Ottawa of which other singular instances are observed; the waters in various places being swallowed by deep but narrow rents and fissures, leaving their natural bed almost dry, to dash on through some subterranean passage that defies the search of the explorer.» (Cité dans : Francine Brousseau, Historique du nouvel emplacement du Musée national de l'Homme à Hull*, Musée nationaux du Canada, coll. Mercure, Histoire no 38, Ottawa, 1984, p. 11 et 15 ; c'est moi qui ai engraissé des passages.) [17 févr. 2013 : j'ai rétabli quelques coquilles d'après un pdf du texte original : J. Bouchette, The British Dominions in North America [...], p. 191-192.]
Déjà que les chutes des Chaudières, qu'on a trouvé le moyen de rendre pratiquement invisibles depuis toutes les rives de l'Outaouais, sont des chutes occultées, sinon occultes (voir mon précédent billet), voici qu'on apprend qu'il y a un second secret, sous les eaux...
Bouchette affirme que l'eau, à plusieurs endroits de la rivière, disparaît, engloutie par des failles (ou diaclases), laissant le lit presque à sec. Est-ce que quelqu'un pourrait avoir l'amabilité de m'en apprendre sur ce phénomène, sans équivalent (?) aujourd'hui ? La construction de barrages a-t-elle modifié à ce point le caractère de l'Outaouais ?
Voir mon billet du 13 mars 2013 pour découvrir le témoignage de Hunter (1855) qui corrobore celui de Bouchette.
Oui, n'empêche qu'aujourd'hui, il ne reste plus rien à découvrir le long de l'Outaouais, me direz-vous.
Que penser alors du karst* du ruisseau Cardinal, à Orléans, quartier est d'Ottawa. On l'a découverte seulement en 1991.
* Karst, n.m. – «Région de formation calcaire caractérisée par la prépondérance du drainage souterrain et par le développement d'une topographie originale due à la corrosion de la roche (grottes, gouffres, résurgences, etc.).»
Toutes ces cavernes sont situées dans un calcaire datant du Paléozoïque (Ordovicien, 488-444 Ma) – ce doit être le cas aussi des «failles» de Bouchette, mais en l'absence de plus amples précisions, je ne peux rien affirmer – roche sujette aux phénomènes karstiques. (La caverne Laflèche est dans un marbre grenvillien ; un marbre étant un calcaire recristallisé, il est, comme cette roche, sujet à karstification.)
La naissance de la caverne Laflèche remonte à l'époque où les glaces occupaient encore le territoire et son développement se serait poursuivit après leur départ. Les cavernes de l'île aux Allumettes ont été creusées par les eaux sous glaciaires (Schroeder, 2004) tandis que celles de la rivière Bonnechère se seraient formées après les glaciations (Ford, 1961)
Les chutes des Chaudières à sec, ou presque (ca 1867*).
À l'arrière-plan, au nord, Hull (Gatineau).
William James Topley / Bibliothèque et Archives Canada, PA-027949.
* 1870, plutôt ? Voir la section «Les chutes à sec», plus bas.
William James Topley / Bibliothèque et Archives Canada, PA-027949.
* 1870, plutôt ? Voir la section «Les chutes à sec», plus bas.
AJOUT (16 décembre 2012). — Il suffit de mettre en ligne un bilet à moitié cuit comme celui-ci pour se rendre compte le lendemain que la documentation ne manquait pas, qu'on l'avait sous la main, mais qu'on ne l'avait tout simplement pas lue.
Gordon (2005, p. 23-29) parle (brièvement) des cavernes de l'île des Allumettes, mais sans les situer ni les nommer. Leur découverte remonterait aux années 1970.
Je résume ici son déjà court texte :
Le réseau des couloirs s'étend sur plus de 11 km et certains passages atteignent 30 m de large. La boue obstrue peu ou prou beaucoup d'entre eux et il n'est jamais assuré que le passage que l'on se dégage en progressant ne se refermera pas derrière soi. Le courant, très fort par endroit, oblige les plongeurs, comme les alpinistes, à se lier en cordée. Les conséquence d'une rupture de câble sont fâcheuses. «To break free of this tether would have meant a cold and terrifying death in the inky blackness beneath the riverbed (p. 25).»
Tout pour rassurer les plongeurs timorés...
Cinquante tonnes de billes de bois qui bloquaient un accès furent retirées durant une fin de semaine.
En fait, plusieurs cavernes auraient déjà été repérées le long de l'Outaouais ; à Buckham's Bay (Ottawa), près d'Orléans (notre karst du ruisseau Cardinal ?), de Rockland et du canton de Plantagenet. Et le gros des découvertes serait à venir !
Les pages que consacre Gordon à ces cavernes ne sont signalée ni dans la table des matières ni dans l'index de son livre. Ce qui explique en partie qu'elles sont passées inaperçues, tout comme les cavernes qu'elles évoquent plus qu'elles ne les décrivent, d'ailleurs.
Un ami se demande s'il n'existe pas une «omerta de la spéléo». Je commence à le croire. Si c'est pas volonté de tenir les curieux loin de sites dangereux et/ou fragiles, on comprend.
AJOUTS (20-21 et 23 décembre 2012). — Je sens que la crédibilité de mon blogue va en prendre un coup. J'en suis à piocher dans les histoires de pêche :
«A few hundred feet east of the Great Chaudière, a portion of the waters of the Ottawa falls into a weird and mysterious chasm in the rock, known as the ''Devil's Hole.'' One marvel connected with the place is the popular belief that it is a bottomless pit, and another is the fact that anything thrown into the hole disappears, or only appears again two miles [3,2 km] down the river, where there is an intermittent upheaval of the waters near the mouth of the Gatineau. An old resident has told the writer that he remembers boys fishing in the hole with 180 feet [55 m] of line and sinkers two pounds [4,4 kg] in weight, and catching huge channel catfish. He also stated that when the mills were being built at this point, a horse and cart fell into the hole and disappeared. The cart was thrown up at the usual outlet down the river, but the poor horse was never seen again - the theory being that the catfish were too many for him. The mills have profanely crowded over the edge of the Devil's Hole, and the subterranean outlet has probably been almost closed by the broken fragments of rock and debris thrown in from the blasting out of artificial channels. Yet any passer-by can still look down from the roadway on the Hull side of the bridge [pont des Chaudières], and see the waters foaming far below in the mysterious depths where the Indians believed an evil spirit dwelt (J.D. Edgar, 1898, p. 6-8).»
Pour le «Devil's Hole», ou trou du Diable, voir plus bas, ainsi que mon billet du 27 décembre 2012 (dernière image).
Les chutes à sec
Selon Boutet (1971), il est arrivée plusieurs fois que le niveau de la rivière soit assez bas pour que les chutes se rerouvent à sec, ou presque (photo ci-haut). Le fait se serait produit en 1870 (voir photos de W.J. Topley) et 1882.
«Depuis le début du siècle [le XXe s.], on a pu traverser à pied sec sur la crête de la chute en quatre circonstances au moins, en 1900 [sic], en 1906, en 1908 et en 1909 (Boutet, p. 51).»
L'historien Pierre-Louis Lapointe a, en quelques lignes, très bien résumé les diverses descriptions qu'on nous a laissées des chutes des Chaudières. Il parle du «passage souterrain» comme d'une évidence avérée :
«Car il s'agit bien de trois chutes d'eau; la Grande Chaudière, la Petite Chaudière et le trou du Diable, surtout, dont les eaux, emprisonnées dans un repli escarpé de la rivière, tournent sans fin, tourbillonnant et entraînant comme dans un entonnoir tout ce qui a le malheur d'être aspiré par son siphon. Un passage souterrain évacue ces eaux, qui surgissent plus loin, en aval, au fond de la rivière (Lapointe, p. 38).»
Ce court texte m'a réconforté, moi qui avait l'impression de m'être lancé dans une version inédite de la chasse au monstre du Loch Ness. Lapointe et Bouchette n'étant pas des gens à prendre des Nessies pour des lanternes, je vais persévérer avec un peu plus d'espoir dans mes recherches.
À défaut d'une longue description, un simple plan avec, si c'est pas trop exiger, des vues en coupe et en plan, suffirait à mon bonheur. Il existe bien des cartes et des reproductions (aquarelles, gravures, etc.) des chutes datant du XIXe s., mais elles ne décrivent rien ; les descriptions de l'époque, quant à elles, ne sont jamais accompagnées d'illustrations, du moins bien légendées, de sorte qu'il subsiste toujours un soupçon de flou dans ces témoignages écrits et visuels.
À suivre, donc.
(Tous ces ajouts, en plus de donner un aspect disparate à ce billet, l'ont étiré au delà du raisonnable. C'est l'inconvénient d'un blogue : multiplier les billets sur un sujet disperse les renseignements, gaver un billet déjà rédiger d'ajouts successifs oblige le lecteur à dérouler un papyrus virtuel de plusieurs mètres de long pour arriver au fin mot de l'histoire...)
Les chutes des Chaudières, par saison sèche (années 1870*). Les personnages sont
sur l'une des îles qui forment une sorte de muraille au pied des chutes : voir ces îles
à sec tandis que les chutes bouillonnent à gros bouillons n'a rien d'extraordinaire.
William James Topley / Bibliothèque et Archives Canada, PA-012523.
* Ou plutôt 1870 exactement ? Voir texte plus haut.
sur l'une des îles qui forment une sorte de muraille au pied des chutes : voir ces îles
à sec tandis que les chutes bouillonnent à gros bouillons n'a rien d'extraordinaire.
William James Topley / Bibliothèque et Archives Canada, PA-012523.
RÉFÉRENCES
- Edgar Boutet, Le bon vieux temps à Hull : Tome I. Éditions Gauvin (édité par la Société historique de l'Ouest du Québec), Hull, 1971, 170 p.
- J.D. Edgar, The Story of... Canada & its Capital. Morang & Co. Limited, Toronto, 1898, 217 p.
- Michael Gordon, Rock watching: Adventures above & below Ontario. The Boston Mills Press, 2005, 192 pages, ISBN 9781550464498
- Derek C. Ford, «The Bonnechere Caves, Renfrew County, Ontario: A Note». Canadian Geographer, vol. 3, 1961, p. 22-25.
- Pierre-Louis Lapointe, L'île de Hull : une promenade dans le temps. Coll. «100 ans noir sur blanc», Les Éditions GID, 2004, 206 p.
- Jacques Schroeder, «Les cavernes : un patrimoine gravé par le temps», in : G. Prichonnet et M.A. Bouchard, Actes du premier colloque du Patrimoine géologique du Québec, Montréal, 8-9 septembre 2000, 2004, MB 2004-05, MRNFQ.
- Schroeder Jacques et Desmarais Luc, «Morphologie et sédiments de la plus grande grotte du Bouclier canadien : la Caverne Laflèche, Québec», Ann. Soc. Geol. Belg., vol. 111 (1988), fascicule 1 (Sédimentologie karstique) : 173-182.
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