jeudi 17 décembre 2020

Hors sujet : bavardages sur la Babine



Le pont de la Babine, mars 2015, promenade du Lac-des-Fées, à Hull (Gatineau), sur une section déviée du ruisseau du Lac-des-Fées.

Voir billets du 26 oct. et du 21 déc. 2020 et du 27 févr. 2022.


En octobre dernier, j'ai consacré un billet à l’ancien escalier de « la Babine » de la promenade du Lac-des-Fées, installés autrefois au nord de la rue Boucherville sous la croix lumineuse de Val-Tétreau, sur le rebord de l'escarpement que longe la promenade du Lac-des-Fées, à Hull (LIEN). Ou encore, pour vous aider à mieux le situer, en face de l'actuel pavillon Lucien-Brault de l'UQO (à l'origine école Saint-Jean-Baptiste). Cet escalier en bois, peint en rouge sombre, aujourd’hui démoli, pouvait s'emprunter dans les années 1960-1970 (et années 1950 ?). Un petit pont enjambait - et enjambe toujours - le ruisseau du Lac-des-Fées au pied de l'escarpement. L’escalier n’existe plus, le petit pont demeure, isolé et sans utilité, plus ou moins bien entretenu par la Commission de la capitale nationale (CCN), propriétaire de la promenade et de l’escarpement.

J'ai essayé de reconstituer l'histoire de la Babine, sans parvenir à rien d'autre qu'à rassembler un bouquet d'approximations enrichi d'une floraison d’hypothèses. La CCN, que j’ai consultée, n’a pu me fournir aucun renseignement utile. J’ai donc mené mes recherches entièrement par mes propres moyens. 

AJOUT. - Le billet du 21 déc. 2020 établit que le pont de la Babine date du printemps 1965 (et sans doute l'escalier aussi). 
AJOUT (mars 2022). - La promenade du Lac-des-Fées a été inaugurée en juin 1955 (Claude Devault et Raymonde Devault, « C'était avant, dans le secteur Laramée... », Hier encore, no 13, 2021, p. 6-10) ; voir la Chronologie à la fin du texte.

Nous avons affaire à une Babine peu bavarde, décidément !

Heureusement, des lecteurs du billet n’ont pas manqué de me communiquer des témoignages qui m’ont permis de palier en partie aux lacunes de la Commission. J’ai notamment appris que la Babine était plus étendue que je ne le croyais et on m'a donné l'explication de ce nom inusité. Je me demande si ce toponyme informel est encore en usage dans le quartier. (Voir les Commentaires à la suite du billet original.)

Je présente ici le résumé de leurs témoignages. Le but de tout ce remue-ménage est de répondre à la triple question : quand ?, par qui ? et pourquoi ? le pont et l’escalier ont-ils été construits ?

Sauts en ski sur l’escarpement

(Consulter la photo de 1927 et la carte plus bas pour une meilleure compréhension de tout ce qui suit.)

Dans un commentaire à mon billet d’octobre, un lecteur anonyme relate que son père, né en 1926, racontait que des compétitions de sauts à ski se tenaient autrefois à la Babine, sur le flanc de l'escarpement, à partir de la rue Boucherville. Mon commentateur se demande si l'escalier n'aurait pas servi aux sauteurs à ski pour remonter l'escarpement.

Gilles Lacasse, né dans les années 1940 « sous l’escarpement » (quartier Saint-Jean-Bosco), confirme la présence d'une pente de ski à la Babine durant son enfance, mais au sud du futur escalier (lequel n’existait pas encore, non plus que le pont), près de l’intersection de la rue Boucherville avec le boulevard Taché, à l’endroit où l'escarpement s'abaisse et où la pente est moins prononcée. Il s’agissait, selon Gilles, d’activités libres, sans encadrement, et il ne se souvient pas d'y avoir vu de compétitions. Mais peut-être n’avaient-elles plus lieu durant son enfance. Gilles m’a raconté encore que lui et ses amis avaient l’habitude de traverser le ruisseau en sautant de pierre en pierre. Ils escaladaient l'escarpement sous les arbres en passant à droite du futur escalier, par un sentier qui montait obliquement pour se confondre à un chemin qui prolongeait la rue Boucherville dans le bois et à travers champs, vers la future promenade de la Gatineau. Ce chemin, dans le prolongement de la rue Boucherville, que j’empruntais souvent quand j’étais jeune, subsiste encore.

À la réflexion, il m’apparaît qu’installer une pente de ski à l’endroit du futur escalier aurait présenté un double inconvénient. La pente était trop abrupte et les skieurs auraient vu leur élan se terminer dans le ruisseau qui coulait au pied de l'escarpement. Plus au sud, le ruisseau s'éloignait dans la plaine, vers l'est, au-delà de la rue Scott, ce qui laissait une ample marge de sécurité.

Bref, la piste de ski se trouvait au sud de l’escalier ; ensuite, cet escalier n’existait tout simplement pas – empêchement irrémédiable à son utilisation par les skieurs et les glisseurs ou par quiconque !

Je me demande si cette piste de ski n'était pas celle où nous allions glisser en 1965-1970. J'ai encore pu l'emprunter cet automne, malgré son état d’abandon et les troncs d’arbres jetés en travers pour décourager les promeneurs. Elle est située sur la rue Boucherville, à 80 m au nord du boulevard Taché et se prolonge par un sentier jusqu'à la piste cyclable derrière les maisons de la rue Scott.

La construction de la promenade, après 1952 (env. 1953-1957, voir Chronologie, plus bas), semble avoir mis fin à l’activité des skieurs (supposition personnelle). La glissade, qui ne nécessite aucune installation, apu continuer. La CCN (Commission du District fédéral (CDF) jusqu'en 1959) n’a peut-être pas vue d’un bon œil les skieurs fréquenter l'endroit. Peut-être a-t-elle préféré amener les skieurs à la station du lac des Fées, plus au nord ? (Je lance cette autre hypothèse à tout hasard, la CCN ne se souvenant apparemment pas de sa propre histoire.)

Une section du ruisseau du Lac-des-Fées a été déviée suite aux travaux de la promenade. Le petit pont a d’ailleurs été construit sur la section artificielle du ruisseau. Il n’a donc pas pu précéder les travaux de la promenade. Et comme le pont ne sert à rien sans l’escalier, ce dernier ne peut lui non plus être plus ancien que la promenade. Tout ce que je puis affirmer sur leur âge, c’est que je les ai vus pour la première fois en 1965. En 1990, l’escalier, abandonné aux vandales qui le démolissaient planche par planche depuis les années 1970, n’existait plus. Reste le petit pont qui demeure. Il conduit au pied d’un escarpement boisé difficilement praticable, à moins d'emprunter le sentier en diagonale sur lequel passaient Gilles et ses amis autrefois.

Aujourd'hui, sauf les vestiges de la piste de glissades, rien ne subsiste d'une quelconque piste de ski. L'escarpement est demeuré boisé comme je l’ai toujours connu, comme il l’était du temps du jeune Gilles Lacasse et comme il l’était déjà en 1927 (voir photo). (L'escalier et la piste de glisse ne coupaient pas vraiment la continuié du boisé.) Je me demande si les souvenirs de sauts à ski à la Babine ne se rapportent pas en réalité aux compétitions qui se se tenaient à la station du lac des Fées, deux km au nord de la Babine ? Cette hypothèse expliquerait l'absence de vestiges conséquents de la piste sur l'escarpement.

Origine du nom

Selon l'ancien conseiller municipal Yvon Grégoire qui allait y glisser en hiver (fin années 1940 et années 1950), la « côte de la Babine » (la piste de ski) reliait la rue Boucherville à la rue Scott, près du boulevard Taché. Elle avait la particularité de se terminer par une élévation qui ressemblait à une « babine » (lèvre inférieure), d'où son nom. Elle servait aussi de pente de ski. (Source : Raymond Ouimet, 2020, comm. pers.) Ça ressemble à la piste de glissade de ma jeunesse que j'ai décrite plus haut, l'élévation en forme de babine en moins, dont je n'ai, pour ma part, aucun souvenir. 

Deux Babines

Il y aurait donc eu deux Babines, distinctes dans le temps et dans l’espace : celle de la pente de ski (et de glissade), au sud de la rue Boucherville, et celle de l’escalier, au nord de la rue. Le toponyme officieux la Babine devait avoir une extension assez vague.

Et pour ce qui en est des questions quand ?, par qui ? et pourquoi ?, nous demeurons dans un vague tout aussi flou - ou l'inverse.

Chronologie

  • Années 1920?-1940, débuts années 1950. – Ski(?) et glissade sur la « côte de la Babine », au sud de la rue Boucherville, près du boul. Taché (témoignages plus haut ; voir la photo aérienne).
  • 1937. – Ouverture du sanatorium Saint-Laurent au nord de la rue Boucherville (réf. billet d’oct. 2020).
  • 25 juin 1950. – Inauguration de la croix lumineuse de Val-Tétreau à l'extrémité nord de la rue Boucherville, au parc Colombia, près du sanatorium Saint-Laurent. L’escalier et le pont n’existent pas encore, non plus la promenade du Lac-des-Fées. (Réf. billet d’oct. 2020.)
  • 1954-1955. - Construction de la promenade du Lac-des-Fées par la CDF (future CCN). La promenade est ouverte à la circulation le 17 juin 1955 (sources : Claude Devault et Raymonde Devault, « C'était avant, dans le secteur Laramée... », Hier encore, no 13, 2021, p. 6-10 ; Claude Devault, comm. pers., mars 2022. Les Devault ont obtenu ces dates de la CCN.) Déviation d'une section du ruisseau ; canalisation souterraine du ruisseau en aval de la rue Scott effective au moins en 1960 (réf. billet d’oct. 2020). Une photo datée du 4 mai 1957 montre la promenade achevée ; voir billet du 24 déc. 2020
  • 1962. – Ouverture de l'école secondaire Saint-Jean-Baptiste (aujourd’hui pavillon Lucien-Brault de l’UQO), face à l’escalier et au pont (s’ils existaient en cette année) (réf. billet d’oct. 2020).
  • AJOUT, 21 déc. 2020. - La date de construction du pont est donnée : printemps 1965. – Le pont est construit sur le tronçon artificiel du ruisseau ; une trouée dans les bois est prête à accueillir l'escalier (voir billet du 21 déc. 2020).
  • 1962-1963. - « Un trottoir d'asphalte a été construit du côté est de la promenade du lac des Fées entre l'avenue Duquesne et la rue Brodeur. » Commission de la capitale nationale, Soixante-troisième Rapport annuel - 1962-1963 - Première partie (p. 15). Le pont de la Babine a-t-il pu exister avant la piste asphaltée (piste cyclable du Sentier du Lac-des-Fées actuel) ?
  • Automne 1965. – Mon arrivée à Val-Tétreau. Mes premières visites à ce qui était « la Babine » pour nous : l'escalier sur l'escarpement, entre la croix (au sommet, rue Boucherville) et le pont (en bas, sur la promenade) (souvenirs personnels). Le pont enjambe la section déviée du ruisseau (voir carte). Une piste de glissades se trouvait plus au sud de la rue Boucherville, env. 80 m au nord du boulevard Taché. Sauf ces éléments, tout l'escarpement était boisé, comme il l’est encore aujourd’hui. Il y avait donc deux Babines : la pente de ski/glissade au sud de la rue Boucherville et l’escalier et le pont au nord de la rue.
  • 1967. – Le sanatorium Saint-Laurent devient l'hôpital Pierre-Janet (réf. billet d’oct. 2020.) En automne (?) : affaire des Petits Bonshommes Verts à la Babine (souvenirs personnels, corroborés par ceux de Gilles Lacasse).
  • Années 1970. – L’escalier est la proie de vandales qui le démolissent planche par planche. On cesse de le réparer à une date indéterminée. Je quitte le quartier et perds contact avec le pont. Mes souvenirs du site deviennent flous. (Souvenirs personnels.)
  • 1971-1988. – L'école secondaire Saint-Jean-Baptiste devient l'école secondaire de la Promenade (un temps école D'Arcy McGee, années indéterminées) (réf. billet d’oct. 2020).
  • 1989-1990. – L'école secondaire de la Promenade devient le pavillon Lucien-Brault de l'UQH ; maintenant UQO (réf. billet d’oct. 2020).
  • Vers 1990. – L’escalier n'existe plus (souvenirs personnels). Il n’en reste aujourd’hui que les piliers en béton. Le pont ne sert plus à rien.




PHOTO AÉRIENNE, 1927. - Même secteur que la carte (plus bas). Photo prise avant la construction de la promenade du Lac-des-Fées et la déviation d'une partie du ruisseau qu'elle a entraînée. Photothèque nationale de l'air (PNA), photo HA246-76 (détail), 5 mai 1927. 

E (pointillé blanc) : futur escalier en bois ; P (point blanc) : futur pont de la Babine et T : future croix lumineuse de Val-Tétreau (1950) : ces éléments n'existaient pas à l'époque.
X : piste de ski(?) et son prolongement vers la rue Châtelain (aujourd'hui rue René-Roger) ;
X' (pointillé blanc) : piste de glissade sur l'escarpement, date inconnue, en usage en 1965, etc. (aujourd'hui abandonnée et obstruée) ; 
B : rue Boucherville ; BT : boul. Taché ; C : rue Châtelain (aujourd'hui rue René-Roger) ; S : rue Scott ; St-J : boul. Saint-Joseph ; St-JB : rue Saint-Jean-Bosco.




CARTE. 
E (pointillé rouge) : ancien escalier en bois et chemin vers le pont de la Babine (P et repère) ; 
T : croix lumineuse de Val-Tétreau ;
X (pointillé rouge) : piste de ski(?) de la photo aérienne de 1927 dont aucune trace ne subsiste ;
X' (pointillé rouge) : piste pour glissade en usage en 1965 (aujourd'hui abandonnée et obstruée) ;
1 : escarpement ;
2 : ruisseau du Lac-des-Fées (cours original préservé) ;
3 (tireté bleu foncé) : ruisseau du Lac-des-Fées : cours original ;
4 : ruisseau du Lac-des-Fées : section artificielle ;
5 : entrée du ruisseau dans la canalisation souterraine.
CHPJ : centre hospitalier Pierre-Janet ;
PLdF : promenade du Lac-des-Fées (sentier du LdF en pointillé gris de chaque côté) ;
UQO : Université du Québec en Outaouais (A.-T. : pavillon Alexandre-Taché ; L.-B. : pavillon Lucien-Brault).

2 commentaires:

  1. Merci pour ta dédication à ce merveilleux recueille d'information. Je n'ai rien à ajouter comme information autre que mes histoires personelles.

    Trop jeune pour que je puisse m'en souvenir, ma mère demeurait sur la rue St-Louis (maintenant un autre nom suite aux fusions) elle empruntait "la babine" pour aller enseigner à Darcy McGee. Elle m'a conter à quelques reprise qu'une fous elle y a tombé et secrendit quand-même à son travail où elle enseigna vétu de linge toute couvert de bouette.

    Ce n'est que plusieurs années plus tard (alors que nous restions maintenant sur la rue Bégin dans Val-Tétrau ) que j'ai moi-même commencer à emprunter la babine pour me rendre à l'école secondaire La Promenade (quand je manquais l'autobus scolaire). J'y ai fait mon secondaire 1. C'était la dernière année de "la promenade". En tant qu'étudiants nous avions manifesté notre désaccord en performant une grève d'étudiants.

    J'y suis également tombé à quelques reprise. C'est pourquoi j'assumais que cette escarpement portait ce nom. L'endroit où l'on se casse "La Babine".

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    1. Encore une fois, je suis désolé d'avoir laissé un message en attente plusieurs jours avant de le publier.
      Je vous ai probablement croisés plusieurs fois à l'époque toi et ta mère, j'habitais aussi rue Saint-Louis.
      La dernière fois que j'ai visité la Babine (c'était pour la rédaction des billets sur le sujet), un jeune couple (25-30 ans) descendait l'escarpement là où il y avait autrefois l'escalier en s'accrochant aux troncs et aux branches pour tâcher de ne pas dégringoler.
      Je leur ai dis (moi, je montais) que c'était plus facile quand il y avait un escalier. Le jeune homme a eu l'air très étonné : « Il y avait un escalier avant ? » Il reste pourtant les piliers de béton qui indiquent qu'il y avait quelque chose tout le long de l'escarpement...
      La Babine est bien oubliée.

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