Résumé
Essai de géologie-fiction, ou plutôt de géopolitique-fiction : ont refait le passé glaciaire du continent nord-américain pour lui dessiner un nouveau visage. Plus exactement, un professeur à la retraite se demande si des glaciations moins sévères n'auraient pas assuré la prédominance du français en Amérique du Nord.L'auteur du blogue est sceptique.
Une partie du matériel de ce billet est tiré de celui du 25 nov. 2012.
Steven Dutch, professeur de sciences naturelles et appliquées à la retraite, s’est demandé quel aurait été le visage géopolitique de l'Amérique du Nord contemporaine si les grandes glaciations du Quaternaire* avaient été moins sévères – lire, si les glaces étaient descendues moins au sud (carte 1).
(Réf. : Steven Dutch, Natural and Applied Sciences, University of Wisconsin - Green Bay, «What If? The Ice Ages Had Been A Little Less Icy?», Geological Society of America meeting, Philadelphia, PA, October 22, 2006.)
* Quaternaire : 2,59 millions d'années – aujourd'hui.
Le tapis de sédiments accumulés par les avancées et les reculs successifs des glaces durant le Quaternaire a empêché le rétablissement du réseau hydrographique primitif dans ses conditions initiales. Par érosion, par comblement des anciennes vallées fluviales ou accumulation de débris* créant obstacle, l'aspect du continent a été remodelé. Avant le Quaternaire, un grand fleuve, le fleuve Bell (carte 2), drainait le continent du NW des États-Unis (Montana) jusqu'à la mer du Labrador, au nord du Québec. Le Saint-Laurent prenait sa source à l'ouest des Grands Lacs actuels, au Minnesota ; ceux-ci n'existaient pas encore : ils sont le résultat d'une intense érosion glaciaire sélective.
* En plus des sédiments glaciaires comme tels, il faut compter avec les sédiments lacustres ou marins (cf. mer de Champlain) post-glaciaires.
C'est une géographie complètement différente de celle qui nous est coutumière.
Avec un Saint-Laurent «originel» demeuré intact et en l’absence des Grands Lacs, l'histoire aux XVIIe et XVIIIe s. aurait été différente ; les Français, toujours selon Dutch, auraient été en mesure d'atteindre plus aisément l’intérieur du continent et de s’assurer une emprise territoriale qui aurait isolé la Nouvelle-Angleterre en la confinant à la côte de l’Atlantique.
Selon Dutch, la Nouvelle-France aurait pu, en l'absence de glaciations sévères, dominer le continent et entraver la croissance de la Nouvelle-Angleterre. Donc, pas d'États-Unis ou de Go West, young man :
«If a northern route across Ohio [by St. Lawrence] suggested by some authors were re-established after ice retreat, the headwaters of the St. Lawrence would have been in North Carolina. In this scenario, the axis of transportation west of the Appalachians would be northward. With access from Canada so much easier, this region might have remained solidly Canadian, possibly even French. The Thirteen Colonies might have remained hemmed in along the Atlantic coast. » (Dutch, 2006, lien plus haut ; le gras est de moi.)
J’ai des réserves.
La Nouvelle-France n'était pas en manque de territoire, au contraire, mais bien de population. Plus de colons aurait affermi sa position mieux qu'un bouleversement de l'hydrographie continentale. En 1759, la population de la Colonie s’élevait à 70 000 âmes, contre 1 6000 000 pour la Nouvelle-Angletrre (source).
M. Dutch semble tout simplement oublier que les Français tenaient de toute façon les Grands Lacs et la Louisiane, et que la Nouvelle-Angleterre était déjà coupée de l’arrière-pays au delà des Appalaches (Wikiki).
La théorie de M. Dutch me semble donc fragile (politiquement, du moins ; géographiquement, c'est une autre question, qui dépasse mes compétences).
Autres spéculations (partie révisée le 19 janv. 2014)
Après toutes ces spéculations, j'ai bien envie de vous soumettre à mon tour un problème de géologie-fiction. Après le départ de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, la rivière des Outaouais, au débit beaucoup plus généreux que celui du cours d'eau actuel, se divisait en deux bras à l'est de la future ville d'Ottawa*. Le bras nord a subsisté, c'est la rivière actuelle ; le bras sud s'est asséché - les tourbières Mer Bleue (CCN) et d'Alfred (pdf) en sont les vestiges. Si l'inverse s'était produit, si la rivière avait préféré le bras sud, la Colline du Parlement serait peut-être aujourd'hui à Gatineau, au Québec.* Notons que les territoires des villes d'Ottawa et de Gatineau se trouvaient à cette époque en bonne partie submergés par l'Outaouais.
Imaginez les conséquences de cet état de fait ! (À suivre.) (Début d'une suite ici.)
Carte 1. Géologie-fiction. Carte tirée de Dutch (2006), lien plus haut.
«The map above shows how present drainage systems might be different in the counterfactual world [c.-à-d. en supposant que les glaciations aient été moins puissantes]. With no blockage of the ancestral Hudson Bay-Mississippi drainage divide at high elevations, plus less infilling of valleys by glacial deposits, it would have been far easier for the ancestral upper Missouri River to re-establish its course into Canada. The area shown in orange would be lost to the Mississippi drainage system. The area shown in green is a minimal estimate of drainage to the St. Lawrence that would not have been diverted. The Ohio River is discussed below. Magenta indicates areas around the present Great Lakes that might have remained connected to the Mississippi drainage had the Great Lakes not been excavated. This area is highly speculative but is intended to suggest that not all the drainage diversions were one-way. The Mississippi gained drainages from Pleistocene diversions, but also may have lost drainages. [...] The importance of the Great Lakes to American history can hardly be overstated. If the ice sheets had never advanced deeply into the U.S., there would be no Great Lakes, no Erie Canal, no easy water access into the interior. Chicago, Milwaukee, Detroit, Cleveland, Buffalo and Toronto would not exist in their present forms.» (Dutch, 2006 ; la partie en jaune représente le bassin du Mississipi ; le gras est de moi.)
Carte 2. Tirée de Sears (2013), reprise de Duk-Rodkin et Hughes (1994).
Réseau hydrographique de l’Amérique du Nord avant les grandes glaciations, à l'Oligocène inférieur (34 - 28 Ma).
St Lawrence : Saint-Laurent «originel» (avant les glaciations du Quaternaire). La source du fleuve se place à l’ouest des Grands Lacs (qui n’existaient pas encore), au Minnesota. L’Outaouais n’existait pas encore non plus semble-t-il. À partir de la position approximative du lac Témiscamingue actuel, au lieu de la rivière qui s'écoule vers le sud puis l'est pour joindre le Saint-Laurent, un cours d’eau drainait un bassin vers l’actuelle baie d’Hudson (HB). (L'absence de toute influence du graben d'Ottawa-Bonnèchere sur le drainage m'étonne, mais ce serait une tout autre histoire à développer...)
Earley Oligocene : Oligocène inférieur (34 - 28 Ma).
Légende originale (complément), Sears (2013). HB—Hudson Bay; HS—Hudson Strait; LCL—Lewis and Clark Line; NAMC—Northwest Atlantic Mid-Ocean Channel; RMT—Rocky Mountain Trench; S SASK—South Saskatchewan River.
Reférences:
Duk-Rodkin, A., and Hughes, O.L., 1994 – «Tertiary-Quaternary drainage of the pre-glacial MacKenzie River basin». Quaternary International, v. 22–23, p. 221–241, doi: 10.1016/1040-6182(94)90015-9.
James W. Sears, 2013 – «Late Oligocene–early Miocene Grand Canyon: A Canadian connection?» GSA Today, v. 23, no 11, doi: 10.1130/GSATG178A.1. (Article ici, pdf ou html.)
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