mercredi 1 janvier 2014

2014 : résolutions et mauvais plis


Cantley (Québec)
À gauche : détail de la carte de Béland (1955, publiée en 1977) au 1/63 360 ; à droite : même zone, détail de la carte de Hogarth (1981) au 1/10 000. 
En supposant que le ? rouge indique le point qui nous intéresse (cf. photo en fin de billet), nous ne sommes pas plus avancé dans un cas comme dans l'autre : la carte de 1955 est trop générale et celle de 1981, infiniment plus détaillée, laisse tout le secteur en blanc. On arrête pas le progrès ? Inutile de lui faire obstacle : il s'arrête de lui-même à l'est du point qui nous intéresse.
Route et chemins : à l'ouest : route 307 (peu visible) ; au nord : ch. Denis ; au sud : ch. Taché.


Résumé

L'auteur tente de vous apitoyer en détaillant ses petites misères ; le tout se termine par des vœux de bonne année et l'invitation classique à prendre de bonnes résolutions. D'un point de vue plus général, on s'interroge sur l'Univers et les conditions de son équilibre.
Localisation
Cantley (Québec), 45.522768,-75.759345
Dernier billet, même secteur
«Drôles de zébrures à Cantley», 1er déc. 2013



J'ai le pli.

Claire Bretécher, bédéiste mère de Cellulite et autre Agrippine, disait qu'elle avait «le pli» (1). Le patelin où elle voulait se rendre était toujours sur le pli de la carte routière – c'était avant les GPS et Google Map –, ce qui compliquait la manipulation de la dite carte et l'établissement de l'itinéraire. Rien en effet n'est plus difficile à manipuler (plier-replier) qu'une carte routière.

(1) Source : interview télévisée ou imprimée vue à la fin du précédent millénaire.

Avoir le pli (au sens bretéchien) : être en butte aux complications de la vie.

Je sympathise d'autant plus que je souffre des symptômes d'un mal semblable. Je ne sais comment nommer ses différentes manifestations. J'ai «le blanc» ? J'ai «le gribouillis» ?

Supposons, par exemple, que je m'intéresse de près à la géologie de tel ou tel secteur. Le site est accessible (à pied, à vélo, en voiture, sinon par autobus). Après consultation des cartes géologiques, je constate que :


  • A) Une carte à grande échelle (1/50 000 ou 1/63 360) couvre le secteur. Trop générale, elle ne m'est d'aucune utilité ou, d'une utilité très relative ;
  • B) Le secteur est couvert par une carte récente, détaillée (petite échelle, 1/10 000 ou mieux) ; parfait, sauf que la géologie n'a pas été établie au delà d'un certain ruisseau, d'une certaine rue ou d'une certaine ligne de rang : l'endroit qui m'intéresse est un blanc (géologiquement parlant) sur la carte.

Ce genre de désagrément se produit beaucoup plus souvent que les lois de la statistique ne le voudraient. Pourquoi les secteurs qui m'intéressent doivent-ils obligatoirement se situer en bordure des cartes géologiques ? L'équilibre de l'Univers dépend-il d'un certain degré de frustration (2) qu'il importe de me faire subir à tout prix ?

(2) Nouveau subtil (et à l'origine involontaire) rappel à l'œuvre de Bretécher.


Coin SE du secteur des cartes de Béland (1955, échelle 1/63 360) et Hogarth (1981, échelle 1/10 000) cadré plus haut. Pour les zones couvertes par les deux cartes, on voit l'effet du changement d'échelle.


Comment nommer ou décrire ce mal ? J'ai «le blanc» ?, «la lacune» ? ou j'ai «la bordure» ?

Autre cas enrageant et non moins fréquent ; beaucoup de cartes géologiques publiées au cour des dernières décennies sont des bleus réalisés à partir d'un tracé à la main sur un fond de cartes topographiques. L'esthétique en souffre, mais c'est au profit de la diffusion rapide des travaux. Il y a belle lurette, je dirais même grande et belle lurette, j'en avais commandée une exprès pour comprendre la nature d'un affleurement qui m'intriguait.

Je reçois la carte. Elle est irréprochable, compte tenu des réserves formulées plus haut. Partout, la carte est lisible, partout, sauf à l'endroit de l'affleurement qui m'intéresse où le gribouillis à la main se superpose à une inscription de la carte topographique. C'est indéchiffrable. Champollion lui-même aurait capitulé devant ce palimpseste de pattes de mouches.

Comment nommer ce mal autrement qu'en disant «j'ai le gribouillis» ? «J'ai le bleu» ?

Autres cas fréquemment rencontrés : quand un site m'intéresse, il a tendance à se nicher dans l'un des coins d'une carte topographique au 1/50 000. Fatalité onéreuse : pour avoir la couverture complète du secteur, il me faut 4 cartes au 1/50 000 (aujourd'hui disponible gratuitement par Internet, il est vrai). Dernièrement, nouvelles mésaventures avec les cartes nautiques de la rivière des Outaouais. Il m'aurait fallu en acheter une seconde rien que pour obtenir la couverture d'un tout petit secteur qui ne figurait pas sur la première. Par chance, la seconde carte n'est plus disponible sur le marché. Je n'ai donc rien eu à débourser...

Vraiment, quelle chanceux je suis (3)!

(3) Par contre, un exemplaire de la carte est disponible à la bibliothèque publique d'Ottawa.

Je ne parle pas de cet affleurement rare, en plein bois, tout près d'un chemin de terre, découvert par l'étude attentive d'une carte géologique détaillée (cf. la carte commandée évoquée plus haut). Le rêve à portée de main. Trente km à vélo par monts et par vaux et par vents contraires (4). Arrivé sur place, une seule maison, toute neuve, isolée à plus de 500 m de la plus proche habitation, construite sur le seul affleurement rocheux du secteur, exactement sur le site que j'entendais explorer.

(4) Curieusement, au retour, les vents étaient tout aussi contraires.

Là, ce n'est plus un mauvais coup du sort aveugle, c'est du sabotage, de la perversion pure, de la méchanceté délibérée.

Je pourrais donner l'adresse des responsables de cet acte de vandalisme géologique. Je m'abstiens, trop bon que je suis.

Après ce long billet de doléances, j'ai du mérite à trouver le cœur de vous souhaiter bonne année 2014 (je suppose que vous aurez eu la patience de lire ces lignes jusqu'ici).

Prenez de bonnes résolutions, guérissez de vos mauvais plis !


Contact entre métasédiments (vert, à gauche) et un pluton de syénite (gris clair, à droite) ; site correspondant au ? des cartes géologiques plus haut. (Montage photographique, photos juillet 2007)


Références

  • Hogarth D.D., 1981 — Partie ouest de la région de Quinnville. MÉRQ, DPV 816, 28 p., avec une carte au 1/10 000.
  • Béland R., 1977 (1955) — Région de Wakefield. MRNQ, DP 461, 91 p., avec une carte au 1/63 360.

2 commentaires:

  1. Bonne année 2014! Ça démarre en grand ici... merci pour ce billet d'anthologie.

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    1. Tadam !, premier commentaire de l'année, bravo !

      (Le texte dormait dans mes brouillons depuis plusieurs mois. Il me fallait une occasion me libérant de toute nécessité de pertinence pour le publier. Plus sérieusement, je dois maintenant aller faire la liste de mes résolutions de l'année : j'ai quelques mauvais plis à aplanir.)

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