vendredi 24 janvier 2014

Paysages pré-glaciations : annonce d'un ajout


Je n'en fini pas d'ajouter des éléments à mon billet du 25 nov. 2011 intitulé «Paysage pré-glaciations (ajouts et ajouts)».

Pour l'instant, les documents s'y entassent dans un ordre relatif. Un jour, je reverrai tout ça, et il y règnera un ordre que je ne ressentirai plus le besoin de qualifier.



Carte des chenaux pré-glaciaires de l'Outaouais. Très vieux travail (1901), jamais contredit à ma connaissance. 
Source : R. W. Ells, «Ancient Channels of the Ottawa River», The Ottawa Naturalist, vol. XV, no 1, avril 1901, p. 17-30, avec une carte. Disponible dans Internet.



Fig. 1 C. Détails de Ells (1901).
Légende
_ _ _ _ _ : ancien chenal (pré-glaciaire) de l'Outaouais ; 
_ ._ ._ ._ : ligne de partage des eaux (Height of Land) ;
Hull : aujourd'hui Gatineau.


Tiens, Ottawa était au Québec avant les glaciations...

Ajout (9 févr. 2014)

Les notes qui suivent sont destinées avant tout à mon usage. Elles n'ont rien de confidentiel.

À propos de l'Outaouais, de son allure avant et après les glaciations.

«Donc, en suivant le cours de l’actuelle rivière des Outaouais sur le dépôt argileux Champlain à partir de Portage-du-Fort (Pontiac) jusqu’à l’archipel montréalais, nous constatons qu’il se caractérise par une succession de paliers aux eaux calmes formant souvent des élargissements en forme de lacs, et de descentes en escaliers où coulent les eaux courantes ou rapides (Lajoie, 2009, p. 13).»

«Si le glacier a modifié par creusement le lit préglaciaire de l'Ottawa [de l'Outaouais], il a pu affouiller des ombilics, susciter par là des verrous rocheux, élaborer aussi des sillons parallèles au chenal principal ; ainsi s'expliquerait la présence des îles, des rapides et des lacs [...] [I]l semble acquis [que le tracé préglaciaire de la rivière] a été repéré au Sud de la ville d'Ottawa, à partir de l'extrémité aval du lac des Chênes. On nous décrit en effet à plusieurs milles de la capitale un lit préglaciaire où l'on constate ''par de forages de puits la présence d'une large vallée profondément comblée de drift'' [Goldthwait, Keele et Johnston] ; notre impression est que si on pouvait la suivre de bout en bout, on la verrait aboutir à l'Ottawa à l'amont de Masson, ce qui éliminerait le coude de Hull et les chutes des Chaudières.»(Blanchard, 1949, p. 155 et 156).»

«The main topographic features of the Laurentian Upland and the St. Lawrence Lowland were in existence before events of the Pleistocene and Recent periods modified the surface (Mackay, 1947, p. 3).»

«The major topographic features of the Ottawa Valley have been carved out by selective processes of normal erosion acting upon the harder and softer rocks of the Precambrian Shield and the Paleozoic Lowlands. By the end of Pliocene, The Ottawa-St. Lawrence Valley was probably an extensive peneplain. In the east, St. Andrews and Rigaud Mountains rose as small monadnocks above the surrounding plain. The peneplain was traversed by the ancestral Ottawa River which flowed into an ancestral St. Lawrence River near Montreal, and the pre-glacial Ottawa River followed much the same course as the modern river. It is possible that there was not a single large river comparable in size to the present Ottawa River, but a number of streams whose valleys are in part now occupied by the River.
 

In some parts of its course the Ottawa River follows pre-glacial channels, but many of the old valleys have been blocked with till and thick deposits of clays and sands. The numerous rapids along the Ottawa River indicate that it does not always follow its former channel (Mackay, 1949, p. 57).» [Mackay se réfère ici à l'article de Ells (1901) d'où est tirée la carte reproduite (détails) plus haut.]

«The features of the first order of magnitude [the Ottawa Valley] were the products of ''normal ersosion''. The 1000 foot Eardley escarpment, the undulating surface of the Paleozoic rocks, the isolated prominences of St. Andrews and Tigaud Mountains, were all in existence before glaciation (Mackay, 1949, p. 60).»





Références

  • Raoul Blanchard, «Études canadiennes (Troisième série). III. ― Les pays de l'Ottawa.» Revue de géographie alpine, 1949, vol. 37, no 2, p. 135-272. doi: 10.3406/rga.1949.5460
    http://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1949_num_37_2_5460
  • R. W. Ells, «Ancient Channels of the Ottawa River», The Ottawa Naturalist, vol. XV, no 1, avril 1901, p. 17-30, avec une carte. Disponible dans Internet
  • Paul-Gérard Lajoie, Glacio-isostasie et évolution de l'argile marine (Champlain) et des matériaux parentaux des sols sur le Bouclier laurentidien et sur les terrasses anciennes et actuelles de la rivière des Outaouais et du fleuve Saint-Laurent, 2009 (doc. auto-édité, disponible dans Internet.) 
  • J.W. Goldthwait, J. Keele and W.A. Johnston, Excursion A10. Pleistocene : Montreal, Covey Hill and Ottawa, in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa (excursions A6, A7, A8, A10, A11), Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps). 
  • W.A. Johnston, Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 pages, 1917, avec carte 1662 (1/63 360).
  • J. Ross Mackay, «Physiography of the Lower Ottawa Valley.» Revue canadienne de Géographie, 1949, vol. 3, p. 53-97. 
  • J. Ross Mackay, «The North Shore of the Ottawa River: Qyon to Montebello, Quebec.» Revue canadienne de Géographie, 1947, vol. 1, p. 3-9.

mercredi 15 janvier 2014

Géologie-fiction


Résumé

Essai de géologie-fiction, ou plutôt de géopolitique-fiction : ont refait le passé glaciaire du continent nord-américain pour lui dessiner un nouveau visage. Plus exactement, un professeur à la retraite se demande si des glaciations moins sévères n'auraient pas assuré la prédominance du français en Amérique du Nord.
L'auteur du blogue est sceptique.
Une partie du matériel de ce billet est tiré de celui du 25 nov. 2012.


Steven Dutch, professeur de sciences naturelles et appliquées à la retraite, s’est demandé quel aurait été le visage géopolitique de l'Amérique du Nord contemporaine si les grandes glaciations du Quaternaire* avaient été moins sévères – lire, si les glaces étaient descendues moins au sud (carte 1).

(Réf. : Steven Dutch, Natural and Applied Sciences, University of Wisconsin - Green Bay, «What If? The Ice Ages Had Been A Little Less Icy?», Geological Society of America meeting, Philadelphia, PA, October 22, 2006.)

* Quaternaire : 2,59 millions d'années – aujourd'hui.

Le tapis de sédiments accumulés par les avancées et les reculs successifs des glaces durant le Quaternaire a empêché le rétablissement du réseau hydrographique primitif dans ses conditions initiales. Par érosion, par comblement des anciennes vallées fluviales ou accumulation de débris* créant obstacle, l'aspect du continent a été remodelé. Avant le Quaternaire, un grand fleuve, le fleuve Bell (carte 2), drainait le continent du NW des États-Unis (Montana) jusqu'à la mer du Labrador, au nord du Québec. Le Saint-Laurent prenait sa source à l'ouest des Grands Lacs actuels, au Minnesota ; ceux-ci n'existaient pas encore : ils sont le résultat d'une intense érosion glaciaire sélective.

* En plus des sédiments glaciaires comme tels, il faut compter avec les sédiments lacustres ou marins (cf. mer de Champlain) post-glaciaires.

C'est une géographie complètement différente de celle qui nous est coutumière.

Avec un Saint-Laurent «originel» demeuré intact et en l’absence des Grands Lacs, l'histoire aux XVIIe et XVIIIe s. aurait été différente ; les Français, toujours selon Dutch, auraient été en mesure d'atteindre plus aisément l’intérieur du continent et de s’assurer une emprise territoriale qui aurait isolé la Nouvelle-Angleterre en la confinant à la côte de l’Atlantique.

Selon Dutch, la Nouvelle-France aurait pu, en l'absence de glaciations sévères, dominer le continent et entraver la croissance de la Nouvelle-Angleterre. Donc, pas d'États-Unis ou de Go West, young man :

«If a northern route across Ohio [by St. Lawrence] suggested by some authors were re-established after ice retreat, the headwaters of the St. Lawrence would have been in North Carolina. In this scenario, the axis of transportation west of the Appalachians would be northward. With access from Canada so much easier, this region might have remained solidly Canadian, possibly even French. The Thirteen Colonies might have remained hemmed in along the Atlantic coast. » (Dutch, 2006, lien plus haut ; le gras est de moi.)

J’ai des réserves.

La Nouvelle-France n'était pas en manque de territoire, au contraire, mais bien de population. Plus de colons aurait affermi sa position mieux qu'un bouleversement de l'hydrographie continentale. En 1759, la population de la Colonie s’élevait à 70 000 âmes, contre 1 6000 000 pour la Nouvelle-Angletrre (source).

M. Dutch semble tout simplement oublier que les Français tenaient de toute façon les Grands Lacs et la Louisiane, et que la Nouvelle-Angleterre était déjà coupée de l’arrière-pays au delà des Appalaches (Wikiki).

La théorie de M. Dutch me semble donc fragile (politiquement, du moins ; géographiquement, c'est une autre question, qui dépasse mes compétences).


Autres spéculations (partie révisée le 19 janv. 2014)

Après toutes ces spéculations, j'ai bien envie de vous soumettre à mon tour un problème de géologie-fiction. Après le départ de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, la rivière des Outaouais, au débit beaucoup plus généreux que celui du cours d'eau actuel, se divisait en deux bras à l'est de la future ville d'Ottawa*. Le bras nord a subsisté, c'est la rivière actuelle ; le bras sud s'est asséché - les tourbières Mer Bleue (CCN) et d'Alfred (pdf) en sont les vestiges. Si l'inverse s'était produit, si la rivière avait préféré le bras sud, la Colline du Parlement serait peut-être aujourd'hui à Gatineau, au Québec.

* Notons que les territoires des villes d'Ottawa et de Gatineau se trouvaient à cette époque en bonne partie submergés par l'Outaouais.

Imaginez les conséquences de cet état de fait ! (À suivre.) (Début d'une suite ici.)



Carte 1. Géologie-fiction. Carte tirée de Dutch (2006), lien plus haut.
«The map above shows how present drainage systems might be different in the counterfactual world [c.-à-d. en supposant que les glaciations aient été moins puissantes]. With no blockage of the ancestral Hudson Bay-Mississippi drainage divide at high elevations, plus less infilling of valleys by glacial deposits, it would have been far easier for the ancestral upper Missouri River to re-establish its course into Canada. The area shown in orange would be lost to the Mississippi drainage system. The area shown in green is a minimal estimate of drainage to the St. Lawrence that would not have been diverted. The Ohio River is discussed below. Magenta indicates areas around the present Great Lakes that might have remained connected to the Mississippi drainage had the Great Lakes not been excavated. This area is highly speculative but is intended to suggest that not all the drainage diversions were one-way. The Mississippi gained drainages from Pleistocene diversions, but also may have lost drainages. [...] The importance of the Great Lakes to American history can hardly be overstated. If the ice sheets had never advanced deeply into the U.S., there would be no Great Lakes, no Erie Canal, no easy water access into the interior. Chicago, Milwaukee, Detroit, Cleveland, Buffalo and Toronto would not exist in their present forms.» (Dutch, 2006 ; la partie en jaune représente le bassin du Mississipi ; le gras est de moi.)





Carte 2. Tirée de Sears (2013), reprise de Duk-Rodkin et Hughes (1994).
Réseau hydrographique de l’Amérique du Nord avant les grandes glaciations, à l'Oligocène inférieur (34 - 28 Ma).
St Lawrence : Saint-Laurent «originel» (avant les glaciations du Quaternaire). La source du fleuve se place à l’ouest des Grands Lacs (qui n’existaient pas encore), au Minnesota. L’Outaouais n’existait pas encore non plus semble-t-il. À partir de la position approximative du lac Témiscamingue actuel, au lieu de la rivière qui s'écoule vers le sud puis l'est pour joindre le Saint-Laurent, un cours d’eau drainait un bassin vers l’actuelle baie d’Hudson (HB). (L'absence de toute influence du graben d'Ottawa-Bonnèchere sur le drainage m'étonne, mais ce serait une tout autre histoire à développer...)
Earley Oligocene : Oligocène inférieur (34 - 28 Ma).
Légende originale (complément), Sears (2013). HB—Hudson Bay; HS—Hudson Strait; LCL—Lewis and Clark Line; NAMC—Northwest Atlantic Mid-Ocean Channel; RMT—Rocky Mountain Trench; S SASK—South Saskatchewan River.
Reférences:
Duk-Rodkin, A., and Hughes, O.L., 1994 – «Tertiary-Quaternary drainage of the pre-glacial MacKenzie River basin». Quaternary International, v. 22–23, p. 221–241, doi: 10.1016/1040-6182(94)90015-9.
James W. Sears, 2013 – «Late Oligocene–early Miocene Grand Canyon: A Canadian connection?» GSA Today, v. 23, no 11, doi: 10.1130/GSATG178A.1. (Article ici, pdf ou html.)


vendredi 10 janvier 2014

Chutes des Chaudières : «rendre à la merveille...» (bis)



Les chutes des Chaudières en 1879, à Hull (Gatineau), sur l'Outaouais. Si les chutes elles-mêmes sont bien rendues, les collines montrent un profil beaucoup trop acéré ; nos précambriennes éminences ont des silhouettes plus douces.
Source : Lamothe, Henri de (1843-1926). Cinq mois chez les Français d'Amérique : voyage au Canada et à la Rivière Rouge du nord. Hachette (Paris), 1879.


Le blogue est toujours en demi-sommeil, mais il parle en dormant. Que dis-je, il reprend pour lui-même le cri du cœur que d'autres ont poussé avant lui (et puis, l'actualité a ses exigences) :

«Free the Falls and Restore historic Chaudière Falls to their former glory.»

Cri qui avait déjà été poussé il y a 135 ans (billet du 28 déc. 2012) :

«Rendre à la merveille toute sa beauté primitive.»

Comme on le voit, dormir n'altère pas la vigilance du blogue quand il s'agit des chutes des Chaudières !

Le cri auquel je fais écho aujourd'hui provient d'un article signé Justina Reichel, publié dans l'hebdomadaire Epoch Times d'Ottawa :

«For years before his death in 2011, famed Algonquin elder and spiritual leader William Commanda advocated “freeing the falls” from dams. Now, with new development slated for the area, an Ottawa resident is renewing Commanda’s calls to release the falls from industrial use and restore them to their former glory.

“It’s a phenomenal site, a natural wonder,” says Lindsay Lambert, an Ottawa-based historian* who has been collecting pre-dam images to raise awareness of the Chaudière Falls’ original grandeur.»

À lire, donc.

* Dans la version imprimée de l'Epoch Times (10-16 janv. 2014, p. A3), Lindsay Lambert est une «Ottawa antiques restorer», ce qu'elle semble bien être.

mercredi 8 janvier 2014

Mine Forsyth ou Baldwin ? (Ajout)


AVERTISSEMENT. — Site dangereux (chutes, noyades, clôtures «sécurisant» les puits ennoyés en piètre état).



Fig. 1. Titre original : The gully in the Baldwin [sic : Forsyth ?] iron
mines, Hull [Gatineau], P.Q. Jas Notman, Canadian Illustrated News, 1872. 
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Cote : ID B 177. N° de notice : 0002723962.


La gravure de Notman (fig. 1) est reproduite dans nombre de publications sur l'histoire de l'Outaouais. Sans vouloir contredire quiconque, cette image de la mine Baldwin correspond davantage à l'allure et à l'ampleur de la mine Forsyth, la principale des trois mines de fer du comté de Hull (aujourd'hui ville de Gatineau, Québec), la troisième (et la moindre) étant la mine Lawless. Voir mon billet du juillet 2011 pour une éclairante carte et de non moins lumineux développements.

Baldwin ou Forsyth, les proportions me semblent un peu exagérées (voir fig. 2 et 3). La disposition des mineurs – pas très nombreux ni très bien outillés pour une si grande entaille (les échelles, minuscules et ridicules, sont bien amusantes) – va contre toutes les règles de la prudence ou du bon sens ; les hommes travaillent une paroi à pic les uns au dessus des autres, au risque d'envoyer des débris de roches à ceux qui sont plus bas.

Le plancher de la mine est étonnement plat et dégagé. Où sont les amoncellements de roc, résultat de l'activité des mineurs, et les tas de minerai ? Ce n'est pas cette petite charrette à un cheval et deux roues qui a suffi à les évacuer. Nulle profonde ornière dans le sol qui trahirait le va-et-vient répété de nombreux véhicules...

Non, vraiment, la valeur documentaire de cette gravure (souvent reproduite, est-ce que je me répète ?) est sujette à caution.



Fig. 2. Mine Forsyth, Gatineau, 2011. La végétation reprend ses droits dans une vallée encaissée
aux proportions plus modestes que sur la gravure de Notman. L'inclinaison des parois est la même.



Fig. 3. Autre vue d'époque, étonnamment calme, de la mine Forsyth. Un travailleur et un 
photographe suffisent à la tâche. Les dimensions de la tranchée n'ont pas vraiment changé 
depuis la prise de la photo. Alexander Henderson, mine Forsyth, Hull (Gatineau), 1865-1875.
Bibliothèque et Archives Canada/C-03522


Ajout (8 janv. 2014)

Pour Hogarth (1975), la gravure de la fig. 1 représente bien la mine Forsyth, et non la mine Baldwin. Il ne fait cependant aucun commentaire sur les proportions.
 

Hogarth attribue la gravure à un autre auteur en plus de lui donner une autre provenance : James Norman, lithographie, L'Opinion Publique, vol. 3, no 3, 18 janv. 1872, p. 30.

J'ai essayé de ramener les proportions de la gravure à quelque chose de plus raisonnable :



Fig. 4. Version «corrigée» par mes soins (et ceux de Photoshop) de la fig. 1.


Référence

  • Donald D. Hogarth, Pioneer Mines of the Gatineau Region, Quebec, Town Beavers, Publishers Reg'd, 1975, 44 p.


mercredi 1 janvier 2014

2014 : résolutions et mauvais plis


Cantley (Québec)
À gauche : détail de la carte de Béland (1955, publiée en 1977) au 1/63 360 ; à droite : même zone, détail de la carte de Hogarth (1981) au 1/10 000. 
En supposant que le ? rouge indique le point qui nous intéresse (cf. photo en fin de billet), nous ne sommes pas plus avancé dans un cas comme dans l'autre : la carte de 1955 est trop générale et celle de 1981, infiniment plus détaillée, laisse tout le secteur en blanc. On arrête pas le progrès ? Inutile de lui faire obstacle : il s'arrête de lui-même à l'est du point qui nous intéresse.
Route et chemins : à l'ouest : route 307 (peu visible) ; au nord : ch. Denis ; au sud : ch. Taché.


Résumé

L'auteur tente de vous apitoyer en détaillant ses petites misères ; le tout se termine par des vœux de bonne année et l'invitation classique à prendre de bonnes résolutions. D'un point de vue plus général, on s'interroge sur l'Univers et les conditions de son équilibre.
Localisation
Cantley (Québec), 45.522768,-75.759345
Dernier billet, même secteur
«Drôles de zébrures à Cantley», 1er déc. 2013



J'ai le pli.

Claire Bretécher, bédéiste mère de Cellulite et autre Agrippine, disait qu'elle avait «le pli» (1). Le patelin où elle voulait se rendre était toujours sur le pli de la carte routière – c'était avant les GPS et Google Map –, ce qui compliquait la manipulation de la dite carte et l'établissement de l'itinéraire. Rien en effet n'est plus difficile à manipuler (plier-replier) qu'une carte routière.

(1) Source : interview télévisée ou imprimée vue à la fin du précédent millénaire.

Avoir le pli (au sens bretéchien) : être en butte aux complications de la vie.

Je sympathise d'autant plus que je souffre des symptômes d'un mal semblable. Je ne sais comment nommer ses différentes manifestations. J'ai «le blanc» ? J'ai «le gribouillis» ?

Supposons, par exemple, que je m'intéresse de près à la géologie de tel ou tel secteur. Le site est accessible (à pied, à vélo, en voiture, sinon par autobus). Après consultation des cartes géologiques, je constate que :


  • A) Une carte à grande échelle (1/50 000 ou 1/63 360) couvre le secteur. Trop générale, elle ne m'est d'aucune utilité ou, d'une utilité très relative ;
  • B) Le secteur est couvert par une carte récente, détaillée (petite échelle, 1/10 000 ou mieux) ; parfait, sauf que la géologie n'a pas été établie au delà d'un certain ruisseau, d'une certaine rue ou d'une certaine ligne de rang : l'endroit qui m'intéresse est un blanc (géologiquement parlant) sur la carte.

Ce genre de désagrément se produit beaucoup plus souvent que les lois de la statistique ne le voudraient. Pourquoi les secteurs qui m'intéressent doivent-ils obligatoirement se situer en bordure des cartes géologiques ? L'équilibre de l'Univers dépend-il d'un certain degré de frustration (2) qu'il importe de me faire subir à tout prix ?

(2) Nouveau subtil (et à l'origine involontaire) rappel à l'œuvre de Bretécher.


Coin SE du secteur des cartes de Béland (1955, échelle 1/63 360) et Hogarth (1981, échelle 1/10 000) cadré plus haut. Pour les zones couvertes par les deux cartes, on voit l'effet du changement d'échelle.


Comment nommer ou décrire ce mal ? J'ai «le blanc» ?, «la lacune» ? ou j'ai «la bordure» ?

Autre cas enrageant et non moins fréquent ; beaucoup de cartes géologiques publiées au cour des dernières décennies sont des bleus réalisés à partir d'un tracé à la main sur un fond de cartes topographiques. L'esthétique en souffre, mais c'est au profit de la diffusion rapide des travaux. Il y a belle lurette, je dirais même grande et belle lurette, j'en avais commandée une exprès pour comprendre la nature d'un affleurement qui m'intriguait.

Je reçois la carte. Elle est irréprochable, compte tenu des réserves formulées plus haut. Partout, la carte est lisible, partout, sauf à l'endroit de l'affleurement qui m'intéresse où le gribouillis à la main se superpose à une inscription de la carte topographique. C'est indéchiffrable. Champollion lui-même aurait capitulé devant ce palimpseste de pattes de mouches.

Comment nommer ce mal autrement qu'en disant «j'ai le gribouillis» ? «J'ai le bleu» ?

Autres cas fréquemment rencontrés : quand un site m'intéresse, il a tendance à se nicher dans l'un des coins d'une carte topographique au 1/50 000. Fatalité onéreuse : pour avoir la couverture complète du secteur, il me faut 4 cartes au 1/50 000 (aujourd'hui disponible gratuitement par Internet, il est vrai). Dernièrement, nouvelles mésaventures avec les cartes nautiques de la rivière des Outaouais. Il m'aurait fallu en acheter une seconde rien que pour obtenir la couverture d'un tout petit secteur qui ne figurait pas sur la première. Par chance, la seconde carte n'est plus disponible sur le marché. Je n'ai donc rien eu à débourser...

Vraiment, quelle chanceux je suis (3)!

(3) Par contre, un exemplaire de la carte est disponible à la bibliothèque publique d'Ottawa.

Je ne parle pas de cet affleurement rare, en plein bois, tout près d'un chemin de terre, découvert par l'étude attentive d'une carte géologique détaillée (cf. la carte commandée évoquée plus haut). Le rêve à portée de main. Trente km à vélo par monts et par vaux et par vents contraires (4). Arrivé sur place, une seule maison, toute neuve, isolée à plus de 500 m de la plus proche habitation, construite sur le seul affleurement rocheux du secteur, exactement sur le site que j'entendais explorer.

(4) Curieusement, au retour, les vents étaient tout aussi contraires.

Là, ce n'est plus un mauvais coup du sort aveugle, c'est du sabotage, de la perversion pure, de la méchanceté délibérée.

Je pourrais donner l'adresse des responsables de cet acte de vandalisme géologique. Je m'abstiens, trop bon que je suis.

Après ce long billet de doléances, j'ai du mérite à trouver le cœur de vous souhaiter bonne année 2014 (je suppose que vous aurez eu la patience de lire ces lignes jusqu'ici).

Prenez de bonnes résolutions, guérissez de vos mauvais plis !


Contact entre métasédiments (vert, à gauche) et un pluton de syénite (gris clair, à droite) ; site correspondant au ? des cartes géologiques plus haut. (Montage photographique, photos juillet 2007)


Références

  • Hogarth D.D., 1981 — Partie ouest de la région de Quinnville. MÉRQ, DPV 816, 28 p., avec une carte au 1/10 000.
  • Béland R., 1977 (1955) — Région de Wakefield. MRNQ, DP 461, 91 p., avec une carte au 1/63 360.

Cro-Magnon intra muros





L'homme de Cro-Magnon, immobile et muré dans le muret du boul. Maisonneuve à Gatineau*, passe inaperçu des passants.

J'ignore depuis quand il hante les lieux, mais il n'y était pas (le mur non plus me semble) quand j'allais à l'école Sainte-Marie, juste au dessus de son crâne, il y a de ça bien de belles lurettes...

* Côté est du boulevard, au sud de la rue Papineau.



Cro-Magnon est dans nos murs.
Gatineau, boul. Maisonneuve (Québec).