samedi 6 août 2011

Erratique fixe, parc de la Gatineau (Québec) : ajout


J'ai refait la mise en page du billet, ce qui, j'espère, n'a pas causé de problème avec le contenu (18 août 2017).


Reculez un peu. Vous êtes trop près du sujet.


Il y avait plus de 10 ans que je ne l'avais pas vu. De quoi nourrir quelque inquiétude. Il semble que j'ai eu tort de me faire du souci ; ce gros roc était fidèle au poste. Faut dire que le «plus gros caillou de l'Outaouais»* est un costaud qui en impose et qui montre peu de goût pour les voyages.
Un erratique fixe, c'est bien le comble !

* Voir cet ancien billet pour la description de la chose et sa localisation précise dans le parc de la Gatineau (Québec). Disons quand même qu'il s'agit d'un bloc erratique de granite gris (granite gneissique) d'environ 20 m de circonférence et de 3 m de hauteur (valeurs estimées) ; à ce que je sache, c'est le plus gros de l'Outaouais. Il a été «déposé» à son emplacement actuel par le retrait des glaciers, il y a 12 000 ans.

Notons qu'il a dû séjourner ensuite 2 000 ans sous les eaux de la mer de Champlain avant d'émerger enfin à l'air libre. La vie «aérienne», et non plus sous-marine ou sous-glaciaire, du bloc a donc environ 10 000 ans.

(Ajout, 8 août 2011. – Le bloc est très proche de la limite atteinte par les eaux marines qui n'ont peut-être baigné que sa base. Donc, peut-être pas d’épisode marin pour notre bloc ou, en tout cas, qu'un très bref épisode.)

Le changement le plus notable survenu entre 2000 et aujourd'hui est le développement de plaques de lichens (?) ou de champignons (?) à la surface du granite. Comment une surface demeurée relativement propre durant 10 000 ans s'est-elle chargée en dix ans de spores, coulisses d'eau et autres ternissures ? (Voir «Ajout» à la fin du billet pour nuancer ces propos.)


Face ouest du bloc, 22 mai 2000.


Face ouest, 6 août 2011. Le rectangle blanc à gauche mesure 8,5 po x 11 po (22 cm x 28 cm). Même si on ne tient pas compte des différences dans les couleurs, choses très aléatoires qui dépendent du choix de l'appareil photo, les détails de la surface semblent moins nets en 2011 qu'en 2000.


Face est, 6 août 2011. Le bloc a un petit frère.

Face nord, 22 mai 2000. Inclusion plissée, riche en minéraux sombres (verts) dans le granite clair.


Face nord, 6 août 2011. On constate la croissance et le développement du lichen.

Face sud, 22 mai 2000. Failles parallèles.


Face sud, 6 août 2011. Les profondes cassures annoncent le débitage futur du bloc.


Face ouest, 6 août 2011 : traînée de minéraux sombres* dans le 
granite clair ; à la surface de l'éclat détaché du bloc, on peut 
 distinguer l'image miroir de la traînée. (Voir détail, photo suivante.)
* D'après mes vieilles notes pré-2000, il s'agit de tourmaline.  


Face ouest, 6 août 2011. Image miroir de la traînée de minéraux sombres. (Voir photo précédente.)


Face sud, 6 août 2011. Débris détachés du bloc.





(Deux photos, 6 août 2011.) Tenter d'estimer l'âge relatif des cassures d'après l'émoussé du rebord des failles. Photo du haut : plaque d'une substance blanche (champignons ?). Voir photos qui suivent.





(Deux photos, 6 août 2011.) Substance blanche (champignons ?) qui se développe à la surface du granite.


Face nord, 6 août 2011. Lichens se développant à la surface du bloc.


6 août 2011. Autre exemple d'érosion par le départ d'esquilles. La 
vieille surface altérée du granite se désagrège par éclat : en sombre, le 
granite frais. Un filon de granite rose recoupe le granite gris. Ainsi 
se débite peu à peu, cristal par cristal, ou croûte par croûte, 
ce morceau de granite.





(Deux photos, 6 août 2011.) Quand la pierre fait obstacle...


Toit du bloc, 22 mai 2000.



Toit du bloc, 6 août 2011. L'herbe prend racine...


Face ouest, 6 août 2011. Filon de granite orangé recoupant le granite gris du bloc. Notez la lentille de minéraux sombres boudinée à gauche tandis qu'à droite, une «virgule» inversée de granite frais a été mise au jour par la chute d'un éclat de la surface altérée du granite. (Voir dernière photo.)


Ajout (7 août 2011)

J'ai peut-être donné faussement l'impression d'une décrépitude subite et totale du bloc. Les plaques blanc-jaunâtre de lichen existaient déjà, côté N. Certaines se sont agrandies, une multitude de nouveaux noyaux sont apparus (voir mon billet du 7 août). Le prolongement des coulisses de pluie et l'apparition d'un voile uniforme de lichen (?) blanc, angle NW, semblent bien correspondre à des développements récents. Les taches d'une substance blanche (différente du «lichen» ; des champignons ?), surface W, n'existaient pas il y a 11 ans. Quand je les ai vues, hier, j'ai cru d'abord, à cause de leur blancheur et de l'aspect diffus de leurs contours, qu'il s'agissait de spots de peinture en spray.

Quant à l'aspect moins net, ou moins «frais», de la surface, avouons que c'est une question assez suggestive, surtout quand 11 ans séparent les dernières visites. Il me semble bien que le bloc a un aspect plus pimpant sur les anciennes photos. Que la surface se désagrège par la chute de petits éclats, rien de plus normal. D'ailleurs, le bloc est entouré de gros débris (m) qui jonchent le sol autour de lui.

N'empêche : si ce bloc a 10 000 ans de vie à l'air libre, les derniers dix ans semblent l'avoir bien marqué.

Il faut sans doute faire entrer d'autres aspects en ligne de compte. Le moindre affleurement rocheux (socle, blocs erratiques) dans les bois des environs montre une surface altérée, brunie ou noircie, quand elle n'est pas couverte de mousse ; de grands arbres prennent racine directement dans le roc, des arbustes poussent sur des blocs erratiques même pas solidaire du sol sur lequel ils reposent. La moindre surface de roche dans le parc de la Gatineau est attaquée sitôt exposée à l'air par par la végétation. Normalement, notre gros bloc aurait dû être dans un état pire que celui qui est le sien actuellement. Dévoré par les lichens, désagrégé par les racines des arbres, il ne devrait tout simplement ne plus exister, du moins, pas dans son état actuel. Quelques petites plantes ont pris racines sur son toit, comme le montre la photo plus haut (elles n'y étaient pas en l'an 2000). C'est peu, la végétation est habituellement plus opportuniste et plus rapide.

Ce bloc – dont la plus ancienne mention remonte à 1956 (voir dans les «Commentaires», ma réponse à Roger Latour) – a sans doute connu une existence où se sont succédés des épisodes très contrastés. Sans doute n'est-il pas exposé à l'air libre depuis le départ de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, sinon il n'existerait plus (pour les raisons évoquées plus haut). Je commence à suspecter des interventions humaines...

Après m'être plaint que le bloc s'était détérioré, voilà que je le regarde d'un drôle d'œil parce qu'il est trop bien conservé...

Faudrait savoir !




(Deux photos.) Voisin miniature du «gros bloc». Ce n'est pas très évident de s'y retrouver dans tout ce vert, mais plusieurs arbustes et plantes poussent directement sur le dessus de la roche (voir seconde photo). Normalement, le «gros bloc» devrait être dans un état semblable. (Photos 6 août 2011.)

4 commentaires:

  1. Tout simplement fascinant ce morceau (de blog et) de granite! Que s'est-il passé depuis 11 ans afin de favoriser les lichens maintenant? Arbres coupés autour? Ou au contraire les arbres poussant donnent plus d'ombre? Milieu plus humide?

    Quel lourd point de suspension du temps qui se désagrège. Existe-t-il un livre sur les blocs erratiques?

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  2. Pour répondre à vos questions : je ne sais pas. Le milieu n'a pas été modifié, l'affluence au parc de la Gatineau n'a pas augmentée non plus. Alors ?

    Le bloc est connu au moins depuis 1956, et sans doute depuis bien plus longtemps :

    Wilson A.E., 1956 — «A guide to the geology of the Ottawa district.» Canadian Field-Natatalist, v. 70, no. 1, 68 p.

    Il n'y a pas de livres sur les blocs erratiques. Pour en apprendre un peu sur ces migrateurs du Quaternaire, il faut se taper à peu près tout ce qui a été publié sur les glaciations.

    Cependant, un article intéressant ici :
    http://id.erudit.org/revue/gpq/2004/v58/n2-3/013138ar.pdf

    Ce qui m'intéresserait, c'est d'en apprendre d'avantage sur les processus d'altération des surfaces rocheuses, sur la météorisation par exemple. J'avais publié un post que j'ai retiré parce que la comparaison Islande-Québec me semblait risquée. Je le remets en ligne :

    http://geo-outaouais.blogspot.com/2010/12/meteorisation-exemple-islandais.html

    La morale de cette histoire, c'est que dans le combat végétal-roche, il semble que ce soit toujours le premier qui l'emporte. À la longue.

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  3. La mystérieuse « substance blanche » a une origine bien humaine. Il s’agit de poudre de magnésie (carbonate de magnésium), que les adeptes de gymnastique, d’haltérophilie et d’escalade reconnaîtront aisément. En effet, ce bloc jouit d’une certaine réputation auprès des sportifs de la région (voir https://www.thecrag.com/climbing/canada/gatineau-hills/area/554392014).

    Les grimpeurs ayant la manie de brosser toutes les surfaces rocheuses qu’ils croisent pour en améliorer l’adhérence, le degré de propreté et la présence de lichen varieront vraisemblablement en fonction du niveau d’assiduité de ces sportifs. Vous faites donc bien de soupçonner une explication d’origine anthropique!

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    1. Ce commentaire fait ma journée !
      Une origine anthropique ? L'avènement de l'Anthropocène fait sentir ses effets jusqu'à notre bloc erratique !...

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