9041. – L'Outaouais est piquetée de mines d'apatite et de mica (phlogopite) abandonnées dont les gisements se concentrent dans un type particulier de roches, les roches calco-silicatées* et les filons de calcite dont elles sont les hôtes**. La nouvelle section de l'autoroute 5 à Chelsea (Québec), inaugurée en décembre 2009, offre une coupe à travers ce genre de formations. Manque de bol pour les (anciens) mineurs et les collectionneurs (actuels) de minéraux, cette tranchée de route semble stérile... (Oct. 2008)
Vert (diverses teintes) : roche calco-silicatée ; rose : filons et masses de calcite ; rouge : granite .
Vert (diverses teintes) : roche calco-silicatée ; rose : filons et masses de calcite ; rouge : granite .
(SUITE DE LA «PARTIE 2».)
Voir «ANNEXE : quelques minéraux», à la fin du billet.
QUELQUES DATES**
De 1870 à 1890, l’Outaouais a été le centre minier le plus actif du pays. Le principal minéral exploité était l’apatite (minerai du phosphate) dont les gîtes parsèment le territoire. Les gisements, modestes et dispersés, de teneur erratique, n’ont pu soutenir longtemps la concurrence étrangère ; dès 1890, les mines d’apatite connaissent un déclin avec l’arrivée sur le marché du phosphate des vastes gisements étatsuniens. Le mica prend le rôle dominant laissé par l’apatite (1895-1965), d’autant que ces deux minéraux se rencontrent au sein des mêmes gîtes, les filons de calcite associés aux roches calco-silicatées.
Durant les années 1950, on a prospecté ces formations pour l’uranium sans découvrir, parmi les nombreux gisements relevés, aucun qui soit rentable. Le regain d'intérêt pour ce métal et la reprise de sa prospection, ces dernières années, en inquiète plus d'un. Mais ceci est un autre sujet... Enfin, signalons l'exploitation sporadique de la molybdénite.
Les gisements d'apatite, de mica et de molybdénite n’ont plus de valeur économique, mais pour les collectionneurs de cristaux, ils conservent leurs attraits.
AUTOROUTE 5 – CARTE GÉOLOGIQUE
Selon la carte de Dupuy (1989), déjà affichée dans le premier billet de cette série, la nouvelle section de l'autoroute 5 coupe à travers une colline composée en grande partie d'une variété de roche calco-silicatée (M14c ; diopsidite verte/blanche). Les X blancs indiquent la tranchée de route dont les photos sont mises en ligne dans le présent billet et le précédent. Les différentes roches calco-slicatées (M14 et M15) sont regroupées sous la même teinte de vert. (Voir légende de la carte.)
Note. – Les photos 150-151, 161 et 173 seront l'objet du prochain billet.
LES ROCHES CALCO-SILICATÉES (RCS)
Comme leur nom l'indique*, les RCS ont une composition dominée par les silicates de calcium (et de magnésium), tel le diopside.
La genèse des RCS fait encore l'objet de débats. Les hypothèses à ce sujet ne manquent pas et le cahier de charge proposé aux géologues qui prétendent trancher la question s'avère complexe. Sur le terrain, un indice, au moins, apparaît à l'évidence : l'association étroite des RCS et du marbre. Plusieurs avancent que les RCS sont des calcaires silicieux métamorphisés ; d’autres (ou les mêmes…) invoquent l'influence mutuelle et diffuse (on dit métasomatisme) de marbres dolomitiques (c.-à-d. magnésiens) et de gneiss silicieux durant le métamorphisme.
La circulation de fluides d'origine métamorphique ou magmatique – dans ce cas, provenant de l'intrusion de granite – aurait participé aux processus et les aurait prolongés, lessivant les roches ici pour précipiter le carbonate de calcium, le magnésium, le phosphate et le fluor là. Ainsi, entre autres, se seraient formé sur le tard (relativement) les veines de calcite-apatite-phlogopite qui recoupent les RCS…
Imaginez des influences diffuses entre bancs de roches ; des échanges, pas nécessairement équilibrés, par l'entremise de fluides minéralisés (peut-être du granite, si vous y tenez, pour alimenter et faire circuler des courants hydro-thermaux) ; bref, une chimie complexe à 20 km de profondeur, se déroulant en de multiples étapes, simultanées ou successives, et vous ne serez pas loin de la vérité.
Les RCS et les filons de calcite font partie des roches de la province de Grenville, âgées d'un peu plus d'un milliard d'années.
PHOTOS
Octobre 2008 ; NW à gauche, SE à droite.
Voir carte ci-haut pour localisation.
9034. – Roche calco-silicatée (sur la carte, M14c : diopsidite – d'après le minéral dominant, le diopside) partie vert pâle, partie vert foncé, envahie par de la calcite rose-orangée. Le tout est recoupé par du granite rouge sombre tardif. Des lambeaux vert foncé sont dispersés et plissés dans la partie claire de la RCS (qui comprend, selon mes notes, de la calcite grise, mais il est difficile sur ces photos d'en préciser le contours des concentrations).
9035. – Détail N de la photo 9034. Intrusion de granite rouge sombre tardif dans la RCS déjà recoupée par de la calcite orangée. Lambeaux verts de la RCS dans le granite rouge ; des filons verticaux tardifs de granite un peu plus pâle découpent le granite et les fragments de la RCS.
9035a. – Détail de la photo 9035. Les filons verticaux de granite pâle se distinguent mieux (partie gauche de la photo) ; ils coupent à travers toutes les autres roches, dont le granite rouge sombre et les fragments de la RCS que celui-ci avait précédemment engloutis.
9039. – Calcite orangée dans la RCS. Détail de la photo 9041.
9049. – Phlogopite dans la RCS, entraînée par la calcite. Les cristaux sont minuscules, pas de quoi ameuter les collectionneurs...
9030. – Vue d'ensemble, déjà publiée dans la «Partie 2» de la présente série de billets. On peut reconnaître les sections déjà montrées plus haut ; la photo 9049 a été prise immédiatement au S (à droite) de la partie représentée ici.
RÉFÉRENCES
Dupuy, H., 1989, Géologie de la région de Wakefield-Cascades. Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles, Québec, MB89-18, 1989, 14 pages, avec 1 carte (1/20 000).
Le prolongement de l'autoroute 5 : pour la sécurité! Transport Québec. [Lien mis à jour.]
ANNEXE
Quelques minéraux mentionnés dans ce billet*.
La plus grande partie du contenu de cette section est adaptée du Guide pratique d’identification des minéraux, par Jean Girault et Robert Ledoux, Publications du Québec, 1991, 114 p.
APATITE (n. f.)
Phosphate de calcium comprenant du fluor et du chlore. Les apatites de la région de Gatineau sont des fluor-apatites. Source de phosphate (engrais, industrie chimique).
CALCITE (n. f.)
Carbonate de calcium. Minéral constituant du marbre. Ciment et chaux ; métallurgie ; industrie chimique, (neutralisant) ; industrie des pâtes et papiers ; amendement des sols. Pierre concassée et de construction (marbre).
DIOPSIDE (n. m.) ; HÉDENBERGITE (n. f.) ; AUGITE (n. f.)
Silicates du groupe des pyroxènes, formant une série continue, respectivement de calcium et de magnésium, de calcium et de fer, de calcium, de fer et de magnésium. La couleur varie de blanc à vert selon la teneur en magnésium ou en fer.
DOLOMITE (n.f.)
Carbonate de calcium et de magnésium. Granules blancs, charge minérale, produits broyés pour usages industriels, verre, agriculture, etc.
MOLYBDÉNITE
Sulfure de molybdène ; minerai de cet élément. Aciers réfractaires ; industrie chimique.
PHLOGOPITE (n. f.)
Silicate ; variété de mica magnésien. Isolant thermique et électrique – peintures, panneaux de gypse, ciments, etc. – lunettes de poêles et fourneaux (autrefois).
NOTES
* Les roches calco-silicatées de la région de Gatineau ont reçu plusieurs noms au cours des décennies : diposidites, clinopyroxénites, métapyroxénites, skarns, etc. Une telle abondance onomastique est mauvais signe et cache mal la perplexité des géologues quant à leur origine...
** Un aperçu raisonnablement complet des ressources minérales de l'Outaouais et de son histoire minière est en préparation...
Agrandir le plan
Magnifique la variété minérale qui est présentée. Je rêve d'un polissage précis de la surface de la vue d'ensemble! Les descriptions sont parfaitement didactiques toutefois et je m'en contenterai. Et comme je craignais devoir consulter Google pour "apatite" ou "phlogopite" voilà que le lexique se présente! C'est complet quoi! Reste à polir la surface...
RépondreSupprimerCurieux, il m'arrive d'avoir le même fantasme, polir une falaise, une colline, pour mieux voir la géologie. Gaïa a un côté rugueux qu'il faut accepter...
RépondreSupprimerEn tout cas, merci pour ton petit mot. Je conserve pourtant l'impression d'avoir pondu mon plus mauvais billet. C'est difficile d'obtenir, à partir d'un enchevêtrement de faits interconnectés, une jolie bulle lisse, sans fil qui dépasse, et qui contient tout, du moins à ce qu'il semble... Je me suis cassé la tête à couper tout ce qui m'aurait obligé à des développements sans nombres et à faire en sorte que ces coupures ne se soupçonnent pas trop...
«Phlogopite» : je me suis toujours demandé si ce mot figurait dans le lexique des injures du capitaine Haddock... Avec «scapolite» et «sillimanite» (autres minéraux), ça sonnerait bien!...