Suite du billet du 27 juillet où le sujet de la grenouille est abordé (la réponse à la question à propos de l'identité du batracien est : grenouille des bois).
1. Bucolique vue d'un aménagement paysager aux environs de Wakefield, en Outaouais, sur un socle syénitique poli par le passage des glaciers (25 juillet 2012).
RÉSUMÉ
Le batholithe de syénite* de Wakefield, intrusion magmatique d'une quarantaine de km de long, est recoupé par des intrusions mineures subséquentes de granite mais aussi de syénite. Âge de tout ça : un milliard d'années et plus (province de Grenville).
* En termes simples, une syénite est un granite un peu lourd, sans quartz, minéral léger. Sans entrer dans les détails, le batholithe de Wakefield est composé principalement d'une syénite à hornblende et biotite.
RÉSERVE DE SYNONYMES
D'abord, entendons-nous. Il y a deux inanimés vedettes dans cette histoire, Syénite et Syénite. Pour éviter toute confusion, nous accolerons à chacun un adjectif choisi parmi plusieurs possibles :
- Nous avons la syénite de Wakefield, la roche locale ou, dans le contexte de ce billet, roche encaissante, roche hôte, syénite grise (en cassure fraîche), syénite blanche ou rosâtre (surfaces altérées) ; nous nous contenterons de l'appeler syénite pâle ;
- Puis il y a une syénite aux apparitions restreintes, de couleur rose et d'aspect tacheté, ou syénite porphyritique, confinée à de minces filons ; ce sera, puisqu'il faut choisir, la syénite (porphyritique) rose.
2. Filons d'une syénite porphyritique rose recoupant une syénite pâle. Le ciseau (18 cm) donne l'échelle pour cette photo et les autres, les filons étant tous à peu près de la même largeur, soit environ 3 cm. (25 juillet 2012.)
BANALITÉ
De nombreux filons de granite et de syénite de différentes teintes et de toute dimension, du mm aux décamètres, recoupent et découpent les roches de la région, la syénite comme les paragneiss et autres marbres.
D'un certain point de vue, il n'y a rien pour ameuter les foules dans la découverte de filons de syénite recoupant un massif de syénite. On ne vous dérangerait pas pour si peu.
Ce qui est inhabituel ici, c'est la texture porphyritique de la syénite rose qui compose la matière des filons. Elle contient des phénocristaux bien individualisés (gros «carrés» et «rectangles» rouge sombre ou grisâtres) dans une matrice rose composée de cristaux fins, difficilement discernables.
3. Détail de la photo 7 : phénocristaux sombres regroupés d'un côté du filon de syénite rose.
Le blanc, toujours dans le filon : rare quartz ? (25 juillet 2012.)
Le blanc, toujours dans le filon : rare quartz ? (25 juillet 2012.)
Une roche porphyritique, on l'a compris à ce qui précède, est une roche magmatique formée de «gros cristaux» (phénocristaux) pris dans une matrice de cristaux plus fins. Ce genre de roche a une histoire compliquée. Pour l'obtenir, il faut que le magma originel subisse un refroidissement en deux étapes :
- D'abord un refroidissement lent et régulier durant lequel de rares noyaux de cristallisation se forment. Comme ils sont peu nombreux, ils peuvent croître lentement sans se gêner mutuellement et atteindre de bonnes dimensions (phénocristaux) ;
- Puis, la douche froide. Le magma connaît un brusque refroidissement : de multiples noyaux de cristallisation apparaissent simultanément. Ils épuisent rapidement le magma résiduel et cessent de croître aussitôt nés, ou presque.
D'où une roche porphyritique, roche à deux «grains» : les premiers cristaux, rares et de bonnes dimensions, les phénocristaux, et, faisant le ciment entre ceux-ci, la matrice, plus fine.
4. Dallage de phénocristaux ; ayant grossi sans encombre dans un bain de magma, ils présentent des formes régulières qu'ils conservent lorsque la croissance des cristaux de la matrice ne les érode pas. Ici, certains paraissent avoir été «cassés et recollés» sur place. (25 juillet 2012.)
5. Le filon de syénite porphyritique rose est en relief par rapport à la roche hôte, la syénite pâle. Plusieurs phénocristaux (au centre et à droite) s'alignent selon l'axe du filon. Leur attitude est peut-être le reflet du courant de magma qui les emportait. (25 juillet 2012.)
RÉSERVOIR
Le problème est que ce genre de refroidissement en deux temps n'a pas pu se faire dans des filons si étroits. Il faut donc imaginer qu'il y a eu un réservoir de magma porphyritique encore fluide qui a alimenté ces fines intrusions. La syénite de Wakefield présentant elle-même des faciès porphyritiques*, on peut se demander si elle ne s'est pas auto-envahie, dans la mesure où une telle chose est possible, puisque cela suppose que le batholithe ait été solidifié à certains endroits tandis qu'ailleurs le magma était encore fluide et mobilisable.
* Ce faciès porphyritique est moins apparent dans la mesure où les phénocristaux sont d'une taille plus modeste et plus homogène.
Le problème est que ce genre de refroidissement en deux temps n'a pas pu se faire dans des filons si étroits. Il faut donc imaginer qu'il y a eu un réservoir de magma porphyritique encore fluide qui a alimenté ces fines intrusions. La syénite de Wakefield présentant elle-même des faciès porphyritiques*, on peut se demander si elle ne s'est pas auto-envahie, dans la mesure où une telle chose est possible, puisque cela suppose que le batholithe ait été solidifié à certains endroits tandis qu'ailleurs le magma était encore fluide et mobilisable.
* Ce faciès porphyritique est moins apparent dans la mesure où les phénocristaux sont d'une taille plus modeste et plus homogène.
Le trajet commun des filons montrent bien que la syénite pâle était solidifiée quand la syénite rose l'a envahie à la faveur de fractures parallèles (photos suivantes).
6. Deux filons subparallèles (25 juillet 2012).
CONCLUSION
Ce qui est certain, c'est que la matrice porphyritique rose à grain fin était encore dans un état fluide, assez pour se mouvoir et emporter les phénocristaux avec elle, quand elle s'est injectée à dans ces minces filons (à la faveur, sans doute, de failles).
Quand à l'origine ultime de la syénite porphyritique rose, je laisse le soin de résoudre la question à mieux informé que moi.
Ce qui est certain, c'est que la matrice porphyritique rose à grain fin était encore dans un état fluide, assez pour se mouvoir et emporter les phénocristaux avec elle, quand elle s'est injectée à dans ces minces filons (à la faveur, sans doute, de failles).
Quand à l'origine ultime de la syénite porphyritique rose, je laisse le soin de résoudre la question à mieux informé que moi.
7. Blocs déplacés vus dans les environs (voir détail en photo 3). On peut se demander si la pegmatite (granite ou syénite à cristaux géants) orangée à gauche a la même origine que les filons porphyritique. (25 juillet 2012.)
8. Filon à compartiment déjeté par le jeu d'une faille. Cassure et déplacement se sont produit après solidification de la matière du filon. (25 juillet 2012.)
AJOUT (3 août 2012). – On me presse de révéler la fin de l'histoire du porphyre et de la grenouille, histoire que j'aurais laissée en plan, paraît-il. Eh bien, voilà : le porphyre embrasse la grenouille et le conte se termine en queue de castor.
Est-ce que ça vous va comme ça ?
AJOUT (21 sept. 2013). – On distingue les roches porphyritiques (phénocristaux dans une matrice phanéritique, c.-à-d. à grains apparents, comme dans le cas décrit ici) et les roches porphyriques (phénocristaux dans une matrice aphanatique, c.-à-d. à grains trop fins pour être discernés, comme ça peut être le cas, par exemple, dans des laves). Cf. Y. Hébert et R. Hébert, Guide pratique d'identification des roches : notions élémentaires de pétrologie. Les publications du Québec, 1994, 136 p.
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