mardi 6 novembre 2018

Anthropocène : époque ou crise ?


Article révisé le 4 janv. 2020.



Évolution de l'empreinte de l'Anthropocène sur un marbre précambrien saisie en trois étapes, à Low, au nord de Gatineau, QC. Première photo : 22 août 1998. Photos Henri Lessard (les deux autres sont visibles plus bas.)


Autres billets du blogue sur l'Anthropocène : lien.


L'Anthropocène, crise ou époque ? 

Je suis récemment tombé sur un article très intéressant qui traite de cette question. La conclusion des auteurs est que notre mode de vie et d'exploitation de la planète imposera une durée de vie trop brève à notre civilisation pour qu'elle se mériter un nom en « -cène » (nom d'une époque géologique). Les géologues du futur, ceux qui viendront dans 66 millions d'années, parlerons sans doute d'une crise pour qualifier notre temps, mais pas de l'Anthropocène (ou de ce qui en tiendra lieu dans leur vocabulaire). Le recul de 66 millions d'années n'a pas été choisie au hasard. Il correspond au laps de temps qui nous sépare d'une autre crise, fameuse entre toutes, la crise KT [Crétacé-Tertiaire] qui a vu la disparition des dinosaures. Dans 66 millions d'années, la crise de l'Anthropocène (qu'importe le nom qu'on lui donne ou qu'on lui donnera) sera-t-elle perceptible dans les archives géologique de la Terre ?

La réponse des auteurs (je ne vous fait pas languir, mais lisez quand même les extraits qui suivent) est oui. Nos dégâts, qui se seront étalés sur des temps extrêmement brefs, on en verra encore les traces dans 66 millions d'années, mais le bouleversement que nous auront apporté paraîtra un événement aussi intense que ponctuel (ce qui est bien la définition d'une crise...)

Quelques extraits de l'article :


L'Anthropocène, le regard et les réflexions d'un géologue

Pierre Thomas, Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS Lyon
Olivier Dequincey


« Le mot « Anthropocène » a été introduit à la fin du XXème pour nommer une “époque” géologique où l'homme serait un facteur géologiquement dominant, au moins aussi important que les autres facteurs géologiques “naturels”. L'époque que nous commençons a-t-elle une réalité géologique et correspond-elle à ces critères pour “mériter” le nom d'Anthropocène ?
[...]
Notre civilisation changera profondément ou disparaitra. Sa durée totale se comptera donc en siècles ou en millénaires, et non pas en millions d'années. Depuis quelques milliers d'années, et pour encore combien d'autres, l'humanité modifie son environnement. Cette modification se marque dans l'enregistrement géologique. Un géologue du futur qui ignorerait l'existence de notre civilisation verra certainement, enregistrés dans les sédiments (surtout marins) correspondant à notre époque et mis à l'affleurement par l'histoire géologique (1) des variations rapides et inhabituelles dans la nature et la granulométrie des sédiments, conséquences de variations rapides d'environnements sur les continents, (2) des roches bizarres, difficiles à expliquer autrement que par des artéfacts “industriels”, (3) des niveaux avec des anomalies chimiques et isotopiques, (4) les manifestations de variations climatiques plus rapides qu'ordinairement, et non corrélées à des paramètres astronomiques, (5) un très rapide bouleversement des fossiles, surtout sous forme de disparition-raréfaction d'espèces et d'homogénéisation des survivants. Un géologue du futur en conclura qu'il s'est passé à cette époque [sic !] quelque chose de très inhabituel.
[...]
Notre civilisation changera profondément ou disparaitra. Sa durée totale se comptera donc en siècles ou en millénaires, et non pas en millions d'années. [...] c'est bien plus court que les 12 Ma [Ma = million d'années] de durée de vie moyenne d'une époque géologique se terminant en ”-cène”. L'Anthropocène n'existera pas en tant qu'époque géologique avec la définition actuelle d'époque géologique !
Mais en plus des époques géologiques, les géologues ont défini les crises géologiques, dont la fameuse crise KT (= Crétacé-Tertiaire, il y a 66 Ma), dont la plus terrible des crises, la crise PT (= Permo-Trias, il y a 252 Ma)… Ces crises sont géologiquement très brèves (de quelques mois pour la crise KT, si la chute de la météorite en est bien le facteur prépondérant) à quelques centaines de milliers d'années pour les autres. Ce que nous faisons à notre planète s'apparente bien plus à une crise qu'à une époque. Si l'Anthropocène n'aura sans doute pas de réalité géologique en tant qu'époque, la crise anthropique en aura (hélas) sans doute une. »



Photo 19 juillet 2010.



Photo 14 juillet 2013.

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