mercredi 2 février 2011

Île Chelsea : la revanche (1/2)

LOCALISATION
Barrages Chelsea et Farmers, sur la Gatineau, au N de la ville de Gatineau (Québec).
31G/05 et 31G/12

Photo collection Jean-Louis Trudel, voir le post du 16 juillet 2008 de son blogue «Culture des futurs».
Chutes Chelsea, sur la Gatineau (Québec), vues depuis l’île Chelsea (dite aussi île Gilmour), en 1911.


Le barrage Chelsea, érigé à l'emplacement des chutes du même nom par la Gatineau Power (1927), ne laisse plus rien deviner du caractère impétueux de la rivière avant son harnachement.

Je suis conscient du paradoxe qu’il y a à déplorer la perte d’une splendeur naturelle alors que c’est peut-être précisément ce barrage qui me fournit l’électricité nécessaire à la diffusion de mes jérémiades à travers l'univers, via Internet... (Ajout de dernière minute. Voir cet autre point de vue, surprenant de la part de quelqu'un dont la propriété venait tout juste d'être submergée par la montée du niveau de la rivière, suite à la mise en service des barrages sur la Gatineau.)


TRANQUILLE GATINEAU
Même si je suis natif de la région, c'est tardivement que j'ai pris conscience que le cours de la Gatineau, qui s'apparente le plus souvent à celui d'un long fleuve tranquille, est en grande partie artificiel. C'est une rivière harnachée, et la construction de barrages à l'emplacement des principales chutes durant les années 1920 a considérablement régularisé son débit en noyant de nombreux rapides sous le plan d'eau de lacs et de réservoirs.

La situation actuelle remonte assez loin dans le temps pour avoir acquis, dans notre esprit du moins, la pérennité des choses naturelles.

«Avant les barrages, la Gatineau avait la réputation d'une rivière féroce, traître, farcie de chutes pittoresques et de dangereux rapides. Brusquement elle devint, en sa partie inférieure bordant Cantley [et Chelsea], un cours d'eau large et paisible, constituant un endroit idéal pour la récréation […], n'eût été du flottage du bois.» (Tiré de : http://www.cantley.ca/histoire.htm.)

Mais bref, je ne veux pas vous pondre une épître écologique, encore qu'il y aurait matière à...

Simplement, les documents (cartes et photos) sur la Gatineau pré-1920 sont relativement rares. Un jour, je vais réunir ceux que j'aurai pu rassembler et tenter d'en tirer quoi, je l'ignore encore, mais quelque chose. Affaire à suivre, donc.

Ajout de dernière minute. Le site de la Gatineau Valley Historical Society regorge de textes et de photos sur la Gatineau de jadis. Allez le consulter, vous en aurez pour des heures :



Chutes à Kirk's Ferry, sur la Gatineau (moins de 4 km au N de l'île Chelsea), 17 sept. 1900
Crédit : photographie attribuée à James Ballantyne/Bibliothèque et Archives Canada/PA-132303
(Document dans le domaine public, tiré du site de Bibliothèque et Archives Canada.)


Les chutes de Chelsea m'intéressent aussi dans la mesure où les barrages Chelsea et Farmers ont quelque responsabilité dans la configuration des rives de la Gatineau en aval, en particulier à l'emplacement des «marbres dissolus», le long de la rive gauche de la Gatineau, au N du pont Alonzo-Wright, marbres que j'ai décrits dans de récents posts.


DIALOGUE
Un document isolé, fut-il aussi parlant que la photo des chutes Chelsea en 1911, est réduit au monologue. Ajoutez-en un, et vous avez déjà de bonnes chance d'assister à la naissance d'une sorte de dialogue. Avec un troisième, l'échange a toutes les chances de devenir très instructif.

Voici donc, dans l'espoir d'une confrontation bavarde, deux autres pièces que j'espère éloquentes : des cartes d'époques différentes ramenées à la même échelle afin de faciliter leur comparaison. Notez que la carte géologique s'étend un peu plus au N.


Île Chelsea, 1901
Légende (adaptée)
Île Chelsea : notez l'inscription «Fall» entre l'île et la rive gauche de la Gatineau.
Bleu (noté parfois d'un A rouge) : marbre «archéen» (aujourd'hui, on dirait précambrien)
Fond rose : autres roches précambriennes (gneiss, quartzite, granite, etc.)
X (au N du pont Alonzo-Wright) : site des «marbres dissolus». [Ajout 19 févr. 2011. Secteur de l'île Marguerite, dite aussi île des Pères ou, au moins jusqu'au début du XXe s., île Wrigth. La toponymie de la région est parfois assez fluide et volatile...]
«Pont Alonzo-Wright» : anachronisme de ma part ; on disait «pont Wright», semble-t-il, à l'époque.
Carte : Elles et Ami, 1901 (détail annoté).

© Google
Île (barrage) Chelsea, situation actuelle
Même légende que carte de 1901. 
Les barrages hydroélectriques (inaugurés en 1927) ont été construits à l'emplacement des chutes Chelsea et des rapides Farmers. Notez les modifications des rives de la Gatineau et la création du réservoir au nord du barrage Chelsea. L'aspect de la rivière, entre les deux barrages, est celui d'un lac. L'île Chelsea semble avoir été coupée en deux, à moins que sa moitié N ait été submergée par les eaux du réservoirs. [Ajout, 4 février 2011. C'est vite dit, ça, «coupée en deux». Je prépare un texte plus élaboré. (Voir photo suivante.)] Une faille qui croise la Gatineau à angle droit explique les excroissance du réservoir sous la forme de deux baies symétriquement opposées. 

© Google
Ajout, 13 février 2011. 
Pour répondre brièvement à ma propre remarque (photo qui précède), qu'on me permette quelques affirmations péremptoires : la carte géologique de 1901 est probablement quelque peu schématique et entachée d'approximations ; les chutes Chelsea ne sont pas au sud de l'île (là où figure le mot «Fall»), mais bien au nord, et le barrage a, selon toute vraisemblance, été construit à leur endroit, au nord de l'île et non pas au milieu, comme je l'avais d'abord cru. En gros, on peut donc dire que l'île Chelsea d'aujourd'hui, sous le barrage, correspond à peu près à l'île Chelsea d'autrefois – pour ce qui est de ses contours, du moins. Donc, pas d'«île coupée en deux» comme je l'ai imprudemment laissé entendre. Par contre, en surface, les choses ont bien changé. Les arbres et bâtiments qui se trouvaient sur l'île avant la construction du barrage ont été rasés. Le boisé qu'on y trouve aujourd'hui est récent et date d'après le barrage. Comparez la photo satellite (Google) avec d'anciennes photos du site.


REVANCHE
La comparaison des cartes est éloquente. Les points les plus marquants sont : la modification des rives de la Gatineau et la création d'un large réservoir au N du barrage Chelsea et d'un autre, de moindre superficie, entre les deux barrages.

La disparition des chutes et des rapides est une perte que notre amnésie collective nous permet de ne pas trop ressentir.

L'île Chelsea m'a toujours attiré. Très proche, visible depuis la route 307, à porté de main, sinon de pneu, mais fermée au public (propriété d’Hydro-Québec), elle exerce sur moi l'attrait du fruit défendu.

Dans ces condition, faute de pouvoir aborder dans le sens strict du terme, je ne peux continuer à l'aborder, comme je viens d'entreprendre de le faire, que sous l'angle des documents.

C'est pour moi une sorte de revanche que je prolongerai jusqu'à mon prochain post.

Suite : une expédition dans l'île Chelsea, septembre 1902.


RÉFÉRENCE
Ells R.W., Ami H.M., 1901 - Geological map of the city of Ottawa and vicinity, Ontario and Quebec. CGC, carte 714, échelle : 1:63 360.

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