samedi 27 avril 2024

Tectonique du lac Beauchamp à Gatineau



Lac Beauchamp, Gatineau : interprétation tectonique et topographie

Haut (photo satellite)

  • Lignes blanches continues : courbes de niveau des collines précambriennes (60 et 70 m).
  • Lignes pointillées blanches : linéaments interprétés à partir des cartes LiDAR. Ceux qui encadrent le massif du lac Beauchamp sont bordés de rouge.
  • Ligne tiretée noire : escarpement dans le grès du Cambrien coïncidant apprx. avec le contact Précambrien-Cambrien.
  • * : contact Précambrien-Cambrien visible.
  • Orangé : granite et gneiss (limites approx.) du Précambrien.
  • A : plaine de granite et quartzite du Précambrien.
  • B : plaine à l'est, quartzite et paragneiss précambriens. Le jeu de failles définissant des horsts rocheux et des grabens marécageux.
  • C : colline enserrée dans un polygone de linéaments.
  • D : escarpement sous le SG, coïncident avec un linéament SO-NE.
  • E : graben ou faille dans la CM sur le passage d’un linéament NNO.
  • F : dépotoir de Templeton-Est dans un bas terrain.
  • G : plateau de grès du Cambrien.
  • CC : carrière de granite du cimetière*.
  • CE : carrière de pegmatite Eurêka.
  • CM : Colline du Muret*.
  • PC : parc canin St-René E.
  • SG : Sommet du Granite*.
  • Slickensides : miroirs de failles.
  • X : brèches carbonatées.
* Toponymes informels créés par l’auteur.

Bas (carte topographique)

  • Rabipus et stations : RB : voie Rapibus (non encore construite au moment de la prise de la photo (2020), au nord de la voie ferrée. Les stations : SLa : Labrosse ; SLB : Lac-Beauchamp ; SLo : Lorrain.
  • La courbe de niveau du SG (60 m) a été ajoutée à la carte.


Origine du massif de roches précambriennes au nord du lac Beauchamp, à Gatineau. Le secteur est compris entre les boulevards Labrosse et Lorrain (à l’ouest et à l’est) et St-René E et Maloney E (au nord et au sud).

Autres billets du blogue sur le lac Beauchamp (lien). 

L'auteur du texte n'est qu'un amateur et ne prétend pas à l'expertise d'un professionnel. 



Pourquoi une colline ici, pourquoi une plaine là, et pourquoi précisément ici et là et non pas là-bas ? J’ai la tête topographique et j’aime m’expliquer la raison d’être du moindre relief, en creux ou en bosse, dans mes déambulations.

Prenons les collines précambriennes au nord du lac Beauchamp à Gatineau. On se dit qu’elles doivent être sculptées dans une roche résistante tandis que la plaine qu’elles dominent est sans doute constituée d’un matériel plus vulnérable à l’érosion.

Ce serait logique. Mais ce qui semble logique ne l'est pas toujours.

Voyons d’abord le secteur dans son ensemble.

(Dans ce qui suit, nous parlerons du massif lorsqu’il sera question de l’ensemble des collines précambriennes du lac. Le terme colline sera réservé aux éminences isolées du massif. Les toponymes suivis d’un astérisque * sont des créations de l’auteur du texte.)

Le relief et les roches

Le lac Beauchamp s’allonge entre un massif de roches précambriennes âgées de plus d’un milliard d’années, au nord et à l'ouest, et une couverture de grès cambriens remontant à 500 millions d’années, au sud et à l'est. Le grès forme un plateau coupé par un escarpement face au lac (G et ligne tiretée noire). La surface de contact, ou discordance d’érosion, entre le Précambrien et le Cambrien est exposé dans l’affleurement de la discordance au sud du lac (billet du 23 janv. 2011).

À la fin de la dernière glaciation du Quaternaire, la mer de Champlain a laissé sur ce paysage d’épais dépôts d’argile (11 200 - 10 000 ans). Un chenal abandonné du proto-Outaouais, gonflé par les eaux de fonte des glaces, a déblayé le secteur du lac (avant 8 500 ans) qui pointe comme un bouton à travers les sédiments argileux (billet du 11 mars 2014).

Le lac lui-même, dont le grand axe ENE est parallèle à celui du massif, mesure 650 m de long et sa profondeur maximale est de 6 m. En contact avec lui et le prolongeant, les bas terrains humides sont nombreux. À croire les cartes du début du XXe s., la petite baie qui fait un coude vers le sud n’existait pas à l’origine. Elle serait apparue dans les années 1920 (billet du 28 juillet 2018).

Les collines les plus hautes du massif dépassent les 70 m. De l’autre côté du lac, le plateau de grès atteint les 73 m. Une telle uniformité est remarquable, nous y reviendrons. Si l’on excepte les sommets rabotés et les reliefs moutonnés bien conservés (photos 1A,B), le massif ne montre pas de signes d’érosion glaciaire à grande échelle. Enfin, plus au N, au-delà du boulevard St-René E, le plateau d’argile de la mer de Champlain et de sédiments deltaïques varie de 54 à 100 m.


Photo 1. - Stries glaciaires dans le grès cambrien, au sud du lac Beauchamp. L'avancée des glaces s'est faite vers le SE. (Nov. 2010)


Le massif est en fait constitué de collines isolées. La principale, à l'ouest, s'allonge selon axe SO-NE et forme, avec le Sommet du Granite (SG sur la carte), un ensemble coupé par la voie ferrée du CP et, depuis 2023, la voie du Rapibus ; au NE, on trouve la colline de la carrière Eurêka* (CE ; billet du 4 août 2017), orientée NO. La colline du Muret* (CM), approximativement circulaire, est isoléee au nord du lac. Trait majeur de la topographie, l'escarpement SO-NE au nord du SG (D et ligne blanche grasse), baigné par les eaux d'un étang allongé.

Le SG et l’escarpement n’apparaissaient pas sur les cartes topographiques publiées depuis le début du XXe s. À se fier aux courbes de niveau, la zone entière, dépourvue de relief, serait sous les 50 m. La compréhension de la physionomie du massif est gravement faussée par cette omission inexplicable. Sur ma carte, la courbe de niveau de la colline, 60 m à sa base (presque 70 m au sommet), est empruntée à des documents récents.

Roches tendres, roches dures

Le premier réflexe est de supposer que le massif est constitué de roches particulièrement résistantes à l’érosion, à l’encontre de la plaine, sculptée dans des roches plus vulnérables. De fait, des plutons de granite associé à des gneiss s’alignent selon l’axe ENE du massif et en constituent l’épine dorsale et l’ossature (formes orangées) ; les plus hauts sommets sont en granite-gneiss. Mais le granite se retrouve aussi dans la plaine envahie de marais, à l’ouest du massif (A et photo 3). Le marbre et des roches calco-silicatées micacées, habituellement les premières proies de l’érosion, coexistent dans le massif avec le granite. (La voie ferrée du CP, doublée au nord par le tronçon du Rapibus inauguré en 2023, traverse d’ailleurs le massif en le coupant à travers ces roches friables.) Le quartzite, roche résistante entre toutes, associé à un paragneiss à grenat, constitue l'assise de la plaine à l’ouest et à l’est du massif (A et B ; photos 3 et 4). Autre exemple de l’indifférence du relief à l’égard des matériaux : la pegmatite, genre de granite grossier tenace, omniprésente, en plus de constituer le sommet de la colline de la CE, affleure à tous les étages du massif et de la plaine.

Bref, il n’y a pas de lien univoque entre lithologies et relief. Il y a donc autre chose qui a pu avoir joué aussi.


Photo 2A. - Sommet au Granite (SG sur la carte), poli par le passage des glaciers. (13 avril 2024)


Linéaments

La formation du relief ne semble pas dépendre en premier chef de la résistance du socle à l’érosion. Peut-être faut-il invoquer un autre facteur, la tectonique.

Si l'on doutait de l'influence de la tectonique sur le façonnement du relief, il suffirait d'examiner le SG. Entièrement dans un granite gris et rose, le sommet est coupé par un escarpement qui forme la rive sud de l'étang en contrebas. Or, le même granite se retrouve aussi sur la rive basse de l'étang, sur la rive opposée (photo 2B). Il est clair que l'escarpement (conforme à un linéament majeur, on le verra plus loin) a coupé le granite et que le compartiment nord a été abaissé relativement au compartiment sud.


Photo 2B. - Sommet au Granite (SG), avec vue sur l'étang en contrebas à gauche. Les deux rives de l'étang, la haute et la basse, sont dans le granite. (13 avril 2024)


De nombreux linéaments discernables sur les cartes LiDAR encadrent le massif. De direction plus ou moins ENE, les principaux peuvent être suivis sur toute la longueur du massif et à travers la plaine, soit 2 km. L’un suit l’escarpement granitique du SG, déjà évoqué, l’autre, ou plutôt deux autres qui s’articulent, bordent les collines au sud (en coupant la pegmatite évoquée en partie haute et partie basse). À l’extrémité NE de ce système, des failles plus ou moins NO encadrent la plus septentrionale des collines (C et CE) de façon serrée et le massif se termine par des linéaments bien exprimés.

Les linéaments ENE se perdent hors du massif dans les quartiers urbanisés et sous le couvert d’argile. Au SO, aucun linéament bien distinct ne marque le rebord du massif. Les linéaments ENE se prolongent dans la plaine, vers l’ouest, et l'un d'eux borde le ressaut granitique peu élevé, à l'est de la carrière du Cimetière* (CC).

Des linéaments NO à NNE courent plus ou moins perpendiculairement à travers le massif et ont sans doute concouru à son émiettement en collines séparées. On devine leur influence dans l'affaissement des terrains au sud du parc canin (PC) dominés par la CM. C’est dans une dépression, tout contre le linéament qui coïncident avec le rebord occidental de la CE qu’on avait choisi d’installer le site du dépotoir de Templeton-Est (F). Un autre linéament se prolonge dans le graben qui entaille le flanc est de la CM (E). Ces linéaments disparaissent sous l'argile au nord, et sous le plateau de grès, au sud.

Aucun des linéaments ne se poursuit dans les roches du Cambrien, ce qui laisse à penser qu’ils les prédatent. Nous reviendrons sur ce point.

Les linéaments pourraient ne témoigner pour la plupart que de cassures sans mouvements de l'écorce terrestre (joints). Cependant, dans le cas de l'escarpement sous le SG et, sans doute, dans celui du relief de la CE (et, dans une moindre mesure, du plateau à l'est du cimetière), des mouvements verticaux sont à envisager. La différence d'altitude entre le SG (près de 70 m) et la rive opposée de l'étang qui s'élève peu au-dessus du niveau des eaux (54 m) est de plus de 10 m. Entre le sommet de la CE et la voie ferrée dans la plaine, au sud, la dénivellation est du même ordre (70 m et 54 m). Ces valeur donnent une idée des déplacements relatifs, surrection ou affaissement,  de part et d'autre des linéaments. À l'est, dans la plaine de quartzite sous le massif, un jeu de linéaments a fait se succéder des ressauts rocheux et des affaissements marécageux (B).

Photo 3. - Plaine marécageuse à l'ouest du massif du lac Beauchamp. Visée vers le SO depuis la voie ferrée du CP. À cet endroit, RCS tendres (colline) et quartzite-pegmatite résistantes (plaine) dominent. L'altitude est d'environ 55 m. (17 février 2024)


Les grands traits du relief du massif et de la plaine qu’il domine nous semblent donc d’origine tectonique. De nombreux miroirs de failles ont été relevés dans le massif et l’orientation de l’un d’eux, NE, est conforme à celle du linéament majeur voisin (slickensides sur la carte ; photo 6). Il a enregistré un mouvement senestre oblique vers le SO d'ampleur inconnu le long de plans verticaux. Notons que je n’ai relevé aucun miroir de faille dans le grès lors de mes explorations dans ce secteur dans les années 2010 (ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas). On sait que les linéaments ne se poursuivent pas dans le grès. Ils seraient donc antérieurs à la déposition du grès, tout comme les reliefs qu’ils encadrent et qu'ils ont contribué à créer. Bref, nous avons sous les yeux une topographie ancienne, vieille de 500 millions d’années, datant d’avant la déposition du grès et révélée par l’érosion du grès.

La tectonique qui a créé les linéaments aurait donc cessé depuis le Précambrien (mais voir la note sur le GOB, plus bas). (À d’autres endroits, des miroirs de failles sont observables dans le grés cambrien (billet du 14 juillet 2018).)


Photo 4. - La plaine à l'ouest du massif du lac Beauchamp, visée vers le nord. Photo prise dos à des affleurements bas de granite. Il n'y a pas de lien entre le relief et la nature de la roche. (17 février 2024)


J'ai découvert récemment plusieurs brèches dans le marbre et des roches calco-silicatées apparentées, témoins de frictions entre des compartiments du socle rocheux (X). Pour l'instant, je ne peux rien encore avancer quant à leurs liens avec tel ou tel système de linéaments, sinon que deux d'entre elles sont situées le long d'un linéament N-S ou dans son prolongement. Les données manquent pour en dire plus.
* Roches finement broyées entre des compartiments du socle et charriant des éclats ou clastes anguleux comparativement plus grossiers. 

Bref, un soulèvement relatif des portions du socle qui contiennent aujourd’hui le massif permettrait d’expliquer que le marbre et les roches calco-silicatées micacées, roches fragiles, dominent les quartzites résistants et que le train des plutons de granite, autre roche résistante, se suive à travers la plaine et les collines.


Photo 5A. - Brèche à silicates verts avec clastes anguleux de pegmatite (blanc).


Un point important à souligner pour la compréhension du propos, rapporté par les géologues qui ont étudié le contact Précambrien-Cambrien dans le reste du Québec, en Ontario et dans l'État de New York est que le relief du Précambrien conserve le même aspect qu’il soit exposé ou recouvert par le grès du Cambrien. Autrement dit, la topographie actuelle du Bouclier précambrien est une topographie ancienne exhumée par l’érosion du grès qui s’étendait primitivement au nord que sa limite actuelle.

Chronologie proposée

Précambrien (1200 Ma - 540 Ma)
Métamorphisme, plissement et plutonisme. Gneissossité empreinte dans la roche. (Le tracé des pistes qui ne semble avoir obéi à aucun plan préconçu suit la gneissossité N-S puis SO-NE du socle de façon assez étroite (voir le billet du 17 déc. 2023).) Les brèches pourraient dater de cette époque.
Longue période d’érosion amenant à la surface les roches profondes du socle. Création des linéaments, mouvements et miroirs de failles (brèches ?). Soulèvement du massif, création du relief.

Cambrien et Ordovicien (540-440 Ma)
Sédimentation. Le grès, plus les sédiments carbonatés de l’Ordovicien recouvrent les roches précambriennes : préservation du relief précambrien sous la couverture sédimentaire.

Fin du Dévonien (360 Ma) - fin du Tertiaire (2,58 Ma)
Érosion qui se poursuit de nos jours. La couche de sédiments déposées à partir du Cambrien est érodée peu à peu. Plusieurs longues périodes chaudes et humides durant le Tertiaires : météorisation et altération des roches dans les plans vulnérables (linéaments). (Billet du 23 févr. 2012.) Exhumation du relief du Précambrien.

Quaternaire (2,58 Ma)
Grandes glaciations. Déblaiement des roches altérées, polissage du socle sain. La glaciation du Wisconsinien (100 Ka - 10 Ka), la dernière, est la seule dont il reste des traces dans la région (voir plus bas). Elle laisse des roches moutonnées et polit les sommets du massif du lac Beauchamp. Creusement du lit du lac Beauchamp par érosion fluviatile sous-glaciaire (hypothèse personnelle, voir plus bas). Déposition d'un épais manteau d'argile par la mer de Champlain.

Holocène (derniers 10 000 ans)
Le proto-Outaouais, gonflé des eaux de fontes des glaciers, et plus large que la rivière que nous connaissons, déblaye le secteur du futur lac Beauchamp de l’argile qui le recouvrait (8 500 ans).

Héritage

Le massif est donc un héritage du Précambrien. Si l’érosion qui a détruit la couverture de grès l’a sûrement affecté aussi, si les glaciations ont raboté les sommets et approfondi des dépressions, on constate qu’il n’y a pas de différence d’allure et de matériaux entre les roches du massif et de la plaine Précambriens et les roches de la même époque visibles à l’affleurement de la discordance.


Photo 5B. - Brèche à calcite orange et clastes anguleux de pegmatite blanche. La surface altérée (météorisée) est montrée : l'érosion de la calcite met plus en valeur les clastes résistants.

Le fait qu’il n’y a pas d’autre endroits dans la région ou le contact Protérozoïque-Paléozoïque soit exposé sur une si longue distance explique le caractère unique du lac Beauchamp, coincé entre les collines précambriennes et plateau cambrien.

Les sommets

On a vu que le toit du plateau et les sommets du massif culminent à 70 m et quelques. Une telle uniformité ne peut être le fruit du hasard. La conservation des traces du sablage glaciaire sur le grès (stries, trains de boutures et de broutures) indique que les surfaces à cette altitude sont bien celles qui ont été poncées et polies par les glaciers. Aucune marque semblable n’a été relevée dans le massif, mais l’omniprésence des surfaces polies et moutonnées, l’arasage des sommets (photo 2A) sont des preuves indiscutables du passage des glaces.

L’escarpement faisant face au NO sous le SG a d’évidence résisté à l’avancée des glaces qui s’est fait vers le SE ainsi qu’en témoignent les marques d’érosion glaciaire (stries, trains de boutures et de broutures) dans le grès (photo 1). On pourrait d'ailleurs en dire autant de la falaise de grès. Les barrières que représentaient le massif entier, l'escarpement du SG ainsi que la falaise de grès ont donc survécues à l’épisode glaciaire.

Les glaces n’ont joué qu’un rôle de second ordre, rabotant les sommets, polissant le plateau de grès, sans avoir eu un effet majeur dans la sculpture du relief.

L’uniformité des sommets pourrait aussi témoigner de l’existence d’une ancienne pénéplaine attaquée et creusée par l’érosion, glaciaire ou autre. Il faudrait alors expliquer comment cette érosion se serait faite de préférence dans le quartzite résistant. Il faudrait aussi expliquer comment il se fait que le relief précambrien à l'abris de l'érosion sous le grès est le même que celui des collines précambriennes à l'air libre. Un rabotage glaciaire sur un relief tectonique préalable me semble l’explication la plus logique pour expliquer l’existence du massif du lac Beauchamp.


Photo 6. - Stries d'un miroir de faille ou slickensides dans un skarn à l'est de la station du Lac-Beauchamp du Rapibus. Mouvement senestre vers le SO (vers la gauche), faiblement penté. (Juillet 2023)


Il n'y a pas dans le massif de structure NO-SE majeure trahissant une érosion glaciaire évidente. Il y a bien le rebord occidental de la CE, rectiligne et d’aspect poli, qui correspond à un le linéament SE long de plus de 400 m à l'abri duquel se trouve le dépotoir de Templeton-Est. La vallée butte au sud sur la CM et, de façon significative, elle ne se prolonge pas dans le Cambrien ou dans le lac (orienté SO-NE, rappelons-le). De plus, elle n'a pas le profil en U d'une vallée glaciaire.

Enfin, il serait difficile d'expliquer comment un système graben-horst large de quelques m sur le flanc de l'escarpement du SG ainsi qu'un éperon rocheux sur le même escarpement, par exemple, auraient pu supporter une érosion glaciaire intensive.

Origine du lac

L’origine du lac Beauchamp est distincte de celle du massif. Elle est aussi plus récente. On peut exclure que le bassin du lac ait été creusé par les glaciers dont l’écoulement, si l’on se fie aux stries glaciaires observées à la surface du grès, c’est faite vers le SE, soit dans une direction perpendiculaire au grand axe du lac. On peut supposer (et c’est une hypothèse personnelle) qu’un chenal sous-glaciaire a érodé le socle à un endroit où, coincé ou canalisé entre le massif précambrien et l’escarpement de grès cambrien, le courant s’est écoulé avec une puissance érosive particulière.

Conclusion

Les linéaments ENE paraissent suivre la gneissosité dominante des roches précambriennes. Celle-ci est en général plus ou moins NE, avec de fréquentes variations. Les complexes de granite-gneiss se conforment à la structure des roches encaissantes. Le pluton de granite du grand étang s’allonge parallèlement à l’escarpement ENE qui le traverse. Il parait jouer le rôle d’épine dorsale du massif. Faut-il envisager que la structure de la roche, très sinueuse malgré sa tendance générale vers le NE, ait influencé l’orientation des linéaments, très rectilignes ?

La seule carte géologique disponible pour le secteur est celle de Wilson et elle date de 1920. Le lac Beauchamp n’y occupe qu’une toute petite place et la géologie du secteur y est très sommairement traitée.

Il est dommage que les roches précambriennes au nord du boulevard Saint-René E soient disparues sous les rues et les bâtiments dans le secteur hors de l’argile de la mer de Champlain.

Le GOB

On peut se demander si les linéaments ont participé aux mouvements tectoniques qui ont créé la graben d'Ottawa-Bonnechère (billet du 20 nov. 2009). Comme ils ne semblent pas se poursuivre dans les roches du Paléozoïque (ex. grès du lac Beauchamp), ont peut douter qu'ils aient participé à son façonnement ou qu'ils en soient la conséquences. Mais des observations sur un si petit secteur ne sont pas nécessairement concluantes.

Référence

  • Wilson, M. E., 1920, Geology of Buckingham, Hull and Labelle Counties, Quebec. Commission géologique du Canada, carte 1691

dimanche 17 décembre 2023

Lac Beauchamp : influences sous-jacentes


Photo 1. - Gneiss sombre près de la station du Lac-Beauchamp du Rapibus, Gatineau. Le rubanement de la roche est souligné par les injections étirées de granite clair. Les bande de roches, qui plongent vers le SE, se dirigent vers le NE. Visée vers le nord. Photo oct. 2023.


Comment des roches vieilles d'un milliard d'années influencent le tracé de pistes dans les bois.


Je me suis employé cet été et cet automne à dresser la carte géologique des terrains précambriens du Bouclier canadien (un milliard d'années) à l'ouest et au nord du lac Beauchamp, à Gatineau. L'ouverture de la station du Lac-Beauchamp du Rapibus au nord du lac permet aux autobus de déposer les usagers au milieu des collines, en plein cœur du réseau des pistes qui sillonnent les bois. Le paradis en pleine ville !

Collines au nord du Lac-Beauchamp, Gatineau, Qc.
  • CE : carrière de feldspath Eureka (billet du 4 août 2017).
  • E et rectangle brunâtre : escarpement face au NO.
  • D et rectangle vert : ancien dépotoir de Templeton-Est dans une vallée.
  • Discordance Protérozoïque-Paléozoïque (billet du 23 janvier 2011).
  • F et ligne rouge vif : faille dans une colline.
  • RB : Rapibus (la voie, qui n'apparaît pas sur la carte, longe la voie ferré, côté N) ; stations du Rapibus : SLB : station du Lac-Beauchamp ; SLo : station Lorrain.
  • Lignes bleues : pistes officielles et informelles du parc du Lac-Beauchamp selon diverses sources.
  • Silhouettes brunâtres : collines (60 m - 70 m) ; leurs lignes de niveau sont soulignées en rouge vif.
  • Traits noirs : gneissosité et contact lithologique. Note. - Chaque trait représente une mesure qui n'est valable que pour un point précis et non pour toute sa longueur.
  • Lignes pointillées noires : linéaments du socle selon la carte LiDAR ; les plus importantes sont soulignées en blanc.
  • S et flèche rouge à deux têtes : slickensides ou stries sur un miroir de faille.
Carte (fond) : gouv. du Québec ; annotations : © Henri Lessard, 2023.  


Je ne publierai pas mes « travaux », je suis trop conscient qu'une carte géologique dressée par un amateur (moi) comporterait inévitablement de gênantes erreurs. Une telle carte existe déjà, celle de Wilson, publiée en 1920*. Le lac Beauchamp n'occupe qu'un minuscule secteur du document qui est, disons, très insuffisant à cet endroit. Je crois avoir fait mieux, dans les limites de ce qui m'est possible. Ma carte restera quand même dans mes filières.

Wilson, M. E., 1920, Geology of Buckingham, Hull and Labelle Counties, Quebec, Commission géologique du Canada, carte 1691

Les terrains au nord du lac sont constitués de quartzite, de gneiss à grenat, de marbre à silicates (photo 5) et de roches calco-silicatées variées, d'amphibolites diverses (photo 1), de granitoïdes massifs ou gneissiques, de pegmatites ubiquistes et d'un skarn à apatite-mica (photos 4A et 4B). L'hématite et le graphite abondent. Les formations ont une orientation générale NE et les plongements sont abrupts. De façon paradoxale, le quartzite, roche très résistantes, prédomine à l'est et à l'ouest, dans les terrains plats qui bordent les collines, et, à l'intérieur des collines elles-mêmes, dans les terrains marécageux. Les hauts et les bas du secteur n'obéissent donc pas à la répartition des roches selon leur dureté et leur résistance à l'érosion.

Mise à jour (1er mai 2024) - L'Association du vélo de montagne de l'Outaouais (AVMO) travaille à l'aménagement de nouvelles pistes dans le parc du Lac-Beauchamp et ses alentours. Ces nouvelles pistes ne répondent pas aux mêmes nécessités que les anciennes, adaptées à la texture du socle rocheux. L'état de la situation que je décris ici est altéré par la superposition du nouveau réseau sur le réseau primitif. (Photo avril 2024)


Photo 2. - Quartzite clair et gneiss grisâtre. Qui me donnera l'orientation de leur contact ? Photo août 2023.
 

En compilant mes observations, j'ai pu remarquer que le réseau apparemment anarchique ou très libre des pistes du parc du Lac-Beauchamp se conforme à la structure générale du socle rocheux. Les traits noirs sur ma carte représente la gneissosité. En gros, la gneissosité (de gneiss, roche métamorphique) se définit par l'orientation parallèle des minéraux et de l'alternance parallèle des bandes rocheuses. La gneissosité s'est imprimée aux roches en réponse aux pressions tectoniques (métamorphisme). (Voir les photos 2 et 3.)

Un coup d'oeil sur la carte permet de d'apprécier le degré de coïncidence entre l'orientation des pistes et la gneissosité. La coïncidence n'est évidemment pas parfaite, elle n'en est pas moins frappante. Le plus étonnant est que, sur le terrain, les sentiers traversent des sols dans la terre meuble où le roc n'affleure le plus souvent qu'ici et là. Rien n'indique au promeneur un lien entre le socle rocheux et la direction qu'emprunte la piste qu'il suit. Le réseau des pistes semble s'être établi de lui-même aux injonctions du socle rocheux. En tout cas, les pistes suivent la gneissosité dans ses détours successifs vers le nord et vers le NE.

(Ajout, 20240210. - Le roc affleure rarement le long des pistes à travers la terre meuble, même dans les montées, et les « boutons » rocheux qui surgissent ici et là étant contournés ou évité par les pistes, c'est donc sans contact direct avec le socle rocheux qu'elles ont été établies, semble-t-il, au petit bonheur selon les pérégrinations des promeneurs. La coïncidence entre les piste et la structure du socle rocheux est d'autnat plus étonnante.)

Certains secteurs se prêtaient mal à la mesure de la gneissosité. Dans la colline à l'ouest du lac, la pegmatite granitique massive (sans direction privilégiée) a remplacé les roches gneissiques orientées. Au sud et au sud-est du lac, le terrain est occupé par un couvert de roches sédimentaires du Cambrien et de l'Ordovicien (500 millions d'années), exclues de mon examen des roches précambriennes*. Évidemment, les terrains privés, les zones marécageuses ont échappé à mes investigations.



Photo 3. - Parfois, c'est un peu tortueux. Les restes d'une roche calco-silicatée envahie par un granite clair ressemblent à des vieilles guenilles. L'affleurement est riche en graphite. Photo oct. 2023.



La gneissosité enregistre les déformations souples des roches sous les pressions tectoniques. Des joints et des failles, résultats de déformations cassantes postérieures, parcourent aussi le secteur, sans lien avec la gneissosité. Leur influence semble plus localisée dans le tracé des pistes, même si les collines elles-mêmes, dans leur ensemble, sont contenues dans un cadre de linéaments NE entrecoupés de linéaments secondaires. La colline au NE du lac est entièrement contenue dans un polygone formé de linéaments NE, ENE et NO. L'ancien dépotoir de Templeton-Est (D et rectangle vert) est dans la vallée au pied d'un de ces linéaments NO.

Le linéament NE le plus septentrional, long de plus d'un km, coïncide avec le tracé de l'escarpement qui surplombe un étang étiré (E et ligne rouge pâle sur la carte). Cet escarpement, très apparent sur le terrain, n'apparaît pas dans le tracé des courbes de niveau. Les linéaments transversaux secondaires, plus petits, coïncident avec les vallées et bas terrains entre les collines. La principale vallée sépare la colline à l'ouest de lac de celles au NE. Elle communique avec celle du dépotoir. Enfin, une tranchée rocheuse prolonge un linéament NO qui traverse les bas terrains et une colline (en F sur la carte).

On peut supposer que l'affaissement des bandes de quartzite à l'est et à l'ouest des collines est le résultat de mouvements tectoniques anciens. On comprendrait ainsi pourquoi cette roche résistance forme les bas terrains alors que le marbre et ses dérivés, plus fragiles, domine dans les collines.

Photo 4A. - Stries ou slickensides dans un skarn à l'est de la station du Lac-Beauchamp du Rapibus. Mouvement senestre vers le SO (vers la gauche), faiblement penté. Photo juillet 2023.


Des stries ou des slickensides sur des miroirs de faille sont abondantes dans les roches précambriennes de tout le secteur*. Ce genre de structure discrète est créée par la friction et la recristallisation de la roche de part et d'autre d'une faille. Les stries s'empilent en gradins à mesure à mesure que les compartiments de roche coulissent l'un contre l'autre. Un seul jeu de slickensides a pu être mesuré. Il se trouve dans un skarn près de la voie du Rapibus (S et flèche rouge à deux têtes sur la carte). Les stries indiquent un mouvement senestre vers le SO faiblement penté du compartiment nord. Son orientation vers le NE est conforme à celle des grands linéaments en plus de coïncider avec la gneissosité du secteur immédiat. (Voir la carte et les photos 4A et 4B.)

*Je n'en ai jamais vues dans les roches du Paléozoïque au sud du lac, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas.

Photo 4B. - Gros plan sur les stries de la photo 4A. Photo juillet 2023.


Il y aurait donc eu une sorte de partage des tâches. La tectonique cassante (linéaments, stries) pour les grands traits de la topographie, la tectonique souple (gneissosité) pour la texture interne du socle, celle que suivent les promeneurs.

La prochaine fois que vous folâtrerez dans les bois, dites-vous que le tracé des sentiers que vous suivez vous fait peut-être obéir à contraintes géologiques invisibles.


Photo 5. - Marbre chargé d'inclusions plissées. Station du Lac-Beauchamp du Rapibus, tout près de l'amphibolite illustrée en début d'article. Photo juillet 2023.

lundi 27 novembre 2023

Les puits du lac Beauchamp à Gatineau (MàJ)




Marbre chargé d'inclusions plissées. Station du Lac-Beauchamp du Rapibus, inaugurée en août 2023, Gatineau, Qc : tranchée de route encore toute fraîche. Photo juillet 2023.



On a inauguré cet été à Gatineau un nouveau tronçon du Rapibus avec la station Lac-Beauchamp qui fait le trait d'union entre la station Labrosse, l'ancien terminus, et la station Lorrain, le nouveau.

Les travaux du prolongement ont mis au jour plusieurs centaines de mètres d'affleurements de roches précambriennes que je me suis fait un devoir et un plaisir d'aller examiner de près. J'ai complété mes pérégrinations par des excursions dans les pistes du parc du Lac-Beauchamp, pistes officielles ou informelles entretenues par des bénévoles. En fait, les bois et les collines au nord du Rapibus sont une dépendance du parc à chiens du boul. St-René E. Le long des pistes, on croise deux à trois fois plus de canidés que d'homininés.


Région du parc  du Lac-Beauchamp, Gatineau, Qc.
(Mise à jour le 7 janv. 2024 par l'ajout du puits no 7.)
RB : Rapibus (la voie, qui n'apparaît pas sur la carte, longe la voie ferré, côté N).
CC : carrière du Cimetière (nom informel) ; CE : carrière Eureka ; Dép. : ancien dépotoir de Templeton-Est ; PAC : parc-à-chiens. Stations du Rapibus : SLa : station Labrosse ; SLB : station du Lac-Beauchamp ; SLo : station Lorrain. 
Pistes du parc en orange : retracées ou retouchées selon diverses sources.
1-7 : puits dans le roc. Les nos 2 et 3 qui apparaissent sur les cartes LiDAR sont partiellement comblés et leur nature, naturelle ou artificielle, n'a pu être établie.
Carte (fond) : gouv. du Québec ; annotations : © Henri Lessard, 2023.


Carrière Eureka, CE sur ma carte. Voir billet du 4 août 2017. Photo oct. 2023.


Les pistes, officielles ou non, n'étaient pas si développées en 2017, me semble-t-il, lors de mes dernières expéditions dans le secteur avant cette année. À l'époque, j'étais surtout attiré par la région au sud du lac où des grès du Cambrien (500 millions d'années) recouvrent en discordance les roches métamorphiques et plutoniques du Précambrien (1200 millions d'années). (Voir billet du 23 janv. 2011.) La même discordance réapparaît à une échelle plus modeste à la station Labrosse, à l'ouest du lac (découverte personnelle, billet du 18 juin 2023).


Carrière du Cimetière (nom officieux), CC sur ma carte. Cette carrière n'est pas très photogénique, je l'avoue. Je n'en ai pas de bonnes vues générales. Photo oct. 2023.


Cet été, je me suis tourné vers les formations précambriennes des collines à l'ouest et au nord du lac Beauchamp, attiré dans le secteur par les affleurements révélés par les travaux du prolongement du Rapibus.



Bloc de granite gris dans la carrière du Cimetière, avec trou de forage au centre. D'après l'ampleur de la couverture de lichens, il n'a pas été dérangé depuis longtemps. Photo oct. 2023.


On y trouve du quartzite, du gneiss à grenat, du marbre à silicates et des roches calco-silicatées variées, des amphibolites, des granitoïdes, massifs ou gneissiques, des pegmatites ubiquistes et un mince skarn (ce billet) à apatite-mica, recoupant gneiss et pegmatite. Les formations ont une orientation générale SW-NE et les plongements sont abrupts. Le marbre et les intrusions granitiques qui lui sont associées sont riches en graphite éparpillé en paillettes ou servant à colmater les joints dans la roche. Rien d'étonnant, ce métal a été exploité autrefois dans l'Outaouais et on en trouve des indices ici et là.

Je ne m'étendrai pas davantage sur la géologie des lieux. C'est autre chose qui m'intéresse pour l'instant. Selon des cartes qui remontent à la première moitié du XXe s., le voisinage du lac Beauchamp est demeuré longtemps plus ou moins excentrique, les collines, entre la voie ferrée que longe le Rapibus et le boul. St-René E ayant échappé dans une bonne mesure au développement. (Voir la carte.) Une carrière de feldspath aujourd'hui ennoyée a été exploitée entre 1896 et 1920 au NE du massif rocheux (carrière Eureka, billet du 4 août 2017). La municipalité de Templeton-Est a installé un temps son dépotoir au milieu des collines. Son talus limitrophe existe encore et des déchets ressortent du sol ici et là tout autour. Un parc de maisons mobiles s'est implanté au nord du boul St-René E. C'est tout me semble-t-il, si on excepte la carrière de grès au sud du lac Beauchamp, active jusqu'au milieu du XXe s. (billet du 24 avril 2012). Le parc industriel, au sud du boul St-René E, n'empiète pas sur les collines.


Puits no 1 sur la carte, creusé dans un gneiss gris banal, sans intérêt particulier justifiant l'entreprise. Des paillettes de mica ont cependant été trouvés dans les déblais. Elles ne valaient pas tant de peines. Photo nov. 2023.


Or, il existe des traces d'activités non répertoriées que je ne peux expliquer, les textes et les cartes étant muets à leur sujet. Il y a par exemple cette carrière abandonnée à l'est du cimetière du boul. Labrosse (CC sur ma carte). La forêt n'a pas repris sur le granite dénudé, le front de taille est encore visible, ainsi que des  traces de travaux (trous de forage). Je n'ai trouvé aucune documentation à son sujet, même les cartes l'ignorent alors qu'elle est topographiquement évidente. Les surfaces rocheuses recouvertes de lichens témoignent d'un abandon qui perdure depuis des décennies.


Tranchée prolongeant le puits no 1 vers le NE jusqu'à un petit escarpement. Photo nov. 2023. 


Plusieurs puits sont éparpillés dans les collines au nord du lac. Il s'agit de petites excavations de l'ordre de quelques mètres, souvent des puits jumeaux creusés côte à côte. Les tas de blocs près des puits ne laissent pas penser que le plancher soit profondément enfoui sous les débris végétaux accumulés. Rien ne semble justifier ces puits et on les trouve indifféremment dans le gneiss, la pegmatite et une serpentinite à chlorite. Le puits qui porte le no 1 sur ma carte, creusé dans un gneiss gris banal, est prolongé par une tranchée jusqu'au pied d'un petit escarpement. Un petit pneu et son essieu émerge des débris végétaux comblant la tranchée. J'ai vu des feuilles de mica noir de quelques cm dans les rejets de blocs anguleux au bord du puits, mais c'est peu de chose pour l'ampleur de l'entreprise.



Au fond de la tranchée, une roue, un essieux. Photo oct. 2023.


Certains de ces puits ne semblent être que des dépressions laissées par la chute d'un arbre déraciné comblées par les feuilles mortes et les débris végétaux. Or, les cartes LiDAR, qui voient à travers le sol meuble, montrent qu'ils ont imprimé une empreinte nette dans le socle rocheux, ce qui va à l'encontre de cette hypothèse. De plus, les arbres tombés abondent dans ces bois et le LiDAR ne détecte qu'une poignée de puits.



Les déblais du puits no 1 paraissent assez frais sous leur couverture de feuilles. Les travaux semblent relativement récent par rapport à ceux de la carrière du Cimetière. Photo nov. 2023.


Ajoutons que, dans le cas des puits jumeaux, la mince parois de roc entre les dépressions interdit de leur appliquer l'hypothèse de dépressions laissées par les racines d'arbres disparus, de même que les blocs anguleux accumulés autours des ouvertures des puits, qu'ils soient simples ou doubles.



L'un des puits doubles du no 5 de la carte. Les surfaces rocheuses ne semblent pas très fraîches. Photo nov. 2023.


Aucun puits, à ma connaissance, ne se trouve près d'une roche riche en graphite, ce qui pourrait donner un semblant de justification à leur existence (exploration minière). Le puits et la tranchée évoquées plus haut sont dans l'axe d'un modeste skarn à apatite-mica affleurant sur le bord de la voie du Rapibus, à l'est de la station du Lac-Beauchamp, mais c'est quelque chose de banal et de peu d'importance qui ne justifie pas le travail d'excavation dans le roc.

Il est difficile de dater ces puits, assez anciens pour que la colonisation des blocs par les lichens et les mousses soient commencée, mais le degré d'extension de leur couverture varie d'un puits à l'autre. Les blocs de la carrière du Cimetière sont à l'abandon depuis des décennies au moins (voir la photo plus haut). Les puits ne semblent pas tous contemporains. On peut supposer aussi qu'ils ont été creusé pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la géologie ou la minéralogie.



Au nord des collines, un colloque de têtes, sinon de casques. À défaut de creuser des puits, s'est-on creusé les méninges ? Photo nov. 2023.

Mise à jour (7 janv. 2024)

Ajout d'un septième puits (sans compter toutes les dépressions circulaires naturelles qui parsèment les lieux). Il est situé au nord du grand étang au NO du lac Beauchamp (no 7 sur la carte mise à jour). Le puits est creusé dans une calcite rouge brique à graphite et apatite(?). 

Puits no 7 dans une calcite rouge brique. Présence de graphite et d'apatite(?) Photo 6 janv. 2024.


Le puits 4 (le plus à l'ouest des deux ; l'autre n'est qu'une simple dépression ennoyée sans trait particulier). Il est creusé dans la pegmatite orangée. Photo nov. 2023. 

Je me suis rendu compte que je l'avais déjà remarqué sans m'y attarder en mai 2018.



vendredi 3 novembre 2023

Mine de feldspath Eureka au nord du lac Beauchamp, à Gatineau


J'ai mis à jour mon billet du 4 août 2017 sur la mine de feldspath Eureka (je ne connaissais pas son nom avant il y a quelques jours) au nord du lac Beauchamp, à Gatineau.

Photos premier sept. et 8 oct. 2023.

 






dimanche 18 juin 2023

Conglomérat déposé sur un quartzite grenvillien à Gatineau (ajout)

Mise au point (8 août 2023). - Un retour au site du grès de Nepean du lac Beauchamp (affleurement de la discordance Bouclier/plate-forme) m'a montré que le conglomérat qui se trouve à sa base ne se distingue pas de celui de la station Labrosse* dont il est question dans les lignes qui suivent. Les deux conglomérats contiennent des éléments anguleux à arrondis de quartz, leur seule différence notable étant l'absence de clastes de feldspath dans celui du lac Beauchamp. 

* Je n'avais pas donné d'indices clairs sur l'emplacement du conglomérat jusqu'ici parce qu'il se trouve sur un terrain privé interdit d'accès. Disons que je l'ai découvert au nord de la station Labrosse du Rapibus. 

Les interrogations que soulève ce billet sont donc obsolètes : je n'ai pas découvert un conglomérat pré-Nepean comme je l'ai un instant cru, mais une nouvelle occurrence d'un conglomérat Nepean, tout simplement. Ce qui est suffisant en soi pour justifier mon contentement.

Photos. - Pièce du conglomérat Nepean du lac Beauchamp à Gatineau ramassé au sol  : clastes de quartz anguleux à arrondis. 5 août 2023.






Complément au billet du 7 juin 2023, « Conglomérat à la surface d'un quartzite ».


Quartzite grenvillien â
gé de plus d'un milliard d'années sous le gris manteau d'argile de la mer de Champlain (10 000 ans). 
Moins de deux pieds carrés du quartzite sont couverts par les restes d'un conglomérat feldspathique vieux d'au moins 500 millions d'années. Auriez-vous pu le trouver au travers de ce fatras de débris ?
Gatineau, Qc, juin 2023.




Résumé

Conglomérat contenant des débris anguleux de feldspath reposant à la surface d'un quartzite de la province de Grenville (1 Ga), à Gatineau (Québec). Le conglomérat, très rouillé, devait se trouver à la base du grès de Nepean déposé en discordance (500 Ma) sur le quartzite. Il pourrait également s'agir des restes de la formation de Covey Hill qui a précédée le Nepean. (Le grès n'est pas exposé au site même.)

 


J’ai fait une découverte. Ma place est réservée dans les manuels de géologie (en tout petit, dans une note de bas de page, mais une place quand même).

Grâce à moi la stratigraphie de Gatineau va s’enrichir d’une formation pré-Nepean en contact direct avec le socle précambrien. Ce n’est pas rien.

Avant de voir la chose elle-même, voyons le contexte dans lequel elle s’inscrit par un examen rapide des unités ou des ensembles de roches qui forment le sous-sol de Gatineau et d’Ottawa.


Quartzite grenvillien (plus d'un milliard d'années). Le manque de contraste ne le rend pas très photogénique. 
Photo juin 2023.



À la base, tout en bas, se trouve le Bouclier canadien (bouclier précambrien, province de Grenville), complexe de roches métamorphiques et plutoniques âgé de plus d’un milliard d’années. Voilà les fondations sur lesquelles s’est édifié tout le reste – et, bien souvent, au nord de l’Outaouais par exemple, il n’y a que le Bouclier, sans rien d’autre dessus que les débris laissés par les glaciations ou, dans les vallées, l’argile de la mer de Champlain.

Plus tard, bien plus tard, sur cette base cristalline, sont venues se déposer les sédiments de la plate-forme du Saint-Laurent. Les plus anciens, ou les plus précoces, sont les grès de la fin du Cambrien (510 Ma ou millions d’années), suivis des calcaires, dolomies et shales de l’Ordovicien (485-444 Ma). (Je ne détaillerai pas d’avantage, voyez mon « Tableau des temps géologiques : Gatineau et ses environs »), mais grosso modo, la séquence sédimentaire témoigne de l’avancée et de l’approfondissement d’une mer qui gagnait sur le continent. Dans la région, l’arrivée de l’eau salée s’est faite par un bras de mer à la faveur de l’ouverture de l’océan Iapetus (une sorte de préquel de l’Atlantique). C’est le rentrant d’Ottawa (Ottawa Embayment), contenu par les hauteurs du Bouclier à Perth (Ontario), au nord de l'Outaouais (Laurentides) et au sud du Saint-Laurent (Adirondacks).

Note. Les âges des divisions géologiques sont souvent révisés : il peut donc y avoir des incohérences à travers les billets du blogue. Ces raffinements n’affectent pas le fond du discours.

Retenons simplement pour la suite que les premiers sédiments à se déposer dans la région sont les grès de la formation de Nepean. Le grès est une roche formée de sable lithifié (consolidé). Les sables de Nepean, composés de quartz presque pur, ont tapissé le fond et les bords du rentrant d'Ottawa.

Entre le Bouclier érodé (en dessous) et les sédiments nouveaux venus (au-dessus), existe ce qu’on appelle une discordance (discordance d’érosion). Elle est visible au lac Beauchamp (Gatineau) où l’on voit dans une coupe à flanc d’une butte le Bouclier (sous la discordance) et le grès de Nepean (au-dessus). Plus de 500 Ma séparent les roches de part et d’autre de la discordance. (Voir mon billet du 23 janvier 2011, « Lac Beauchamp : un milliard d'années inscrites dans la roche ».)


Conglomérat reposant sur le quartzite à  Gatineau : fragments (clastes) de feldspath blanc dans une matrice de sable vitreux (quartz).


Ailleurs dans le rentrant d’Ottawa, le grès de Nepean a été précédé par les conglomérats de Covey Hill. (Conglomérat : roche sédimentaire formée d'éléments de tailles hétéroclites.) On ne les trouve pas dans notre région. Ou bien ils ne se sont pas déposés chez nous, ou bien ils ont été érodés avant le dépôt du Nepean (hypothèse la plus probable). Mais bref, le résultat est que, dans la région de Gatineau et d’Ottawa, le Nepean repose directement sur le Bouclier, sans le tapis rugueux du Covey Hill. [Corr. : le Covey Hill affleure à Kanata, dans l'ouest d'Ottawa.]

Des points essentiels distinguent le Covey Hill du Nepean. La formation de Nepean est composée de grès et de conglomérats à cailloux arrondis de quartz. Le tout s'est déposé sur le fond et les marges du rentrant d'Ottawa. La formation de Covey Hill a une origine continentale (ses constituants proviennent de l'érosion du Bouclier) et ses éléments ont connu un transport fluvial. Elle est formée de grès et de conglomérats feldspathiques à éléments anguleux.



Le conglomérat, in situ. Fallait être attentif pour ne pas passer sans le voir. Ni sa couleur ni la rouille omniprésente ne contribuent à le distinguer du quartzite hôte. (Surface mouillée pour mieux faire ressortir les contrastes.)
Photos juin 2023.


Il faut retenir de ce qui précède que le Nepean a été édifié par des sédiments matures, triés et arrondis par un long transport. Ils ont donc une origine distale. Le Covey Hill a accumulé des éléments immatures tels les clastes (brisures) de feldspath anguleux qu’un long transport aurait émoussés ou détruits. Leur origine est donc locale. Ils proviennent de l'érosion du Bouclier proche. (Le feldspath en particulier est, contrairement au quartz, un minéral vulnérable absent des sédiments mobilisés. Sa présence dans un dépôt trahit une origine locale.)

La découverte

Or, j’ai découvert un conglomérat riche en clastes de feldspath blanc anguleux déposés directement sur le Bouclier (sur un quartzite) à Gatineau. Le conglomérat, d'aspect variable, contient en outre des clastes arrondis de feldspath et de quartz ainsi que des galet arrondis dans une matrice de grès quartzeux. Conglomérat et quartzite sont fortement rouillés.



Le conglomérat : un galet arrondi s'est détaché de la roche. 
(Non, le blogue n'est pas commandité par World of Maps.)


La présence d’une forte proportion de fragments de feldspath anguleux témoigne de l'origine locale (au moins partiellement) du conglomérat. Le secteur où je l'ai découvert abonde justement en quartzite et en granite blanc qui auraient pu fournir les clastes anguleux de quartz et de feldspath – ce dernier provenant surtout du granite.

Il est donc parfaitement légitime de se demander s’il ne s’agirait pas d’un (petit) lambeau de Covey Hill ayant échappé à l’érosion.

À la lueur de cette découverte, la colonne stratigraphique de la région serait donc :

Ordovicien : 485-444 Ma

  • Sédiments carbonatés et shales témoignant de l’avancée et de l’approfondissement de la mer (non répertoriés en détail ici : voir mon tableau des temps géologiques)

Cambrien moyen – Ordovicien inférieur : 509-497 Ma

  • Formation de Nepean du groupe de Potsdam ; origine marine et margino-marine, dépôt sur le fond et les marges du rentrant d’Ottawa : grès et conglomérat à cailloux arrondis de quartz
Discordance d’érosion à l'intérieur du groupe de Potsdam

Protérozoïque supérieur  (avant 539 Ma) – Cambrien moyen : 539-498 Ma

  • Formation de Covey Hill du groupe de Potsdam ; dépôts origine continentale (transport fluvial) : grès et conglomérats feldspathiques
Discordance d’érosion Protérozoïque-Paléozoïque (cf. lac Beauchamp, Gatineau)

Protérozoïque moyen : 1,6 – 1,0 Ga (milliard d’années)

  • Bouclier canadien, province de Grenville
  • Roches métamorphiques et plutoniques

Mes moyens et connaissances ne me permettent pas de trancher la question s’il s’agit de Covey Hill ou non. L’important est la place qu’occupe mon conglomérat dans la stratigraphie. Il est pré-Nepean et il repose directement sur le Bouclier. Il pourrait même représenter des sédiments encore plus anciens que le Covey Hill ? Pourquoi pas ?

Si cette origine plus ancienne ne s’avérait pas, il resterait que mon conglomérat étendrait vers le nord, au Québec, la zone couverte par le Covey Hill dans le rentrant d’Ottawa.

Ce n’est pas rien.

À moi la médaille Logan !

Ajout (23 juin 2023). 

Informations qui dormaient dans mes filières mais sur lesquelles je n'ai mis la main (et posé les yeux) qu'après la rédaction du mon billet.

Le conglomérat, au centre, et la glauconite gris-vert friable et terreuse, de chaque côté (la photo rend mal les teintes). Photo juin 2023.

 

Bernius (1996) signale la présence d'un conglomérat à quartz-feldspath de 5 cm d'épaisseur sur le Bouclier précambrien à la base du Paléozoïque dans des forages à Bell's Corners, Nepean (ouest d'Ottawa). Il ne précise pas si le conglomérat fait partie du Nepean (qui le surmonte), mais son texte permet de le supposer. 

La partie supérieure du Bouclier sous le conglomérat est fortement altérée et météorisée (saprolite) et Bernius plusieurs minéraux résultant de l'altération des roches, dont une glauconite gris-verdâtre, sont présents. « La glauconite est répandue dans les roches sédimentaires accumulées dans la mer [...], dans des secteurs proches des côtes. »

Ceci conforte ma première hypothèse selon laquelle mon conglomérat ferait partie du Nepean (et non du Covey Hill). La glauconite vert terne friable affleure sur le quartzite près de mon conglomérat.







Clastes anguleux de quartz et de feldspath.


Notes

Le site où j’ai découvert le conglomérat au fond d’une excavation dans une propriété privée non gardée et non clôturée. Il est probable que l'excavation précède des travaux de construction et que le conglomérat sera détruit ou qu'il deviendra inaccessible. La partie visible du conglomérat, blanc rouillé, sur un plancher de quartzite blanc rouillé lui aussi et recouvert de cailloux, n’excédait pas deux pieds carrés. Il m’a fallu un peu de visu et beaucoup de chance pour ne pas le manquer.

La nomenclature des sédiments du Paléozoïque de la plate-forme du Saint-Laurent varie selon les auteurs et les régions (Ontario, Québec ou État de New York). Les controverses entretenues par les géologues professionnels dépassent mes compétences. J’ai utilisé les termes Covey Hill et Nepean un peu librement, mais correctement, il me semble. Que les pros me pardonnent mes approximations !

Les formations de Covey Hill et de Nepean font partie du groupe de Potsdam. Selon certains, une discordance d’érosion sépare les deux formations et leur réunion dans un même groupe est problématique. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de participer à ce savant débat.

 


Clastes, vides et matrice de sable vitreux (quartz). Sans oublier la rouille.

 


Pour en savoir plus

  • G.R. Bernius, 1996, Borehole Geophysical Logs from the GSC Borehole Geophysics Test Site at Bell's Corners, Nepean, Ontario. GSC, Open File 3157.
  • Sanford, B.V. et Arnott, R.W.C., Stratigraphic and structural framework of the Potsdam Group in eastern Ontario, western Quebec, and northern New York State, Commission géologique du Canada, Bulletin 597, 2010, 83 p. (+ cartes)
  • Williams, D. and P.G. Telford, 1986. Paleozoic Geology of the Ottawa Area. Geological Association of Canada, Mineralogical Association of Canada, Canadian Geophysical Union, Joint Annual Meeting, Ottawa '86, Field Trip 8: Guidebook, 25 p.
  • Williams, D.A., P.G. Telford, A.D. McCracken and F.R. Brunton, 1992. Cambrian-Ordovician Geology of the Ottawa Region. Geological Association of Canada, Canadian Museum of Nature, CPC-II Ottawa '92, Canadian Paleontology Conference, Field Trip Guidebook No. 2, 51 p.
  • A. E. Wilson, Geology of the Ottawa-St. Lawrence Lowland, Ontario and Quebec, Commission géologique du Canada (CGC), Mémoires 241, 1946, 66 pages + cartes 413A et 414A.



Ce n'est pas très visible sur photo, mais voici le seul échantillon à montrer un litage dans la disposition des grains et des clastes. Leur disposition est parallèle au bord inférieur de l'échantillon.