Marbre chargé d'inclusions plissées. Station du Lac-Beauchamp du Rapibus, inaugurée en août 2023, Gatineau, Qc : tranchée de route encore toute fraîche. Photo juillet 2023.
On a inauguré cet été à Gatineau un nouveau tronçon du Rapibus avec la station Lac-Beauchamp qui fait le trait d'union entre la station Labrosse, l'ancien terminus, et la station Lorrain, le nouveau.
Les travaux du prolongement ont mis au jour plusieurs centaines de mètres d'affleurements de roches précambriennes que je me suis fait un devoir et un plaisir d'aller examiner de près. J'ai complété mes pérégrinations par des excursions dans les pistes du parc du Lac-Beauchamp, pistes officielles ou informelles entretenues par des bénévoles. En fait, les bois et les collines au nord du Rapibus sont une dépendance du parc à chiens du boul. St-René E. Le long des pistes, on croise deux à trois fois plus de canidés que d'homininés.
Région du parc du Lac-Beauchamp, Gatineau, Qc. (Mises à jour. - Ajout du puits no 7 ; 19 mai 2024, des puits 8 et 9.)
RB : Rapibus (la voie, qui n'apparaît pas sur la carte, longe la voie ferré, côté N).
CC : carrière du Cimetière (nom informel) ; CE : carrière Eureka ; Dép. : ancien dépotoir de Templeton-Est ; PAC : parc-à-chiens. Stations du Rapibus : SLa : station Labrosse ; SLB : station du Lac-Beauchamp ; SLo : station Lorrain.
Pistes du parc en orange : retracées ou retouchées selon diverses sources.
1-7 : puits dans le roc. Les nos 2 et 3 qui apparaissent sur les cartes LiDAR sont partiellement comblés et leur nature, naturelle ou artificielle, n'a pu être établie.
Carte (fond) : gouv. du Québec ; annotations : © Henri Lessard, 2023.
Les pistes, officielles ou non, n'étaient pas si développées en 2017, me semble-t-il, lors de mes dernières expéditions dans le secteur avant cette année. À l'époque, j'étais surtout attiré par la région au sud du lac où des grès du Cambrien (500 millions d'années) recouvrent en discordance les roches métamorphiques et plutoniques du Précambrien (1200 millions d'années). (Voir billet du 23 janv. 2011.) La même discordance réapparaît à une échelle plus modeste à la station Labrosse, à l'ouest du lac (découverte personnelle, billet du 18 juin 2023).
Carrière du Cimetière (nom officieux), CC sur ma carte. Cette carrière n'est pas très photogénique, je l'avoue. Je n'en ai pas de bonnes vues générales. Photo oct. 2023.
Cet été, je me suis tourné vers les formations précambriennes des collines à l'ouest et au nord du lac Beauchamp, attiré dans le secteur par les affleurements révélés par les travaux du prolongement du Rapibus.
Bloc de granite gris dans la carrière du Cimetière, avec trou de forage au centre. D'après l'ampleur de la couverture de lichens, il n'a pas été dérangé depuis longtemps. Photo oct. 2023.
On y trouve du quartzite, du gneiss à grenat, du marbre à silicates et des roches calco-silicatées variées, des amphibolites, des granitoïdes, massifs ou gneissiques, des pegmatites ubiquistes et un mince skarn (ce billet) à apatite-mica, recoupant gneiss et pegmatite. Les formations ont une orientation générale SW-NE et les plongements sont abrupts. Le marbre et les intrusions granitiques qui lui sont associées sont riches en graphite éparpillé en paillettes ou servant à colmater les joints dans la roche. Rien d'étonnant, ce métal a été exploité autrefois dans l'Outaouais et on en trouve des indices ici et là.
Je ne m'étendrai pas davantage sur la géologie des lieux. C'est autre chose qui m'intéresse pour l'instant. Selon des cartes qui remontent à la première moitié du XXe s., le voisinage du lac Beauchamp est demeuré longtemps plus ou moins excentrique, les collines, entre la voie ferrée que longe le Rapibus et le boul. St-René E ayant échappé dans une bonne mesure au développement. (Voir la carte.) Une carrière de feldspath aujourd'hui ennoyée a été exploitée entre 1896 et 1920 au NE du massif rocheux (carrière Eureka, billet du 4 août 2017). La municipalité de Templeton-Est a installé un temps son dépotoir au milieu des collines. Son talus limitrophe existe encore et des déchets ressortent du sol ici et là tout autour. Un parc de maisons mobiles s'est implanté au nord du boul St-René E. C'est tout me semble-t-il, si on excepte la carrière de grès au sud du lac Beauchamp, active jusqu'au milieu du XXe s. (billet du 24 avril 2012). Le parc industriel, au sud du boul St-René E, n'empiète pas sur les collines.
Puits no 1 sur la carte, creusé dans un gneiss gris banal, sans intérêt particulier justifiant l'entreprise. Des paillettes de mica ont cependant été trouvés dans les déblais. Elles ne valaient pas tant de peines. Photo nov. 2023.
Or, il existe des traces d'activités non répertoriées que je ne peux expliquer, les textes et les cartes étant muets à leur sujet. Il y a par exemple cette carrière abandonnée à l'est du cimetière du boul. Labrosse (CC sur ma carte). La forêt n'a pas repris sur le granite dénudé, le front de taille est encore visible, ainsi que des traces de travaux (trous de forage). Je n'ai trouvé aucune documentation à son sujet, même les cartes l'ignorent alors qu'elle est topographiquement évidente. Les surfaces rocheuses recouvertes de lichens témoignent d'un abandon qui perdure depuis des décennies.
Tranchée prolongeant le puits no 1 vers le NE jusqu'à un petit escarpement. Photo nov. 2023.
Plusieurs puits sont éparpillés dans les collines au nord du lac. Il s'agit de petites excavations de l'ordre de quelques mètres, souvent des puits jumeaux creusés côte à côte. Les tas de blocs près des puits ne laissent pas penser que le plancher soit profondément enfoui sous les débris végétaux accumulés. Rien ne semble justifier ces puits et on les trouve indifféremment dans le gneiss, la pegmatite et une serpentinite à chlorite. Le puits qui porte le no 1 sur ma carte, creusé dans un gneiss gris banal, est prolongé par une tranchée jusqu'au pied d'un petit escarpement. Un petit pneu et son essieu émerge des débris végétaux comblant la tranchée. J'ai vu des feuilles de mica noir de quelques cm dans les rejets de blocs anguleux au bord du puits, mais c'est peu de chose pour l'ampleur de l'entreprise.
Au fond de la tranchée, une roue, un essieux. Photo oct. 2023.
Certains de ces puits ne semblent être que des dépressions laissées par la chute d'un arbre déraciné comblées par les feuilles mortes et les débris végétaux. Or, les cartes LiDAR, qui voient à travers le sol meuble, montrent qu'ils ont imprimé une empreinte nette dans le socle rocheux, ce qui va à l'encontre de cette hypothèse. De plus, les arbres tombés abondent dans ces bois et le LiDAR ne détecte qu'une poignée de puits.
Les déblais du puits no 1 paraissent assez frais sous leur couverture de feuilles. Les travaux semblent relativement récent par rapport à ceux de la carrière du Cimetière. Photo nov. 2023.
Ajoutons que, dans le cas des puits jumeaux, la mince parois de roc entre les dépressions interdit de leur appliquer l'hypothèse de dépressions laissées par les racines d'arbres disparus, de même que les blocs anguleux accumulés autours des ouvertures des puits, qu'ils soient simples ou doubles.
L'un des puits doubles du no 5 de la carte. Les surfaces rocheuses ne semblent pas très fraîches. Photo nov. 2023.
Aucun puits, à ma connaissance, ne se trouve près d'une roche riche en graphite, ce qui pourrait donner un semblant de justification à leur existence (exploration minière). Le puits et la tranchée évoquées plus haut sont dans l'axe d'un modeste skarn à apatite-mica affleurant sur le bord de la voie du Rapibus, à l'est de la station du Lac-Beauchamp, mais c'est quelque chose de banal et de peu d'importance qui ne justifie pas le travail d'excavation dans le roc.
Il est difficile de dater ces puits, assez anciens pour que la colonisation des blocs par les lichens et les mousses soient commencée, mais le degré d'extension de leur couverture varie d'un puits à l'autre. Les blocs de la carrière du Cimetière sont à l'abandon depuis des décennies au moins (voir la photo plus haut). Les puits ne semblent pas tous contemporains. On peut supposer aussi qu'ils ont été creusé pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la géologie ou la minéralogie.
Au nord des collines, un colloque de têtes, sinon de casques. À défaut de creuser des puits, s'est-on creusé les méninges ? Photo nov. 2023.
Mise à jour (7 janv. 2024)
Ajout d'un septième puits (sans compter toutes les dépressions circulaires naturelles qui parsèment les lieux). Il est situé au nord du grand étang au NO du lac Beauchamp (no 7 sur la carte mise à jour). Le puits est creusé dans une calcite rouge brique à graphite et apatite(?).
Puits no 7 dans une calcite rouge brique. Présence de graphite et d'apatite(?) Photo 6 janv. 2024.
Le puits 4 (le plus à l'ouest des deux ; l'autre n'est qu'une simple dépression ennoyée sans trait particulier). Il est creusé dans la pegmatite orangée. Photo nov. 2023. Mise à jour (19 mai 2024)
Puits no 8 dans une roche calco-silicatée verte serpentinisée (brèche ?) et puits no 9 dans une pegmatite. Photos respectivement 20 avril et 18 mai 2024.