vendredi 10 juin 2022

Île-de-Hull : fondations dans l'argile

Photo 1. Chantier sur la rive de l'Outaouais à Gatineau (site no 5 sur la carte 1). Il faut des murs de soutènement pour contenir les dépôts meubles dans lesquels on creuse des fondations. Photo prise du pont Cartier-Macdonald, le 28 mai 2022.


On édifie dans l’Île-de-Hull, ce qui suppose au préalable d'excaver les fondations. Dans le NE de l’Île, à l’endroit où le manteau de sédiments meubles est le plus épais, les fondations ne reposent pas sur le calcaire du socle, mais dans l'argile marine. 

NE de l'Île-de-Hull ; repères chrono-géologiques.

Socle rocheux. - Calcaire du groupe de Trenton (Ordovicien moyen et supérieur, 458 - 444 Ma).
Dépôt meubles. - Argile de la mer de Champlain (12 000 - 10 000 ans) + alluvions superficiels récents

Selon un ouvrier interrogé en bordure du site no 2, à l'angle du boul. Sacré-Coeur et de la rue Notre-Dame (carte 1), le roc est à 70 pieds de profondeur (21,3 m) sous l'argile marine à cet endroit. La carte 2 indiquerait plutôt entre 40 et 50 pieds (12,20 - 15,25 m) de dépôts meubles, mais l'âge de la carte (1980) et le manque de détail dans les isobathes indique qu'elle donne sans doute une image simplifiée de la réalié.

Naïvement, je pensais qu'on creusait jusqu'au roc pour asseoir les fondations des édifices d'un peu d'importance. Apparemment, on se contente de piquer des poteaux ou des piliers de fer à travers l'épaisseur des dépôts meubles et de ceinturer les excavations de murs de soutènement. Au NE de l'Île-de-Hull, on dort sur des lits ou des matelas d'argile ; selon la carte de la sensibilité des sols aux secousses sismiques (billet du 4 juillet 2012, « Et Gatineau, c'est pas une ville sensible, elle ? »), ça ne doit pas constituer un sujet d'insomnies pour les habitants...

Les cartes qui suivent confirment la présence, dans le NE de l'Île, d'une couche épaisse de sédiments meubles, constituée surtout de l'argile marine de la mer de Champlain recouverte par endroits d'alluvions du proto-Outaouais. Ces dépôts, les plus considérables de l'Île, atteingnent une épaisseur d'environ 20 m, comme on l'a vu.

Noter que je n'ai pas pu prendre de photos de l'excavation du site no 4. Les coupes et la plupart des cartes sont tirées du billet du 27 mai 2018, « Pas de «A» pour la 1506A » (et les liens qu'il contient).


CARTE 1. Détail modifié de la Carte interactive (Atlas de Gatineau).
Ajouts
  • Contours rouges : chantiers actifs au NE de l'Île-de-Hull. 
  • X : excavations plus modestes (leur position peut être un peu approximative). 


CARTE 2. Épaisseur des dépôts meubles dans l'Île-de-Hull (détail modifié de Bélanger et Harrison, 1980 ; titre original : Fig. 4. Drift Thickness Trend, Ottawa-Hull, Ontario and Québec).
Les courbes de niveau ou les isobathes indiquent la profondeur du socle rocheux sous les dépôts meubles ; leur intervalle est de 10 pieds (3 m). Les sites des chantiers de construction sont en rouge (repris de la carte 1). À leur endroit, l'épaisseur des sédiments meubles est d'entre 20 et 50 pieds (6,10 - 15,25 m).
Selon un ouvrier interrogé en bordure du site no 2, le roc est à 70 pieds de profondeur (21,3 m) à son lieu de travail. La carte donne plutôt pour cet endroit des valeurs entre 40 et 50 pieds (12,2 - 15,25 m). Le tracé très lisse des isobathes laisse soupçonner que la carte donne une image sans doute quelque peu simplifiée de la réalité. Il est étonnant par exemple que la dépression comblée du lac Flora (actuel parc Fontaine au centre de l'Île ; voir coupe 2 et cartes 3 et 6) n'apparaisse pas dans le tracé de leurs courbes.



COUPE 1. Rive de l'Outaouais à la hauteur du pont Cartier-Macdonald (détail modifié de Beauchemin-Beaton-Lapointe inc., 1962. Document photographié à main levée, avec possibles distorsions.) 
Le site no 5 (photo 1) est dans le talus de la rive où env. 18 m de dépôts meubles recouvrent le socle calcaire, dont env. 10 m d’argile (« Glaise limoneuse ») recouverte de 6 m d'un « Remblai granulé » dont l’origine n’est pas précisée (naturelle ?, matière d’un remplissage ?). L'expression glaise silteuse serait peut-être préférable à glaise limoneuse
Les autres sites sont trop à l'ouest pour figurer sur la coupe.

Légende adaptée (j'ai estimé l'épaisseur approx. des couches au plus épais des dépôts meubles.)
  • Remblai granulé compact brun [6,1 m].
  • Glaise limoneuse variant du brun au gris [10,4 m].
  • Sable limoneux gris et gravier avec galets et grosses pierres roulées et traces de glaise. Compact à dense [1,2 m].
  • Galets et grosses pierres roulées [non présente sur la coupe].
  • Roc [calcaire, schiste argileux non divisés]. 
  • [Épaisseur totale : 17,7 m.]



PHOTO 2. Site no 2. Selon un ouvrier, le socle rocheux est à 70 pieds de profondeur (21,3 m). C'est plus que n'en indique la carte no 2 à cet endroit (entre 40 et 50 pieds ; 12,2 - 15,25 m). 
La profondeur du plancher des fondations est d'environ 10 m (mon estimation), soit 33 pieds. Il y avait encore de la marge avant de toucher le roc.
Photo 28 mai 2022. (Le 10 juin, j'ai pu voir qu'on avait creusé un peu plus profond encore dans d'autre secteurs du chantier.)


PHOTO 3. Site no 1. On creuse... 
Photo 2 avril 2022.
PHOTO 4. Site no 1. On a terminé de creuser et on égalise le plancher d'argile grise. Le roc n'est atteint nulle part. La profondeur des fondations est d'environ 6 m (mon estimation), soit 20 pieds. La carte 2 indique que le socle rocheux est à entre 40 et 50 pieds à cet endroit (12,2 - 15,25 m), tout comme aux sites 2 et 5, plus au sud. 
Photo 30 avril 2022.







CARTE 3. Aptitude des sols (détail modifié de Théberge (1986 ; titre original : Carte 5. Aptitude des sols - Gatineau-Hull-Aylmer).
(Document photographié à main levée, avec possibles distorsions. J'ai retouché les contours pour les rendre plus lisibles mais des détails ont pu m'échapper.) 
Légende (adaptée)
1C. - Till ; roc à moins de 3 m sous la surface.
2B. - Till ; roc à plus de 6 m de profondeur.
3A. - Dépôts meubles variés, moins de 3 m ; till, sable, gravier, argile desséchée.
3B. - Roc affleurant ou sous des dépôts meubles de moins d'un m.
4B. - Sable fin à grossier, 6 m et plus, reposant sur l'argile.
5A. - Argile consolidée ; roc, till ou dépôt granulaire à 3-6 m. L'argile peut-être couverte par moins de 2 m de sable.
5B. - Comme 5A, roc à plus de 6 m de profondeur.
6A. - Remblai hétérogène [artificiel] de plus de 3 m. [Parc Fontaine, ancien lac Flora ; voir carte 2.]

Le site no 1 est dans le 5B, à la lisière du 5A ; les autres sont entièrement dans le 5B : surtout de l'argile marine recouverte de sable. La profondeur du socle varie de 3 à plus de 6 m.



CARTE 4. Géomorphologie, géologie et épaisseur des dépôts meubles (détail modifié de Théberge (1986 ; titre original : Carte 1. Géomorphologie, géologie et épaisseur des dépôts meubles. Gatineau-Hull-Aylmer).
(Document photographié à main levée, avec possibles distorsions. J'ai retouché les contours pour les rendre plus lisibles mais des détails ont pu m'échapper.) 
Légende (adaptée)
Récent
  • 10. Dépôts organiques. - Humus et tourbe des régions mal drainés, marécageuses et tourbières.
  • 9. Dépôts fluviatiles. - Gravier sable, silt, silt argileux, matière organique sur la plaine inondable.
Dépôts du proto-Outaouais
Dépôts fluviatiles de chenaux abandonnés. 
  • 8. Silt argileux, silt et lentilles de sable recouvrant le faciès d'eau profonde de l'argile de la mer de Champlain.  
  • 7. Sables lités moyens jaune clair, remaniés localement en dunes de petite taille.
Dépôts glaciaires
  • 1. - Till de fond, mélange hétérogène de matériaux allant de l'argile à de gros blocs, généralement sableux.
Roche en place
  • R. - Calcaire, dolomie, grès et shale du Paléozoïque : affleurements tabulaires dénudés, recouverts localement d'au plus 2 m de dépôts meubles.

Tous les sites sont dans le 8 : argile marine recouverte dde sable et de silt (alluvions). Le roc (R) affleure au sud du secteur des chantiers.



CARTE 5. Carte des sols de l'Île-de-Hull, modifiée de L'Atelier de l'Urbanisme Georges Robert (1965).
Je ne suis pas sûr que les unités de la légende soient classées dans l'ordre chronologique. Je corrige (?) ici la chose (en m'aidant de la coupe 2). (Document photographié à main levée, avec possibles distorsions.) 
Légende (adaptée et interprétée)
  • MO/R. - Matières organiques, tourbières, résidus. [Sols récents, cf. parc Fontaine, ancien lac Flora ; voir carte 2.]
  • SG. - Sable et gravier. [Alluvions post-Champlain]
  • TN. - Terre noire.
  • AS. - Argile silteuse. [Argile de la mer de Champlain]
  • RBG. - Roche-mère, boulders et graviers.
Encore une fois, tous les chantiers sont dans entièrement dans l'argile (unité AS), sauf peut-être le no 3 (photo 6), qui touche à la lisière de terre noire (TN) recouvrant l'argile. 


COUPE 2. Coupe de l'Île-de-Hull, modifiée de L'Atelier de l'Urbanisme Georges Robert (1965). (Document photographié à main levée, avec possibles distorsions.) 
Coupe N-S de l’Île passant par le parc Fontaine (ancien lac Fora), à l'ouest des chantiers de construction. L'échelle verticale est 20 fois exagérée (d'après mon estimation). J'ai refait la typographie, converti les pieds en mètres et accentué le contraste de l'image.
Le calcaire du groupe de Trenton (Ordovicien moyen et supérieur, 458 - 444 Ma) forme le socle de l'Île. L'argile silteuse a été déposée par la mer de Champlain ; le till glaciaire qui devrait se trouver entre le socle calcaire et l'argile n'apparaît pas. Le sable et gravier ont été laissés par le proto-Outaouais. Le parc Fontaine est sur le site de l'ancien lac Flora, comblé vers 1911 (« Remblayage »). (La page définissant la terre noire manque au rapport d'où est tiré la coupe : une autre source précise que les terres noires du SW du Québec se sont développées sur le site d'anciens lacs peux profonds qui ont succédé à la mer de Champlain (ou au proto-Outaouais, dans notre cas ?) par accumulation de résidus végétaux année après année. Les terres noires sont riches en matières organiques.)
Les sites de construction sont au nord du boul. Sacré-Coeur dans l'argile silteuse.


PHOTO 5. Site 3. La profondeur des fondations est d'environ 6 m (mon estimation), soit 20 pieds. La carte 2 indique que le socle rocheux est à entre 30 et 40 pieds à cet endroit (9,10 - 12,20 m) - en supposant que la carte soit assez précise et que j'ai placé le X exactement au bon endroit. 
Photo prise le 14 nov. 2021, juste avant que je sois expulsé du chantier.
  


Références

  • L'Atelier de l'Urbanisme Georges Robert, 1965 – Reconnaissance et appréciation des conditions urbaines, Hull, 1965 : Rapport numéro 1. Trois-Rivières, 27 pages + plans.
  • Beauchemin-Beaton-Lapointe inc., 1962 – Pont MacDonald-Cartier : rapport sur les études techniques préliminaires. Conseil de Liaison, 144 p.
  • Bélanger, J. R.; Harrison, J. E., 1980 – Regional Geoscience Information : Ottawa-Hull. Commission géologique du Canada, étude 77-11, 18 p., avec 8 cartes [dont Fig. 4. Drift Thickness Trend, Ottawa-Hull, Ontario and Québec. 1 : 50 000].
  • Carte interactive (Atlas de Gatineau), consulté le 3 juin 2022 ; https://www.gatineau.ca/portail/default.aspx?p=publications_cartes_statistiques_donnees_ouvertes/cartes/carte_interactive_atlas_gatineau
  • Théberge, J. 1986 – Cartographie géotechnique dans la région de Gatineau-Aylmer-Hull. Ministère de l’énergie et des ressources du Québec, MB 86-43. [Avec cartes au 1/20 000.]


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