Fig. 1. La rivière et le canal Rideau à Bytown (Ottawa). Colonel By, 1828 (détail), tirée de H. et O. Walker, 1968. Photo à main levée, distorsions possibles. Voir la fig. 2 pour plus de détails.
La géologie-fiction, branche peu pratiquée de la science-fiction, reste méconnue. Il y a deux ans, j'imaginais que l'Outaouais avait repris après les glaciations son cours original qui passait au sud d'Ottawa : la Colline du Parlement aurait été à Gatineau, Québec*. Gageons que ce ne serait plus la Colline du Parlement... D'autres, plus ambitieux, ont supposé que des glaciations moins sévères auraient permis au Français de s'emparer de toute l'Amérique du Nord en remontant jusqu'à la source intacte de l'ancêtre du Saint-Laurent**. Il est impossible de pratiquer la géologie-fiction sans toucher à la politique-fiction.
* 1er févr. 2014, «Géologie-fiction : les deux bras de l’Outaouais ou Ottawa, PQ»
** 15 janv. 2014, «Géologie-fiction»
Il existe de part et d'autre de l'Outaouais deux vallées dans le prolongement l'une de l'autre. Toutes deux se conforment au trajet d'une faille NW-SE, la faille Hull-Gloucester. Il s'agit de la vallée du ruisseau et du lac des Fées*, à Gatineau, et de la vallée du lac Dow's, à Ottawa.
* Le ruisseau du lac des Fées oblique vers l'est près de la rivière pour se jeter dans le ruisseau de la Brasserie (bras de l'Outaouais).
Avant la construction du canal Rideau en 1826-1832, la rivière Rideau se divisait en deux branches à Bytown (qui n'était pas encore Ottawa). Au nord des chutes de Hog's Back, la branche droite (dans le sens du courant), rejoignait et rejoint toujours l'Outaouais aux chutes Rideau ; la branche gauche, elle, rejoignait la rivière en amont des Chaudières par le «Dow's Great Swamp». La construction de digues a permis d'assécher le marais et de créer un lac artificiel à son extrémité sud, le lac Dow's, que l'on a annexé au canal (fig. 1 et 2)*.
* Le ruisselet qui traversait le marais est surligné en rouge sur la fig. 2. Il figurait encore sur une carte de la Commission géologique du Canada en 1901 ; il est absent d'une autre carte de la même Commission publiée en 1915. A-t-il été contraint de passer par des canalisations souterraines ou la vallée a-t-elle été définitivement asséchée entre ces dates ?
Si les deux bras de la Rideau avaient eu la même force (c'est ici que commence la géologie-fiction) et qu'ils avaient tous deux été conservés, le centre-ville d'Ottawa aurait été une île, un peu comme l'Île-de-Hull, au nord. Ç'aurait été l'île Rideau. On peut aussi se demander, dans l'hypothèse où l'Outaouais avait emprunté un autre parcours après les glaciation, si l'Île-de-Hull et l'île Rideau n'auraient pas été réunies en une seule et unique île, l'île Rideau-Hull* ? (fig. 3 et 4) ? La tectonique invite à formuler cette hypothèse. Il aurait suffit que la rivière exploite le jeu des failles ou qu'elle prenne le ruisseau de la Brasserie comme chenal principal au lieu de passer par les Chaudières (fig. 4).
* Allusion narquoise à Rideau Hall, résidence du Gouverneur général, à Ottawa.Ironie supplémentaire, Rideau Hall est à l'est des chutes Rideau, donc hors de l'île Rideau-Hull.
Le «Grand Marais Dow» s'allongeait au creux d'une vallée boisée qui touchait à l'Outaouais en amont des Chaudières comme pour se joindre à la vallée du ruisseau du lac des Fées par delà la rivière. À Gatineau, le profil de la vallée est nettement dissymétrique, le ruisseau coulant au pied d'un escarpement de 30 m qui marque le rebord oriental du horst du parc de la Gatineau. L'axe de la vallée du Dow's Great Swamp coïncide avec la rue Preston actuelle.
Au sud du lac Dow's, la vallée se perd sous le till glaciaire. Il a été possible toutefois de la repérer sous le campus de l'Université Carleton.
Il ne faut pas prendre ce billet trop au sérieux. L'Outaouais est une rivière jeune qui n'a pas régularisé son cours où abondent coudes anguleux, chutes, cascades et rapides. Au sortir des glaciations, il aurait suffit que les conditions soient différentes d'un iota pour que la rivière emprunte d'autres détours et d'autres chemins.
Fig. 2. C : canal Rideau (le canal réel est un peu différent) ; CC : chutes des Chaudières ; CR : chutes Rideau ; D : lac Dow's et le marais, au NW ; HB : chutes de Hog's Bock ; R : la Rideau ; O : l'Outaouais. Le nord d'après des détails de la carte. Le lac Dow's (artificiel) interrompt le ruisselet (surligné en en rouge) qui partait de la Rideau pour aboutir à l'Outaouais.
Fig. 3. Détail modifié de Sanford et Arnott (2010). FE : faille d'Eardley ; FHG : faille Hull-Gloucester ; FLL : «faille du lac Leamy» ; ÎdH : Île-de-Hull ; IR : île Rideau (fictive) ; ÎRH : Île-Rideau-Hull (fictive) ; LD : lac Dow's ; LF : Lac-des-Fées ; Q et pointillé brun : dépôts d'argile de la mer de Champlain comblant des vallées ; R : la Rideau. Les «îles» au Québec sont en bleu, en Ontario, en rouge. Les noms entre guillemets : failles anonymes nommées par moi.
Je suppose ici que la Rideau se divise en deux bras à partir du lac Dow's (LD) et forme ainsi l'île Rideau (ÎR) ; je suppose, en plus, que la continuité avec le ruisseau du lac des Fées (LF) permette de fusionner l'Île-de-Hull (ÎdH) et l'île Rideau pour former l'Île-de-Rideau-Hull (ÎRH). Dans ce cas, où passerait l'Outaouais ? (Réponse fig. 4.)
Légende de la carte originale : ne retenons ici que deux choses : le blanc est le Précambrien (Bouclier canadien, les couleurs, le Paléozoïque (plate-forme du Saint-Laurent).
Fig.4. Ici, l'Outaouais, au lieu d'emprunter son parcours actuel, passe (flèche bleue et blanche) par la vallée du ruisseau de la Brasserie, à l'ouest de l'Île-de-Hull (ÎdH) pour se frayer un chemin dans les vallées comblées d'argile marine (Q), ainsi que l'invite la faille en pointillée. (Ce nouveau parcours se confond avec celui du ruisseau Moreau, à Pointe-Gatineau.)
Références
- Harry and Olive Walker, Carleton Saga, Carleton County Council, 1968, réimpr. 1971, 574 p.
- Sanford, B.V. et Arnott, R.W.C., Stratigraphic and structural framework of the Potsdam Group in eastern Ontario, western Quebec, and northern New York State, Commission géologique du Canada, Bulletin 597, 2010, 83 p. (+ cartes)
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