Pierre Raphaël Pelletier, Les Dépossédés du Vieux-Hull : récit poétique, Ottawa, Les Éditions David, coll. « Indociles », 2020, 144 p. 17,95$ ISBN 978-2-89597-726-1 |
Pierre Raphaël Pelletier nous raconte son Vieux-Hull. Petites vies au raz de l'asphalte et du ciment des trottoirs ; c'est l'Île-de-Hull d'autrefois, avec la rue Principale (promenade du Portage) et ses commerces courus pour artère et le parc de la Gatineau comme poumon lointain. C'est le Vieux-Hull d'un poète qui remonte jusqu'à ses années d'enfance.
« La rue Principale / avec le coin qu'on préfère qui ramène à l'essentiel / la rue à portée de la main / la rue à portée de l'humain (p. 135). »
« Vous baignez dans ce décor / enfants insouciants / d’une époque rassurante (p. 16). »
C’est aussi l’histoire d’un quartier populaire, d’un quartier ouvrier. Entre 1969 et 1975, 1500 maisons sont démolies, 6000 personnes sont expropriées de façon cavalière pour faire place aux édifices fédéraux et provinciaux. Les Dépossédés du Vieux-Hull remémorent le drame des gagne-petit arrachés à leur cadre de vie, aux liens familiaux et sociaux qui tissaient la trame de leur existence. Le Vieux-Hull a été saccagé, ce qu'on ne pouvait exproprier - l'église Notre-Dame, l'hôtel de ville - a opportunément disparu en fumée.
Magouilles financières et tripotages politiques l’ont emporté ; l'omerta clouait les lèvres. Protestations et contestations n’ont rien changé à l’affaire. Benoît, le frère poète de l'auteur, gardera longtemps les séquelles d'un coup de matraque constabulaire...
Pierre Raphaël a la bonne inspiration de ramener à plusieurs reprises notre attention sur le destin de ses proches. Je ne détaille pas ici le compte des bons et mauvais jours, des plaisirs et des deuils, des projets et des désillusions. On trouve là les pages les plus attachantes du livre, les plus riches en humanité. La texture même de la vie nous y est révélée.
Passent l’ombre de personnages marquants, Marcel Chaput, Mgr Charbonneau ou celle du peintre Jean Dallaire. Celles, plus anonymes, du « Club des poètes maudits »…
Les Dépossédés nous offrent ainsi une triple biographie ; celle de l'auteur, de sa famille et du Vieux-Hull. Le texte est scandé par plusieurs poèmes qui redisent la prose d’une façon plus lyrique et plus personnelle.
De courts chapitres donnent un rythme enlevant à la lecture. On espère des jours meilleurs, on attend le retour du printemps, « celui qui reste pour de bon/qui sourit amusé d’être là (p. 101). »
Mais quel printemps espérer pour le Vieux-Hull défunt ?
« Mon Vieux-Hull date de 1900. Au-delà des mots et de lancinantes étrangetés, liées entre elles par des forces funestes, d’autres feux d’origine suspecte illuminent les cieux du centre-ville de Hull lors de sa destruction au tournant des années 1970. Résonnent de sourdes complaintes dans les rues des quartiers ouvriers qui ont échappé au carnage. Ainsi a-t-on détruit ma ville natale, et l’on continue, encore aujourd’hui, à vouloir mettre fin à d’autres quartiers patrimoniaux, au profit de tours à condos luxueuses et... gourmandes. Il va sans dire que j’ai été témoin — comme tant d’autres — de la barbarie qui s’est abattue sur le Vieux-Hull. À la lumière de tout ceci, j’ai écrit ce court récit poétique pour rappeler les moments heureux et malheureux de mon enfance, de mon adolescence et la fin de ma jeunesse, vécues dans ce qu’on appelle maintenant l’Île de Hull. J’espère que ce récit, écrit au fil de la mémoire d’un enfant d’alors et d’un écrivain d’ensuite, avec les inexactitudes qu’engendrent les souvenirs nourris de fantasmes choyés dans la fiction, saura vous émouvoir... et vous faire retrouver le passage vers votre propre enfance (Les Dépossédés du Vieux-Hull, p. 13-14). »
Henri Lessard, 20200131
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Né à Hull, du côté québécois de la rivière des Outaouais, Pierre Raphaël Pelletier a passé la plus grande partie de sa vie du côté ontarien, où il a milité dans de nombreux organismes artistiques et culturels francophones. Menant une double carrière d’artiste visuel et d’écrivain, il a réalisé plus d’une trentaine d’expositions, solos ou en groupe, et publié une vingtaine de livres. (Paragraphe biographique extrait du site des Éditions David.)