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samedi 1 mars 2014

Ruisseau de la Brasserie : contrôle tectonique et autres coïncidences



Île-de-Hull
Carte © Henri Lessard, févr. 2014, sur un fond de source inconnue.
1-5 : tronçons du ruisseau de la Brasserie ; Rose des vents : (bleue et rouge) systèmes de joints locaux dans le calcaire ordovicien ; superposition des deux roses des vents en bas, à droite ; CC : chutes de la Chaudière (Grande Chaudière) ; F : faille anonymes (Wilson, 1938) ; FA : faille des Allumettières (Lessard, billet du 29 nov. 2009); FM : faille Montcalm (Lessard, billet du 1er janv. 2013, d'après Wilson, 1938) ; L (lignes tiretées fines) : linéaments (décrits dans Lessard, billet du 31 juillet 2013 ; Lignes sinueuses tiretées et O / Q : séparation Ordovicien et Quaternaire ; M : affleurements du boul. Montclair ; ? : jonction (?) de la FA et d’un joint NNW (droite tiretée) à partir de la CC.


Localisation
Ruisseau de la Brasserie, Hull (Gatineau), Québec.
45.42973,-75.727255
Résumé
Le ruisseau de la Brasserie est un bras de la rivière des Outaouais. Dans sa partie amont, ses tronçons rectilignes suivent les lignes de faiblesse du socle calcaire ordovicien (failles, mais surtout joints) ; dans sa partie aval, le ruisseau trace des méandres dans un dépôt de sédiments quaternaires. On observe un alignement entre un un joint NNW particulièrement bien exprimé aux chutes de la Grande Chaudière, dans la rivière, le tronçon amont du ruisseau et une faille.
Autres billets (même sujet ou sujets liés)
«Faille des Allumettières, Gatineau (Québec)», 29 nov. 2009
«Chutes des Chaudières : description et origine», 1er janv. 2013
«Île-de-Hull : alignement de coïncidences», 31 juillet 2013
«Île-de-Hull (Gatineau) : guide géologique», 10 août 2013
«Rapides du ruisseau de la Brasserie», 25 août 2013


Anomalie

Le ruisseau de la Brasserie est une anomalie ou, du moins, une étrangeté dans le paysage hullois. Rien n’obligeait l’Outaouais à prendre sous le bras un morceau du plateau calcaire ordovicien sur lequel il coule pour créer le ruisseau – et, du même coup, l'Île-de-Hull –, d'autant que l’eau de l’Outaouais, en s'y engouffrant, doit aller à contre courant, vers le NNW, au lieu de suivre la direction générale de la rivière, vers l’E.

Selon Allard (1977), le seul à ma connaissance à se prononcer sur le sujet, l’origine de ce bras de l'Outaouais remonterait à l’époque précédant les glaciations du Quaternaire.

Peut-être pourrai-je alimenter un peu les discussions en présentant un résumé de mes propres observations. Les faits et coïncidences que je relève ici n'ont été signalées par personne à ce jour, pour autant que je sache.


Failles et joints

D'emblée, le tracé du ruisseau montre l'évidence. Le cours d'eau a creusé son lit en attaquant de façon préférentielle les abondantes lignes de faiblesse du socle que sont les joints et les failles qui se croisent dans le secteur. Ainsi s'expliquerait l’allure rectiligne de ses tronçons et les brusques changements de directions qui caractérisent sa partie amont. En aval, le ruisseau coule sur un épais tapis de dépôts quaternaires où il dessine de sinueux méandres, fortement retouchés par les interventions humaines.

D'ailleurs, toutes les rives du ruisseau ont été affectées par l'urbanisation (bétonnage, remplissage, carrières, etc.). Les affleurements rocheux sont rares, ce qui ne facilite pas la récolte d’indices sur la tectonique du socle.


Tronçons

J'ai divisé le ruisseau en 5 tronçons (voir carte ; sans l’avoir cherché, j’ai pratiquement calqué le découpage du ruisseau par zone mis au point par le Club des Ornithologues de l'Outaouais, avec la seule différence que mon tronçon 5 correspond à leurs zones 5 et 6) :


  • Tronçon 1 (700 m*) : «entrée» du ruisseau, orienté NNW ;
  • Tronçon 2 (400 m) : le ruisseau fait un brusque coude vers le NNE avant de reprendre son orientation NNW ;
  • Tronçon 3 (1200 m) : orienté NNE ;
  • Tronçon 4 (200 m) : le ruisseau s’infléchit insensiblement vers l’E. Le tronçon 4, qui contient les rapides du ruisseau, est en fait la continuation du tronçon 3.
  • Tronçon 5 (1300 m) : le ruisseau s’élargit et méandre vers l'E pour rejoindre l’Outaouais.
* Longueurs mesurées sur une carte au 1/50 000 : forcément approximatives.

Voyons ces tronçons un par un.


Tronçon 1

Le tronçon 1 fait un angle prononcé avec la rivière des Outaouais. Par son orientation NNW, il oblige les eaux qui s’y engagent à reculer par rapport au courant de la rivière qui coule vers l’E. À 300 m au SE de l'entrée du ruisseau, de larges pans du socle calcaire affleurent sous les chutes de la Grande Chaudière, au milieu de la rivière (CC sur la carte, photos 1 et 2).

Trois systèmes de joints découpent le socle à cet endroit : NNW, ESE et NNE (rose des vents rouge sur la carte). Or, l'axe du tronçon 1 est précisément dans le prolongement d'un joint NNW particulièrement développé sous les chutes.

Simple coïncidence ? Dans un secteur où les joints n'empruntent que trois directions, il est impossible de ne pas trouver d'alignements. Restons prudent dans nos affirmations...


Tronçon 2

À la hauteur de la rue Montcalm, près des Brasseurs du Temps (ancien château d'eau), le ruisseau fait un bref coude vers le NNE avant de retrouver son orientation NNW.

Deux failles coupent le ruisseau précisément à l'endroit du coude : une faille ESE cartographiée par Wilson (1938) et que j'ai baptisée faille Montcalm (FM sur la carte, billet du 1er janv. 2013, lien plus haut), et la faille des Allumettières (FA), NNW, découverte et baptisée par votre serviteur (billet du 29 nov. 2009, lien plus haut).

Cette fois, il serait difficile de nier l’influence des accidents du socle sur la topographie. Une même droite réunit la FA, les tronçons 1 et 2 (au prix d'un léger décalage dans ce dernier cas) et le joint NNWde la Grande Chaudière évoqué plus haut. 

Ajout (29 janv. 2016)

Les choses les plus évidentes sont celles qui passent le plus facilement inaperçues ou qui sont les premières oubliées. Ainsi, j'aurais dû noter qu'à l'endroit où la faille Montcalm (FM) croise le ruisseau, le lit de ce dernier enregistre une brusque dénivellation de presque 3 m (compartiment nord abaissé). Elle a été mise à profit par la construction, en 1902, d'un château d'eau couplé à une centrale hydroélectrique (aujourd'hui Les Brasseurs du Temps). C'est un exemple patent de contrôle de la topographie par la tectonique. Mais la même faille traverse les hauts et les bas de la région sans se faire autrement remarquer... Le lien entre failles et relief n'est ni automatique ni univoque. 


Tronçon 3

Long tronçon de 1200 m (ou de 1400 m si on lui adjoint, comme il serait logique, le tronçon 4, ainsi que nous le verrons). Le ruisseau y conserve une orientation NNE si on néglige le léger angle qui l'affecte à mi-parcours.

À moins de 200 m à l'E du tronçon 3, le socle rocheux perce une large pelouse, à l’angle du boul. Montclair et de la rue Saint- Rédempteur (M sur la carte ; photo 3). Les affleurements forment des bandes parallèles qui ont une orientation commune avec celle du tronçon.


Tronçon 4

Ce tronçon prolonge le précédent au prix d’un léger fléchissement vers l'E de son axe. Par commodité, comme il est le siège des rapides du ruisseau où il est facile de mesurer les joints directement sur le socle rocheux, j’en fais un tronçon indépendant.

Les rapides coulent vers le NNE sur le socle calcaire mise à nu (billet du 25 août 2013, lien plus haut). On observe trois directions privilégiées dans l’orientation des joints locaux (voir photo 4 et rose des vents bleue sur la carte) : NNE (la principale, celle qui correspond à l’orientation du tronçon), NNE et ESE (pratiquement E-W)*..

* Des directions WNW - E-W incertaines ont aussi été relevées.


Tronçon 5

Après les rapides, la profondeur du ruisseau augmente brusquement. Le cours d'eau s’élargit et, jusqu’à sa jonction avec la rivière, il forme des méandres creusés par de profondes baies dans une accumulation de sédiments du Quaternaire. Le long de ce dernier tronçon, les contraintes tectoniques cessent de se faire sentir et le ruisseau se libère des tranchées rectilignes qui canalisaient ses eaux en amont.


Conclusion

On constate, le long des tronçons 1 à 4, des divergences et des similitudes. En gros, nous avons donc :


  • Système NNW : présent à la Grande Chaudière, absent des Rapides, parallèle à la FA, aux linéaments L , et aux tronçons 1 et 2 ;
  •  Système NNE : présent à la Grande Chaudière, aux Rapides ; au point M, et parallèle aux tronçons 2, 3 et 4 ;
  • Système ENE : absent de la Grande Chaudière, présent aux Rapides ; correspond aux failles F ;
  • Système ESE : présent à la Grande Chaudière, aux Rapides ; parallèle à la FM.

Les lignes de faiblesse et les accidents du socle calcaire ont donc exercé une influence certaine sur l’orientation du ruisseau de la Brasserie, du moins dans sa partie amont. Dans sa partie aval, une accumulation de sédiments post-glaciation a obligé le ruisseau à dévier de son cours pré-glaciations qui se prolongeait (c’est une hypothèse personnelle) droit vers le N : le lac Leamy est-il le résultat du surcreusement glaciaire de l’ancienne vallée du ruisseau (autre hypothèse personnelle) ?

Autre question qui s'impose : est-ce que la FA se prolonge au sud de la FM pour se confondre avec l'axe des tronçons 1 et 2 ? Sur le terrain, il existe de multiples évidences de déplacement le long de la FA (billet du 29 nov. 2009, lien plus haut), le compartiment NE étant abaissé par rapport au compartiment SW, Or, la photo 2, riche en détails, ne montre aucun indice de ce qui pourrait être interprété comme des déplacements de part et d'autres des joints qui affectent le socle sous la Grande Chaudière. J'hésite donc à me prononcer, sauf à aller examiner le calcaire sous les chutes de la Grande Chaudière, ce qui est, pour des raisons évidentes, interdit...


Références

  • Michel Allard, 1977 – Le rôle de la géomorphologie dans les inventaires biophysiques : l'exemple de la région Gatineau-Lièvre. Univ. McGill, départ. de géographie, thèse (Ph.D.), 540 p.
  • Wilson, A E, 1938, – Ottawa Sheet, East Half, Carleton and Hull Counties, Ontario and Quebec. Commission géologique du Canada, Carte 413A, 1 feuille (1/,63 360)



© Google
Photo (montage) 1. Chutes de la Grande Chaudière (CC sur la carte). Trois systèmes de joints découpent le calcaire sous la Grande Chaudière (lignes rouges) : NNW, ESE et NNE. (La perspective oblique peut modifier les angles.) La ligne pointillée ENE correspond à une faille (F) hypothétique de Wilson, laquelle ne coïncide avec aucun système de jonts. (Rose des vents rouge sur la carte, près de CC.) Le prolongement vers Hull du joint WNW se confond avec l'axe du tronçon 1 du ruisseau de la Brasserie et la FA.


© Bing
Photo 2. Autre vue de la Grande Chaudière.


Photo 3. Bandes de calcaires parallèles près du boul. Montclair (point M). Photo sept. 2013.


Photo 4. Joints découpant le socle calcaire aux rapides du ruisseau de la Brasserie (rose des vents bleue sur la carte, tronçon 4 du ruisseau). Photo août 2013.


Ajout (31 mars 2014) : photos 5 et 6



Photo 5. Tronçon des rapides du ruisseau, secteur de la photo 4. Photo © Google Earth.


Photo 6. Détail de la photo 5. La rose des vents des joints du tronçon des rapides, tirée de la carte, est apposée sur la photo : vue des airs, l'orientation des joints (cf. photo 4) reste la même. Rassurant pour celui qui a pris les mesures au sol ! Photo © Google Earth.



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