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jeudi 26 septembre 2013

Grès de Nepean à Gatineau + blocs erratiques (ajouts)


Fig. 1. Socle de grès dénudé au milieu des champs et bloc erratique (Gatineau, parc Laflamme, au N parc de l'Oasis, près du boul. de l'Hôpital). M'étonnerais beaucoup qu'il soit là comme une cerise oubliée sur un plateau depuis la fin de la dernière glaciation... N'empêche, la question qui nous vient immédiatement à l'esprit : mais où est donc passé le reste du till glaciaire qui devait recouvrir le secteur ? Voir la fig. 8 pour un autre point de vue. Photo : © Alain P. Tremblay, sept. 2013.


Résumé (ajouté après coup). – On parle ici du secteur du parc de l'Oasis, près du boul. de l'Hôpîtal, à Gatineau (Québec), du grès de Nepean (Paléozoïque, 500 millions d'années), de blocs erratiques déposés à la fin de la dernière glaciation (12 000 ans), de la mer de Champlain (12 000 - 10 000 ans) et du proto-Outaouais (10 000 -5000 ans). Ce billet est une suite (lien immédiatement plus bas). Voilà, vous avez tout.


Dans mon billet du 14 septembre dernier, j’ai parlé d’activités de prospections dans les années 1930 sur un plateau de grès, à Gatineau, limité à l’ouest par un escarpement (fig. 3). Le tout était perdu au milieu de ce qui était à l’époque des terres bordées par des champs et des champs bordés par des terres. Aujourd’hui, l’escarpement s’étire comme un lacet entre des parkings et des fonds de cours (fig. 7). Le rebord du plateau est occupé par un parc étroit, le parc Oasis (nom très local et très descriptif, n’est-ce pas ?). Même si les analyses avaient montré que le grès avait la pureté nécessaire à la production de sable destiné à l’industrie du verre, aucune exploitation ne fut entreprise. Le terrain appartenait à un certain Xavier Laurin.

Alain P. Tremblay, arrière-petit neveu de M. Laurin, me disait récemment que, quand il était petit, alors que l’urbanisation n’avait pas touché le secteur, il se trouvait un champ de blocs erratiques au nord de l’escarpement. (Conversation à l'origine du billet du 14 sept., lien plus haut.) Comme je lui répondais que les blocs devaient sans doute avoir été emportés ou détruits depuis – un boulevard, un hôpital, un quartier résidentiel, ça change le paysage –, il me répondit qu’au contraire, ils existaient toujours. Pour venir à bout de mon incrédulité – disons plutôt de ma surprise –, il m’en a transmis les photos toutes récentes que vous voyez ici.

(Selon certaines cartes, les blocs seraient au parc Laflamme. Les cartes récentes laissent cependant le parc anonyme.)


Fig. 2. Le grès près de l'escarpement est parcouru de fissures. Celle-ci a failli engloutir un bloc erratique de bonne taille. Photo : © Alain P. Tremblay, sept. 2013.


J’irai voir ce champ urbain semé de blocs erratiques dès que possible. La présence de ces blocs m’intrigue : pourquoi sont-ils si nombreux, ou apparents, à cet endroit, et pas ailleurs ?

La carte des dépôts meubles (fig. 4) donne peut-être un indice. Les terrains en vert-de-gris (unité no 8) sont couverts de sédiments laissés par l’ancêtre de la rivière des Outaouais, le proto-Outaouais qui s’est établi dès le retrait de la mer de Champlain il y a 10 000 ans. Presque tout Gatineau (secteur Gatineau) était sous la rivière à cette époque. Les précurseurs des Grands-Lacs se déversaient alors dans l’Outaouais par un exutoire qui passait par le lac Nipissing. Le débit de la rivière a pu atteindre 200 fois celui du cours d'eau actuel (Gilbert, 1994, p. 7). L’argile de la mer de Champlain (en bleu, unité no 3) a été en partie déblayée par le courant, au point de mettre à nu le till glaciaire et, même, le socle rocheux (R et R, surfaces roses).

Les lignes dentées sur la carte suivent les contours des terrasses créées par le proto-Outaouais. Elles permettent de mesurer l’ampleur de l'ancien cours d’eau.

Les blocs, tout erratiques qu’ils étaient, eux, n’ont pas été remué par ce remue-ménage. L’argile disparue, les éléments plus fins du till itou, les blocs ont été dégagés par l’érosion fluviatile. Puis, la rivière s’est progressivement réduite à ses proportions actuelles qu’elle a atteintes il y a 4700 ans. Je doute cependant que les blocs de notre champ soient demeurés dans leur position originale depuis ce temps. Les cultivateurs ont dû en déplacer quelques-uns qui gênaient les travaux agricoles – sans parler des défricheurs.


Fig. 3. Carte de Cole et Carnochan (1934). La région qui nous intéresse ici est la Laurin Silica Property, à gauche. Potsdam sandstone = grès de Nepean dans notre texte.


Fig. 4. Même secteur qu'à la fig. 3. Détail annoté de la carte de Richard et al. (1978)
Légende (simplifiée)
Récents. – 10 : dépôts organiques ; humus, tourbe ; 9 : dépôts fluviatiles récents ; sable, matières organiques.
Post-Champlain. – Dépôts fluviatiles de chenaux abandonnés de l'Outaouais : silt, argile (8) et sable (7).
Dépôts de la mer de Champlain. – Faciès sub-littoral, sable (4) ; faciès d'eau profonde ; argile, silt (3).
Pré-Champlain (dépôts glaciaires). – 1 : till.
Roche en place. – R : Paléozoïque ; calcaire, dolomie, grès, shale ; R : Précambrien, complexe métamorphique-plutonique. (Note. – Les R et les R sont intervertis sur la cartes à certains endroits. Par exemple, le R au sud du X blanc devrait être un R. Pas la seule carte de sa série à déconner... Voir ici et ici.)
L : zones de glissements de terrain  ; ligne dentée : talus de terrasse fluviale ; ligne piquetée : escarpement dans la roche en place ; B noir : lac Beauchamp.
Pour ce qui suit, voir la fig. 7. H blanc : hôpital de Gatineau (qui n’existait pas en 1978) ; X blanc : champ de blocs erratiques ; l'escarpement dans le grès passe entre H et X.


Fig. 4 bis (ajout, 4 oct. 2013, tant qu'à accumuler la documentation...) Détail annoté de Lajoie (1967)
Légende (très simplifiée). Pour tous les sols : nom du sol ; texture ; matériau originel
Sols du site de l'escarpement de grès dont il est question ici
Cb. St-Colomban ; loam sableux et rocheux ; till non calcaire. D. Dalhousie ; loam argileux ; argile. Pc. Pontiac ; loam limoneux à loam argilo-limoneux ; limon mince sur argile. X. Éboulis, berges escarpées et ravinées ; surface argileuse ; terrains éboulés ou varinés.
Autres sols de la zone couverte par la carte
Au. Alluvion, non différenciée ; surface sableuse ; alluvion récente stratifiée. Auh. Alluvion, non différenciée ; surface argileuse ; alluvion récente stratifiée. F. Farmington ; loam ; till mince sur roc calcaire. Lc. Lachute ; loam limoneux ; alluvion limoneuse récente. Le. Lesage ; loam sablo-graveleux ; gravier et sable stratifiés sur argile. R. Ste-Rosalie ; argile ; argile marine grise. R1. Ste-Rosalie ; loam argileux ; argile marine grise. Ri. Rideau ; argile, argile grise marine. Rn. Ripon ; sable loameux ; sable loameux et sable. Up. Uplands ; sable ; sable moyen. √. Terrains rocheux non-différenciés ; --- ; till rocheux et affleurements. [Symbole papyrus.] Marécage.
Légende détaillée des sols du site de l'escarpement
Cb/U - 4√. Sol St-Colomban (Cb)/ondulé (U) - très pierreux, nombreux affleurements (4√).
Pc + D/Lm - 0. Sol Pontiac (Pc) + sol Dalhousie/plat (Lm) - sans pierres ni affleurements (0).
X/E - 0. Éboulis (X)/escarpé (E) - sans pierres ni affleurements (0).


H noirs : hôpital de Gatineau ; X : champ de bloc erratique, selon fig. 4.


Fig. 5. Ça, ça ressemble à du bon vieux granite (cassure rose fraîche en bas). Photo : © Alain P. Tremblay, sept. 2013.


Fig. 6. Un bloc, un arbre, un bloc, deux arbres... Je plains les anciens cultivateurs qui devaient se débattre avec ces blocs qui n'ajoutaient pas vraiment à la fertilité de leurs champs...
Photo : © Alain P. Tremblay, sept. 2013.


Si l’on superpose la carte de Cole et Carnochan (fig. 3) sur celle de Richard et al. (fig. 4), on se rend compte que ce dernier a indiqué R (Précambrien) là où les premiers indiquent (correctement) du grès du Paléozoïque (hachures obliques). Richard et al. auraient dû employer le R souligné, symbole du Paléozoïque. Petite erreur comme je soupçonne qu'il s'en est produites d'autres du même genre ailleurs sur la carte. À voir...

Raison de plus pour aller y faire un tour si des roches de deux ères coexistent. Quoique, ça m’étonnerait de trouver beaucoup d'affleurements ou, rêvons un peu, une autre discordance Précambrien/Paléozoïque comme celle du lac Beauchamp, plus à l’est (voir billet du 23 janvier 2011).


À suivre...


Fig. 7. Secteur de l'hôpital de Gatineau. © Google. H : hôpital ; X : champ couvert de blocs erratiques ; ligne rouge : escarpement dans le grès de Nepean (limite ouest du parc de l'Oasis). Ajout (30 sept. 213). – Le terme «champ» peut induire en erreur. Il existe bien, mais il faudrait parler d'un plat sur le rebord du plateau et qui communique avec des ravins encaissés qui découpent le talus des «hautes terres» dans l'argile marine, au nord et è l'est du X (surfaces planes cultivées).


Fig. 8. Secteur couverts de blocs erratiques. Plusieurs sont bien visibles. J'ai repéré celui photographié à la fig. 1 (cercle blanc). Le X blanc indique la position probable du photographe et la flèche l'angle de visée. Rien n'échappe à l'œil de © Google...


Ajout (1er octobre 2013)

Selon Alain P. Tremblay, les blocs sur ce terrain n'auraient pas été dérangés depuis presque 90 ans. Le terrain a toujours servi de pâturage et non pour l'agriculture, la couche de terre étant trop mince et les environs trop accidentés.

Cependant, j'ajouterais que le champ où se trouvent les blocs communique avec des ravins qui découpent un talus abrupt, au N et à l'E du site. Au sommet du talus, le plat terrain est cultivé – c'est comme un coin de campagne enfoncé dans la ville. (Voir, fig. 7, les champs à la droite et au dessus du X rouge.) Le champ de blocs est comme une première marche entre l'escarpement de grès et le talus qui n'est autre chose que le rebord de la couche d'argile déposée au fond de la mer de Champlain – voir le texte plus haut. (Pour aller de l'ancien fond de la rivière à l'ancien fond de la mer, faut grimper au sommet de la ville. Paradoxe !)


Ajout (4 octobre 2013)

Une question toutefois demeure ou s'impose entre toutes : pourquoi cet escarpement dans le grès ? On sait qu'il est naturel, qu'il existe depuis les années 1930 (billet du 14 sept. 2013, lien plus haut) pour le moins. Je ne connais rien dans les parages qui correspondent à cette orientation N-S. L'escarpement est-il entièrement dans le grès, c.-à-d. que la roche sous la falaise est-elle encore du grès ? Les cartes, ou bien ne permettent de trancher, ou sont fautives (cf., «Note» de la fig. 4 bis). Ça pourrait être le front de la couche de grès sur le socle Précambrien, comme au lac Beauchamp (billet du 15 avril 2012).

C'est pas moi, apparemment, qui résoudrai le mystère.


Références

  • L.H. Cole et R.K. Carnochan, 1934 – «Silica Deposit Near Gatineau Point, Quebec». In : Report No. 735, Mines Branch Investigations of Mineral Resources and the Mining Industry, Depart. of Mines, Canada Mines Branch, p. 3-6.
  • Gilbert, Robert (compil.), 1994 – Guide d'excursions dans le paysage glaciaire et postglaciaire du sud-est de l'Ontario et d'une partie du Québec, Commission géologique du Canada, Bulletin 453, 1994; 86 pages.
  • Paul G. Lajoie, Étude pédologique des comtés de Hull, Labelle et Papineau (Québec). Direction de la recherche, min. de l'Agriculture du Canada, min. de l'Agriculture et de la Colonisation de la province de Québec, collège Macdonald de l'université McGill, 1967, 106 pages + 5 cartes en couleur (1/63 360).
  • Richard, S H; Gadd, N R; Vincent, J -S; 1978 – Surficial Materials and Terrain Features of Ottawa-Hull, Ontario-Québec / Dépôts meubles et formes du relief d'Ottawa-Hull, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, carte série «A», 1425A, 1 feuille, 1/125 000.

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