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mercredi 31 juillet 2013

Île de Hull : alignement de coïncidences (ajouts)


Note. – J'ai hésité à publier ce billet, terminé depuis un certain temps. L'hypothèse que j'y développe – l'assimilation des anciennes fosses de l'Île-de-Hull au NW du lac aux Vairons (lac Minnow) à des chenaux creusés par des torrents d'eau sous-glaciaires – est mienne. Je ne manque pas d'arguments pour la soutenir, mais je ne peux la présenter comme un fait connu et accepté.


Carte 1A. Détail annoté (montage) de Goad (1908) 
Partie de l'Île-de-Hull en 1908. Les noms de rues actuels sont en rouge. J'ai ajouté, toujours en rouge, le tracé de la rue Morin. Minnow Lake : ou lac aux Vairons (actuel parc Sainte-Bernadette). À gauche (ouest), le ruisseau de la Brasserie. 

On distingue deux chenaux (voir carte 1B) avec contournements et interruptions ; l'eau remplit les fosses les plus profondes. Le lac aux Vairons semble une fosse élargie, contenue dans un bassin escarpé. 

Les chenaux, les fosses et le lac sont aujourd'hui asséchés et «urbanisés». La carte, qui servait aux compagnies d'assurances à évaluer les risques d'incendies, ne prétend pas à une parfaite fidélité dans le rendu de la topographie.
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Il existe à Hull (Gatineau, Québec) de nombreux indices de l'existence insoupçonnée jusqu'ici de chenaux creusés dans le socle calcaire par un torrent sous-glaciaire vers la fin de la dernière glaciation (1).

1. Départ de glaces dans la région : il y a environ 12 000 ans.

Les chenaux eux-mêmes sont détruits (ou ensevelis, pour le moins, sous un quartier résidentiel), mais il subsiste suffisamment d'indices sur le terrain et dans des documents anciens (cartes et photos) pour que je sois raisonnablement affirmatif quant à leur réalité et leur nature.

Les éléments sur lesquels je fonde mon hypothèse sont les suivants :


  • La Marmite des Allumettières (Lessard, 2009 ; billet du 7 nov. 2009), pour laquelle l'hypothèse d'une origine sous-glaciaire a été émise par des chercheurs (Sharpe et Pugin, 2007 ; billet du 13 juillet 2013) ;
  • Les coups de gouges, marques caractéristiques d'une érosion en régime noyé, qui recouvrent les parois de la marmite (billet du 15 juillet 2013) [ajout, 29 janv. 2016 : argument moins décisif que je ne le croyais, le coups de gouges pouvant s'expliquer autrement] ;
  • La faille des Allumettières (Lessard, 2009 ; billet du 29 nov. 2009), de direction NW, zone de faiblesse dans laquelle la marmite s'est creusée ;
  • L'affleurement calcaire des Brasseurs du Temps dont la partie inférieure, surcreusée, est couverte de coups de gouge semblables à ceux de la marmite (billet du 15 juillet 2013, lien plus haut) et qui pourrait être un reliquat des...
  • ... chenaux (ennoyés?) dans le prolongement de la faille des Allumettières. Ils formaient autrefois deux chapelets parallèles de fosses inondées. Ils sont visibles sur d'anciennes cartes et photos (cartes 1A et 1B) ;
  • Le lac aux Vairons (Minnow Lake), aujourd'hui comblé et site du parc Sainte-Bernadette, à l'extrémité SE des chenaux.


Carte 1B. Autres annotations de la carte 1A
BT : affleurement des Brasseurs du Temps (l'édifice des BT qui date de 1910 n'apparaît pas sur la carte*) ; LM : ligne du chenal de la rue Morin ; LV : lac au Vairons (lac Minnow) et axe du chenal qui y est relié.
Mille excuses : construit entre 1902 et 1905, l’ancien château d’eau de la ville de Hull (aujourd'hui les BdT) a été agrandi en 1910. Il apparaît sur la carte sous le nom de «HULL WATERWORKS ELEC. LIGHT STATION» (non lisible sur les versions réduites mises en ligne ici). Source : Lieux patrimoniaux du Canada. (5 août 2013.)
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Tout ceci pourrait être les manifestations d'un réseau de chenaux et de marmites remontant à la dernière glaciation (ou même de cavernes et d'avens (2) ?). Le lac aux Vairons, au pied d'une colline qui aurait agit comme un obstacle à l'écoulement des eaux, serait-il lui-même une super-marmite comblée par des sédiments glaciaires et/ou post-glaciaires ? À moins qu'il ne soit le résultat d'un surcreusement glaciaire ?

2. L'idée que la marmite pourrait être un aven m'a été suggérée par Pascal Samson. (Billet du 15 juillet 2013, lien plus haut.)


Carte 2A. Détail tiré de l'Atlas du Canada
Même légende que la carte 1B.
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La rue Morin, sorte de tranchée qui m'avait toujours intrigué par ses accès abrupts, a été tracée le long d'une fosse en partie inondée d'un chenal (cartes 1A et 1B). La faille des Allumettières, zone de faiblesse du socle calcaire, aurait canalisé l'écoulement des eaux sous le glacier.

L'aspect du socle sous les lacs et les chenaux est inconnu et n'a jamais été étudié, à ma connaissance, du moins. L'examen de la roche, qui aurait pu donner des indices sur la nature de l'érosion qu'elle a subi, n'a jamais été mené non plus (3).

Ajout (1e août 2013, corrigé le 7 août 2013). – Vers 1860, il y avait jusqu'à 9 m de dénivelé entre la surface du lac aux Vairons (Minnow) et le sommet des rives. Si on ajoute à cette valeur la profondeur de l'eau, c'est tout un bassin qu'il nous faut envisager (McKellar, 1932). La nature du fond du lac reste inconnue : vase ? roc ?

3. La question du «fond» se pose aussi pour l'ancien lac Flora, actuel parc Fontaine, à l'est du lac aux Vairons. Des sondages lui avaient donné 4 m d'eau croupie, 11 m de vase, ce qui suppose que le bassin rocheux qui l'accueillait avait au moins 15 m de profondeur. Surcreusement glaciaire ?

L'affleurement des Brasseurs du Temps prend tout à coup une importance capitale : c'est le seul vestige accessible des chenaux disparus pour nous apporter un témoignage tangible sur leur nature. L'examen de la carte 1A permet de constater que le courant a dû contourner des obstacles qui subsistent sous forme d'îlots allongés, qu'il semble y avoir en des seuils résistants à l'érosion entre les fosses.


Carte 2B. Détail de 2A
On ne peut s'empêcher de remarquer que le ruisseau de la Brasserie au sud du boul. des Allumettières (grand route qui traverse la carte en montant vers la droite) est parallèle à la FA et aux LM et LV... Le lac aux Vairons (point sur la ligne LV) apparaît contenu dans un enfoncement de la colline au sud (courbe de niveau des 60 m) : une super-marmite ?...   
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Des marques d'érosion laissées par des torrents sous-glaciaires se retrouvent à Cantley (billet du 11 nov. 2009), au nord de Gatineau, et, au sud, en Ontario, jusqu'aux rives du Saint-Laurent. Le cas de Hull ne serait donc pas isolé et s'intégrerait au contraire dans une chaîne de manifestations – érosion du socle par l'eau sous pression, réseaux de chenaux, etc. – d'origine semblable (voir les débâcles glaciaires des Algoquin and Ontario Events de Shaw et Gilbert (1990)) .

Hull, ville sculptée par les eaux glaciaires ?

On peut se demander pourquoi le torrent a traversé le lit du ruisseau de la Brasserie sans l'emprunter. Selon Allard (1977), le ruisseau serait un bras de l'Outaouais qui remonterait à une époque antérieure aux glaciations. Il aurait donc été disponible pour les eaux du torrent. L'allure des berges du ruisseau nous aurait renseigné, dans la mesure où on ne les aurait pas nivelées, bétonnées et retravaillées, ou enfouies sous le remplissage

Les failles ne manquant pas dans le secteur – elles abondent même – on peut aussi se demander par quel concours de circonstances la faille des Allumettières a été choisie parmi de nombreuses autres pour canaliser les eaux sous-glaciaires.

Ajout (29 janv. 2016)

Les choses les plus évidentes sont celles qui sont les premières oubliées. Ainsi, j'aurais dû noter qu'une faille (faille Montcalm), non reportée sur les cartes de ce billet, croise le ruisseau de la Brasserie à la hauteur du château d'eau (Brasseurs du Temps). Le lit du ruisseau enregistre sur le passage de cette faille une dénivellation de 2,75 m (compartiment nord abaissé) mise à profit par une centrale hydroélectrique, aujourd'hui inactive, couplée au château. Et la chute est dans la continuité des sillons de la rue Morin. Il faudrait une mise à jour de ce billet !

Autre possibilité à envisager : les chenaux pourraient être des bras ou des affluents du ruisseau. Mais l'allure en chapelet des fosses, séparées par des seuils ou des verrous, évoque davantage l'action de l'érosion glaciaire, avec des surcreusements, que celle de l'érosion fluviatile. Une simple exploitation par l'eau de pluie de failles ou de joints vulnérables ? 

Je me garderai de conclure pour l'instant.


À venir : un vieux texte et de vieilles photos.




Références

  • Michel Allard, Le rôle de la géomorphologie dans les inventaires bio-physiques : l'exemple de la région Gatineau-Lièvre. Univ. McGill, départ. de géographie, thèse (Ph.D.), 1977, 540 pages.
  • Chas. E. Goad (éd.), Hull & Vicinity, Que., January 1903, revised May 1908. Toronto, Montreal, London, 1 map on 44 sheets. Bibliothèque et Archives Canada
  • McKellar, «Minnow Lake As It WAs In 1858 When Hull Was Small», The Evening Citizen, Ottawa, 23 juillet 1932.
  • Shaw J. and Gilbert R., «Evidence for large-scale subglacial meltwater flood events in southern Ontario and northern New York State», Geology, vol. 18, 1990, p. 1169-1172.
  • Sharpe D. et Pugin A., Glaciated terrain and erosional features related to a proposed regional unconformity in Eastern Ontario: Field trip Guide Book, GSC, Open File 5596, 2007, 44 pages.
  • Sharpe D.R., Russell H.A.J. and Pugin A., The signifiance of buried valleys to groundwater systems in the Oak Ridges Moraine region, Ontario: extent, architecture, sedimentary facies and origin of valley settings in the ORM region, Geological Survey of Canada, Open File 6980, 2013.

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